B. PROLONGER LES EFFORTS ENTREPRIS

Prenant acte des nombreuses initiatives prises par les partenaires sociaux, l'Etat ou les entreprises privées, la mission propose de prolonger ces efforts en agissant dans plusieurs directions.

1. Stabiliser le cadre juridique

Le code du travail aborde la question du mal-être au travail de deux manières : d'abord, en prohibant les comportements de harcèlement, qu'il soit sexuel ou moral ; ensuite, en posant le principe que l'employeur a l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

a) L'évolution de la notion de harcèlement

L'ensemble des travailleurs - salariés de droit privé comme agents publics - sont protégés contre le harcèlement, dont la définition a évolué sous l'influence du droit communautaire et de la jurisprudence.

Le harcèlement sexuel

Depuis 1992, la loi protège les salariés contre les agissements de harcèlement destinés à obtenir des faveurs sexuelles. L'article L. 1153-1 du code du travail interdit le harcèlement sexuel tout en le définissant : « les agissements de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit et au profit d'un tiers sont interdits ». Peuvent se rendre coupables de harcèlement sexuel le supérieur hiérarchique du travailleur mais aussi un collègue.

Afin que le droit français soit conforme au droit communautaire, l'article premier de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, a également proscrit « tout agissement à connotation sexuelle » subi par une personne et « ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Cette disposition permet de sanctionner des actes isolés, alors que la notion de harcèlement renvoie à des actes répétés.

Le harcèlement moral

Le succès, en 1998, du livre de Marie-France Hirigoyen, « Le harcèlement moral, la violence au quotidien » , a été le point de départ d'une réflexion qui a abouti, en 2002, à l'introduction, dans le code du travail, de la notion de harcèlement moral.

L'article L. 1152-1 du code du travail dispose qu'« aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Si la loi n'indique pas quelle forme peuvent prendre les agissements de harcèlement, l'analyse de la jurisprudence montre qu'ils consistent, le plus souvent, en des insultes, des propos désobligeants, des humiliations, des sanctions ou des reproches injustifiés, un discrédit jeté sur le travail du salarié, une surcharge de travail démesurée, l'isolement du salarié ou des atteintes à sa vie privée.

Les actes incriminés doivent présenter un caractère répétitif ; la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser récemment que les agissements de harcèlement, s'ils doivent être répétés, peuvent néanmoins s'être produits sur une courte période de temps 71 ( * ) . De plus la loi du 27 mai 2008, précitée, a prohibé tout agissement à caractère discriminatoire ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant, ce qui peut permettre de sanctionner un fait isolé.

Le harcèlement, qui n'émane pas nécessairement du supérieur hiérarchique, peut être constitué même en l'absence d'intention malveillante 72 ( * ) . Cette précision est importante car la prohibition du harcèlement avait pu être envisagée, initialement, comme un moyen de protéger les salariés contre des comportements pervers. Il convient de s'attacher à « l'effet » des agissements, et non à l'intention de leurs auteurs, comme la loi l'y invite d'ailleurs explicitement.

Une étape importante a été franchie, sur le plan jurisprudentiel, à la fin de l'année 2009, lorsque la Cour de cassation, s'appuyant sur les dispositions relatives au harcèlement moral, a sanctionné une méthode managériale qui faisait peser un risque psychosocial sur un salarié.

Dans l'affaire en cause, le plaignant reprochait à son directeur de l'ignorer complètement certains jours, de lui communiquer ses directives par l'intermédiaire d'un tableau, de ne pas lui donner d'instructions alors qu'il en donnait directement à l'un de ses subordonnés, de ne pas respecter les plannings, de ne pas fixer les congés, etc., tous comportements aboutissant, à ses yeux, à nier son existence et l'ayant plongé dans la dépression. Les autres salariés de l'équipe ont confirmé ces faits, témoignant d'une volonté de diviser l'équipe, d'ordres et de contre-ordres et de la mise à l'écart de certains d'entre eux. L'employeur a cependant fait valoir qu'il s'agissait là d'une méthode de gestion du personnel, non constitutive d'un harcèlement puisque les autres salariés la subissaient également mais s'en accommodaient mieux.

La Cour de cassation a rejeté cette interprétation et affirmé que des méthodes de gestion qui se manifestent, pour un salarié déterminé, par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, peuvent caractériser le harcèlement moral 73 ( * ) .

Une méthode de gestion du personnel peut donc être condamnée sur le fondement des dispositions relatives au harcèlement moral, dès lors que le salarié partie au litige a été affecté.

La sanction du harcèlement

Il appartient d'abord à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour prévenir le harcèlement, sexuel ou moral. Le salarié qui commet des agissements de harcèlement s'expose à une sanction disciplinaire et peut être licencié pour faute grave.

Toutes les mesures affectant la relation salariale sont frappées de nullité dès lors qu'elles trouvent leur origine dans un comportement de harcèlement ; ainsi, sera considéré comme nul un licenciement prononcé pour inaptitude physique s'il est établi que cette inaptitude est consécutive à des actes de harcèlement. L'employeur est responsable des faits de harcèlement commis par l'un de ses collaborateurs à l'égard d'un autre salarié. La responsabilité du salarié harceleur est également engagée, même s'il n'a fait qu'exécuter des instructions.

Devant les juridictions civiles, le régime de la preuve est aménagé en cas de litige : il appartient à la victime d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; puis l'employeur peut apporter la preuve que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et s'expliquent par des éléments objectifs.

L'auteur d'actes de harcèlement s'expose également à des sanctions pénales. L'article L. 1155-2 du code du travail punit le harcèlement moral ou sexuel d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. Le code pénal sanctionne lui aussi le harcèlement mais avec des peines plus lourdes : un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende 74 ( * ) . Devant le juge pénal, l'aménagement de la charge de la preuve ne s'applique pas, afin de respecter strictement le principe de la présomption d'innocence, et un élément intentionnel est requis.


* 71 Cass. Soc., 26 mai 2010, n° 08-43.152 F-P.

* 72 Cass. Soc., 10 novembre 2009, Moret contre société HSBC, n° 08-41.497.

* 73 Cass. soc. 10 novembre 2009, Association Salon Vacances Loisirs contre Marquis, n° 07-45.321.

* 74 L'article 19 de la proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes prévoit d'aligner la sanction prévue par le code du travail sur celle visée dans le code pénal. Cf. le rapport Sénat n° 564 (2009-2010) de François Pillet, fait au nom de la commission des lois.

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