D. L'ACTION DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

La commission des questions juridiques et des droits de l'Homme et celle des migrations, des réfugiés et de la population ont présenté devant l'Assemblée deux textes évaluant l'impact du règlement et des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme.

1. La mise en oeuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme

La non-exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme fragilise son autorité. Neuf pays enregistrent à l'heure actuelle des retards préoccupants en la matière. Il s'agit de la Bulgarie, de la Grèce, de l'Italie, de la Moldavie, de la Pologne, de la Roumanie, de la Russie, de la Turquie et de l'Ukraine. Les problèmes constatés concernent principalement la durée excessive des procédures judiciaires, la non-application de décisions de justice, les mauvais traitements infligés par les forces de l'ordre, pouvant conduire jusqu'à la mort (spécialement en Russie et en Moldavie) et l'illégalité ou la durée excessive de détention.

La non-exécution conduit à multiplier le nombre de requête et participe de fait de son engorgement, comme l'a souligné dans son intervention M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC) :

« L'année 2010, année d'Interlaken et du Protocole n° 14, a été importante pour la Cour européenne des droits de l'Homme qui peut maintenant s'engager dans une réforme tant attendue. Je tiens donc à remercier vivement et chaleureusement notre collègue, Christos Porgourides, pour le remarquable travail qu'il a mené au cours des derniers mois.

Le moment me semble particulièrement propice pour engager un débat sur l'exécution des arrêts de la Cour de Strasbourg. Celle-ci est à la croisée des chemins et nous devons nous attacher à garantir son avenir. Avec près de 140 000 affaires encore pendantes, les critiques sur sa lenteur constituent une menace pour la crédibilité de toute l'architecture européenne de protection des droits de l'Homme.

Des décisions importantes ont été prises par les ministres à Interlaken afin de réduire la surcharge chronique à laquelle la Cour est confrontée, tout en préservant le principe du droit de recours individuel.

Le protocole n°14 à la Convention européenne des droits de l'Homme est enfin entré en vigueur le 1 er juin 2010. Il devrait faciliter le traitement des irrecevabilités.

L'Union européenne, par ailleurs, doit adhérer à la Convention, ce qui permettra de créer un ordre juridique unique en matière de droits de l'Homme à l'échelle du continent européen. Pour que cette adhésion porte tous ses fruits, j'insiste pour que l'on veille à traiter à fond tous les problèmes que pose cette adhésion. C'est indispensable si nous ne voulons pas nous heurter demain à des déboires profonds. Notons cependant que cette adhésion n'ira pas dans le sens d'un désengorgement de la Cour...

Je partage pleinement l'opinion de notre rapporteur sur la nécessité d'une meilleure exécution des arrêts de la Cour, en particulier pour ce qui concerne les requêtes répétitives qui l'encombrent, ainsi que sur le rôle que pourraient jouer notre Assemblée et les parlements nationaux dans ce processus.

Christos Porgourides le souligne à juste titre, les résolutions de notre Assemblée peuvent constituer un réel moyen de pression et accélérer l'exécution des arrêts de la Cour par les États. Il ne faut pas mésestimer le rôle que nous pouvons jouer une fois de retour dans nos assemblées nationales respectives. En tant que membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, il est de notre devoir de vérifier que les projets de loi que nous examinons sont conformes aux valeurs de la Convention. N'hésitons pas non plus à déposer des propositions de loi afin de rendre notre législation nationale compatible avec les arrêts de la Cour lorsque nos Gouvernements nous apparaissent insuffisamment réactifs.

Je crois fermement au rôle des parlementaires dans ce domaine. Je vais prochainement remettre un rapport au Gouvernement français, rapport qui porte sur l'implication de la France au Conseil de l'Europe. J'y fais des propositions afin de renforcer le contrôle du Parlement français sur les actions menées par notre Gouvernement au sein du Conseil de l'Europe. Je ne manquerai pas de vous tenir informés, lors des prochaines sessions, sur les suites qui y auront été données.

A nous d'assumer nos responsabilités, ici et au sein de nos parlements nationaux ! »

La recommandation adoptée par l'Assemblée invite les États concernés à réviser leur législation en la matière. Ce consensus autour de la nécessaire exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme n'interdit pas néanmoins un examen critique de son action récente, M. Rudy Salles (Alpes-Maritimes - UMP) s'inquiétant à cet égard des interférences entre ses décisions et le droit communautaire :

« Je tiens à saluer le rapport remarquable de mon collègue Christos Pourgourides sur la mise en oeuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Il dresse un tableau fidèle des améliorations à apporter dans l'exécution des arrêts de la Cour. Je me réjouis, par ailleurs, de voir que la France ne figure plus dans la liste des pays ayant eu des difficultés dans la mise en oeuvre des arrêts.

