C. LE CADRE JURIDIQUE DE LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE CLANDESTIN

1. Un dispositif répressif adapté aux spécificités guyanaises

Il a paru intéressant à la mission de présenter le dispositif répressif légal contre l'orpaillage clandestin en reproduisant l'excellente étude juridique réalisée par Mme Emmanuelle Gindre, docteur en droit, consultante, chargée d'enseignement à l'Université de la Polynésie française et rédactrice de la Lettre d'information juridique de l'Outre mer (LIJOM), publiée dans son n° 5, janvier-février 2010, avec son aimable autorisation :

A - Le renforcement de la lutte contre l'exploitation minière sans titre

Dès 2002, la loi d'orientation et de programmation pour la justice 11 ( * ) a modifié l'article 140 du code des mines en permettant, sur réquisition du procureur de la République, la destruction immédiate des matériels utilisés par les orpailleurs clandestins. Cette première mesure s'avère non négligeable pour démanteler les réseaux clandestins.

Cependant, c'est la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer 12 ( * ) qui opère les modifications les plus importantes du régime répressif applicable, entre autres, à l'orpaillage illégal. Le nouvel article 141-1 du code minier instaure une circonstance aggravante à l'infraction d'exploitation sans titre d'une mine incriminée par l'article 141 du même code. Désormais, lorsque l'exploitation sans titre s'accompagne d'atteintes à l'environnement, l'infraction est punie de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 75000 euros, qui passent à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise en bande organisée.

Les atteintes à l'environnement prises en compte sont énumérées dans la nouvelle rédaction. Celle-ci a été modifiée lors de son examen par l'Assemblée Nationale qui souhaitait rendre les quatre hypothèses évoquées explicitement alternatives et non cumulatives comme le laissait croire la rédaction initiale du projet de loi. La circonstance aggravante est donc prouvée si l'exploitation sans titre s'accompagne :

- soit du fait de déverser dans les cours d'eau des substances nocives pour la santé, la faune ou la flore

-soit d'une pollution atmosphérique (renvoi à l'article L 220-2 du code de l'environnement)

- soit de destruction de bois et forêts

- soit de production de déchets de nature à porter atteinte à la santé de l'homme ou à l'environnement.

La protection de l'environnement permet donc de sanctionner plus durement l'orpaillage clandestin, activité qui se caractérise toujours par au moins l'une des quatre hypothèses ci-dessus, et notamment le déversement de quantités importantes de mercure dans l'eau des rivières. Mais au-delà de la sanction des délinquants, la vulnérabilité des milieux a été prise en compte et le tribunal peut imposer au condamné de restaurer le milieu aquatique sous une astreinte de 15 à 3000 euros par jour. En cas de défaillance de ce dernier, l'exécution peut être poursuivie d'office à ses frais 13 ( * ) .

Par ailleurs, l'infraction aggravée de l'article 141-1 emporte automatiquement 14 ( * ) la confiscation des biens ayant servi à la commettre ainsi que des produits en résultant « à quelque personne qu'ils appartiennent et en quelque lieu qu'ils se trouvent, dès lors que leurs propriétaires ne pouvaient en ignorer l'origine ou l'utilisation frauduleuse ». Cette disposition est particulièrement dissuasive en ce qu'elle permet de sanctionner les acheteurs d'or issu d'une exploitation illégale et de limiter la demande encourageant l'orpaillage illégal.

Outre un renforcement des peines principales applicables lorsque la circonstance aggravante est constatée, la loi de développement économique des outre-mer a également complété le dispositif des sanctions pour ce délit aggravé. Le nouvel article 141-2 fixe une liste de peines complémentaires encourues par les personnes physiques reconnues coupables d'exploitation sans titre aggravée : interdiction d'exercer l'activité professionnelle ou sociale à l'origine de la condamnation, interdiction de porter une arme, interdiction des droits civiques, civils et de famille, interdiction d'exercer une fonction publique, interdiction de séjour.

La responsabilité pénale de cette nouvelle infraction est également étendue aux personnes morales par l'article 143 réécrit du code minier. Elles encourent une peine d'amende de 375 000 euros au plus, et la plupart des peines prévues par l'article 131-38 du code pénal : l'interdiction d'exercer une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales, le placement sous surveillance judiciaire, la fermeture de l'un ou de plusieurs établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés, l'exclusion des marchés publics, l'interdiction de faire appel public à l'épargne, la confiscation du produit ou de la chose ayant servi à commettre l'infraction ou encore l'affichage et la publication de la décision. Il faut toutefois noter que la dissolution de la personne morale, prévue par l'article 131-39 du code pénal, n'a pas été rendue applicable ici.

Enfin, un ajout à l'article 144-1 étend au délit aggravé de l'article 141-1 du code minier la possibilité d'ajourner le prononcé de la peine afin d'enjoindre la personne condamnée de se conformer aux prescriptions auxquelles elle a contrevenu. En d'autres termes, afin de ne pas pénaliser une activité aux enjeux importants pour l'économie locale, le dispositif prévoit la possibilité de régulariser la situation clandestine et d'intégrer la filière légale de production et de commercialisation de l'or. Une telle mesure ne peut donc qu'être saluée, d'autant (et à condition que) qu'elle s'inscrira dans le schéma départemental d'orientation minière de la Guyane, créé par la même loi et inscrit à l'article 68-20-1 du code minier.

Bien que l'objectif premier de la loi pour le développement économique des outre-mer soit le renforcement de l'efficacité de la lutte contre l'orpaillage clandestin en Guyane, les dispositions ci-dessus codifiées s'appliquent à l'ensemble du territoire national. Toutefois, afin de tenir compte des spécificités de la Guyane, certaines dispositions adaptent le droit national, comme autorisé par l'article 73 de la Constitution.

