C. DES CONSÉQUENCES BUDGÉTAIRES MAJEURES SUR LA MISSION « IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION »

1. Réduire les délais de réponse est un impératif humain

La réduction des délais de traitement de la demande d'asile, qu'ils proviennent de l'OFPRA ou de la CNDA, est d'abord un impératif pour des raisons humaines . Il n'est pas acceptable que les demandeurs d'asile aient parfois à attendre deux voire trois ans pour que la France décide de leur sort. Par ailleurs, dans l'attente de cette décision, les demandeurs d'asile sont certes logés ou indemnisés, mais ils ne peuvent pas travailler et leur intégration dans la société française est donc particulièrement malaisée.

L'allongement de la durée de présence sur le territoire français de demandeurs d'asile, notamment de familles ayant des enfants scolarisés, compromet également leurs possibilités de retour dans leur pays en cas de rejet de leur demande par la CNDA . Les chances sont minces de parvenir à ce qu'une famille résidant en France depuis trois ans et dont les enfants y sont scolarisés quitte finalement le territoire français et rentre dans son pays parce que sa demande d'asile a été rejetée.

L'allongement des délais de traitement de la demande d'asile exerce parallèlement un effet pervers . Il rend la France attractive pour certains étrangers, qui souhaitent immigrer pour des raisons économiques et qui peuvent être amenés à choisir la voie de la demande d'asile afin de garantir, pendant une certaine durée, leur droit de séjour sur le territoire tout en se voyant ouvrir certains droits sociaux.

Outre ces problèmes humains, les délais de traitement des dossiers des demandeurs d'asile par la CNDA ont également des conséquences budgétaires majeures sur la mission « Immigration, asile et intégration » , comme l'ont indiqué à vos rapporteurs spéciaux Arnaud Phelep, sous-directeur de la septième sous-direction de la direction du budget et, Hervé Bec, chef du bureau des affaires étrangères et de l'aide au développement du ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat 18 ( * ) .

En effet, plusieurs dispositifs compris dans cette mission budgétaire ont pour objet de soutenir les demandeurs d'asile en attente d'une décision relative à leur statut de réfugié. Par conséquent, plus le nombre de demandeurs d'asile en attente est élevé, plus la charge financière supportée par la mission « Immigration, asile et intégration » est importante, au détriment d'autres actions qui pourraient être financées par le ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire (MIINDS). A titre indicatif, avec plus de 318 millions d'euros en 2010 , l'accueil des demandeurs d'asile représente 54 % du budget du ministère en charge de l'immigration.

Le coût des différents dispositifs varie en fonction du stock d'affaires en attente devant la CNDA. Comme on l'a vu plus haut, ce stock était, au 31 décembre 2009, de 25.845 dossiers . Le coût des dispositifs doit toutefois également prendre en compte la composition familiale des demandeurs. En effet, un demandeur d'asile en attente peut également bénéficier de prestations pour les membres de sa famille qui l'accompagnent.

Au total, il est toutefois possible d'évaluer globalement le coût budgétaire, pour la mission « Immigration, asile et intégration », d'une augmentation d'un mois du délai de traitement des dossiers par la CNDA. Les différentes composantes de ce coût par nature de dépense sont détaillées ci-après.

2. Le financement de la politique d'hébergement des demandeurs d'asile

Le suivi social des demandeurs d'asile en attente d'une décision de l'OFPRA ou de la CNDA varie selon leur situation au regard du séjour et selon qu'ils expriment ou non un besoin d'assistance de la part de l'Etat.

Les demandeurs d'asile bénéficient notamment d'une politique d'hébergement visant à leur permettre, non de trouver un logement, mais d'être hébergés dans une structure appropriée durant la période d'examen de leur demande . Cette politique est d'autant plus nécessaire que les demandeurs d'asile ne sont pas en droit de travailler sur le territoire français et disposent donc difficilement de moyens de subsistance.

a) L'hébergement en centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA)

Les demandeurs d'asile en attente d'une décision de la CNDA sont prioritairement hébergés en centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) .

L'ensemble des demandeurs d'asile admis au séjour en France se voient offrir une prise en charge en CADA. Cette offre a pour objectif, d'une part, d'identifier les demandeurs d'asile qui ont besoin de l'aide sociale de l'Etat, et, d'autre part, de favoriser, au sein de la population en demande d'asile, un hébergement accompagné sur les plans social, administratif et médical, ce que permet l'hébergement en CADA. A l'inverse, si les intéressés refusent cette offre, ils renoncent non seulement à une place en CADA mais également à un éventuel droit à l'ATA 19 ( * ) .

