TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. LA COMMUNICATION DE VOTRE RAPPORTEURE SPÉCIALE, LE 16 FÉVRIER 2011

Réunie le mercredi 16 février 2011 sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a entendu une communication de Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale, sur la cession de l'hippodrome de Compiègne.

Mme Nicole Bricq , rapporteure spéciale . C'est en ma qualité de rapporteure spéciale de la mission « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » que j'ai mené ce contrôle sur la cession de l'hippodrome de Compiègne. Je voudrais d'abord exposer la manière dont j'ai conçu et conduit mes investigations.

Pour mémoire, le sujet est apparu à l'occasion de l'une des « affaires » mises au jour par la presse, en l'occurrence en juillet 2010, concernant Eric Woerth, alors ministre chargé du travail. On a ainsi appris que ce dernier, en sa qualité de ministre chargé du budget, avait autorisé la cession, effectivement intervenue en mars 2010, d'une parcelle de 57 hectares de la forêt de Compiègne, terrain d'assiette de l'hippodrome du Putois, à la Société des courses de Compiègne, une association à but non lucratif et à objet hippique. Cette association, jusqu'alors, était locataire des lieux : elle gérait l'hippodrome et, par ailleurs, sous-louait une partie du terrain à la Société du golf, autre association à but non lucratif. La vente a été réalisée malgré l'avis d'abord défavorable de l'Office national des forêts (ONF) et du ministère chargé de l'agriculture, selon une procédure de gré à gré, donc sans mise en concurrence, et au prix de 2,5 millions d'euros.

Ce prix et les modalités juridiques de la transaction ont fait, d'emblée, l'objet d'un débat livré, par les médias, à l'opinion publique. Je me suis donc naturellement intéressée au dossier, avec deux préoccupations.

En premier lieu, j'ai porté mon attention sur l'évident enjeu patrimonial de l'opération. J'ai cherché à savoir si les intérêts de l'Etat propriétaire ont été convenablement ménagés dans la cession de l'hippodrome, c'est-à-dire si la vente a été conclue pour un prix satisfaisant pour les finances publiques - au minimum, le prix correspondant à la valeur réelle du bien ; et, plus généralement, si cette vente a été réalisée dans le souci d'une bonne gestion du domaine de l'Etat, une forêt se trouvant a priori en cause.

En second lieu, j'ai été soucieuse d'un enjeu d'ordre légal. En effet, je me suis attachée à évaluer la solidité juridique de la transaction, et donc la régularité de la procédure suivie par l'administration, dans la mesure où le ministère du budget, d'une part, a cru pouvoir faire l'économie d'une autorisation parlementaire pour mener à bien cette vente et, d'autre part, n'a pas cherché à mettre la Société des courses de Compiègne en concurrence avec d'éventuels autres candidats à l'acquisition de l'hippodrome.

C'est dans cette double perspective que j'ai travaillé, mes investigations prenant la forme suivante :

- dès le 11 octobre 2010, une audition de Daniel Dubost, chef du service France Domaine, puis deux questionnaires complémentaires que je lui ai adressés, respectivement, le 14 octobre et le 5 novembre ;

- le 21 décembre 2010, un contrôle sur pièces dans les locaux de France Domaine, au ministère du budget, en présence de M. Dubost. J'ai ainsi eu communication du dossier qui avait été préparé pour les besoins de la commission des requêtes de la Cour de justice de la République ;

- le 13 janvier 2011, l'audition de Pascal Viné, directeur général de l'ONF, qui fut le directeur de cabinet du ministre de l'agriculture de juillet 2009 à novembre 2010, et a donc suivi, à ce titre, l'opération de cession de l'hippodrome ;

- enfin, le 10 février dernier, un déplacement à Compiègne, sur le site de l'hippodrome du Putois, afin de visiter celui-ci et de conduire un entretien avec Antoine Gilibert, président de la Société des courses. À cette occasion, j'ai également auditionné les représentants du service local de France Domaine, en particulier l'agent qui a évalué, en 2009, la parcelle vendue.

Comme on le sait, la cession de l'hippodrome de Compiègne se trouve actuellement visée, de façon indirecte, par deux instances judiciaires en cours d'instruction. D'une part, la commission d'instruction de la Cour de justice de la République a été saisie, le 13 janvier 2011, afin d'enquêter sur une éventuelle prise illégale d'intérêts de M. Woerth dans cette vente. D'autre part, le tribunal de grande instance de Paris, depuis la mi-janvier également, est chargé de l'information judiciaire ouverte à la suite de la plainte contre X qui allègue, dans le cadre de la cession de l'hippodrome, les infractions d'abus d'autorité, de complicité de prise illégale d'intérêts, de trafic d'influence par personne dépositaire de l'autorité publique et par particulier, et de favoritisme.

Mais il est important de noter que mon contrôle, d'ailleurs entrepris en accord avec le Président et le Rapporteur général de notre commission, a été commencé dès la première quinzaine du mois d'octobre 2010, donc plus de deux mois avant l'ouverture formelle des poursuites judiciaires précitées, et qu'il a pu être mené à son terme indépendamment de celles-ci.

En effet, je précise qu'en l'état du droit, les investigations du Parlement ne se trouvent expressément bornées que pour ce qui concerne les commissions d'enquête, lesquelles ne peuvent être créées, ou continuer leur travaux, sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires. En revanche, l'article 57 de la LOLF, qui fonde la compétence de contrôle des rapporteurs spéciaux en les habilitant à « procéder à toutes investigations sur pièces et sur place, et à toutes auditions qu'ils jugent utiles », ne formule pas de réserve à l'exercice de cette prérogative. Et je tiens à signaler que, dans le cours de ce contrôle, je n'ai, de fait, rencontré aucune réticence au sein du ministère du budget : ni de la part des fonctionnaires, ni de celle du ministre lui-même.

Au demeurant, il existe de nombreux précédents de contrôle parlementaire, sous la forme de missions d'information notamment, qui ont traité de faits occasionnant des poursuites judiciaires. Un récent exemple est fourni par le rapport produit en mai 2010 par la mission d'information constituée, par la commission de la défense de l'Assemblée nationale, sur « les circonstances entourant l'attentat du 8 mai 2002 à Karachi ».

Enfin, il faut souligner que les instances judiciaires qui se rapportent actuellement à la cession de l'hippodrome de Compiègne sont loin de résumer tous les aspects du dossier, et restent bien distinctes des préoccupations qui ont justifié mon initiative en la matière - l'enjeu patrimonial et l'enjeu juridique que j'ai indiqués. C'est à la qualité de la gestion, par l'Etat, de cette opération de cession que j'ai consacré mon contrôle, et non pas à la recherche d'actes pénalement répréhensibles, qu'aurait pu commettre tel ou tel.

De mes investigations, je retiens, en synthèse, trois séries de constatations.

Premier constat : alors que la candidature à l'acquisition de l'hippodrome du Putois avait été formulée de longue date par la Société des courses de Compiègne, la vente finalement conclue a été réalisée par l'administration, entre juin 2009 et mars 2010, avec une célérité manifeste. Il me faut ici exposer les faits, tels que je les ai reconstitués, en suivant leur chronologie.

