II. UN PROJET ÉDITORIAL EN RENOUVELLEMENT

Vos rapporteurs considèrent que le cap que France Télévisions doit suivre est celui de la différentiation des chaînes du bouquet et de la construction d'une stratégie de média global.

A. RENFORCER LA CARACTÉRISATION DE CHAÎNES AUX IDENTITÉS FLOUES

L'ensemble des auditions réalisées par vos rapporteurs ont permis de dégager un large consensus sur les deux constats suivants :

- d'une part, le virage éditorial, mené avant la réforme de 2009, s'est traduit par une nette différenciation des programmes du service public par rapport à ses concurrents privés ;

- d'autre part, l'identité des chaînes du bouquet est insuffisamment marquée , hormis France 5 bien identifiée comme la chaîne du décryptage et de la connaissance.

Dans le contexte ouvert par la loi du 5 mars 2009 et la diminution de la pression commerciale due aux ressources publicitaires, l'audience n'est plus ni un critère de performance pour France Télévisions, ni un souci économique vital . Priorité est donnée à la satisfaction du téléspectateur, à la promotion des valeurs identitaires du service public, à la contribution à la création pour reprendre les axes principaux du COM.

Cependant, la mesure de l'audience est un instrument utile pour éviter d'entrer dans une pure logique d'offre où l'on se contenterait de remplir les obligations légales et réglementaires et d'optimiser son budget. Des baisses d'audience significatives, durables et généralisées ne peuvent manquer de signaler une certaine insatisfaction du public qu'on ne peut ignorer. En revanche, des baisses transitoires d'audience, même fortes, ne doivent pas être craintes lorsqu'elles sont liées à une reconfiguration ambitieuse de la programmation. Elles peuvent être simplement le signe que les anciens téléspectateurs habitués à leurs programmes sont partis sans qu'un autre public potentiellement intéressé par les nouveaux programmes se soit encore manifesté, ne serait-ce que parce qu'il n'a pas été informé des changements. D'ailleurs, si l'on souhaite modifier la structure du public d'une chaîne, par exemple en entreprenant de la rajeunir, il faut procéder à des changements lourds de la grille qui peuvent prendre un certain temps à porter leurs fruits et ainsi temporairement causer une chute de l'audience.

France Télévisions est passée de 35,2 % de part d'audience en 2007 sur l'ensemble du bouquet à 32,1 % au premier trimestre 2010. La suppression de la publicité à partir de 20 heures sur France Télévisions n'a pas eu d'impact net sur l'audience. Les chaînes privées ont anticipé le démarrage de leurs programmes de première partie de soirée et les téléspectateurs sont restés fidèles aux programmes plutôt qu'aux chaînes. La baisse d'audience enregistrée par France Télévisions est immédiatement corrélée au mouvement de fond de réorganisation de l'offre audiovisuelle et ne remet pas en cause l'enrichissement culturel des programmes conduit depuis 2005 . Le paysage audiovisuel est en effet marqué par une multiplication de l'offre liée à l'essor de la télévision numérique terrestre (TNT). Si la consommation globale de télévision s'est maintenue, l'émiettement de l'audience des chaînes historiques est indéniable. D'après les études de Médiamétrie, au début de l'année 2010, les autres chaînes que les diffuseurs historiques, toutes catégories confondues, représentent plus de 30 % de l'audience en France. Cette tendance forte devrait encore s'amplifier. A titre de comparaison, les mêmes chaînes représentent déjà plus de 40 % de l'audience au Royaume-Uni et plus de 75 % aux États-Unis.

Il est néanmoins intéressant de distinguer les situations particulières de chaque chaîne du bouquet. France 2 et France 3 connaissent leurs points les plus bas avec des audiences respectives de 16,2 % et 11,3 % au premier trimestre 2010. En revanche, France 4 rencontre un succès record de 1,5 % en forte croissance et semble participer, après une phase plus difficile, au mouvement général de croissance des chaînes de la TNT. Enfin, avec 3,5 % de part d'audience au premier trimestre 2010, France 5 consolide ses acquis.

Vos rapporteurs jugent le périmètre global du bouquet adéquat afin de toucher la totalité des publics conformément à la vocation essentielle du service public audiovisuel . De ce point de vue, France 4, dont l'audience auprès des jeunes adultes contrebalance le vieillissement du public de France 2 et France 3, a toute sa place dans le bouquet. La pluralité complémentaire des antennes de France Télévisions est un instrument indispensable pour lui permettre de remplir les missions qui lui ont été confiées par le législateur, telles que garantir la variété de la création et de la production, refléter la diversité de la société française, accroître la connaissance et le rayonnement des territoires grâce à des émissions accessibles à tous. Le cahier des charges a fixé des orientations générales pertinentes pour chaque chaîne qui ne nécessitent pas de remise en cause. C'est plutôt la caractérisation précise des lignes éditoriales et la déclinaison concrète des orientations générales dans les grilles qui doivent être améliorées.

