4. Des moyens financiers qui restent en partie à déterminer
a) L'emprunt national : « seulement » 142 millions d'euros pour la numérisation du patrimoine de la BnF
Il est prévu de consacrer dans le cadre de l'emprunt national 142 millions d'euros à la numérisation du patrimoine de la BnF.
(1) Le « soutien aux usages, services et contenus numériques innovants » par l'emprunt national
La première loi de finances rectificative pour 2010 prévoit de consacrer 2,5 milliards d'euros au « soutien aux usages, services et contenus numériques innovants ». Selon la justification au premier euro du programme concerné, ces crédits, qui doivent être transférés en 2010 au Fonds national pour la société numérique (FSN), financeraient, pour 750 millions d'euros, « la numérisation et l'exploitation (y compris par la création de services associés) des contenus patrimoniaux culturels, éducatifs et scientifiques ». Il est précisé que « le FSN interviendra sous la forme de prises de participations ou de prêts (environ 75 % du total) et d'avances remboursables ou de subventions (environ 25 % du total) ».
Le ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat a transmis à la commission des finances une répartition plus « fine » de la ventilation prévue. Celle-ci est indiquée par le tableau ci-après.
Les moyens prévus par l'emprunt national pour la priorité « Développement des usages et contenus innovants »
(en milliards d'euros)
Prises de participations, avances remboursables, prêts |
Subventions |
Total |
|||
Prises de participations |
Avances remboursables |
Prêts |
Crédits non consomptibles |
Crédits consomptibles |
|
1,1 |
0,3 |
0,4 |
0,7 |
2,5 |
Source : ministère du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat
(2) Les moyens prévus dans le cas du livre
La justification au premier euro n'indique pas les sommes devant être consacrées au cas particulier du développement du livre numérique. Cependant, selon les informations transmises par le Gouvernement à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sur les 750 millions d'euros précités, 142 millions d'euros seraient attribués à la BnF, notamment pour la numérisation des livres et imprimés. Ils se répartiraient de la manière ci-après.
Projets portés par le ministère de la culture et de la communication ou par ses opérateurs qui pourraient bénéficier des crédits de l'emprunt national
(en millions d'euros)
Opérateur |
Projet |
Montant |
CNC |
Numérisation de 13.000 films français du patrimoine en format HD ou 2K (salles de cinéma numérique) |
175 |
BnF et DDM/BnF (presse) |
BnF |
142 |
- Numérisation des imprimés à la BnF et bibliothèques partenaire (+ conservation + traitement bibliographique) - Numérisation de la presse de 1870 à 1939 (num+ OCR+mise en ligne) - Numérisation des fonds rares et précieux : photographies, estampes, manuscrits... - Numérisation et sauvegarde collections sonores et audiovisuelles |
140 |
|
Numérisation des archives des quotidiens d'information politique et générale |
2 |
|
INA |
Suite du plan de sauvegarde et de numérisation |
95 |
RMN |
Photographie et image |
27 |
Établissements publics |
Autres établissements publics |
120 |
Sous-total EP |
559 |
|
Secrétariat général |
Numérisation des contenus culturels (hors EP : plan national de numérisation + Archives) |
53 |
Plan national de numérisation (appel à projets) |
35 |
|
Archives nationales et régionales |
18 |
|
SG |
Valorisation et développement des services innovants |
58 |
Structure financière de capital risque pour les PME culturelles |
30 |
|
Services culturels numériques innovants dans les institutions et sur Internet |
28 |
|
Universcience |
dont plateforme de développement et d'usage consacrée aux jeux vidéo |
8 |
Sous-total autres acteurs |
111 |
|
TOTAL NUMÉRISATION, DIFFUSION ET RÉUTILISATION DES CONTENUS CULTURELS |
670 |
|
SG |
Mise en place d'un GIP, mutualisant la gestion des infrastructures de stockage |
50 |
DAF |
Archivage numérique des données |
18 |
SG |
Portail unifié de diffusion des données |
12 |
Rénovation des bases de données |
9 |
|
Portail (Culture.fr) |
3 |
|
TOTAL DÉVELOPPEMENT D'INFRASTRUCTURES MUTUALISÉES DE STOCKAGE, DE CONSERVATION ET DE DIFFUSION DES DONNÉES |
80 |
|
TOTAL |
750 |
Source : avis n° 284 (2009-2010) de M. Jean-Claude Etienne sur le premier projet de loi de finances rectificative pour 2010, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 10 février 2010
Si l'on suppose que sur ces 142 millions d'euros, 100 millions d'euros concernent la numérisation d'ouvrages et correspondent à des subventions, et que, conformément à l'hypothèse retenue par le Gouvernement pour l'ensemble des subventions financées sur dotations consomptibles, ils sont dépensés en 5 ans, cela correspond à un montant d'un peu moins de 20 millions d'euros par an.