À ce titre, je soutiens entièrement la proposition qui consiste à permettre aux parlements nationaux, en vertu de leurs pouvoirs de contrôle, de suivre l'exécution des arrêts de la Cour.

Le rôle de la Cour européenne des droits de l'Homme en termes d'intégration par le droit est fondamental. Le système entier de protection des droits repose justement sur la complémentarité entre les États et la Cour : la non-exécution des arrêts, de fait, paralyse le système dans son ensemble.

Il serait ainsi opportun de pouvoir utiliser les possibilités offertes par le Protocole n° 14 de recours en carence lorsqu'un État n'exécute pas, de manière répétée, des arrêts prononcés par la Cour. S'il faut manier avec prudence cette possibilité, il ne faut pas pour autant la laisser lettre morte, au risque de la rendre inutilisable dans l'avenir.

Instrument politique, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pourrait ainsi jouer un rôle dans sa possible mise en oeuvre, notamment lorsque les premiers droits qu'énonce la Convention, le droit à la vie et à l'intégrité physique, sont ou risquent d'être violés.

Par ailleurs, l'article 39 du règlement de la CEDH dispose que l'État membre doit prendre des mesures conservatoires, en cas de risque d'expulsion ou d'extradition d'un réfugié, afin d'éviter qu'une fois l'affaire jugée au fond, elle soit privée d'effet, la personne arguant d'une violation de la Convention ne pouvant plus s'en prévaloir.

L'arrêt rendu ce vendredi M.S.S c/ Belgique et Grèce, est une illustration parfaite des ambiguïtés relatives à la protection des droits fondamentaux par la Cour européenne des droits de l'Homme.

En jugeant la Belgique responsable d'avoir violé l'article 3 en renvoyant le requérant en Grèce contrairement aux dispositions du règlement communautaire Dublin II, qui dispose que la demande d'asile doit être faite dans le pays dans lequel le demandeur est entré, en l'espèce la Grèce, la Cour a privé le droit communautaire de tout effet utile.

Certes, on peut se réjouir que la protection des droits fondamentaux soit assurée dans la mesure où les conditions de rétention administrative en Grèce ne sont pas conformes au droit européen. Toutefois, on peut s'inquiéter du fait que la Cour condamne, en quelque sorte, un État pour la bonne application du droit communautaire.

Dans l'affaire M.S.S c/ Belgique et Grèce, la position de la Cour est parfaitement défendable, car c'est l'article 3 qui a été violé par les pays parties à la Convention, à savoir le coeur des droits fondamentaux.

Néanmoins, ce type de décisions doit rester exceptionnel, car la supranationalité qu'elle implique ne peut être acceptée par les pays membres que lorsque le coeur des droits fondamentaux est menacé de violation.

La légitimité du système de défense des droits est donc entièrement liée à un équilibre des pouvoirs entre les acteurs du droit que sont aujourd'hui les États membres, les parlements nationaux et la Cour européenne des droits de l'Homme.

Seul un dialogue respectueux et attentif permettra une véritable intégration par le droit dans l'espace européen. »

Mme Christine Marin (Nord - UMP) a également tenu à mettre en garde contre les conséquences potentiellement négatives de certaines constructions jurisprudentielles, qui fragilisent de fait la légitimité de la Cour :

« La clé de sauvegarde du système européen de protection des droits de l'Homme est en effet la collaboration pleine et entière des États à la mise en oeuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme.

La non-exécution des arrêts, outre qu'elle prive de leurs droits les justiciables qui ont reçu une décision favorable de justice, a également pour effet pervers des requêtes répétitives qui engorgent la Cour et rendent inefficient le droit à un procès équitable, dont le droit d'être jugé dans un délai raisonnable est une composante.

À ce titre, comme mon collègue Rudy Salles, je me réjouis que la France ne soit plus citée dans le rapport ! C'est un progrès indéniable !

Néanmoins, sans remettre en cause le droit de la Convention, certaines décisions de la Cour ne laissent pas d'interroger.

Les États parties à la Convention ont signé une Convention protectrice des droits fondamentaux et des libertés. La Cour, par une jurisprudence audacieuse, a pu parfois bousculer les pratiques et l'histoire des gouvernements, et l'on peut se demander dans quelle mesure elle n'a pas dépassé son office.

Je ne parle pas ici de la protection des premiers articles de la Convention mais de certaines extensions de jurisprudence relatives au droit à un procès équitable.

Ainsi dans l'arrêt Kress, la Cour européenne des droits de l'Homme, en jugeant, au nom de « la théorie des apparences », que le rapporteur public dans la procédure devant le Conseil d'État ne devait plus assister au délibéré, a privé le justiciable d'une procédure garantissant ses droits et qui n'était en rien contraire au droit.

Les créations jurisprudentielles trop innovantes peuvent avoir des conséquences néfastes en termes de légitimité de l'ensemble du système.

