4. Le salarié enfermé dans son travail

Les personnes auditionnées par la mission ont fait valoir que les salariés français sont attachés à leur travail et n'envisagent donc pas aisément la possibilité d'une démission en cas de souffrance au travail.

Jean-Christophe Sciberras 52 ( * ) , directeur des ressources humaines du groupe Rhodia, a souligné, lors de son audition, que les salariés, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis ou au Brésil, n'hésitent pas à démissionner lorsqu'ils sont stressés ou quand ils ne se sentent pas bien dans leur entreprise. En France, les salariés sont davantage attachés à l'idée de carrière et ils se sentent plus facilement enfermés dans leur travail lorsqu'une difficulté survient.

La psychologue Marie Pezé 53 ( * ) a dressé un constat voisin : les salariés sont, en quelque sorte, « prisonniers » de leur contrat de travail. Ils ne peuvent répondre verbalement à leur employeur s'ils se sentent agressés car un tel comportement serait constitutif d'une faute professionnelle. Il leur est également difficile de démissionner dans la mesure où ils perdent dans ce cas leurs droits à indemnisation du chômage. La création, en 2008, d'une nouvelle procédure de rupture conventionnelle du contrat de travail, qui permet au salarié de percevoir ses allocations chômage, a cependant constitué une avancée.

Le taux de chômage élevé que connaît la société française depuis trente ans rend évidemment plus difficile le choix de démissionner en cas de mal-être au travail.

Cet « enfermement » dans l'emploi se fait sentir de façon plus aiguë dans les petites entreprises : alors qu'une mutation dans un autre service peut être envisagée dans un grand groupe, elle est évidemment impossible dans une structure qui ne compte que quelques collaborateurs.

Un problème particulier se pose également dans la fonction publique, dans la mesure où la mutation d'un agent qui n'est pas à l'aise dans son équipe peut être longue à obtenir.

5. Des éléments de contexte aggravants
a) Le stress des transports

Bien qu'elle n'ait pas vocation à faire des propositions en matière de transports, la mission a souhaité mettre l'accent sur le problème lié au stress des transports qui concerne surtout les habitants des grandes agglomérations, notamment en Ile-de-France.

L'observatoire régional de santé au travail d'Ile de France (Orstif) a réalisé une enquête à la fin de 2009 fondée sur un questionnaire auquel plus de 5 000 personnes ont répondu. Ses résultats montrent que les salariés franciliens consacrent en moyenne deux heures par jour à leurs trajets domicile-travail, dont 1 heure 30 dans les transports en commun.

Les désagréments les plus souvent cités sont l'entassement des voyageurs, les retards, le sentiment de perte de temps dans les transports et la fatigue. Pour 60 % des personnes interrogées, ces difficultés ont des conséquences sur leur vie professionnelle : l'accroissement de la fatigue et du stress qui en résulte constitue un facteur aggravant du mal-être au travail.

Cette situation a conduit le cabinet de conseil Technologia à rendre public, en février, un manifeste soulignant que « l'analyse de l'impact des transports sur la santé des salariés et des entreprises fait apparaître que les salariés, sur certains axes très critiques , « n'en peuvent plus » ». Le manifeste indique que le problème des transports en Ile de France « dégrade l'équilibre entre les efforts fournis par les salariés et la reconnaissance de l'entreprise qui en découle, ce qui est un facteur central des risques psychosociaux ».

Le cabinet a donc élaboré dix propositions pour cantonner ce facteur aggravant du mal-être au travail, qui consistent par exemple à créer un observatoire du stress lié aux transports en commun ou à favoriser financièrement le covoiturage.

b) La « double journée » des femmes

Les femmes consacrent souvent beaucoup de temps à l'éducation des enfants et aux tâches ménagères et cette fatigue s'ajoute à celle de leur journée de travail.

Les données les plus récentes sur lesquelles se fondent les analyses en la matière 54 ( * ) datent de la fin des années quatre-vingt-dix et sont donc un peu anciennes. Ceci étant, il semble peu contestable que le fait d'assumer seul l'éducation des enfants ou l'entretien du foyer rend des conditions de travail déjà problématiques encore plus difficiles à supporter.

La sociologue Danièle Linhart 55 ( * ) a toutefois fait remarquer que la « double journée » des femmes les protège peut-être contre la « colonisation » de l'esprit par le travail observée chez certains hommes. En d'autres termes, les exigences des tâches domestiques obligeraient les femmes à se fixer une limite et empêcheraient le travail d'occuper toute leur vie, ce qui peut être un facteur d'équilibre et un élément protecteur.

La mission n'a pas étudié de façon approfondie les mesures qui seraient de nature à favoriser une meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle. Elle se contentera donc de souligner l'importance, pour les femmes, que les politiques publiques garantissent, sur tout le territoire, l'accès à des modes de garde des enfants adaptés.


* 52 Audition de Jean-Christophe Sciberras, directeur des ressources humaines France et directeur des relations sociales Monde du groupe Rhodia, mercredi 31 mars 2010.

* 53 Audition de Marie Pezé, psychologue en charge de la consultation « Souffrance et travail » au centre d'accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, mercredi 20 janvier 2010.

* 54 Voir par exemple « Dans les couples de salariés, la répartition du travail domestique reste inégale », Sophie Pontilleux, Amandine Schreiber, Données sociales, la société française, édition 2006.

* 55 Audition de Danièle Linhart, sociologue du travail, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique, mercredi 17 février 2010.

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