Au départ, la Société des courses de Compiègne est « locataire » de l'Etat, sur le fondement de conventions conclues avec ce dernier et avec l'ONF. Ces conventions portent autorisation d'occupation, à titre onéreux (moyennant redevance) et précaire (donc révocable), et elles sont régulièrement renouvelées. De la sorte, juridiquement, la Société des courses est titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine de l'Etat.

Dès 2000 et 2001, l'association manifeste son souhait d'acquérir le terrain. Elle entend ainsi bénéficier d'une plus grande souplesse de gestion, alors qu'elle effectue d'importants investissements pour développer l'activité hippique du site. À cette époque, l'autorisation d'occupation dont elle bénéficie est une convention de 1987, dont l'échéance est prévue au 31 mars 2001. L'association ne sollicite le renouvellement de cette convention qu'à défaut, préférant un achat.

L'affaire paraît traîner : la Société des courses reformule son offre auprès du ministre de l'agriculture en mai 2003, alors que la convention d'occupation, arrivée à échéance depuis plus de deux ans, n'a toujours pas été renouvelée. Cette offre d'acquisition est refusée par l'Etat en août 2003 : le refus est signifié à l'association par une lettre du ministre de l'agriculture, et motivé par « la législation concernant les forêts domaniales ». Toutefois, dans sa lettre, le ministre précise qu'« en revanche, un échange serait envisageable si la Société des courses offrait un terrain forestier de la même importance et d'une valeur suffisante ».

Or un tel échange n'est pas possible, en l'état du patrimoine foncier dont dispose alors l'association. Aussi, la convention d'occupation est renouvelée, en novembre 2003, avec effet rétroactif au 1 er avril 2001 et échéance au 31 mars 2010.

En janvier 2006, la Société des courses forme une nouvelle proposition d'acquisition de l'hippodrome, cette fois par la voie d'un échange. À cet effet, l'association envisage d'acquérir un terrain forestier parmi une douzaine, qu'elle a identifiés dans différentes régions françaises, dont la Picardie, mais aussi le Centre et les Ardennes.

En mars 2006, il est indiqué à l'association, par l'ONF, que cet échange pourrait se faire sur la base d'un rapport de superficies de 1 à 5, soit environ 250 hectares de forêt contre les 49 hectares de la parcelle cadastrale principale qu'occupe le site de l'hippodrome. L'achat du terrain à échanger aurait représenté une dépense de l'association à hauteur de 1,25 million d'euros environ.

Mais ce projet avorte. En août 2006, une réunion entre les représentants de la Société des courses et le directeur général de l'ONF retient une autre solution, concrétisée en novembre 2006 : un avenant à la convention de 2003 proroge alors l'autorisation d'occupation jusqu'au 31 décembre 2021. En outre, le régime de la redevance fixé en 2003 est expressément inchangé, malgré les travaux d'extension du bâti qui seront réalisés dans le cadre d'un permis de construire accordé à la Société des courses au mois de septembre précédent. Le niveau de cette redevance s'établira ainsi, en 2009, à 43 343 euros pour l'année, hors impôts fonciers - lesquels représentent environ le quart de la redevance.

D'après les indications convergentes que j'ai recueillies, c'est la perspective des échéances électorales de 2007 qui a conduit l'administration à « geler » de la sorte le processus d'échange d'abord envisagé. On peut trouver cela bien prudent, voire « frileux ». En tout cas, on voit que l'administration fait parfois de la politique...

Le 15 mai 2009, la Société des courses manifeste à nouveau son intérêt pour une acquisition de l'hippodrome. Elle le signale dans une note d'intention, qu'elle adresse au député de la quatrième circonscription de l'Oise, Christian Patria, suppléant d'Eric Woerth, alors ministre chargé du budget. M. Patria transmet la note d'intention de l'association à M. Woerth, et le ministre y donne suite.

La procédure est alors commencée avec une exceptionnelle diligence : une annotation manuscrite du ministre, sur la note d'intention de la Société des courses, datée du 26 mai, demande au conseiller de son cabinet chargé de l'immobilier de l'Etat, Cédric de Lestrange : « m'en parler rapidement ». La note d'intention ainsi annotée est enregistrée à la direction générale des finances publiques (DGFiP) le 2 juin. En outre, le 4 juin, l'association adresse une lettre au ministre du budget, lui confirmant son souhait d'achat.

Le 22 juin, l'administration centrale du service France Domaine adresse à son service déconcentré de l'Oise une demande d'évaluation, pour connaître « un ordre de grandeur » de la valeur du site de l'hippodrome du Putois, soit trois parcelles cadastrales, représentant 57,1 hectares au total. Cette évaluation est remise dès le 10 juillet par l'évaluateur du service local, soit 18 jours seulement après la demande. Ce délai paraît exceptionnellement bref, car la règle interne à France Domaine est de l'ordre de 30 jours. L'évaluation conclut à une valeur de 2,5 millions d'euros.

L'ONF est informé de la demande d'acquisition de la Société des courses par une lettre du service France Domaine en date du 22 juillet. L'Office se déclare alors « totalement défavorable à ce projet » ; cet avis est signalé au ministre du budget par une note du 1 er septembre, signée par le directeur général des finances publiques. Cependant, le 16 octobre, le cabinet du ministre du budget demande à France Domaine, par courrier électronique, de notifier à la Société des courses l'accord de l'Etat. Notons que le cabinet décide qu'il n'est pas nécessaire de demander à nouveau son avis à l'ONF sur cette opération.

Par une lettre du 20 octobre, le chef du service France Domaine avise la Société des courses que l'Etat est d'accord sur sa proposition d'acquérir l'hippodrome du Putois. Cette lettre précise : « Bien qu'intégré à la forêt domaniale de Compiègne, ce bien ne constitue plus en effet un bien "forestier" au sens strict du terme. » Il est spécifié que la cession ne pourra être conclue qu'à la valeur domaniale du bien : il n'est plus question d'échange de terrains, alors que cette hypothèse avait fait l'objet de discussions avancées, en 2006, entre la Société des courses et l'ONF. Enfin, par référence au fondement juridique de l'opération (l'article R. 129-5 du code du domaine de l'Etat), il est également précisé que la cession sera réalisée de gré à gré, donc sans mise en concurrence.

Le 23 octobre, le trésorier-payeur général de l'Oise, Jean-Pierre Péry, informe la Société des courses, sur la demande de celle-ci, que la valeur domaniale de l'hippodrome du Putois s'élève à 2,5 millions d'euros. La décision de l'Etat est également notifiée à l'association par une lettre du ministre du budget du 29 octobre, dont la copie est adressée au ministre chargé de l'agriculture, ainsi qu'à l'ONF.

À partir de là, un différend entre ministères se fait jour, dont la résolution difficile va retarder la conclusion de la vente.