Théoriquement , la prise en charge en CADA prend fin à la notification de la décision définitive sur la demande d'asile. Dans le cas d'un rejet de la demande, les requérants sont censés quitter le territoire français ou, s'ils peuvent faire valoir un autre titre de séjour, rester en France mais quitter le CADA. Dans le cas où le statut de réfugié leur a été accordé, les requérants peuvent travailler et le bénéfice de cet hébergement d'urgence n'est théoriquement plus justifié.

Toutefois, en pratique , surtout lorsque les procédures ont été particulièrement longues, il peut être difficile de « déloger » les anciens demandeurs d'asile de leur place en CADA. Par ailleurs, les CADA hébergent également des demandeurs en attente d'une décision de l'OFPRA.

Il résulte de ces deux facteurs que, selon les informations recueillies par vos rapporteurs spéciaux auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), seules 51 % des places de CADA étaient, au 31 décembre 2009, occupées par des demandeurs d'asile en attente d'une réponse de la CNDA , le dispositif national d'accueil comptant, à la même date, 20.410 places réparties sur l'ensemble du territoire métropolitain.

Le coût total de l'hébergement en CADA figurant dans le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2010 est de 202,6 millions d'euros. On peut donc estimer que 51 % de ce montant, soit 103,3 millions d'euros serviront, en 2010, à financer les places en CADA des demandeurs d'asile en attente d'une décision, ce qui correspond à un coût mensuel de 8,6 millions d'euros .

b) L'hébergement d'urgence

A la fin de l'année 2010, le nombre de places en CADA devrait s'élever à 21.410 , ce qui ne suffira pas à accueillir l'ensemble des demandeurs d'asile. En effet, si le nombre de dossiers en attente de jugement à la CNDA est de 25.845 au 31 décembre 2009, chaque dossier peut correspondre à plusieurs membres d'une même famille et certains demandeurs d'asile sont en attente d'une décision de l'OFPRA, même si les délais d'attente devant l'Office sont bien moindres. Cela s'ajoute au fait que presque la moitié des places en CADA ne sont pas occupées par des demandeurs d'asile en attente d'une décision de la CNDA mais soit pas des demandeurs en attente d'une décision de l'OFPRA soit par des anciens requérants qui sont restés logés en CADA.

Il en résulte que les moyens actuels ne sont pas suffisants pour accueillir en CADA l'ensemble des demandeurs d'asile , malgré une politique volontariste de création de nouvelles places (6.782 places au début de 2002, soit une multiplication par près de quatre en 8 ans).

Le parc de places en CADA est donc complété par un dispositif d'accueil d'urgence . Ce dispositif a deux objectifs : d'une part, accueillir les demandeurs d'asile préalablement à la libération d'une place en CADA et, d'autre part, accueillir les demandeurs d'asile qui ne peuvent bénéficier ni d'une place en CADA ni de l'ATA. Cette deuxième catégorie regroupe l'essentiel des personnes placées en procédure prioritaire, ce qui recouvre trois hypothèses :

- le demandeur est originaire d'un pays pour lequel l'OFPRA a estimé que, d'une manière générale, il n'y a plus de risques de persécutions, ce qui correspond à la catégorie des pays dits « sous clause de cessation » ;

- le demandeur est originaire d'un pays considéré comme pays d'origine « sûr » par le conseil d'administration de l'OFPRA ;

- la présence du demandeur en France constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat français ;

- la demande est considérée comme dilatoire, frauduleuse ou jugée abusive.

De manière générale, il est très difficile d'estimer le nombre de demandeurs d'asile en attente d'une décision devant la CNDA hébergés dans les structures d'urgence, leur suivi étant nécessairement moins bien assuré que dans les CADA . Toutefois, le ministère en charge de l'immigration a indiqué estimer à 7.140 le nombre de places en hébergement d'urgence occupées par des demandeurs d'asile en attente d'une décision de la CNDA. Or, le coût journalier d'un hébergement d'urgence était, en 2010, de 14,52 euros par personne. Il en ressort donc que le coût annuel de l'hébergement d'urgence des personnes en attente d'une décision de la CNDA s'élève approximativement à 37,8 millions d'euros, ce qui correspond à un coût mensuel de 3,1 millions d'euros .

3. Le coût de l'allocation temporaire d'attente (ATA)

Enfin, les demandeurs d'asile peuvent se trouver dans le cas de figure où ils acceptent l'offre d'aide sociale de l'Etat mais où aucune place ne correspondant à leur situation ne peut leur être proposée. Dans ce cas, ils sont admis à bénéficier de l'ATA, jusqu'à ce qu'une place se libère .

L'ATA trouve son origine dans la directive européenne 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003, relative aux normes minimales d'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres. En France, elle a été créée par la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006. Les articles L. 5424-8 et L. 5423-9 du code du travail disposent que l'ATA peut être versée aux demandeurs d'asile pendant toute la durée de la procédure d'instruction de leur demande, y compris en cas de recours devant la CNDA . Par ailleurs, depuis un arrêt du Conseil d'Etat du 16 juin 2008 20 ( * ) , les demandeurs d'asile originaires de pays « sûrs » bénéficient également de l'ATA.

