b) La sécurité alimentaire, un objectif quantitatif et une responsabilité européenne
Assurer la sécurité alimentaire a été le leitmotiv de chacune des auditions du groupe du travail. Bien sûr, d'autres objectifs ont été mis en avant - le développement durable, la compétitivité, la qualité de l'alimentation, l'aménagement du territoire... - mais l'indépendance alimentaire reste un objectif évident pour une très grande majorité. Elle ne peut se concevoir que sur le long terme et les autres objectifs précités en découlent naturellement comme autant de conditions nécessaires.
Trois arguments doivent être rappelés.
En premier lieu, la sécurité alimentaire se pose en termes physiques. L'Union européenne, c'est 500 millions de consommateurs. À échéance de dix ans, la population de l'Union devrait croître de quinze millions de personnes, l'équivalent des Pays-Bas. Peut-on faire dépendre l'alimentation de 500 millions de personnes d'importations ? Il faut trois mois pour faire parvenir un produit agricole d'Amérique du Sud au marché européen. Que se passerait-il si le trafic maritime était interrompu ? L'indépendance alimentaire n'est-elle pas un enjeu aussi important que l'indépendance énergétique ?
L'Union a une large autonomie agricole et alimentaire. Elle doit la conserver. Il serait absurde qu'elle abandonne cet atout dans un tel contexte mondial. Cette autonomie n'est pas totale. L'Europe est aussi le premier importateur et sera donc inévitablement en concurrence avec d'autres pays, d'autres zones pour les importations alimentaires. C'est notamment le cas de certains produits clefs comme l'alimentation animale et les huiles, où elle importe la majorité de ses besoins.
En second lieu, la sécurité alimentaire européenne par une production largement autonome n'est pas seulement un objectif de précaution pour l'Europe, mais pour le monde.
Certains pays ont pu fonder leur prospérité sur le commerce et abandonner toute velléité de produire des biens alimentaires qu'ils pouvaient se procurer ailleurs. Le système pouvait même parfaitement fonctionner. Jusqu'au dérèglement du système, manifeste en 2007, qui s'est accompagné de très fortes hausses des prix alimentaires. Une hausse à peine perceptible dans les pays riches mais extrêmement grave pour les pays pauvres. Il y a même une certaine irresponsabilité à miser sur l'importation totale de produits alimentaires. Pas seulement par la dépendance qui en résulterait pour la population mais parce que cette stratégie est à terme une stratégie d'égoïsme et d'exclusion : le riche pourra toujours payer l'aliment fabriqué ailleurs tandis que le pauvre sera très vite exclu du marché. Les bateaux de blé iront toujours là où le consommateur paye le plus cher.
Sans compter qu'une Union de 500 millions de consommateurs importatrice, qui achèterait sur les marchés mondiaux entraînerait une pression sur les prix qui renchérirait dramatiquement les coûts d'approvisionnement pour les pays en développement non autosuffisants.
Enfin, on peut noter une évolution sensible des positions de certains États membres traditionnellement réservés sur ce concept de sécurité alimentaire.
La sécurité alimentaire vue du Royaume-Uni La sécurité alimentaire n'a jamais été un argument pertinent aux yeux des Britanniques, partisans depuis toujours du libre-échange et de l'ouverture. Il y a à la fois du bon sens dans cette position - pourquoi payer plus cher en Europe ce que le pays peut se procurer ailleurs et moins cher ? - et un solide fondement économique - la fameuse théorie des avantages comparatifs de Ricardo : un pays a intérêt à se spécialiser sur les productions sur lesquelles il possède un avantage comparatif par rapport aux autres. Ainsi, l'Europe - a fortiori le Royaume-Uni - peut et doit renoncer à sa production agricole pour se spécialiser dans les domaines où elle a des atouts. En d'autres termes, le Royaume-Uni ne craint pas d'importer son alimentation dès lors que la City et les capitaux restent à Londres.
Cette position, ferme et forte, pourrait évoluer sous
deux effets.
En second lieu, le gouvernement britannique publiait quelques mois plus tard une stratégie nationale de l'énergie qui privilégie clairement une stratégie d'indépendance énergétique : « In Britain, as our own reserves decline, we have a choice : replace them with ever-increasing imports, be subject to price fluctuations and disturbances in the world market or make the necessary transition to right for climate change, energy security and jobs. » (26 ( * )). N'y a-t-il pas un paradoxe, une incohérence même, à revendiquer l'indépendance énergétique et à se satisfaire d'une dépendance alimentaire. En quoi le pétrole est-il supérieur à l'alimentation ? Si les Anglais veulent de l'essence pour leurs voitures, en quoi les Européens - ou au moins les Français - seraient-ils fautifs s'ils souhaitent de l'alimentation dans leur assiette ? |
Ces observations interdisent de démanteler des politiques nécessaires à la préservation d'une agriculture forte. Au cours des vingt dernières années, la PAC a souvent été assimilée à une politique du passé qui perdurerait, au mieux, par habitude. Ces attaques en Europe contrastent avec l'actualité croissante des questions alimentaires dans le monde. Depuis quelques années, le défi alimentaire est redevenu un enjeu stratégique majeur. Y compris en Europe.
* (26) « En Grande-Bretagne, nos réserves déclinant, nous devons faire un choix : soit augmenter toujours plus nos importations et être alors démunis face aux variations des cours mondiaux et aléas du marché mondial, soit nous engager sur la voie de la lutte contre le changement climatique, de la sécurité énergétique et de l'emploi ». Extraits de « The UK low carbon transition plan - A national strategy for climate and energy », 15 juillet 2009.