Le 17 novembre 2009, le directeur de cabinet du ministre de l'agriculture adresse à son homologue après du ministre du budget une lettre faisant valoir que la décision de céder l'hippodrome du Putois « est tout à fait contraire à la politique constante du ministère [chargé de l'agriculture] en matière de gestion forestière ». La lettre, en effet, précise que l'hippodrome fait « partie intégrante de la forêt domaniale de Compiègne ». À la place de la vente, le ministère de l'agriculture propose une nouvelle convention d'occupation temporaire, « de longue durée », entre l'ONF et la Société des courses de Compiègne, ou, « à défaut », et « après analyse de la situation », « d'envisager une procédure d'échange ».

En réponse, par lettre du 26 novembre, le directeur de cabinet du ministre du budget se dit « surpris » par cette analyse, et fait état, au contraire, d'un « accord oral » précédemment donné par le cabinet du ministre de l'agriculture pour la vente de l'hippodrome. Il expose qu'« il ne s'agit plus [...] ici d'un bien à usage forestier. En effet, le champ de courses y a été construit depuis près de 150 ans. » Il considère que l'Etat ne peut revenir sur sa décision à l'égard de la Société des courses de Compiègne, et que la solution proposée par le ministère de l'agriculture « ne [...] semble pas adaptée ». Enfin, il écrit qu'« un tel revirement provoquerait en outre une forte réaction du sénateur-maire de Compiègne, qui soutient ce projet ».

Peu après, par délibération du 16 décembre 2009, la communauté d'agglomération de Compiègne renonce à exercer son droit de priorité pour l'acquisition de l'hippodrome.

À la suite de l'échange épistolaire précité entre directeurs de cabinet, le 10 janvier 2010, une réunion se tient entre le cabinet du ministre du budget et celui du ministre de l'agriculture, en présence d'une part de la direction du budget et de France Domaine, d'autre part de l'ONF. À cette occasion, l'idée d'un bail emphytéotique pour l'hippodrome du Putois est refusée par le cabinet du ministre du budget. En revanche, le principe d'une affectation des produits de la vente à l'acquisition de terrains forestiers est retenu.

Le 12 janvier, une seconde réunion met en présence le service France Domaine d'un côté, le ministère de l'agriculture et l'ONF de l'autre. Chacun y confirme son point de vue, et donc la divergence d'analyse.

En définitive, c'est le 12 mars que le conflit entre les deux ministères se dénoue, lors d'une réunion « informelle » tenue à l'hôtel de Matignon entre Cédric de Lestrange, conseiller chargé de l'immobilier de l'Etat au cabinet du ministre du budget, Pascal Viné, directeur de cabinet du ministre de l'agriculture, et Julien Dubertret, conseiller budgétaire au cabinet du Premier ministre. En effet, lors de cette réunion, le conseiller du ministre du budget propose d'assortir la vente de l'hippodrome du Putois de deux éléments exceptionnels :

- d'une part, comme convenu précédemment, les produits de cette vente seront affectés au ministère chargé de l'agriculture, pour l'acquisition de terrains forestiers. Cette affectation, toutefois, sera opérée après déduction de 15 % au bénéfice du désendettement de l'Etat, conformément aux dispositions de l'article 195 la loi de finances pour 2009 ;

- d'autre part, il est prévu d'introduire dans la convention de vente une clause d'affectation spécifique : pendant cinquante ans, le terrain cédé devra rester exclusivement affecté à l'usage d'hippodrome et, de façon accessoire, de golf, à peine de résolution de la vente. Cette stipulation contribuera notamment à préserver les abords de la forêt de Compiègne.

Le ministère de l'agriculture, dans ces conditions, ne s'oppose plus à l'opération et, dès lors, pour le cabinet du Premier ministre, il n'est pas besoin de procéder à un arbitrage interministériel. On observera, d'ailleurs, que le ministre de l'agriculture n'est jamais intervenu directement : les échanges se sont déroulés entre cabinets.

La situation se trouvant ainsi débloquée, quatre jours plus tard, le 16 mars, l'autorisation de cession de l'hippodrome du Putois est formalisée par un arrêté du ministre du budget. Le lendemain, 17 mars, l'acte de cession est signé entre l'Etat et la Société des courses de Compiègne. Cette convention comporte notamment deux garanties importantes pour l'Etat :

- en premier lieu, la clause d'affectation à usage d'hippodrome précitée, valable jusqu'en 2060. En cas de non respect de cette exigence, l'Etat pourra discrétionnairement demander la résolution de la vente, après une mise en demeure restée infructueuse au terme d'un délai de six mois. La vente ne serait donc pas résiliée ipso facto, mais en fonction de l'initiative de l'Etat ;

- en second lieu, une clause de complément de prix, suivant le modèle désormais habituel dans les cessions importantes de l'Etat : en cas de nouvelle mutation de l'hippodrome dans les quinze ans suivant sa cession à la Société des courses, celle-ci devrait reverser à l'Etat 50 % de la plus-value, nette d'impôt, qu'elle réaliserait.

De la sorte, la vente de l'hippodrome de Compiègne, à compter du moment où le ministère du budget a pris connaissance de l'intention d'achat de la Société des courses, soit fin mai 2009, a été bouclée en neuf mois et demi. Si un différend avec le ministère de l'agriculture n'était pas apparu en novembre 2009, on peut penser que la procédure n'aurait demandé que sept mois environ.

Quant au produit de la vente 2,5 millions d'euros , 15 %, soit 375 000 euros, ont été affectés, suivant l'obligation légale précitée, au désendettement de l'Etat, et les 85 % restant, soit 2,125 millions d'euros, ont été affectés, comme prévu, à l'acquisition de terrains forestiers. L'ONF estime qu'elle pourra acheter environ 200 hectares grâce à cette somme : on réalisera donc à peu près le rapport de superficies de 1 à 5 souhaité par l'Office pour un échange de terrains.

J'en viens à la deuxième constatation de mon contrôle : la procédure suivie pour cette cession a largement constitué ce que j'appellerai un « bricolage » du ministère du budget, certaines options initiales étant modifiées, comme on vient de le voir, in extremis. Et il me semble que cette situation a été la conséquence du caractère douteux de la qualification juridique retenue par l'administration pour l'hippodrome du Putois.

Je rappelle en effet qu'en octobre 2009, France Domaine entendait vendre, de gré à gré et à la valeur de l'estimation domaniale, un terrain dont le service jugeait qu'il avait, de facto, perdu son caractère forestier. Puis, en janvier 2010, le ministère du budget a décidé, sans doute pour se concilier le ministère de l'agriculture, que le produit de cette vente serait affecté à l'acquisition de terrains forestiers ce qui revenait, en pratique, aux effets qu'aurait eu l'échange de terrains souhaité depuis l'origine par l'ONF et le ministère de l'agriculture, lesquels considéraient l'hippodrome du Putois comme un bien forestier à part entière. Enfin, c'est en mars 2010 que la clause d'affectation exclusive de cinquante ans a été introduite.