Voeux du Président de la République au monde de la culture (7 janvier 2010) : extraits « Notre «nouvelle frontière» en 2010, c'est aussi et peut-être d'abord celle de la Révolution numérique. Le numérique efface les frontières entre les pays mais aussi entre les genres et les registres. (...) C'est la même préoccupation qui m'a conduit à annoncer la restauration et la numérisation de tous nos patrimoines immatériels : livres, films de cinéma, programmes audiovisuels, archives de presse, collections ethno-musicales, objets d'art... « Nous allons y consacrer 750M€. C'est un effort considérable dont j'espère qu'il sera augmenté des contributions de partenaires privés, car les perspectives de rentabilisation sont nombreuses dans la nouvelle économie du savoir. L'Etat sera présent « en force », car on ne peut accepter que nos ressources servent uniquement à accroître les revenus des grandes multinationales. Des plateformes seront mises en place à travers des partenariats public-privé, avec le souci de l'offre mais aussi de la demande. Qu'il soit lecteur, mélomane ou cinéphile, le public veut accéder instantanément à toute l'offre de livres, de musiques, de films, quel que soit l'éditeur ou le distributeur. (...) Les modèles économiques doivent évoluer avec les pratiques culturelles mais je reste convaincu qu'il y a des principes intangibles, à commencer par l'exigence du respect des auteurs. » Source : voeux du Président de la République au monde de la culture, Cité de la musique, 7 janvier 2010 |
Au total, le financement des mesures proposées par le rapport Tessier ne paraît pas assuré, comme le montre le tableau ci-après.
Le financement des propositions du rapport Tessier : quelques ordres de grandeur envisageables
(on considère que la totalité de la numérisation est effectuée en 10 ans)
(en millions d'euros)
Par an |
Au total |
|
Moyens actuels |
6 |
60 |
Emprunt national |
10* |
100* |
Total (A) |
16 |
160 |
Coût total (B) |
40** |
400** |
Montant restant à financer (B-A) |
24 |
240 |
* On suppose que sur les 142 millions d'euros prévus pour la numérisation du patrimoine de la BnF, seulement 100 millions d'euros concernent des ouvrages.
** Hypothèses de 15 millions d'ouvrages à numériser et de coût de numérisation de 50 euros par ouvrage. On suppose que le partenariat avec Google permet de diviser le coût par deux.
Remarque : on considère ici que l'augmentation du taux de la taxe sur les appareils de reproduction ou d'impression par l'article 52 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 ne finance pas le livre numérique, mais comble le manque de financement du CNL pour assurer ses missions actuelles (évalué en 2009 à 12 millions d'euros par le ministère de la culture et de la communication).
Source : calculs de la commission des finances
Ainsi, en moyenne sur les 10 prochaines années, il pourrait manquer environ 24 millions d'euros par an, soit 240 millions d'euros au total. Moins de la moitié du coût du rapport Tessier serait actuellement financée.
Ce manque de financement serait encore supérieur si, pour des raisons liées par exemple à une insuffisance de l'offre industrielle, le coût de numérisation était supérieur à 50 euros par ouvrage.
Ces chiffres doivent cependant être considérés avec prudence, dans la mesure en particulier où le rapport Tessier ne fixe pas d'objectif quantitatif et d'horizon temporel précis.
Par ailleurs, il n'est pas certain que Google accepte les propositions qui lui seront faites, qui exigent des investissements lourds. La BnF devrait également considérablement accroître sa cadence de numérisation, ce qui implique que les entreprises sous-traitantes réalisent elles-mêmes des investissements importants, alors même que l'activité de numérisation est par nature non pérenne.
b) Faut-il vraiment accroître à nouveau le montant de la taxe sur les appareils de reproduction ou d'impression ?
