II. DES DÉCISIONS DIFFICILES

Compte tenu de la pression sur nos budgets militaires et des choix capacitaires douloureux impliqués par un engagement dans la DAMB, le débat sur l'antagonisme entre DAMB et dissuasion a peut être servi de simple prétexte pour pratiquer une politique de l'autruche . Et c'est en réalité pour éviter de présenter ce dilemme et plus encore de l'affronter que le passage de la France du refus à l'acceptation de la DAMB s'est fait de la façon la plus discrète possible, par inflexions successives.

Une première inflexion a été marquée par le président Jacques Chirac, dans son discours de l'Île Longue le 19 janvier 2006 .

Une seconde inflexion a été marquée par le président Nicolas Sarkozy le 21 mars 2008 lors du discours de Cherbourg.

Mais la véritable décision a été rendue publique par un communiqué de presse du 15 octobre 2010 , par lequel la Présidence de la République a fait connaître : « le soutien de principe de la France à la nouvelle approche de la défense antimissile proposée par le Président des Etats-Unis d'Amérique et actuellement débattue à l'OTAN ».

Les conditions de l'adhésion de la France, posées par le Président de la République, étaient les suivantes :

- un projet réaliste ;

- adapté à l'évolution de la menace balistique que font peser certains programmes au Moyen-Orient ;

- accompagné d'un dialogue avec la Russie en vue d'une coopération ;

- un programme qui soit un complément et non pas un substitut à la dissuasion.

C'est donc en définitive par simple communiqué de presse que les Français ont appris l'approbation de leur pays à cette initiative.

Certes rien n'empêchait le Parlement de se saisir de cette question.

Pour ce qui est de l'Assemblée nationale, outre le rapport précité de mars 2001 sur les projets américains de défense antimissile, une « étude sur la défense anti-missile balistique » a été réalisée par le « cercle interparlementaire d'études air-espace de défense et le cercle interparlementaire d'étude naval de défense » a bien été réalisé sous la direction des députés Christophe Guilloteau, Francis Hillmeyer et Gilbert le Bris en 2010. Mais ce rapport n'émane pas d'un rapporteur désigné par une commission et n'engage donc pas formellement l'Assemblée nationale, même s'il a été présenté à la commission de la défense nationale et des forces armées le 5 mai 2010.

S'agissant du Sénat , outre les rapports précités de 2000 et 2002, votre commission a organisé à l'été 2010 un cycle d'auditions approfondi dans la perspective du Sommet de Lisbonne. Le rapport du président Josselin de Rohan de novembre 2010 clôt ce cycle d'auditions et définit les conditions d'un engagement de la France :

- réaffirmer clairement le rôle central de la dissuasion nucléaire dans la protection des territoires et des populations, contre la menace balistique ;

- encourager l'association de la Russie à la mise en place d'une telle défense, afin d'en faire un domaine de coopération et non de confrontation entre l'OTAN et la Russie ;

- veiller à ce que les conditions du raccordement de nos propres moyens nationaux au système de commandement et de contrôle (C2) et l'élaboration des règles d'engagement tiennent compte de nos impératifs nationaux ;

- insister pour que les ambitions assignées à la DAMB demeurent réalistes et financièrement maitrisables.

Votre commission avait également souligné la nécessité d'accentuer notre investissement et celle de travailler à une réponse spécifiquement européenne.

Afin de donner plus d'échos à ses propositions et d'entendre les positions du gouvernement, le Sénat a organisé un débat d'orientation sur la défense antimissile balistique en séance publique le 9 décembre 2010 23 ( * ) .

Enfin, votre commission a souhaité mandater une mission d'information dont le présent rapport est le résultat.

Au terme de six mois d'études et d'investigations, vos rapporteurs concluent que :

Premièrement, la décision de Lisbonne de doter l'OTAN d'une capacité de défense antimissile balistiques des territoires et des populations est un objectif ambitieux, mais qui laisse, aujourd'hui, de nombreuses questions en suspens. L'offre américaine assure-t-elle une défense effective du territoire européen contre les missiles balistiques ou est-elle destinée prioritairement à protéger le territoire des Etats-Unis ? L'OTAN peut-elle maîtriser le commandement d'un système essentiellement constitué de moyens américains ? La DAMB sera-t-elle un sujet de coopération ou de confrontation avec la Russie ?

Deuxièmement, face à cet objectif, les nations européennes semblent dans l'ensemble peu motivées et peu impliquées. La France pour sa part affronte un dilemme : abdiquer ce qui lui reste d'autonomie stratégique ou apporter une contribution substantielle au prix d'un effort budgétaire conséquent et au risque de sacrifier d'autres programmes et d'autres priorités militaires.

Troisièmement, dans l'intérêt de notre pays, ce dilemme doit être tranché le plus rapidement possible de façon publique afin que chacun puisse se faire son opinion des causes et des effets.

* *


*


* 23 Voir compte rendu intégral des débats de la séance publique du 9 décembre 2010 sur : http://www.senat.fr/seances/s201012/s20101209/s20101209008.html

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