On voit là que les conditions de la cession de l'hippodrome de Compiègne sont susceptibles de soulever des questions de droit administratif. Les procédures judiciaires en cours ont été engagées sur le seul terrain répressif, et il revient donc à la justice, aujourd'hui, de trancher les aspects de l'affaire, dont elle est saisie, pouvant relever du droit pénal ; mais un recours devant la juridiction administrative aurait sans doute permis d'utiles clarifications... Il me faut aborder, ici, ces questions, car leur existence est de nature à fragiliser la vente que l'Etat a conclue. Au passage, on observera que France Domaine, dans ce dossier, n'a pas fait montre de beaucoup de rigueur juridique.

À cet égard, le ministère de l'agriculture et l'ONF ont eu le mérite d'une position constante : selon leur analyse, l'hippodrome du Putois faisait partie intégrante de la forêt domaniale de Compiègne, d'où il s'ensuivait que le régime applicable au domaine forestier de l'Etat devait s'appliquer à l'hippodrome.

Le ministère du budget a soutenu un raisonnement plus nuancé, mais ambigu. Cette ambiguïté était présente dès la lettre, déjà citée, que le chef du service France Domaine a adressée, le 20 octobre 2009, à la Société des courses de Compiègne, pour signifier à celle-ci l'accord de l'Etat à vendre : « Bien qu'intégré à la forêt domaniale de Compiègne, ce bien ne constitue plus [...] un bien "forestier" au sens strict du terme. » Mais le raisonnement se trouve pleinement exposé dans la « fiche technique », élaborée par France Domaine, jointe à une note au ministre du budget du directeur général des finances publiques, datée du 20 janvier 2010 et présentant l'analyse des services sur la procédure à suivre dans cette affaire.

Selon ce document, le terrain de l'hippodrome est bien « partie intégrante de la forêt domaniale de Compiègne », et « le fait que cette emprise ne soit plus affectée, depuis le XIX e siècle, à un "usage forestier" ne lui fait pas perdre sa qualification de bien relevant du "régime forestier" ». Toutefois, pour France Domaine, « l'utilisation de ce bien, depuis plus de 150 ans, à usage "d'hippodrome", permet de relativiser aujourd'hui sa destination à un usage en vue de la protection foncière nécessaire des forêts du domaine de l'Etat ». Et, un peu plus loin, on lit que « France Domaine ne remet pas en cause le fait que des parcelles "non plantées" continuent de relever du régime forestier. Mais cette analyse ne saurait faire obstacle à la nécessaire "respiration" du patrimoine forestier lorsqu'il est avéré, comme c'est le cas en l'espèce, que le maintien de l'affectation actuelle [c'est-à-dire l'usage d'hippodrome et de golf] est garanti et que la réversibilité à un usage proprement forestier [...] apparaît plus théorique que réelle. »

Cette position de France Domaine est critiquable : soit l'hippodrome du Putois constituait une dépendance forestière du domaine de l'Etat, et le régime des forêts domaniales lui était alors pleinement applicable ; soit il ne s'agissait pas d'une dépendance forestière, et un autre régime pouvait s'appliquer. Mais on ne pouvait affirmer que c'était une dépendance forestière et, ensuite, écarter l'application du régime qui devait découler de cette qualification juridique, au motif de considérations d'opportunité !

Cependant, la position du ministère de l'agriculture et de l'ONF semble également critiquable, et par suite le premier temps du raisonnement de France Domaine, qui la reprend à son compte. En effet, je crois que la qualification du terrain de l'hippodrome en tant que dépendance forestière est mal étayée et incomplète.

Dès le début de l'opération, l'administration le ministère du budget aussi bien que celui de l'agriculture a considéré comme allant de soi que l'hippodrome du Putois fût une dépendance forestière du domaine de l'Etat. Interrogé sur ce point, l'ONF, pour justifier cette qualification juridique, produit le décret du 6 mai 1995 qui fixe la liste des forêts et terrains à boiser appartenant à l'Etat, dont la gestion est confiée à l'Office ; la forêt domaniale de Compiègne, en effet, se trouve visée par ce texte. Néanmoins, en l'occurrence c'est seulement l'hippodrome du Putois qu'il s'agissait de vendre : il convenait, à l'évidence, de distinguer entre le massif forestier global et la parcelle d'assiette de l'hippodrome.

Partant de là, je me suis posé deux questions.

Première question : l'hippodrome du Putois constitue-t-il véritablement une dépendance forestière ? L'observation de ce terrain conduit à une réponse plutôt négative : le site ne correspond guère à ce que l'on peut attendre d'une forêt ; et l'assimilation apparaît donc discutable. Sur place, en effet, au jugé, les arbres couvrent, au mieux, 5 % à 10 % du terrain, compte tenu d'un rideau d'arbres qui sépare le champ de courses d'une partie du golf. L'hippodrome se trouve en lisière de la forêt de Compiègne proprement dite, mais il ne se confond pas avec elle. Au surplus, avant même d'être transformé en hippodrome, au XIX e siècle, le site constituait un champ de manoeuvre. Et, aux dires de la Société des courses, l'ONF n'intervenait guère sur ce terrain.

Seconde question : indépendamment de sa nature de dépendance forestière ou non, l'hippodrome du Putois, avant sa cession, s'analysait-il en dépendance du domaine privé ou du domaine public de l'Etat ? C'est une question que l'administration, apparemment, ne s'est jamais posée : ni le ministère du budget, et en particulier France Domaine, pourtant le service qui « incarne » l'Etat propriétaire ; ni le ministère de l'agriculture, ou l'ONF, bien que ce dernier soit l'établissement gestionnaire des forêts domaniales. Cela ne laisse pas d'étonner, car la question est fondamentale.

Je rappelle que le domaine privé de l'Etat constitue un patrimoine en principe librement cessible par l'administration, tandis que le domaine public est régi, au contraire, par un principe d'inaliénabilité : il ne peut normalement faire l'objet de cessions, sauf à recourir à une procédure de déclassement ou, à défaut, à passer par l'autorisation d'une loi.

Or les critères du domaine public, fixés par une jurisprudence constante depuis longtemps, paraissent avoir été pleinement remplis par le terrain en cause : d'une part, l'hippodrome du Putois constituait une propriété publique, celle de l'Etat ; d'autre part, il se trouvait affecté à l'utilité publique, et même à un usage direct du public, au titre d'hippodrome précisément, ainsi que de golf. Selon les mêmes critères, le juge administratif, par le passé, a reconnu pour des dépendances du domaine public, notamment, des promenades publiques dont l'allée des Alyscamps, à Arles , le stade municipal de Toulouse, ou encore le bois de Vincennes...

On peut donc penser que, quelle que fût la nature de l'hippodrome du Putois en termes « forestiers », il s'agissait d'un bien relevant du domaine public de l'Etat. Comme tel, ce terrain ne pouvait être légalement cédé qu'en vertu d'une loi, le déclassement n'étant pas possible ici.

Dans la suite de ce propos, toutefois, je vais supposer acquise la qualification de dépendance forestière que l'administration a retenue de façon explicite, et celle de dépendance relevant du domaine privé de l'Etat, donc aliénable, qui a été retenue implicitement. Sous cette hypothèse, on débouche sur deux questions de procédure.

