Table ronde avec des représentants d'établissements
dispensant des enseignements de management
(mercredi 2 juin 2010)

Réunie le mercredi 2 juin 2010, sous la présidence de Jean-Pierre Godefroy, président, la mission d'information a tenu une table ronde consacrée aux établissements dispensant des enseignements de management.

Elle a entendu Norbert Alter, professeur et codirecteur du master « Management, travail et développement social » à l'université de Paris Dauphine, Françoise Camet, directrice de la formation à l'Ecole nationale d'administration (Ena), Marie-Christine Huvet, directrice générale adjointe en charge de l'administration générale et du dialogue social de l'institut national des études territoriales (Inet), Charles-Henri Besseyre-des-Horts, responsable du département « Management et ressources humaines » à HEC , et Alan Jenkins, directeur académique de l'executive MBA de l'Essec .

Jean-Pierre Godefroy , président, a rappelé que l'enseignement du management dans les établissements d'enseignement supérieur et les méthodes de management elles-mêmes ont été mises en cause à plusieurs reprises durant les auditions auxquelles a procédé la mission. Les jeunes cadres ne seraient pas suffisamment formés à la gestion d'équipe et certaines méthodes managériales auraient des conséquences négatives pour les salariés et seraient facteur de mal-être. Il a souhaité savoir si ces critiques sont connues dans les écoles de management et si l'émergence récente, dans le débat public, du thème de la souffrance au travail les a conduits à réfléchir à une évolution de leurs enseignements.

Françoise Camet, Ena, a expliqué que l'école nationale d'administration, qui a toujours mis en avant les valeurs qui sont propres à la fonction publique, en termes d'éthique ou de déontologie, a progressivement aménagé son cycle de formation pour accorder plus de place au management. Depuis 2006, un module, s'étalant sur sept mois, soit un tiers de la scolarité, y est spécifiquement consacré. Il comporte des mises en situation, une formation à la gestion de crise, à la gestion d'équipe et au dialogue social. Les formations tiennent compte des accords de Bercy sur la rénovation du dialogue social et des travaux de William Dab sur la santé au travail.

L'école a pris en compte les méthodes de gestion et de management en vigueur dans le monde de l'entreprise, mais en les adaptant à la fonction publique, qui est porteuse de valeurs et régie par un statut. L'Ena travaille avec un groupe de réflexion indépendant, présidé par Yves Cannac, consacré à la réforme de l'Etat. Dans ce cadre, elle a mis en avant la notion de « management par la confiance » : confiance dans la relation avec les équipes, avec la hiérarchie, avec les donneurs d'ordres, c'est-à-dire les cabinets ministériels.

Depuis un an environ, dans la perspective de la suppression du classement de sortie, qui permettra aux employeurs de choisir leurs collaborateurs parmi les élèves, une commission de professionnalisation, composée à parité de personnes issues du privé et du public, travaille sur de nouvelles méthodes d'évaluation de la scolarité.

Charles-Henri Besseyre-des-Horts, responsable du département « Management et ressources humaines » à HEC , a estimé que les systèmes de management très individualisés posent effectivement des problèmes. S'il existe un consensus sur ce point chez les professeurs de ressources humaines, il n'est pas sûr, cependant, que les enseignants en finances en aient également conscience... Depuis cinq ans, la démographie du corps enseignant a beaucoup changé : la majorité des professeurs sont maintenant étrangers, la plupart anglophones.

Au sein du groupe HEC, le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises ont été progressivement mis en avant, notamment à la suite des incidents survenus dans certaines entreprises, par exemple chez Renault. Cette nouvelle sensibilité est présente dans l'ensemble des formations. La directrice du MBA d'HEC a par exemple décidé de donner la priorité au management humain, au leadership, à la responsabilité sociale. L'essentiel de l'activité des étudiants, qui à 87 % viennent de l'étranger, se déroule au sein de groupes de travail collectif.

