B. LE DÉVELOPPEMENT DES APPAREILS « NOMADES » PERMETTANT LA LECTURE DE LIVRES NUMÉRIQUES, ET LA REMISE EN CAUSE DU MONOPOLE DU LIVRE PAPIER
Le principal enjeu est cependant encore largement ignoré en France. Il s'agit du développement annoncé de l'industrie des appareils « nomades » permettant la lecture de livres numériques (comme les tablettes de lecture numériques, spécialement conçues pour cela). A terme, c'est la question de l'avenir du livre papier qui est posée.
1. Une offre encore balbutiante
Les premiers balbutiements de ces technologies, contemporains de la « bulle Internet » qui a éclaté en 2000, ont été un échec.
Les premières « tablettes de lecture » numériques, selon le rapport Patino « Les premières tentatives de livres numériques pour supports dédiés se sont d'ailleurs soldées par des échecs, amplifiés par l'éclatement de la bulle internet au tournant des années 2000. En effet, alors que les usages de lecture sur écran étaient peu développés, les premiers matériels dédiés à la lecture de livres électroniques, encore lourds et chers, ne procuraient pas une expérience suffisamment satisfaisante par rapport au livre papier et l'offre de contenus restait insuffisante pour amorcer un mouvement vers le numérique. La société Cytale, créée en 1998 et à l'origine du lecteur Cybook commercialisé à partir de 2001, a ainsi été mise en liquidation judiciaire dès juillet 2002. Gemstar, société américaine de produits et services numériques pour les médias, qui avait racheté début 2000 les premiers fabricants de lecteurs électroniques (le Softbook et le RocketEbook) et le premier éditeur numérique français, 00h00, n'a pu lancer sur le marché américain sa tablette de lecture numérique Gemstar eBook. L'arrêt de ses activités a entraîné la fermeture du site de 00h00 en 2003. Le lecteur Librie de Sony, lancé en 2004 au Japon, est également un échec : son prix élevé et les mesures anti-piratage draconiennes - les livres pouvaient seulement être empruntés pour une durée de 60 jours - ont découragé les consommateurs. Les grandes librairies en ligne, essentiellement américaines, qui avaient ouvert des compartiments numériques en 2000 (notamment Barnes&Nobles et Amazon), ont de leur côté abandonné cette activité ou l'ont laissée en friche. » Source : Bruno Patino, « Rapport sur le livre numérique » remis à Mme Christine Albanel, le 30 juin 2008 |
a) Un marché actuellement dominé par des tablettes de lecture spécialisées
Actuellement, il existe quatre principaux fabricants de tablettes exclusivement dédiées à la lecture de livres numériques :
- le libraire en ligne Amazon, qui commercialise le Kindle, leader sur le marché américain, commercialisé en France depuis octobre 2009 ;
- Sony (fabricant du Reader) ;
- Bookeen (fabricant du Cybook) ;
- le libraire américain Barnes and Noble (fabricant du Nook).
Ces appareils disposent d'un écran en noir et blanc, non rétroéclairé, utilisant la technologie dite de « l'encre électronique », très peu consommatrice en énergie (ce qui permet aux tablettes d'avoir une forte autonomie), et offrant un confort de lecture analogue à celui d'un livre papier. Ils demeurent assez rustiques, se limitant aux fonctions essentielles, et ont encore un prix élevé (de quelques centaines d'euros).
Les quatre appareils présentent des différences importantes :
- contrairement à ses concurrents, le Kindle permet de télécharger des ouvrages directement auprès d'Amazon, grâce à un opérateur de téléphonie mobile (actuellement l'offre de titres correspond à plus de 360.000 livres, en anglais, dont la quasi-totalité des bestsellers du New York Times , ainsi que plusieurs journaux et magazines) : il n'est donc pas nécessaire de passer par Internet pour télécharger préalablement les livres sur un ordinateur 43 ( * ) ;
- le Kindle utilise un format dit « propriétaire » (eBook). La conséquence est qu'il n'est pas possible de lire sur un Kindle des livres qui ne viennent pas d'Amazon. Les trois autres appareils permettent quant à eux de lire des ouvrages au format PDF ou Epub, payants ou, s'ils sont libres de droits, disponibles gratuitement sur divers sites (comme http://books.google.fr , www.gutenberg.org , www.feedbooks.com ou fr.wikisource.org ) ;
- il est possible d'accéder à la même offre de livres que sur Kindle en utilisant à la place un iPhone.
Amazon suit donc la même stratégie qu'Apple dans le cas de la musique. Apple vend actuellement environ 70 % de la musique en ligne parce qu'il a su imposer son matériel, qui grâce à un système de DRM exclusifs ne lit que ses fichiers iTune.
b) Un marché bouleversé par l'iPad, dans un sens favorable aux libraires ?
En janvier 2010, la société Apple a présenté l' iPad , tablette tactile multifonctions, occupant une position intermédiaire entre l'iPhone - dont elle peut utiliser toutes les applications - et l'ordinateur. L'iPad est donc capable en particulier de naviguer sur Internet. Par ailleurs, dans le cas des livres sous droits, l'iPad doit être alimenté par une librairie en ligne, iBooks, permettant d'acheter des livres numériques (au format ouvert Epub). Pour la lecture de livres, cet appareil présente certains inconvénients par rapport aux tablettes spécialisées (écran en couleurs, mais plus lumineux et donc potentiellement plus fatigant pour les yeux ; autonomie d'une dizaine d'heures, et non de plusieurs semaines). Cependant, compte tenu du faible nombre de « gros lecteurs », son marché potentiel est plus vaste, et sa capacité à naviguer sur Internet permet notamment d'accéder à des livres ne se présentant pas sous un format téléchargeable sur les tablettes spécialisées (comme ceux au format HTML sur divers sites gratuits, ou les ouvrages partiellement consultables figurant sur http://books.google.fr ). L 'iPad ne devrait pas cependant permettre à brève échéance d'acheter des livres francophones : si un partenariat a été conclu avec cinq éditeurs américains, aucun n'a pour l'instant été annoncé avec des éditeurs européens.
L'iPad aura probablement comme conséquence importante de contribuer à « casser » le quasi-monopole d'Amazon pour la vente de livres sous droits. Les éditeurs devraient donc se trouver dans une situation plus favorable pour négocier leur prix de vente avec les libraires électroniques, et le prix de vente de ceux-ci au lecteur 44 ( * ) . L'iPad présente en outre l'intérêt pour les éditeurs d'être un ordinateur, capable de lire des livres sous des formats divers - et donc, potentiellement, ceux qu'ils vendraient sur leurs propres sites -, contrairement au Kindle, qui ne peut lire que des livres au format eBook, spécifique d'Amazon.
* 43 Cette particularité a suscité une polémique en juillet 2009, quand Amazon a effacé à distance une des versions de 1984 de George Orwell, après avoir réalisé qu'elle n'était pas en règle vis-à-vis des droits d'auteur.
* 44 Selon la presse, la politique d'Apple est actuellement de laisser aux éditeurs la maîtrise de leur prix, tout en prélevant une commission de 30 % (Le Figaro, 8 février 2010).