Il s'agit, d'abord, de savoir si les conditions de la cession d'une dépendance forestière domaniale sans autorisation législative étaient réunies.

Je dois rappeler ici que le domaine privé forestier de l'Etat se trouve soumis à un régime spécial d'aliénabilité.

Traditionnellement, il est admis que l'échange d'un terrain forestier domanial contre un autre terrain forestier est possible, sur le fondement de l'article R. 78 du code du domaine de l'Etat. Cette procédure, comme on l'a vu, était en l'occurrence proposée par l'ONF et le ministère de l'agriculture dès le début, mais elle a été écartée par le ministère du budget, qui refusait de voir dans l'hippodrome du Putois un bien forestier « authentique ». Il y a pourtant fort à parier que, si cette solution avait été retenue, on n'aurait pas entendu parler de cette affaire... Au surplus, l'affectation des produits de la vente à l'acquisition de terrains forestiers, telle qu'elle a finalement été décidée, revient, en pratique, à peu près aux mêmes effets qu'une procédure d'échange.

La cession stricto sensu de forêts domaniales, quant à elle, n'est possible, en principe, que par la loi, comme le prévoit l'article L. 3211-5 du code général de la propriété des personnes publiques, sauf à se trouver dans les cas d'exceptions prévus par cet article. En dehors de l'hypothèse d'une expropriation pour cause d'utilité publique, trois conditions cumulatives sont ainsi exigées pour procéder à la vente de forêts domaniales sans recourir à la loi :

- les forêts considérées doivent « être d'une contenance inférieure à 150 hectares » ;

- elles doivent « n'être nécessaires ni au maintien et à la protection des terrains en montagne, ni à la régularisation du régime des eaux et à la protection de la qualité des eaux, ni à l'équilibre biologique d'une région ou au bien-être de la population » ;

- les produits tirés de l'exploitation de ces forêts ne doivent pas couvrir les charges de gestion.

Or, en ce qui concerne l'hippodrome de Compiègne, seule la deuxième condition était clairement satisfaite.

En effet, la première condition - « être d'une contenance inférieure à 150 hectares » - fait débat, en raison de l'incertitude de l'interprétation à donner au texte de l'article L. 3211-5. La contenance de 150 hectares doit-elle être entendue comme celle de la parcelle qui fait l'objet de la cession ? Dans cette hypothèse, la situation du terrain de l'hippodrome du Putois (57 hectares) permettait bien à l'administration de se dispenser d'une autorisation législative pour procéder à la vente ; c'est l'interprétation qu'a privilégiée France Domaine. Ou bien la référence aux 150 hectares vise-t-elle l'ensemble de la forêt domaniale dont relève la parcelle cédée ? Dans cette seconde hypothèse, il fallait rapporter la condition à la forêt de Compiègne, qui s'étend sur 140 000 hectares environ ; et, par conséquent, la cession de l'hippodrome n'était pas possible sans passer par la loi.

Il s'avère difficile de trancher entre ces deux interprétations possibles, notamment parce que l'article L. 3211-5 résulte, comme toute la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, d'une ordonnance du 21 avril 2006. On ne dispose donc pas de travaux préparatoires pour rechercher « l'intention du législateur ». Et, par ailleurs, on ne trouve pas de jurisprudence en la matière. Le service France Domaine a simplement choisi de retenir l'interprétation qui facilitait sa gestion.

La troisième condition posée par l'article L. 3211-5, relative au caractère déficitaire de l'exploitation forestière, pour sa part, a été considérée par France Domaine, dans la « fiche technique » précitée de janvier 2010, comme « sans objet au cas particulier » de l'hippodrome du Putois, du fait de l'absence d'exploitation forestière sur ce terrain. Pourtant, les trois conditions de l'article L. 3211-5 sont rédigées sans ambiguïté comme cumulatives : on ne voit donc pas comment l'une d'entre elle pourrait être « sans objet » et, si elle n'est pas remplie, tenue pour caduque !

C'est donc en forçant sensiblement l'interprétation que les services du ministère du budget ont pu se fonder sur le code général de la propriété des personnes publiques pour faire l'économie d'une autorisation législative à la cession de l'hippodrome.

La deuxième question de procédure qui se pose tient au choix de recourir à une procédure de cession de gré à gré, par préférence à un appel d'offres, et donc sans placer la Société des courses de Compiègne en situation de concurrence avec d'autres éventuels candidats à l'acquisition de l'hippodrome. La légalité de cette option est plus solide que celle de la précédente.

En la matière, en effet, le ministère du budget s'est appuyé sur les dispositions de l'article R. 129-5 du code du domaine de l'Etat, qui permettent de recourir à une cession à l'amiable, notamment, « lorsque les conditions particulières d'utilisation de l'immeuble le justifient ». À la vérité, le caractère fort vague de cette formulation laisse à l'administration une grande latitude d'appréciation pour mettre en oeuvre la procédure de gré à gré...

Ici, pouvaient justifier de recourir à cette procédure dérogatoire :

- d'une part, la situation du terrain, qui est enclavé, situé en lisière de la forêt et classé, par le plan local d'urbanisme de Compiègne, dans une zone qui correspond à des sites susceptibles d'accueillir des activités de loisir et de tourisme, dont les activités équestres ;

- d'autre part, l'utilisation actuelle de ce terrain, à la fois hippodrome et golf ;

- enfin, la circonstance que la Société des courses de Compiègne bénéficiait de l'autorisation d'occuper le site jusqu'à la fin 2021.

Néanmoins, l'opportunité de ce choix reste discutable.

D'abord, rien n'assure que d'autres investisseurs ne seraient pas entrés en lice à la faveur d'un appel d'offres. Ils auraient pu décider de parier sur le moyen terme après 2021 au vu de la situation prestigieuse du bien mis en vente, situé entre la ville et la forêt de Compiègne et jouxtant le parc du château.

Surtout, le recours à la procédure de droit commun des ventes immobilières de l'Etat aurait évidemment constitué « un puissant facteur de clarification et de transparence de l'opération », suivant les termes d'une « note blanche » adressée au cabinet du ministre du budget, le 16 mars 2010 - soit la veille de la signature de l'acte de vente de l'hippodrome -, par Philippe Dumas et Yves Bonnet, membres de la commission pour la transparence et la qualité des cessions du domaine immobilier de l'Etat. Même si cet appel d'offres n'avait débouché que sur la candidature de la Société des courses de Compiègne et une proposition de prix d'un niveau inférieur à l'évaluation domaniale de l'hippodrome, et quitte à procéder de gré à gré après cette consultation infructueuse, l'incontestabilité de la vente s'en fût trouvée mieux garantie.