Il a ensuite expliqué faire partie d'un jury chargé de remettre un trophée à une entreprise du Cac 40, récompensée pour la qualité de sa politique sociale. Seules dix-sept entreprises du Cac ont accepté, cette année, de participer à cette compétition.

Alain Gournac a souligné l'importance d'apprendre les règles de management qui correspondent à la culture de la France ou de l'Europe. Autant il est nécessaire d'étudier l'ensemble des systèmes pour en tirer des expériences, autant il est nuisible de vouloir calquer un modèle qui soit extérieur aux valeurs de la société.

Charles-Henri Besseyre-des-Horts, HEC, a rappelé que le groupe HEC se positionne dans une compétition mondiale. On reproche souvent aux anciens élèves d'être arrogants, mais il faut observer que les deux tiers des étudiants de première et de deuxième années participent à des actions humanitaires ou caritatives, dans un cadre associatif. La population étudiante est donc sensible aux messages relatifs à la dimension humaine du management d'équipes. Parmi les étudiants du MBA, on compte, dans la dernière promotion, 25 % d'Indiens : ils viennent en France pour étudier un modèle différent du modèle anglo-saxon.

Annie David s'est déclarée choquée par le terme « d'incidents » utilisé pour évoquer les drames survenus chez Renault. Cet exemple permet au fond de comprendre pourquoi on peut parfois constater un manque de responsabilité de la part de managers formés dans ce type d'école.

Ronan Kerdraon a également regretté l'emploi de ce terme, qui révèle un décalage avec les réalités vécues par les salariés. Les mots ont un sens et il est important de redonner une dimension humaine à l'ensemble de ces systèmes de gestion.

Charles-Henri Besseyre-des-Horts, HEC, a noté que l'une des conséquences de la crise économique actuelle est la volonté de redonner plus de place au collectif, au détriment de l'évaluation individuelle de la performance. Chez Renault, un contrat a ainsi été conclu pour maintenir le salaire des ouvriers placés en chômage technique grâce à un effort financier consenti par le personnel plus qualifié. Enfin, les technologies nomades ont un impact important sur les conditions de travail : elles peuvent libérer ou asservir, selon l'usage social qui en est fait.

Jacky Le Menn a souhaité savoir si les entreprises sont demandeuses d'enseignements relatifs à la responsabilité sociale et environnementale (RSE) dans le cadre de la formation continue.

Charles-Henri Besseyre-des-Horts, HEC, a répondu que tous les programmes de formation permanente d'HEC, notamment ses huit executive MBA, intègrent des enseignements sur la RSE. Il existe par ailleurs au sein du groupe une filière dénommée « Altermanagement », qui procède à un examen critique des principaux modèles de management.

Interrogé par Jean-Pierre Godefroy , président, Charles-Henri Besseyre-des-Horts a précisé que le contenu des modules d'enseignement est défini de manière autonome par HEC.

En réponse à une question de Jean-Pierre Godefroy , président, sur le nombre de professeurs étrangers à HEC, Charles-Henri Besseyre-des-Horts a rappelé le choix stratégique de l'école de se placer parmi les meilleurs groupes de formation au monde ; pour cela, il est nécessaire de recourir à des professeurs étrangers qui participent aux travaux de recherche et publient dans les revues anglo-saxonnes.

Marie-Christine Huvet, directrice générale adjointe en charge de l'administration générale et du dialogue social de l'Inet , a tout d'abord précisé que la thématique du mal-être au travail est apparue dans les formations dispensées par l'Inet au milieu des années 2000. Les collectivités ont connu de grands bouleversements, du fait de la décentralisation et des transferts de compétences, ce qui pèse sur le ressenti des agents.

L'ensemble de la chaîne de management est interpellée par la question des conditions de travail, de nombreux cadres intermédiaires étant en effet directement concernés par ce mal-être. Si le management peut être parfois maladroit, la pression de la population, la détresse de certains publics, par exemple dans les services d'aide au logement, sont des sources de mal-être plus importantes pour les agents.