Dans ces conditions, des moyens supplémentaires seront probablement nécessaires si l'on souhaite mettre en oeuvre les préconisations du rapport Tessier.
Le ministère de la culture et de la communication souhaite depuis plusieurs années une nouvelle réforme de la taxe sur les appareils de reproduction ou d'impression, consistant à en étendre l'assiette aux « consommables » (cartouches d'encre...).
Cette proposition est soutenue par le rapport précité de MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti. Selon ce rapport, l'élargissement d'assiette proposé « permettrait à lui seul une augmentation des moyens du CNL de 10 à 15 millions d'euros par an, même si le taux de cette taxe était ramené à 1,25 % ». Il s'agirait de consacrer cette augmentation non seulement aux éditeurs (3 millions d'euros) 40 ( * ) , mais aussi, et surtout, à la Bibliothèque nationale de France (6 millions d'euros).
Cette proposition suscite certaines interrogations.
Tout d'abord, le principe même des taxes affectées est contestable : si elles sont autorisées par la LOLF 41 ( * ) , et si l'on comprend l'intérêt pour un ministère de disposer de telles taxes, on conçoit bien qu'il ne saurait être question d'affecter une taxe à chaque politique publique. Cela ne serait pas conforme au principe d'universalité budgétaire, et ne contribuerait pas à la bonne gestion des deniers publics.
Ensuite, comme on l'a vu ci-avant, la taxe concernée a déjà vu son assiette élargie en 2007, et son taux augmenté par la loi de finances rectificative de décembre 2009. On ne peut admettre le principe selon lequel chaque fois qu'un élément de la politique du livre voit son coût augmenter, il faudrait alourdir à nouveau cette taxe, comme le rapport précité de MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti le prévoit pourtant explicitement 42 ( * ) .
Par ailleurs, on rappelle que depuis 2008 la règle dite du « zéro volume élargi » inclut dans la norme de croissance des dépenses de l'Etat les mesures nouvelles relatives aux taxes affectées aux opérateurs de l'Etat.
Dans ces conditions, la commission des finances juge préférable de financer l'augmentation des moyens hors emprunt national par des redéploiements de crédits budgétaires, plutôt que par un nouvel alourdissement de la taxe sur les appareils de reproduction ou d'impression. On peut rappeler à cet égard que si le ministère de la culture et de la communication et le CNL ne gèrent « que » 316 millions d'euros, les moyens de la politique du livre sont au total de l'ordre de 1,3 milliard d'euros.
En tout état de cause, il convient de s'assurer de la disponibilité à long terme des moyens financiers nécessaires.
* 40 Ainsi, « la mission propose des mesures visant à multiplier par trois la somme affectée par le CNL à l'aide à la numérisation des oeuvres sous droit d'ici deux ans. L'objectif serait de passer de 1,5 million à 4,5 millions d'euros d'aides à la numérisation des livres d'ici 2011 ».
* 41 On rappelle que, selon l'article 2 de la LOLF, « les impositions de toute nature ne peuvent être directement affectées à un tiers qu'à raison des missions de service public confiées à lui et sous les réserves prévues par les articles 34, 36 et 51 ». Son article 34 prévoit que « dans la première partie, la loi de finances de l'année : (...) autorise, pour l'année, la perception des ressources de l'Etat et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'Etat ». Selon son article 36, « l'affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'Etat ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances ». Son article 51 dispose que « sont joints au projet de loi de finances de l'année (...) une annexe explicative comportant la liste et l'évaluation, par bénéficiaire ou catégorie de bénéficiaires, des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'Etat ».
* 42 « L'élargissement de cette assiette aux consommables des appareils de reprographie (cartouches jets d'encre et laser toner) permettrait à lui seul une augmentation des moyens du CNL de 10 à 15 millions d'euros par an, même si le taux de cette taxe était ramené à 1,25 %. (...) Un retour graduel au taux actuel permettrait d'augmenter rapidement ces aides s'il en était besoin ».