En examinant plus avant les structures d'audience de France 2 et France 3, on ne peut que constater une commune surreprésentation des seniors . Dans la journée de 6h30 à 20h30, les 60 ans et plus représentent en moyenne 50 % de l'audience de France 2 et 54 % de celle de France 3. En première partie de soirée, ils représentent 44 % des spectateurs de France 2 et 54 % de ceux de France 3. En deuxième partie de soirée, leur part est respectivement de 41 % pour France 2 et 53 % pour France 3. Parallèlement, les 35-49 ans représentent entre 17 % et 24 % de l'audience de France 2 et entre 14 % et 20 % de celle de France 3. Enfin, la part des 15-24 ans plafonne à 4 % sur les deux chaînes.

En examinant la distribution par genre du volume horaire des programmes sur les chaînes du bouquet, on peut également repérer une grande similarité entre France 2 et France 3 avec comme seuls vrais points de différenciation le faible volume des programmes jeunesse sur France 2 et les programmes régionaux sur France 3. En pratique, France 2 et France 3 national participent du même type de chaîne et s'adresse au même type de public. Ce brouillage des identités entre les deux chaînes premium, lié à une convergence inattendue entre les deux grilles, empêche France Télévisions de tirer pleinement parti de son bouquet et restreint inutilement le public auquel elle s'adresse. Vos rapporteurs estiment donc nécessaire une clarification du positionnement de France 2 et de France 3 .

DISTRIBUTION PAR GENRE ET PAR ANTENNE DU VOLUME HORAIRE
DES PROGRAMMES DE FRANCE TÉLÉVISIONS

France 2

France 3

France 3 Régional

France 4

France 5

RFO

TOTAL

Information

1 552

1 206

8 032

6

10 855

21 651

Magazines

1 449

1 251

160

3 013

14 051

19 924

Documentaire

911

579

247

3 832

3 397

8 966

Fiction

1 373

1 419

5 522

74

23 406

31 794

Cinéma

363

461

397

14

3 050

4 285

Jeunesse

299

1 189

36

1 236

1 363

4 123

Sports

460

222

248

8 736

9 666

Divertissement

1 298

783

336

2 150

4 567

Théâtre
Musique
Spectacles

125

244

929

3 462

4 760

Émissions religieuses

198

0

1 247

1 445

Autres pub autopromotion habillage

730

717

879

576

323

3 225

F3 Corse via Stella

4 136

Programmes régionaux

4 740

8 758

8 071

16 908

8 754

8 751

72 040

114 406

Source : France Télévisions

Le chantier prioritaire devrait concerner France 3, qui paraît peiner à assumer à fond sa vocation régionale . La réorganisation territoriale avec l'instauration des pôles de gouvernance portera sans doute des fruits en matière de contrôle de gestion, de réduction des coûts et d'optimisation des ressources. Elle ne sera pas suffisante pour rénover et dynamiser les programmes régionaux.

Plutôt que d'amplifier le volume horaire des décrochages régionaux dans la grille de France 3, France Télévisions a fait le choix de multiplier les prises d'antennes événementielles . Les antennes de proximité proposent un décrochage exceptionnel sur un événement régional, le pôle de gouvernance valide ce choix et le transmet pour approbation au siège à la direction de l'antenne de France 3. Ces décrochages peuvent concerner plusieurs régions à la fois si les antennes présentent une demande conjointe de décrochage exceptionnel. C'est le cas notamment pour les événements sportifs, comme la retransmission des matchs de la deuxième division de rugby. Hormis les événements sportifs et les conséquences de la tempête Xynthia, on peut citer comme exemple de prise d'antenne événementielle la fête de la mirabelle en Lorraine, une spéciale Jeanne d'Arc en Bretagne ou encore les Cerfs-volants de Berck couplés avec les obsèques du président polonais dans le Nord !

Ces décrochages exceptionnels rencontrent un certain succès et constituent un instrument intéressant , particulièrement souple, de valorisation de l'histoire, du patrimoine et de la vie culturelle et sportive des régions. Cependant, ils ne sont pas toujours identifiables comme programme régional par les téléspectateurs, qui ne sont d'ailleurs pas toujours informés à temps des changements de grille. En outre, par nature, ces prises d'antenne ne peuvent constituer des rendez-vous réguliers et ne suffiront pas à renforcer l'adhésion et la satisfaction du public à l'égard des programmes régionaux . Les décrochages exceptionnels ne peuvent donc dispenser France Télévisions d'une réflexion sur l'évolution des cases du samedi et du dimanche consacrées aux décrochages régionaux récurrents.

