b) Assurer l'efficacité de la procédure d'indemnisation
Dans le schéma retenu par le groupe de travail, la phase d'évaluation du montant des réparations à verser est, comme l'a relevé M. Jacques Degrandi, président du tribunal de grande instance de Paris, la phase la plus complexe et la plus longue. En effet, l'indemnisation doit se faire sur une base individuelle, ce qui impose au juge de considérer la situation particulière de chaque membre du groupe.
Pour une large part, le succès de l'action de groupe dépendra de l'efficacité de la procédure d'indemnisation qu'elle mettra en place. Conscient de cette difficulté, le groupe de travail a cherché à dessiner une procédure qui allie la souplesse nécessaire avec la préservation des droits des participants à l'action de groupe.
• Les différents types de
procédures d'indemnisation
Trois schémas procéduraux différents sont envisageables.
Le premier est celui de la proposition formulée par M. le professeur Jean Calais-Auloy 83 ( * ) . Il consiste en une évaluation judiciaire des préjudices individuels 84 ( * ) . Après avoir prononcé le principe de la responsabilité du professionnel et constitué le groupe, le juge rend une ordonnance établissant la liste des consommateurs victimes et le montant de la réparation qui doit être versée à chacun. Cette ordonnance peut être contestée par chacune des parties intéressées dans un délai d'un mois. À l'expiration de ce délai, l'ordonnance devient exécutoire pour les créances qui n'ont pas fait l'objet d'opposition.
La solution retenue permet un versement rapide de la réparation. Mais elle ne facilite pas le travail judiciaire, puisqu'il appartient au juge d'évaluer chaque préjudice et de répondre à chacune des oppositions formées contre l'ordonnance qu'il a rendue. La durée prévisible de la procédure est donc son principal inconvénient.
Le schéma retenu par le projet de loi en faveur des consommateurs précité 85 ( * ) consiste à articuler la phase judiciaire avec une phase gracieuse. Une fois la décision prononçant le principe de la responsabilité de l'entreprise publiée, tout consommateur qui s'estime lésé peut, sous un certain délai, s'adresser au professionnel condamné pour demander une indemnité correspondant à son préjudice. En cas de refus de la part du professionnel ou si la somme proposée ne le satisfait pas, il peut saisir le juge.
Cette procédure privilégie la simplicité et s'apparente à une médiation forcée. Elle évite au juge d'avoir à examiner la totalité des préjudices individuels. Cependant elle repose sur la bonne volonté de l'entreprise et fait supporter, en cas de refus d'indemnisation, le coût du recours par le consommateur. Or, compte tenu de la faible valeur des sommes éventuellement en jeu, ce dernier peut être amené à renoncer à la réparation à laquelle il a pourtant droit.
Le troisième schéma repose sur une évaluation forfaitaire par le juge du préjudice subi. Il a notamment été présenté à vos rapporteurs par M Jacques Degrandi, président du tribunal de grande instance de Paris. Une telle indemnisation n'est pas adaptée aux préjudices qui ne sont pas tous identiques, dans la mesure où elle risquerait de mettre en cause les principes d'égalité de traitement et de réparation intégrale du préjudice subi. Cependant, il est envisageable de concevoir, comme l'a indiqué Mme Pascale Fombeur, alors directeur des affaires civiles et du sceau, une procédure à l'issue de laquelle le juge définirait un schéma d'indemnisation associant une indemnisation forfaitaire par type de préjudices définis ou une règle de calcul de l'indemnisation en fonction de la gravité du préjudice subi. Un tel schéma d'indemnisation est en effet adapté au contentieux de la consommation car les préjudices qu'il génère sont homogènes ou fonction d'éléments aisément quantifiables (nombre d'heures de communication surtaxées, nombre de produits achetés, surcoût d'achat).
L'intérêt de ce dispositif est de permettre au juge de définir l'indemnisation à verser à partir de chaque type de préjudice et de leur gravité sans avoir nécessairement à procéder à une évaluation individuelle. Le jugement rendu sur ce point peut alors valoir titre exécutoire pour les plaignants qui peuvent s'en prévaloir, sauf contestation de sa part, auprès du professionnel, afin qu'il leur verse l'indemnisation correspondant à leur préjudice.
Contrairement à la précédente, cette solution fait donc reposer la charge de la contestation de l'acte sur le professionnel et non sur le consommateur. En outre elle permet, comme la première procédure, d'obtenir un paiement rapide, en l'absence de recours, de la réparation due. En revanche, elle n'est pas adaptée aux préjudices non aisément quantifiables, qui requièrent un examen individuel.