La troisième série des constatations auxquelles je suis parvenue a trait, précisément, au prix de cette vente. Il est frappant que, dans les échanges pourtant vifs qui ont eu lieu entre le ministère de l'agriculture et celui du budget au sujet de cette cession, jamais le niveau du prix demandé à l'acquéreur n'a été en cause. En dernière analyse, le prix conclu ne semble excessif ni dans un sens, ni dans l'autre ; son montant reflète sans doute la valeur réelle de l'hippodrome du Putois, pour le peu d'éléments de comparaison dont on dispose sur le marché. Cependant, il a été déterminé par une évaluation de France Domaine dont la méthode s'avère, pour le moins, discutable et qui, de fait, le rend sujet à débat malgré tout.

En effet, le service déconcentré de France Domaine dans l'Oise, lorsqu'il a dû procéder à l'évaluation de l'hippodrome du Putois, en juillet 2009, pour donner à son administration centrale l'« ordre de grandeur » que celle-ci demandait, s'est heurté à l'absence de précédent : la cession d'un hippodrome est une rareté... L'agent évaluateur ne disposait donc pas de prix de marché de référence. Aussi, pour fonder son évaluation, il a utilisé les données du marché des terrains de golf en Île-de-France, ou à proximité : dans l'Ain, l'Oise, la Seine-et-Marne, le Val d'Oise et les Yvelines, sur les vingt années précédentes. Il a effectué une moyenne arithmétique des prix enregistrés, parvenant ainsi à un prix moyen du mètre carré de 4,5 euros. En appliquant ce prix moyen à la surface de l'hippodrome (57,1 hectares), il est parvenu à une estimation de la valeur du bien de près de 2,57 millions d'euros, somme qu'il a « arrondie » à 2,5 millions.

Cette méthode prête à plusieurs critiques.

En premier lieu, comme je l'ai dit, l'évaluateur a été contraint de se fonder sur des éléments de comparaison approximatifs : les précédents relevés sur le marché des golfs, faute de marché actif pour les hippodromes.

En deuxième lieu, pour déterminer un prix moyen du mètre carré, cet évaluateur a intégré dans son calcul, sans aucune mesure de pondération, des terrains très divers  sur certains se trouvaient des hôtels, pas sur les autres ; des dates de vente étalées dans le temps sur la période d'une vingtaine d'années, pendant laquelle les prix ont naturellement évolué ; et des circonstances de vente très diverses les ventes recensées ont souvent été négociées entre des particuliers, mais des cessions entre collectivités publiques figuraient aussi dans la liste. Les prix relevés, de fait, s'échelonnaient d'un euro du mètre carré (à Lésigny, en Seine-et-Marne, en 1997), à 7,8 euros du mètre carré (au Tremblay-sur-Mauldre, dans les Yvelines, en 2000).

Il est vrai que la demande adressée à l'évaluateur par son administration centrale était celle d'un « ordre de grandeur » seulement. Toutefois, c'est cet « ordre de grandeur » qui, en octobre 2009, est devenu le prix exact demandé par le ministère du budget à la Société des courses de Compiègne, pour l'acquisition de l'hippodrome.

En dernier lieu, il faut noter que l'évaluateur, expressément, n'a estimé que la valeur du terrain d'assiette de l'hippodrome du Putois, et non celle des bâtiments qui s'y trouvent. France Domaine justifie cette option en faisant valoir que ces bâtiments, à la date de l'évaluation, constituaient la propriété de la Société des courses de Compiègne, non celle de l'Etat. Cependant, je relève que la convention d'occupation de 2003, révisée en 2006, qui liait l'Etat et l'association, ne conférant à cette dernière qu'une autorisation précaire et révocable, prévoyait que, si elle devait se trouver résiliée, le bâti devenait propriété de l'Etat.

Somme toute, on peut juger que cette évaluation n'a pas conduit à un prix lésant les intérêts patrimoniaux de l'Etat : ce prix doit correspondre, peu ou prou, à la valeur de l'hippodrome, si l'on considère, non seulement la moyenne précitée du prix de vente de terrains de golf en Île-de-France et à proximité, mais encore que le montant de 2,5 millions d'euros représentait plus de cinquante années de la redevance (43 300 euros en 2009) exigée de la Société des courses de Compiègne pour occuper le site. Il reste que la méthode de l'évaluation, prêtant à discussion, rend le prix ainsi déterminé sujet à caution lui-même. Aussi, il est regrettable que France Domaine n'ait pas sollicité l'avis d'un consultant extérieur, professionnel de l'immobilier, comme cela était pourtant possible au service.

Un aliment supplémentaire de la suspicion touchant le caractère « juste » du prix tient au fait que la clause d'affectation du terrain, pendant cinquante ans, à l'usage exclusif d'hippodrome et de golf, a été insérée dans l'acte de vente, en mars 2010, sans influencer ce prix. En effet, l'évaluation du bien a été pratiquée par le service local de France Domaine en juillet 2009, c'est-à-dire à une époque où l'idée d'une telle clause n'avait pas même été esquissée. Cette clause, qui aurait logiquement dû peser à la baisse sur le prix, a donc été fixée postérieurement à ce dernier, et est restée parfaitement indifférente à sa formation. Je ne peux que m'en étonner.

L'ensemble de ces constatations étant posé, des leçons de portée générale me paraissent devoir être tirées de la cession de l'hippodrome de Compiègne.

Les premières concernent les aspects juridiques des cessions immobilières de l'Etat. Sous cet angle, à mes yeux, le dossier appelle l'attention sur deux points.

D'abord, il s'agit de la nécessité d'améliorer les textes relatifs à certaines cessions domaniales.

En premier lieu, il est manifestement besoin de clarifier la rédaction de l'article L. 3211-5 du code général de la propriété des personnes publiques, qui concerne les cessions de forêts domaniales, quant aux conditions permettant de procéder à une vente de celles-ci sans recourir à la loi. Il serait opportun, en particulier, de rédiger sans ambiguïté la condition relative à la contenance de 150 hectares des forêts en cause : il conviendrait de préciser que cette référence est à appliquer au massif forestier dans lequel se situe la parcelle considérée pour une vente, et non à cette parcelle elle-même ; sans quoi, en théorie, l'administration pourrait librement « dépecer » les forêts domaniales, en les vendant par morceaux ! Cette interprétation, du reste, ne ferait que confirmer l'état de la législation antérieur à l'ordonnance du 21 avril 2006, que j'ai mentionnée : la rédaction de l'ancien article L. 62 du code du domaine de l'Etat était plus claire que le droit en vigueur.

En second lieu, il me semble également opportun de réfléchir au renforcement du fondement juridique de la procédure d'échange de terrains forestiers, que l'ONF pratique, certes, couramment, comme je l'ai relevé, mais sur une base légale de portée générale - l'article R. 78 du code du domaine de l'Etat. Or ce point pourrait être discuté.

Par ailleurs, les circonstances de la cession de l'hippodrome de Compiègne font apparaître l'utilité qu'il y aurait à envisager une définition plus stricte, dans le code du domaine de l'Etat, des cas dans lesquels il peut être procédé à une cession de gré à gré, sans mise en concurrence, de biens domaniaux. L'hypothèse légale qui a été mise en oeuvre en l'espèce - la cession à l'amiable « lorsque les conditions particulières d'utilisation de l'immeuble le justifient » - paraît, en effet, rédigée de manière bien trop floue pour servir de garde-fou aux tentations de facilité ou aux risques de négligence de l'administration.