L'Inet se caractérise par des promotions réduites, l'absence d'enseignants professionnels et l'importance des stages en collectivité, si bien qu'un enseignement consacré à la santé au travail a naturellement été intégré aux différentes formations.

Dans le secteur public, la préoccupation principale est de répondre aux demandes des élus et de la population, et non la recherche de la performance. Les échanges d'expériences sont facilités par l'absence de concurrence entre collectivités.

S'appuyant sur son expérience d'élu local, Alain Gournac a relevé que la prise en compte d'indicateurs de performance a été intégrée dans la gestion de nombreuses collectivités. Par ailleurs, la coexistence de deux chaînes hiérarchiques, administrative et politique, est-elle source de difficultés pour les fonctionnaires territoriaux ?

Marie-Christine Huvet, Inet, a précisé que cette dualité conduit souvent les agents à se poser des questions sur la manière dont sont prises les décisions. Cependant, la présence des élus ouvre une voie de recours aux décisions administratives et peut donc être vécue positivement.

Jacky Le Menn a noté que la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui conduit à faire plus avec moins, est un nouveau défi pour la gestion publique. Comment se traduit-elle en termes de management ?

Ronan Kerdraon a estimé que la notion même de service public est au coeur de ces problématiques et que les fonctionnaires territoriaux sont à un carrefour entre l'administration, les élus et la population. Il a indiqué avoir constaté un nombre élevé d'arrêts maladie dans sa commune, ce qui a un coût pour la collectivité. Comment mieux évaluer les conséquences de la décision politique qui reste difficile à réaliser ?

Jean-Pierre Godefroy , président , a ensuite posé la question de la mobilité des agents, car il est très difficile de réaliser toute sa carrière dans un même service, surtout s'il est particulièrement exposé au public (aide au logement, action sociale...).

Marie-Christine Huvet, Inet, a répondu que les formations de l'Inet prennent en compte les questions de reconversion et d'accompagnement des parcours professionnels. Elle a insisté sur l'importance de la prévention et de l'anticipation, pour éviter les problèmes liés à de mauvaises conditions de travail, et de promouvoir, dans les collectivités, des « démarches qualité ».

Alan Jenkins, directeur académique de l'executive MBA de l'Essec , a noté que les questions de mal-être au travail sont abordées, à l'Essec, dans quatre types de cours : les ressources humaines, l'évolution des organisations, l'éthique et le leadership. L'Essec tient à certaines valeurs - la responsabilité, l'excellence et l'humanisme - qui sont portées par les élèves eux-mêmes et qui structurent les programmes. Le travail d'équipe est encouragé, que ce soit dans de petits groupes de travail ou à l'occasion de la réalisation d'un projet par l'ensemble d'une promotion. Cette méthode tend à faire le lien entre responsabilités individuelle et collective.

Pour autant, les valeurs que l'Essec tente d'inculquer à ses étudiants déterminent-elles ensuite le comportement des managers ? Il faut rester humble sur ce point car les managers, au sein de l'entreprise, sont soumis à des forces multiples.

Jacky Le Menn a souhaité savoir si les étudiants sont sélectionnés selon des critères qui tiennent compte de ces valeurs.

Alan Jenkins, Essec, a précisé que la sélection n'est pas faite sur les valeurs mais que l'école se pose la question de savoir si les candidats sont prêts à contribuer à la collectivité. Par ailleurs, le travail en équipe n'est pas non plus une panacée, certains groupes pouvant parfois fonctionner de manière autoritaire et écraser les individus.

Revenant sur les interactions entre la formation et les autres influences à l'oeuvre dans l'entreprise, Mme Annie David a souligné la responsabilité du monde économique dans la situation vécue aujourd'hui par les salariés, qui n'est pas tenable.