L'AUDIENCE DES DÉCROCHAGES RÉGIONAUX DE FRANCE 3
HORS INFORMATION EN 2009

a) Les cases régulières du week-end

Les audiences des décrochages réguliers installés dans la grille sont inférieures au score moyen de la chaîne (11,8 % en 2009) et sont en baisse par rapport à 2008 :

- le samedi à 11 h 05 : 7 % de part d'audience (PDA) et 340 000 téléspectateurs (- 1,3 point de PDA) ;

- le samedi à 11 h 30 (magazine politique La voix est libre ) : 8,7 % de PDA
(- 0,9 pt) et 540 000 téléspectateurs ;

- le samedi à 15 h 25 : 8,3% de PDA (- 1,3 pt) et 740 000 téléspectateurs ;

- le dimanche à 11 h 30 : 8,1% de PDA (- 0,5 pt) et 540 000 téléspectateurs.

b) Les prises d'antenne événementielles

296 prises d'antenne événementielles ont été réalisées sur l'année 2009, pour un volume horaire de 430 heures. En raison des limites de taille du panel Mediamat, seulement 134 d'entre elles ont pu faire l'objet d'une mesure d'audience sur leur zone de diffusion.

64 prises d'antenne événementielle ont réalisé une audience supérieure à la moyenne nationale (48 %).

Les décrochages sur des thèmes de société représentent 33 événements diffusés. De toutes les prises d'antenne événementielles, ils enregistrent le meilleur taux de réussite : 60 % d'entre eux enregistrent une audience supérieure à la moyenne nationale.

Les décrochages sportifs rencontrent également un succès : près de 60 % se situent au-dessus de la moyenne nationale. 57 événements ont été diffusés sur 23 régions. Ils occupent des horaires fortement contributifs, souvent le dimanche après-midi.

A l'inverse, les décrochages dédiés à la culture et aux divertissements, le plus souvent diffusés en fin de soirée, enregistrent des audiences plus faibles : seulement 30 % d'entre elles se situent au-dessus de la moyenne nationale.

Source : France Télévisions-Médiamétrie

Il est souvent pris prétexte des faibles scores d'audience des décrochages régionaux pour justifier le statu quo et refuser toute extension de leur volume horaire, aussi bien que tout déplacement de leur positionnement dans la grille. En réalité, les faibles audiences sont dues pour partie au positionnement horaire lui-même . Le samedi à 11h30 n'est sans doute pas un horaire tout à fait pertinent pour une émission politique comme La voix est libre . Placés sur des cases plus contributives, ces programmes verraient certainement leur audience remonter. En outre, le manque de visibilité des programmes régionaux pose problème. Il n'est pas rare que les téléspectateurs ne sachent pas s'ils sont en train de regarder l'antenne nationale ou l'antenne locale. Les décrochages ne sont pas suffisamment annoncés et souffrent d'un déficit de promotion à l'antenne. Enfin, la mesure de l'audience ne peut pas être le seul guide au moment où il s'agit précisément de construire une nouvelle programmation régionale. Il faut pouvoir accepter transitoirement des résultats médiocres le temps que se forge l'identité des antennes régionales et qu'elles soient clairement identifiées par les téléspectateurs.

Il serait sans doute erroné de prendre l'identité régionale comme donnée une fois pour toutes , de se désoler lorsque elle paraît faire défaut et de justifier par cette lacune l'échec des programmes régionaux. Le public régional est parfois encore en construction et les antennes locales ont un rôle à jouer dans l'émergence d'un sentiment régional là où il n'est pas ancré. Les programmes régionaux aident à construire l'identité régionale dans le respect de l'unité de la nation tout autant qu'ils prennent appui sur elle.

La prudence de France Télévisions en matière de programmes régionaux s'appuie sur la crainte d'une explosion des coûts de production . Pour autant, il n'a jamais été question de créer 24 chaînes nationales de plus. Il est possible de travailler sur des formats et des contenus moins onéreux. Par exemple, pourquoi ne pas produire des programmes de flux comme des jeux et des divertissements moins coûteux que des programmes de stock, aisément déclinables dans plusieurs régions et qui peuvent parfaitement remplir la mission du service public de promotion des cultures et des patrimoines régionaux ?

Vos rapporteurs s'étonnent du grand scepticisme à l'égard des évolutions possibles des programmes régionaux qu'ils ont pu constater chez France Télévisions. Le fatalisme prégnant conduit à une pusillanimité qui s'appuie sur la moindre déception ou le moindre obstacle pour reculer devant l'innovation. Ce scepticisme envers la production régionale est proprement autoréalisateur . En manquant d'ambition, on se condamne à un défaut de résultats, qui en retour alimente une excessive prudence. Ce cercle vicieux doit être brisé pour ne pas vouer les réseaux régionaux à la simple collecte d'information et pour exploiter la richesse culturelle et faire vivre le patrimoine des régions.

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