• La position du groupe de
travail
Vos rapporteurs constatent que selon le type de préjudice sur lequel porte l'action de groupe et selon la disposition d'esprit des parties en présence, les procédures présentées s'avèrent plus ou moins efficientes. Celle qui impose au juge d'évaluer individuellement chaque préjudice fonctionne très bien lorsque tous les préjudices sont identiques et permet aux plaignants de bénéficier rapidement de la réparation qui leur est due. La procédure qui articule une phase judiciaire et une phase gracieuse est par définition la plus pertinente lorsque l'entreprise reconnaît sa faute et s'engage à réparer le dommage qu'elle a causé. La technique du schéma d'indemnisation est la plus adaptée pour les préjudices variables mais quantifiables.
C'est pourquoi, dans un souci de pragmatisme, le groupe de travail recommande de laisser au juge un large pouvoir d'appréciation pour décider la méthode d'indemnisation qu'il utilisera.
Trois options s'offriraient à lui :
- privilégier la voie gracieuse en proposant une médiation dont il homologuera, comme on l'a vu, l'accord si elle réussit ;
- présenter dans sa décision un schéma d'indemnisation suffisamment précis pour que les parties puissent connaître à partir d'éléments concrets la valeur de l'indemnisation à laquelle ils ont droit en fonction de leur préjudice. Le cas échéant, le juge pourrait prévoir, si cela se justifie, une indemnisation forfaitaire ;
- procéder à une évaluation individuelle des préjudices.
S'il n'est pas contesté, le jugement fixant l'indemnisation due par le professionnel au groupe des plaignants, acquerrait force exécutoire et leur permettrait d'obtenir le paiement des sommes dues, le cas échéant dans les conditions que le juge aura fixées.
Ainsi il pourrait indiquer quelles pièces (contrat d'adhésion, facture mensuelle) le consommateur lésé devra présenter au professionnel pour que celui-ci détermine le montant de sa créance.
Dans sa contestation du jugement, le professionnel pourrait notamment faire valoir la non-appartenance de l'intéressé au groupe des victimes, les causes exonératoires de responsabilité qui lui seraient propres ou la mauvaise évaluation du préjudice qu'il a subi.
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Recommandation n° 20 - Permettre au juge de définir, lorsque la nature du préjudice s'y prête, dans sa décision relative à l'indemnisation, les critères permettant de la liquider à partir d'un schéma d'indemnisation. Recommandation n° 21 - Prévoir que le jugement d'indemnisation vaille titre exécutoire pour chacun des membres du groupe, sauf lorsque l'entreprise conteste au cas par cas l'intégration de la personne concernée au groupe ou la liquidation retenue à son profit, en lui opposant par exemple sa propre faute. Recommandation n° 22 - Autoriser le juge à fixer dans sa décision les conditions dans lesquelles la personne lésée pourra obtenir le paiement par le professionnel des sommes qui lui sont dues. |
• La nature de la réparation
versée
Les règles générales de la responsabilité civile ont vocation à s'appliquer.
Cependant afin de dissiper des inquiétudes plusieurs fois exprimées au cours des auditions, le groupe de travail souhaite réaffirmer son opposition au principe des dommages-intérêts punitifs qui alourdissent considérablement le coût de l'action de groupe pour l'entreprise et sont contraires au principe de la réparation intégrale du préjudice.
De la même manière, il convient de réaffirmer la possibilité d'une réparation en nature, qui peut, selon le cas, s'avérer plus adaptée.
Ainsi une surfacturation de communication téléphonique peut être compensée par l'octroi de minutes supplémentaires sur le forfait des consommateurs lésés. Un tel type de réparation peut d'ailleurs s'avérer plus profitable qu'une réparation pécuniaire pour le consommateur, comme pour le professionnel.
Le juge devrait donc pouvoir décider une réparation en nature, lorsque l'entreprise le lui proposera.
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Recommandation n° 23 - Permettre explicitement au juge d'accepter la proposition faite par le professionnel d'une réparation en nature, lorsque celle-ci s'avère la plus adaptée ou la plus efficiente. Recommandation n° 24 - Maintenir l'interdiction de prononcer des dommages-intérêts punitifs. |
* 83 Proposition pour un code de la consommation, préc.
* 84 Les propositions de loi précitées n° 322 (2005-2006) et n° 277 (2009-2010) de nos collègues Mme Nicole Bricq et M. Richard Yung, sur le recours collectif, s'appuient sur la même logique, en distinguant cependant une première phase d'évaluation des dommages-intérêts dus aux premiers membres, et une seconde phase d'évaluation des dommages-intérêts dus à ceux qui se sont joints au groupe après la publication du jugement déclaratoire de responsabilité. L'association est chargée d'assurer la distribution des sommes versées.
* 85 Projet de loi en faveur des consommateurs, (n° 3430 - Assemblée nationale, XII e législature), préc.