b) L'obligation de sécurité de résultat à la charge des employeurs
La jurisprudence est à l'origine de la notion d'obligation de sécurité de résultat de l'employeur, qui est, pour reprendre une expression de Sylvie Bourgeot et Michel Blatman, « un concept en pleine expansion » 75 ( * ) .
La Cour de cassation s'appuie sur l'article L. 4121-1 du code du travail, qui est ainsi libellé :
« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
« Ces mesures comprennent :
« 1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
« 2° Des actions d'information et de formation ;
« 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
« L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. »
Sur ce fondement, la Cour a posé, dans les arrêts « amiante » de 2002 76 ( * ) , le principe selon lequel l'employeur a une obligation de sécurité de résultat. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait, ou aurait dû avoir, conscience du danger auquel était exposé le salarié et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. La reconnaissance de la faute inexcusable permet à la victime de bénéficier d'une indemnisation de son préjudice supérieure à celle qu'elle aurait normalement perçue dans le cadre de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Quel sens faut-il donner à cette notion « d'obligation de résultat » ? En principe, l'obligation de résultat s'oppose à l'obligation de moyens. Mais on ne saurait raisonnablement exiger d'un employeur que tous ses salariés soient, à tout moment, dans un parfait état de santé mentale, celle-ci n'étant qu'en partie liée à leurs conditions de travail. Il faut plutôt voir dans cette obligation un principe d'action, comme le suggère d'ailleurs la lettre de l'article L. 4121-1.
Selon le professeur Pierre-Yves Verkindt, « il s'agit pour l'employeur de prévenir, de former, d'informer et de mettre en place une organisation et des moyens adaptés. Le résultat dont il est question dans la notion d'« obligation de sécurité de résultat » n'est pas l'absence d'atteinte à la santé physique et mentale, mais l'ensemble des mesures prises (effectivement !) par l'employeur dont la rationalité, la pertinence et l'adéquation pourront être analysées et appréciées par le juge » 77 ( * ) .
L'obligation de sécurité de résultat peut conduire le juge à se prononcer sur l'organisation collective de l'entreprise. Dans un arrêt « Snecma », très commenté, du 5 mars 2008 78 ( * ) , la Cour de cassation a admis que le pouvoir de direction de l'employeur puisse être limité par son obligation de sécurité de résultat.
Cette affaire concernait un établissement de la Snecma, fabriquant des pièces de moteur d'avions, et plus précisément son « centre énergie », classé « Seveso », chargé de produire en permanence l'énergie et les fluides nécessaires à cette activité. L'employeur a envisagé de mettre en place une nouvelle organisation du travail de maintenance et de surveillance. Il a informé et consulté le CHSCT qui, après avoir désigné un expert, a émis un avis négatif. Le comité d'établissement s'est également opposé à ce projet. L'employeur a décidé de passer outre ces avis et a informé le personnel de la nouvelle organisation. Un syndicat a alors saisi le tribunal de grande instance pour que la note de service instituant la nouvelle organisation soit annulée et qu'il soit fait défense à l'employeur de la mettre en oeuvre. La cour d'appel a accueilli ces demandes et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre sa décision.
Elle a considéré en effet que l'obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur lui « interdit, dans l'exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés ». Par ailleurs, le juge du fond peut suspendre la mise en place d'une nouvelle organisation du travail s'il estime qu'elle compromet la santé et la sécurité des salariés. En l'espèce, le juge du fond a pu valablement considérer que le dispositif d'assistance mis en place était insuffisant pour garantir la sécurité des salariés.
Cette solution peut être rapprochée d'un arrêt de 2007 dans lequel la Cour de cassation a admis la possibilité, pour le comité d'entreprise, de consulter le CHSCT sur un projet de l'employeur relatif aux entretiens annuels d'évaluation des salariés et, pour le juge, de suspendre la mise en oeuvre du projet dans l'attente de cette consultation. En raison de leurs modalités et de leurs enjeux, ces entretiens pouvaient « avoir une incidence sur le comportement des salariés, leur évolution de carrière et leur rémunération » et pouvaient « générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail ». 79 ( * )
Dans le prolongement de l'article L. 4121-1 du code du travail, son article L. 4121-3 impose à l'employeur d'évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. Les résultats de cette évaluation sont ensuite retranscrits dans un document unique, visé à l'article R. 4121-1. Sur la base de cette évaluation, l'employeur doit mettre en oeuvre les actions de prévention et les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé.
L'employeur a également l'obligation d'informer les travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité ainsi que sur les mesures prises pour y remédier (article L. 4141-1) et d'organiser une formation à la sécurité au bénéfice des travailleurs (article L. 4141-2).
* 75 Cf. L'état de santé du salarié. De la préservation de la santé à la protection de l'emploi, de Sylvie Bourgeot et Michel Blatman, éditions Liaisons, 2009.
* 76 Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-17.201.
* 77 Cf. « Santé au travail, l'ère de la maturité », Jurisprudence sociale Lamy, n° 239, 1 er septembre 2008.
* 78 Cass. soc., 5 mars 2008, société Snecma, n° 06-45.888.
* 79 Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 06-21.964.