Par ailleurs, si je crois à l'intégration par le droit, je me méfie des risques de transformation d'une juridiction, aussi noble soit-elle, en instance de décision supranationale.

La Cour a récemment mis en place, par l'adoption du Protocole 14, un système de filtre des requêtes selon l'importance des préjudices. Outre l'intérêt d'empêcher un engorgement du prétoire, cette procédure aura pour conséquence que la Cour ne se prononce plus sur des requêtes qui ne sont pas véritablement d'importance.

Ce sera également un signal donné aux requérants que la Cour n'est pas en elle-même un quatrième degré de juridiction.

En revanche, je soutiens entièrement la proposition du rapport qui consiste à proposer que les parlements nationaux assurent une mission de contrôle de la mise en oeuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Le rôle de la représentation nationale est double. Du fait de ses missions de contrôle, elle peut contraindre l'exécutif à mettre en oeuvre les arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, notamment leur règlement financier. Par ailleurs, lorsque le législateur doit intervenir pour que la législation française soit conforme à la Convention européenne des droits de l'Homme, il est le mieux placé pour se saisir de la question.

Le débat sur la garde à vue qui se déroule actuellement devant le Parlement français est une illustration d'un dialogue des juges, entre la Cour européenne des droits de l'Homme, le Conseil constitutionnel français, et le législateur.

La souveraineté des États représentée, notamment par les parlements nationaux, doit donc permettre un dialogue permanent entre la Cour européenne des droits de l'Homme et les États, mais pour que ce dialogue soit fructueux la Cour ne doit pas outrepasser ses fonctions . »

Le texte adopté insiste en outre sur le rôle des parlements nationaux en conseillant la mise en place de mécanismes permettant de superviser l'exécution des arrêts. Mme Arlette Grosskost (Haut-Rhin - UMP) a tenu dans son intervention à saluer cette proposition :

« La conférence d'Interlaken a souligné à quel point le principe de subsidiarité, s'il était réellement appliqué par les États membres, permettrait d'éviter l'engorgement de la Cour. Par principe de subsidiarité, on entend ici l'application par les États de la Convention européenne des droits de l'Homme. L'exécution des arrêts de la Cour européenne par les États membres revêt donc une importance primordiale.

Elle suppose en premier lieu, de donner satisfaction aux requérants, c'est-à-dire de faire en sorte que la décision de justice soit appliquée. Il en va de la crédibilité du système juridique : sans exécution de ses décisions, elle est réduite à néant.

L'exécution des arrêts, qui nécessite parfois de changer la législation d'un pays ou son organisation administrative, participe d'une intégration des principes inhérents à l'État de droit et évite en outre l'engorgement de la Cour par des arrêts répétitifs liés à un problème structurel.

Le 7 e rapport relatif à la mise en oeuvre des arrêts met en évidence que des problèmes structurels existent dans quelques pays membres du Conseil de l'Europe. A l'instar de mes deux collègues précédents, je me félicite que la France ne soit plus aujourd'hui considérée comme un pays ayant des difficultés dans l'exécution des arrêts. Cela prouve, s'il en était besoin, que la mauvaise exécution des arrêts n'est pas une fatalité.

Le rapport met en exergue le fait que, en dehors des questions politiques, l'organisation administrative peut empêcher la bonne exécution des arrêts par manque de moyens ou du fait d'une trop grande décentralisation des procédures. La France s'est trouvée temporairement dans cette situation.

C'est pourquoi je soutiens la proposition du rapporteur d'amener nos parlements nationaux à faire un contrôle du suivi de l'exécution des arrêts. Outre qu'il est important d'associer la représentation nationale à la mise en oeuvre des préconisations de la Cour européenne des droits de l'Homme, je crois que le législateur est le mieux placé pour faire des propositions au gouvernement afin d'améliorer les problèmes structurels susceptibles de se poser.

Les délégations parlementaires que nous formons au sein de l'APCE pourraient elles aussi jouer un rôle très utile pour la bonne mise en oeuvre des arrêts de la CEDH. Au sein de nos parlements nationaux, nous sommes à même de mieux faire connaître les enjeux relatifs à la protection des droits fondamentaux.

Actuellement, le Parlement français, suite à la condamnation de la France par la CEDH pour une affaire de garde à vue et la saisine du Conseil constitutionnel par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité, a décidé de revoir la procédure de droit commun de la garde à vue afin de tenir davantage compte du droit européen dans la Constitution française. Il s'agissait en l'occurrence de la présence de l'avocat à la première heure.

C'est donc un dialogue des juges qui invite le législateur à rendre possible la mise en oeuvre d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme.

A l'heure du renouveau des pouvoirs de contrôle des parlements nationaux, il me semble que les projets de résolution et de recommandation du rapporteur sont conformes à une vision progressiste de l'amélioration de l'État de droit, vision à laquelle les parlements nationaux doivent entièrement collaborer. »

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