B - L'adaptation à la Guyane du dispositif répressif de droit commun

Depuis de nombreuses années, la lutte contre l'orpaillage clandestin en Guyane fait l'objet d'opérations policières, douanières et militaires spéciales. Ce sont d'abord les opérations Anaconda lancées en 2002, associant la police de l'air, la police aux frontières et les douanes pour des repérages de sites et la destruction des matériels d'extraction illégale. En 2006, un protocole d'accord est signé entre le préfet de région et le général commandant les forces armées pour un soutien militaire de ces opérations.

Enfin, depuis 2008, les opérations Harpie mettent en oeuvre des moyens militaires, policiers et douaniers renforcés.

Ces opérations, bien qu'efficaces pour démanteler les réseaux clandestins, sont toutefois jugées trop irrégulières et n'impliquent pas le suivi de l'or par la douane qui le considère comme une marchandise ordinaire. La députée de la Guyane, Christiane Taubira, a donc demandé l'application de la « loi de la garantie » permettant d'apposer un poinçon sur les ouvrages en or, permettant leur traçabilité.

La loi pour le développement économique de l'outre-mer règle en partie cette problématique douanière en créant deux délits douaniers spécifiques à l'or guyanais. Le nouvel article 414-1 du code des douanes incrimine en effet le délit d'exportation et le délit de détention ou de transport d'or natif de Guyane (pépites ou paillettes). Ces deux délits sont assortis d'une peine d'emprisonnement de trois ans, de la confiscation de l'objet de la fraude, des moyens de transport ou des objets servant à masquer la fraude, et d'une amende d'un montant de une à deux fois la valeur de l'objet. Ces dispositions marquent là encore le renforcement de la répression, comparées à l'infraction de droit commun d'exportation sans déclaration, punie d'une amende de 3000 euros au plus.

En outre, l'adaptation la plus innovante 15 ( * ) instaurée par la loi pour le développement économique des outre-mer concerne la procédure de garde-à-vue. L'article 141-4 du code minier permet de différer le point de départ du délai légal de la garde-à-vue et de faire courir ce délai à compter de l'arrivée dans les locaux où cette mesure doit se dérouler et non à compter de l'interpellation.

Cette disposition ne s'applique qu'en Guyane, aux seules personnes soupçonnées d'avoir commis le délit d'exploitation sans titre aggravée de l'article 141-1 du code minier. Son application est en outre soumise à trois conditions cumulatives :

- le transfert des personnes interpellées dans le délai légal de la garde à vue doit soulever des difficultés matérielles insurmontables

- le Procureur de la République ou la juridiction d'instruction doit l'autoriser

- la durée du report du début de la garde-à-vue ne peut excéder 20 heures.ette adaptation tient compte des contraintes liées à la localisation des activités clandestines en pleine forêt amazonienne et tenant au transfert des individus interpellés par rotation d'hélicoptères ou de pirogues. La solution retenue transcrit la jurisprudence de la Cour de cassation relative au trafic illicite de stupéfiants à bord des navires en haute mer. La juridiction a en effet considéré que, compte tenu des délais de navigation pour rejoindre le port de déroutement, il existe une impossibilité matérielle d'appliquer les règles ordinaires de la garde-à-vue. Elle conclut que « les éventuelles restrictions apportées à la liberté d'aller et venir de l'équipage d'un navire arraisonné, autorisées en cette matière par la Convention des Nations Unies, signée à Vienne le 20 décembre 1988, ne sont pas contraires à l'article 5 paragraphe 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et ne constituent pas une rétention illégale. » 16 ( * )

D'autres adaptations procédurales avaient déjà été apportées par la loi pour la sécurité intérieure 17 ( * ) . Celle-ci prorogeait en Guyane les mesures dérogatoires permettant une reconduite à la frontière simplifiée et accélérée des étrangers en situation irrégulière, en supprimant le caractère suspensif des recours contre les arrêtés préfectoraux de reconduite.

Cette même loi a ajouté à l'article 78-2 du code de procédure pénale un alinéa spécifique aux contrôles d'identité réalisés en Guyane en autorisant des contrôles transfrontières dans les zones de passage des clandestins.

Enfin, le dispositif national ainsi renforcé et régionalisé est complété par un accord bilatéral de lutte contre l'exploitation aurifère en zones protégées, conclu entre la France et le Brésil le 23 décembre 2008. Cet accord prévoit un contrôle renforcé des mines, un durcissement des sanctions contre les activités illégales et une coopération renforcée entre les deux pays. Il est actuellement en cours de ratification par les deux parties.

S'il est encore trop tôt pour évaluer l'efficacité des nouvelles mesures répressives instaurées par la loi pour le développement économique des outre-mer, la mission de la Boudeuse le long des côtes de la Guyane qui se déroule depuis mi-février permettra d'étudier les effets de la pollution des rivières au mercure et d'estimer les dommages subis par l'environnement littoral du fait de l'activité d'orpaillage clandestin.


* 11 Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002

* 12 Loi n° 2009-594 du 27 mai 2009

* 13 Article 141-1 deux derniers alinéas du code minier

* 14 Le texte précise que la confiscation « doit être prononcée » : il s'agit d'une peine complémentaire obligatoire qui n'est toutefois pas implicitement applicable comme le serait une peine accessoire

* 15 Qualifiée ainsi par le rapport de Gaël YANNO, fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, n° 1579, du 1er avril 2009, p 338. Le code de procédure pénale ne comporte en effet aucune disposition relative au point de départ du délai de garde-à-vue.

* 16 Cass. crim. 15 janvier 2003, Bull. crim. 2003, n°12, p. 39

* 17 Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003

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