Le second point que je veux évoquer en ce qui concerne le droit tient à l'opportunité qu'il y aurait, je pense, de procéder à une expertise juridique spécifique pour certains des immeubles que l'Etat entend vendre. Dans mon esprit, cette préconisation vise notamment la liste de 1 700 biens immobiliers associée au plan pluriannuel de cessions que le ministère du budget a rendu public en juin 2010. Il serait judicieux que, parmi ces immeubles, le service France Domaine identifie les cas potentiellement difficiles ou délicats, eu égard à la nature ou à la situation particulière des biens, de sorte que le Gouvernement, au besoin, demande l'avis du Conseil d'Etat sur le régime applicable pour la cession.

Une telle consultation aurait été fort bienvenue dans le cas de l'hippodrome de Compiègne... Elle serait encore utile, notamment, pour les maisons forestières, nombreuses, que l'ONF a mises sur le marché et dont France Domaine est chargé d'organiser la vente. Ces immeubles, en effet, se trouvent souvent enclavés au sein des forêts domaniales, ou implantées à leur lisière. De fait, le directeur départemental des finances publiques de l'Oise, Jean Paraf (qui n'était pas en fonction lors de la vente de l'hippodrome), m'a indiqué sa décision de « geler » les procédures de cession en cours des maisons forestières du département, dans l'attente d'un éclaircissement de leur situation juridique.

D'une manière générale, le recours à cette expertise juridique mettrait le service France Domaine en mesure de donner suite, dans les conditions de fiabilité qui conviennent, aux annonces ambitieuses de la communication gouvernementale relative à la politique de cessions immobilières de l'Etat.

Une seconde série d'enseignements à retenir de la vente de l'hippodrome de Compiègne se rapporte aux enjeux patrimoniaux de l'Etat propriétaire.

Sous cet aspect, d'abord, dans la mesure où la méthode d'évaluation mise en oeuvre dans le dossier s'avère, comme je l'ai développé, critiquable, le cas illustre à nouveau, me semble-t-il, le besoin de professionnalisation du service France Domaine. Cet impératif a été maintes fois noté déjà. Je crois d'ailleurs que, si les évaluations domaniales bénéficiaient, en général, d'une meilleure réputation de fiabilité, celle de l'hippodrome du Putois n'aurait pas été aussi fortement suspectée.

On peut s'étonner que France Domaine n'ait pas fait appel, en l'occurrence, à une expertise privée, laquelle aurait permis de corriger ou de conforter celle du service. Ce n'était peut-être pas indispensable pour fournir un « ordre de grandeur », dans un premier temps ; mais cela paraissait fort recommandable dès lors que le ministère du budget s'apprêtait à retenir cette donnée pour le montant du prix demandé à la Société des courses de Compiègne. Deux avis ne valaient-ils pas mieux qu'un ; ou fallait-il aller si vite ?

Je m'étonne également que la procédure d'un échange de terrains ait été d'emblée évacuée, dans cette opération, malgré les propositions constantes du ministère de l'agriculture en ce sens, et la pratique habituelle de l'ONF. Le ministère du budget, comme je l'ai indiqué, ne s'est rallié à cette solution qu'in fine, par le truchement de l'affectation des produits, afin de vider la querelle interministérielle. Le chef du service France Domaine, Daniel Dubost, que j'ai interrogé sur ce point, m'a fait cette réponse, écrite : « Je n'ai pas d'explications. »

La seule méconnaissance par France Domaine des règles appliquées par l'ONF était-elle en cause, dans cette organisation de la cession de l'hippodrome de Compiègne ? Ce déficit d'information du service, dont l'administration centrale ne s'est en effet dotée que récemment des compétences humaines en matière de domaine forestier, était-il dû à une insuffisance d'échanges avec l'ONF ? En tout état de cause, eu égard au « bricolage » juridique pour lequel je tiens la procédure qui a été suivie, j'estime qu'on s'est trouvé, en l'espèce, à la limite du dysfonctionnement administratif.

D'autre part, et pour conclure, je pense que la clause d'affectation exclusive qui a été insérée dans l'acte de vente de l'hippodrome devrait être mise en pratique de façon systématique, par France Domaine, en tant que de besoin en fonction d'une analyse du contexte de chaque vente et de la nature du bien à céder.

La malheureuse affaire de l'immeuble de l'Imprimerie nationale, dénouée en 2007, a entraîné, depuis lors, l'introduction systématique d'une clause de complément de prix dans les conventions de cessions immobilières de l'Etat d'une certaine importance... De même, le cas de l'hippodrome de Compiègne serait le point de départ d'une généralisation de cette « garantie d'affectation », pour les ventes où elle apparaîtrait opportune - sans oublier certaines locations de longue durée, quand il y aura lieu : l'application est évidente, aujourd'hui, en ce qui concerne l'Hôtel de la Marine.

M. Jean Arthuis , président . Je remercie, au nom de la commission, la rapporteure spéciale, pour son investissement important dans ce contrôle et, en particulier, pour son analyse très fine des aspects juridiques du dossier.

En somme, ce qui a brouillé la vision, dans cette affaire, c'est la controverse interne à l'administration sur la nature de « bien forestier » de l'hippodrome...

Mme Nicole Bricq , rapporteure spéciale .  C'est surtout l'absence de questionnement des services sur l'appartenance de l'immeuble au domaine public !

M. Jean Arthuis , président .  Par ailleurs, il n'existait pas de marché des hippodromes qui puisse servir de repère pour la fixation du prix, vous l'avez souligné, mais l'hippodrome de Compiègne, à l'évidence, n'a pas été « bradé » pour autant. En outre, la clause d'affectation exclusive, pendant cinquante ans, aménagée dans l'acte de vente, constitue la garantie d'un retour à l'Etat pour le cas où la destination du terrain à l'usage d'hippodrome ne serait pas respectée.

M. Philippe Marini , rapporteur général .  Je souhaite apporter quelques éléments complémentaires aux analyses de la rapporteure spéciale.

Tout d'abord, la nature du terrain de l'hippodrome du Putois doit être bien comprise. Historiquement, cette zone de passage entre la ville et la forêt de Compiègne était un champ de manoeuvre. L'hippodrome s'y est installé dans les années 1890. On ne sait exactement à quelle époque le site s'est trouvé intégré à la gestion forestière de l'Etat ; sans doute l'ancien service des « eaux et forêts » en a-t-il été chargé parce que ce terrain, en lisière de la forêt, a suivi à titre accessoire le régime appliqué à celle-ci. Mais, in situ, on se rend bien compte, comme Mme Bricq l'a fait, que cet espace ne présente pas véritablement le caractère d'une forêt.