En revanche, les demandeurs d'asile en réexamen , c'est-à-dire ceux qui, ayant été déboutés, déposent une nouvelle demande d'asile en arguant d'un changement de leur situation, ainsi que les demandeurs d'asile en procédure prioritaire ne provenant pas de pays d'origine « sûrs », ne peuvent prétendre bénéficier de l'ATA.

Le montant de l'allocation s'élève, en 2010, à 10,67 euros par jour, soit environ 325 euros par mois par demandeur d'asile adulte . Sur la base des stocks de dossiers en attente devant la CNDA au 31 décembre 2009, en tenant compte des demandeurs d'asile hébergés en CADA, de la part des procédures prioritaires et des refus de l'offre de principe d'hébergement, le ministère en charge de l'immigration estime le nombre de bénéficiaires de l'ATA en attente d'une décision de la CNDA à environ 14.000, soit un coût annuel pour 2010 de 54,6 millions d'euros . Les autres bénéficiaires de l'ATA sont les personnes en attente d'une décision de l'OFPRA. A titre indicatif, l'enveloppe prévue pour l'ATA dans la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances initiale pour 2010 était de 53 millions d'euros, qui ont dus être complétés par une ouverture de 10 millions d'euros de crédits supplémentaires en septembre, par recours à un décret d'avance.

Le coût mensuel total de l'ATA correspondant aux personnes en attente d'une décision de la CNDA s'élève donc à 4,55 millions d'euros .

4. D'autres mesures de soutien difficilement chiffrables

Outre les coûts directs identifiables pris en charge dans le cadre de la mission « Immigration, asile et intégration », la longueur de la procédure d'examen des dossiers par la CNDA pèse sur d'autres dépenses budgétaires.

a) Les dépenses de santé

En effet, les demandeurs d'asile en attente d'une décision de la CNDA bénéficient, dans la plupart des cas, du droit commun de la couverture maladie universelle (CMU) . Ceux qui en sont exclus, essentiellement les demandeurs d'asile enregistrés en procédure prioritaire, bénéficient de l'aide médicale d'Etat (AME) .

Toutefois, il n'est pas possible d'identifier au sein des dépenses sociales de la CMU et de l'AME la part correspondant aux demandeurs d'asile , encore moins celle correspondant aux demandeurs d'asile en attente d'une décision de la CNDA, l'assurance maladie ne disposant pas de statistiques en ce sens.

b) Les dépenses d'éducation

Par ailleurs, les enfants des demandeurs d'asile sont, dans l'attente d'une décision définitive sur le statut de la demande du requérant, scolarisés dans le système de droit commun, ce dont il convient de se réjouir.

Il en résulte un coût indirect qui peut également difficilement être évalué.

5. Un coût total supérieur à 15,7 millions d'euros par mois de délai

Au total, si l'on exclut les dépenses sociales et les dépenses d'éducation qui sont difficilement chiffrables, le coût mensuel de la prise en charge sociale des demandeurs d'asile en attente d'une décision de la CNDA s'élève à environ 16,25 millions d'euros . Diminuer d'un mois la procédure de jugement des demandes des requérants devant cette juridiction pourrait donc produire une économie annuelle d'un montant équivalent.

Le coût mensuel de la prise en charge des demandeurs d'asile

(en millions d'euros)

Dispositif

Coût mensuel

Allocation temporaire d'attente (ATA)

4,55

Centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA)

8,60

Hébergement d'urgence

3,10

Total

16,25

Source : commission des finances, à partir des informations transmises par le ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire

Or, la procédure de traitement des affaires devant la CNDA pourrait être réduite de six mois, passant de plus de douze mois aujourd'hui à six mois, délai indiqué comme accessible par Martine Denis-Linton, présidente de la Cour. Une telle réduction des délais de jugement permettrait donc une économie significative de 97,5 millions d'euros sur la mission « Immigration, asile et intégration » .

Cette somme est à comparer à l'enveloppe globale, relativement modeste, de la mission, qui s'élève pour l'année 2010 à 568,8 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 560,4 millions d'euros en crédits de paiement.

Il ressort de cette analyse que la réduction des délais de traitement des affaires par la CNDA est non seulement un impératif au regard de la situation des demandeurs d'asile, mais elle doit également être un objectif budgétaire au regard du coût de la prise en charge des demandeurs d'asile .


* 18 Audition du mercredi 7 avril 2010.

* 19 En application de l'article L. 5423-9 du code du travail.

* 20 Décision n° 300636.

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