2. L'extension au livre numérique du taux réduit de TVA : une utilité à relativiser

Les rapports précités de MM. Bruno Patino et Patrick Zelnik proposent de tenter d'obtenir de l'Union européenne la possibilité de taxer les livres numériques au taux réduit de TVA, comme les livres papier.

Il s'agit d'une revendication des éditeurs. Ainsi, dans le texte précité 71 ( * ) qu'il a diffusé au salon du livre, le 17 mars 2009, le SNE écrit : « le SNE propose de « toiletter » légèrement l'actuelle définition fiscale du livre, rédigée à une époque où le livre numérique n'existait pas. Plutôt que le livre y soit défini comme « un ensemble imprimé », il est proposé d'y inclure les livres audio et les livres numériques. Le SNE a transmis en janvier 2009 une proposition à ce sujet aux ministères des Finances et de la Culture ».

Cette revendication est soutenue par le ministère de la culture et de la communication, qui en mai 2009 a saisi à ce sujet le ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.

Il faut par ailleurs noter que l'Espagne, qui doit présider l'Union européenne au premier semestre 2010, a étendu en décembre 2009 le taux réduit de TVA au livre numérique.

Il ne semble pas que cette extension soit compatible avec la directive 2009/47/EC , qui constitue la base juridique de l'extension du taux réduit au secteur de la restauration. En effet, cette directive ne permet le taux réduit que pour les livres « sur tout type de support physique » 72 ( * ) .

On peut en outre s'interroger sur l'opportunité d'une telle mesure.

En effet, il faut distinguer deux cas de figure.

a) Si les éditeurs français ne parviennent pas à mettre en place leur plateforme de commercialisation : le libraire en ligne capte intégralement la baisse de la TVA, ou plus vraisemblablement n'est pas imposé en France

Dans le premier cas, où l'échec des politiques publiques conduirait à l'apparition d'un libraire numérique bénéficiant d'une situation quasi-monopolistique lui permettant d'imposer aux éditeurs ses prix d'achat de livres numériques, de deux choses l'une.

Soit le libraire numérique est implanté en France. Dans ce cas, c'est lui, et non l'éditeur, qui bénéficie de l'intégralité du passage au taux réduit. En effet, on peut supposer que dans tous les cas, le prix d'achat serait fixé au niveau minimal permettant la survie de l'éditeur.

Soit, comme cela est malheureusement probable, le libraire numérique n'est pas implanté en France. Dans ce cas, le taux de TVA qui s'appliquerait ne serait pas le taux français. Par exemple, actuellement la société Amazon est soumise à la fiscalité luxembourgeoise, en particulier en matière de TVA, pour laquelle elle bénéficie, pour ses activités hors librairie, d'un taux de 15 % au lieu de 19,6 %. Il serait dangereux d'entrer dans une logique de moins-disant fiscal tendant à la quasi-disparition de la TVA pour le commerce électronique, alors même que la localisation des grands acteurs du commerce électronique ne dépend que marginalement du taux de TVA.

b) Si les éditeurs français parviennent à mettre en place leur plateforme de commercialisation : soit un effet d'aubaine, soit un faible impact

Cela montre le caractère indispensable de la mise en place rapide d'un ou plusieurs sites, contrôlés par l'ensemble des éditeurs ou par les pouvoirs publics, permettant aux lecteurs d'accéder d'un coup à l'ensemble de l'offre.

Cependant, même dans ce cas de figure, on peut s'interroger sur l'intérêt de la TVA à taux réduit.

En effet, là encore deux situations sont possibles.

Dans un premier cas de figure, la concurrence oblige les éditeurs français à réduire considérablement le prix de leurs livres numériques, qui pourrait être divisé par deux par rapport à celui des livres papier. L'écart de taxation par livre vendu devient alors tellement faible qu'on peut se demander s'il a un impact quelconque sur les ventes 73 ( * ) .

Dans un deuxième cas de figure, la concurrence par les prix est plus faible et un livre numérique est vendu à environ 80 % du prix du livre papier. Les éditeurs pourraient le vendre nettement moins cher, mais ils profitent de la baisse des coûts permise par le numérique pour augmenter leur résultat d'exploitation. Le passage au taux réduit se traduit alors par un fort effet d'aubaine , les bénéficiaires ne diminuant que faiblement leurs prix TTC, comme dans le cas de l'extension en 2009 du taux réduit à la TVA dans la restauration.

La mesure bénéficierait certes à la « chaîne du livre », qui est fragile. Cependant, dans la mesure où ce sont les éditeurs qui fixent le prix du livre, ce sont eux qui capteraient le supplément de revenus correspondant, et non les libraires, qui en sont pourtant l'élément le plus vulnérable.

c) Une mesure peu coûteuse

Si cette mesure serait donc probablement peu utile, elle aurait un faible impact sur les finances publiques. En effet, de deux choses l'une. Si les éditeurs continuent de commercialiser les livres numériques à un prix élevé, le marché ne se développera pas. S'ils diminuent considérablement leurs prix, la TVA s'appliquera à une assiette unitaire plus faible. Le coût devrait donc être nettement inférieur à celui du taux réduit donc bénéficie actuellement le livre papier (de l'ordre de 500 millions d'euros par an), surtout si une part importante des ventes est effectuée par des libraires numériques implantés et imposés hors de France.

Enfin, on rappelle que l'article 11 de la loi n° 2009-135 du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 prévoit une règle de « gage » des créations ou extensions de niches fiscales. Concrètement, l'extension du taux réduit de TVA au livre numérique devrait donc être gagée par la suppression ou la réduction d'une autre niche fiscale, dans la loi de finances concernée si cette extension est faite par une loi de finances, par la prochaine loi de finances dans le cas contraire. Un tel « gage » reste bien entendu à déterminer.

* 71 Le livre numérique : idées reçues et propositions.

* 72 Cette directive concerne « la fourniture de livres, sur tout type de support physique, y compris en location dans les bibliothèques (y compris les brochures, dépliants et imprimés similaires, les albums, livres de dessin ou de coloriage pour enfants, les partitions imprimées ou en manuscrit, les cartes et les relevés hydrographiques ou autres), les journaux et périodiques, à l'exclusion du matériel consacré entièrement ou d'une manière prédominante à la publicité ».

* 73 On peut prendre l'exemple d'un livre papier coûtant 10 euros hors taxes, dont 3 euros pour l'auteur et l'éditeur et 1 euro pour les coûts spécifiques au numérique, et qui pourrait donc être vendu 4 euros sous forme numérique. La TVA est égale dans le cas du livre papier à 10*0,055=0,55 euro, et dans celui du livre numérique à 4*0,196= 0,78 euro. L'écart est donc de 0,23 euro. La mesure ne réduirait le coût du livre numérique que de 4*0,196-4*0,055=0,56 euro.

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