Si, malgré cette réalité observable, on retient pour l'hippodrome la qualification juridique de dépendance forestière, il est certain que la formule de mutation la plus courante aurait été l'échange entre terrains. C'est, en effet, une procédure très fréquemment mise en oeuvre par l'ONF ; elle permet la réalisation en zone boisée, par exemple, d'équipements publics ou d'aménagements routiers. À Compiègne, les entrées de ville n'ont pu se développer que de cette manière. Dans l'affaire en cause, l'Etat aurait assurément pu recourir à un tel échange. Toutefois, comme l'a noté la rapporteure spéciale, l'affectation des produits de la vente à l'acquisition de terrains forestiers constitue un équivalent économique.

En ce qui concerne la rapidité d'exécution de cette cession pour autant que l'on puisse considérer comme rapide, pour l'administration, une réalisation en sept ou neuf mois , je crois qu'il faut relativiser le jugement qui a été porté. En effet, les premières demandes d'acquisition de la Société des courses de Compiègne remontaient aux années 2000 et 2001 : quand, en 2009, l'association a formulé à nouveau son intention d'achat, le travail de préparation de la vente avait été « mâché » depuis longtemps par les services.

Deux mots sur la méthode d'évaluation de l'hippodrome. France Domaine, ici, a procédé par rapprochement avec le marché des golfs ; c'était l'élément de comparaison le plus proche. Mais, au fond, les évaluations domaniales ne sont jamais réalisées d'une autre manière. Le niveau du prix auquel la vente s'est conclue a bien été étayé, ni plus ni moins que pour beaucoup d'autres immeubles cédés par l'Etat ou les collectivités territoriales. Quant à l'absence de prise en compte du bâti dans l'estimation, je relève que les constructions qui se trouvent actuellement sur le terrain de l'hippodrome n'ont bénéficié, à ma connaissance, d'aucun concours financier public : c'est la Société des courses qui a effectué l'investissement correspondant, pour des montants d'ailleurs significatifs.

Enfin, il me semble qu'il faudrait être un peu plus attentif que la rapporteure spéciale à la situation de l'hippodrome du Putois au regard du droit de l'urbanisme. En effet, cette situation, très contrainte et très stable à la fois, notamment le caractère inconstructible du terrain, n'était pas de nature à susciter, pour l'acquisition, d'autres candidats que la Société des courses. Une surenchère, pour cet immeuble, n'aurait pu se fonder que sur des intentions de spéculation foncière, dans l'hypothèse d'une évolution des règles d'urbanisme ; et ce n'est tout de même pas ce type de comportement que l'Etat doit favoriser, lorsqu'il cède des éléments de son patrimoine. Au vrai, pour cet achat, on ne pouvait pas attendre de propositions crédibles, alternatives à celle de la Société des courses.

Cela dit, il y a bien sûr des leçons de portée générale à tirer de cette opération, comme l'a justement fait la rapporteure spéciale. De ce point de vue, je tiens sa communication à notre commission pour tout à fait utile.

Mme Nicole Bricq , rapporteure spéciale . J'ai bien indiqué que le terrain exploité par la Société des courses de Compiègne depuis la fin du XIX e siècle constitue un ancien champ de manoeuvre, et qu'il ne présente pas les caractéristiques d'une forêt.

Je précise, d'ailleurs, que la Société des courses, dans un premier temps, a été sous-locataire de la ville de Compiègne, elle-même locataire direct de l'Etat. Ce n'est qu'à compter des années 1910 je n'ai pas trouvé la date exacte que l'association est devenue directement locataire de l'Etat, et de l'ONF à partir de la création de cet établissement, en 1966, sur le fondement des conventions d'occupations que j'ai évoquées.

Pour ce qui concerne la célérité avec laquelle le ministère du budget a conduit cette cession, je n'ai rien à retrancher à mon propos. Le travail des services n'était pas réellement « mâché », en 2009, car jusqu'alors il avait été question d'un échange de terrains, et non d'une vente.

Par ailleurs, je maintiens que si cette vente avait été organisée sur la base d'un appel d'offres, et non en procédant de gré à gré, l'Etat se serait épargné les contestations auxquelles on assiste...

M. Philippe Marini , rapporteur général .  Mais, en suivant une procédure d'appel d'offres, l'administration aurait peut-être dû accepter un prix moins élevé que celui qui a été fixé de gré à gré. Cette solution était potentiellement moins protectrice des intérêts patrimoniaux de l'Etat !

Mme Nicole Bricq , rapporteure spéciale . Le problème, en la matière, tient au passage de « l'ordre de grandeur » de la valeur de l'hippodrome, tel qu'il a résulté de l'estimation de France Domaine, au prix demandé par le ministère du budget pour céder l'immeuble.

En ce qui concerne la non-prise en compte du bâti dans cette évaluation, je persiste à la juger critiquable, dès l'instant que les bâtiments devaient revenir à la propriété de l'Etat, en cas de résiliation de l'autorisation d'occuper le site. Néanmoins, le Rapporteur général a raison de faire valoir que la Société des courses avait réalisé d'importants investissements. Les travaux ont été commandés, notamment, par l'affiliation de l'hippodrome de Compiègne au Pari mutuel urbain (PMU), et financés grâce à celui-ci.

M. Jean Arthuis , président . Dans la mesure où la ville de Compiègne reçoit une indemnisation, au titre de l'ouverture à la concurrence du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, à hauteur de 0,5 million d'euros par an, je pense qu'il n'y a guère de risque d'une évolution des règles d'urbanisme qui permettrait de « dénaturer » l'hippodrome !

M. Philippe Marini , rapporteur général .  En effet !

M. Charles Guené . Je tiens à féliciter la rapporteure spéciale pour l'approfondissement des analyses juridiques qu'elle nous a exposées, qui contribuent utilement à dissiper le côté « sulfureux » de ce dossier. Il me semble qu'il y aurait une investigation à mener sur les grands opérateurs de l'Etat spécialisés dans la gestion du patrimoine immobilier de celui-ci, notamment l'ONF et Voies navigables de France (VNF).

M. Jean Arthuis , président . Il reste, à présent, à décider quelles suites la commission entend donner à la communication de Mme Bricq.

M. Philippe Marini , rapporteur général .  Si un rapport devait être publié, il me semble qu'il faudrait en mesurer les termes. En particulier, je ne crois pas que l'on puisse employer, à propos de la procédure suivie pour cette cession, le mot « bricolage ».

Mme Nicole Bricq , rapporteure spéciale .  C'est pourtant bien de cela qu'il s'est agi ! Il est dans l'intérêt même de l'Etat de le faire savoir.

M. Philippe Marini , rapporteur général .  Il est certain, en tout cas, que le ministre du budget de l'époque, aujourd'hui mis en cause, ne pouvait mesurer la complexité juridique de l'opération.

Mme Nicole Bricq , rapporteure spéciale .  Peut-être. D'autant que, manifestement, ce sont les cabinets ministériels, plus que les ministres, qui, dans cette affaire, ont été à l'oeuvre.

M. Jean Arthuis , président . Retenons, en synthèse, que la procédure choisie pour la cession de l'hippodrome de Compiègne était discutable, mais que cette opération n'a pas lésé les intérêts de l'Etat.

La commission a alors donné acte à la rapporteure spéciale de sa communication .

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