Sylvie Desmarescaux s'est également étonnée de l'éventuelle contradiction entre les valeurs de l'école et les pressions au sein de l'entreprise : l'enseignement est-il utile dans ces conditions ?

Alan Jenkins, Essec, a estimé que l'enseignement ne conditionne pas l'individu, il l'influence éventuellement et, en tout état de cause, lui apprend des techniques.

Alain Gournac a affirmé que les managers en poste regrettent régulièrement que leur formation ne les ait pas mieux armés pour répondre au mal-être des salariés.

Norbert Alter, professeur et codirecteur du master « Management, travail et développement social » à l'université de Paris Dauphine , a indiqué que cette université a fondé un master sur les risques psychosociaux, qui accueille, dans le cadre de la formation continue, environ un tiers de cadres, un tiers de spécialistes du monde du travail et un tiers de syndicalistes.

Ce ne sont pas tant les dispositifs de gestion qui posent des difficultés que leurs changements permanents qui débouchent sur des « injonctions paradoxales ». Si les salariés appliquent les procédures qui leur sont prescrites, il entre également dans leur travail une part d'ingéniosité et d'intelligence, indispensable au bon fonctionnement de l'entreprise. Or, ce travail réel, distinct du travail prescrit, n'est pas suffisamment reconnu.

L'application de plus en plus rigoureuse des principes du taylorisme a fait disparaître les moments qui permettent de fabriquer du lien social ; la lutte contre la « flânerie » ou le « temps perdu » est un obstacle à une coopération efficace entre les salariés. Face à cela, les managers et dirigeants doivent apprendre à connaître le travail de leurs collaborateurs pour mieux apprécier les efforts fournis. Avant de changer telle ou telle procédure, il est nécessaire d'évaluer les expériences passées et d'accepter de perdre du temps pour reconstruire le collectif.

Alain Gournac a demandé si le passage aux trente-cinq heures a aggravé le phénomène qui vient d'être décrit.

Norbert Alter, Dauphine, a estimé que cette réforme a entraîné un décompte plus strict du temps de travail, qui a pu diminuer les temps d'échanges entre les salariés.

Annie David en a déduit que c'est l'application qui a été faite des trente-cinq heures dans les entreprises qui a pu poser un problème, pas le principe en lui-même.

Jacky Le Menn a considéré que le souci exclusif du travail prescrit augmente la souffrance au travail. « Perdre du temps » participe, dans une certaine mesure, au bon fonctionnement d'un service.

Norbert Alter, Dauphine, a souligné la prise de distance croissante des salariés, notamment les plus jeunes, à l'égard de l'engagement professionnel. Si les suicides sont un drame, ils ne doivent pas masquer ce phénomène plus général.

Annie David a demandé si un jeune cadre qui prend ses fonctions ne devrait pas d'abord consacrer du temps à découvrir les métiers exercés dans son entreprise.

Norbert Alter, Dauphine, a rappelé que les jeunes qui sortaient des grandes écoles débutaient autrefois leur carrière en « allant au charbon », c'est-à-dire en étant affectés, pendant une durée suffisamment longue, dans un poste opérationnel et de production. Ces périodes formatrices ont disparu ou durent trop peu de temps. Enfin, les dirigeants doivent comprendre que le travail n'est pas une variable d'ajustement, mais une valeur ajoutée.

Jean-Pierre Godefroy , président , a demandé si les élèves de l'Ena ont l'occasion de diriger des équipes durant leurs stages et si leur formation les prépare bien à la direction d'entreprise.

Françoise Camet, Ena, a répondu que les anciens élèves sont en définitive assez peu nombreux à travailler dans le secteur privé. Les occasions de travailler en équipe sont fréquentes, notamment pendant les stages. Un stage de quinze semaines en entreprise est désormais obligatoire, les affectations privilégiées étant la direction des ressources humaines ou la direction administrative et financière.

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