II. L'EFFICACITÉ DU DISPOSITIF DE RÉTENTION
La situation dans laquelle le nombre de retenus augmente alors que ceux effectivement reconduits sont de moins en moins nombreux est loin d'être satisfaisante et mérite de nouvelles réflexions sur le dispositif et son efficacité.
A. LES CAUSES D'ÉCHEC À L'ÉLOIGNEMENT
1. Les raisons directes du non-éloignement
La remise en liberté est de loin la situation la plus fréquente des retenus non reconduits.
Tableau n° 31 : Situations des retenus non reconduits à leur sortie des CRA métropolitains
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
|
Refus d'embarquer |
482 |
609 |
627 |
667 |
897 |
1 050 |
Remis en liberté |
7401 |
8 887 |
9 906 |
13 009 |
17 856 |
17 390 |
Déféré au parquet |
205 |
283 |
404 |
629 |
809 |
869 |
Autre (hospitalisation, évadés,..) |
708 |
412 |
1 252 |
718 |
758 |
822 |
TOTAL |
8 796 |
10 191 |
12 189 |
15 023 |
20 320 |
20 131 |
Source : Cour des comptes à partir des données fournies par le MIINDS
Outre les libérations pour des motifs de santé, de situation familiale ou de nationalité française trois grandes catégories figurent parmi les causes d'échec à l'éloignement:
- les étrangers libérés par décision de justice, administrative et judiciaire (40% du total) ;
- les étrangers n'ayant pu être reconduits faute de laissez-passer consulaire délivré à temps, en forte augmentation depuis 2006, et qui représente près de 30% du total ;
- les étrangers libérés faute de place en CRA, dont le nombre est en forte diminution (environ 20% du total des causes d'échec à l'éloignement en 2007) ;
Cette dernière question devrait en pratique être résolue dans les deux années qui viennent par l'accroissement programmé des capacités. Les deux autres points méritent en revanche d'être étudiés attentivement.
2. L'annulation des procédures
§ Les procédures font l'objet d'annulations nombreuses par les juges judiciaire et administratif. En matière de rétention, il est très difficile de s'appuyer sur une jurisprudence constante. La plupart des remises en liberté décidées par les JLD tiennent à la qualité de la procédure pénale. On ne saurait faire une liste exhaustive des moyens auxquels il est fait droit. En voici, toutefois, quelques exemples : conditions de l'interpellation non-conformes, délai déraisonnable pour aviser le procureur du placement en garde à vue, impossibilité pour l'intéressé de faire usage de ses droits de gardé à vue, absence d'interprète ou recours abusif à l'interprétariat par téléphone, absence de procès verbal de prise des empreintes digitales.
L'annulation à cause de la procédure administrative est moins fréquente. On notera tout de même les moyens suivants: délai excessif (ou délai trop bref, à l'inverse) entre la notification de fin de garde à vue et la notification de l'arrêté de placement en rétention administrative, délai de transfert excessif (ou délai trop bref, à l'inverse) entre les locaux de garde à vue et ceux de la rétention, délai déraisonnable pour aviser le procureur du placement en rétention, absence de diligences administratives pendant les premières 48 heures afin de reconduire l'intéressé dans les plus brefs délais.
§ L'annulation des procédures au bout du délai légal de 48 heures dépend de questions qui relèvent pour l'essentiel des services interpellateurs. La part des problèmes dépendant du dispositif de rétention n'est pas synthétisée au plan national, mais semble assez réduite.
Dans le cas de la préfecture de police de Paris, par exemple, la part de la rétention dans les motifs d'annulation représente 15% en 2008, en diminution par rapport à 2006 (23%). Ce qui est en revanche préoccupant dans ce cas est l'augmentation des vices relatifs à la seconde prolongation de la rétention (défaut de diligences de l'administration, absence de pièces justificatives), qui sont passés de 2,4 % en 2006 à 9,9 % en 2008. Ce type d'annulation pourrait très certainement être substantiellement réduit.
§ Un des problèmes est que la représentation de l'Etat devant les juridictions fait souvent défaut.
Les préfectures assurent directement la représentation de l'Etat devant le juge administratif. Certaines d'entre elles ont passé un marché avec un cabinet d'avocats pour la représentation devant le juge judiciaire. D'autres, comme dans les Hauts-de-Seine, ont dans certaine période intégré à leurs services des fonctionnaires de police OPJ ayant pour mission de vérifier en amont la régularité des procédures en liaison avec les services interpellateurs.
Il reste que 78% des préfectures ne sont représentées qu'occasionnellement devant les juridictions judiciaires. Ce taux s'établit à 89% s'agissant de la présence aux audiences des tribunaux administratifs.
Pour la juridiction administrative, la diminution du taux d'annulation dépend certes avant tout de la qualité du mémoire en défense et donc des diligences qui seront mises en oeuvre afin de transmettre dans les meilleurs délais les éléments du dossier au représentant de l'Etat.
Il reste que l'effort pour que l'Etat soit physiquement représenté devant les tribunaux mérite d'être accentué.
Il en va de même de la sensibilisation des services interpellateurs sur la qualité des procédures précédant la rétention qui a progressé (par exemple la création dans deux départements franciliens d'une unité de police spécialisée dans l'amélioration des procédures) mais reste insuffisante.