B. LA TENTATION D'UNE IMPLICATION A MINIMA

Comme on l'a déjà indiqué, la proposition d'approche adaptative phasée pour l'Europe, articulée sur des systèmes déjà en service apportés par les Etats-Unis et positionnés au plus près de la menace potentielle, a fait franchir un pas décisif aux discussions en cours à l'OTAN depuis 2002 sur le principe d'une défense antimissile des territoires et des populations des pays européens de l'Alliance.

Cette décision politique comporte à ce stade, pour les Etats membres, des engagements limités.

L'OTAN devra réaliser de nouveaux développements en matière de commandement et de contrôle (extension du programme ALTBMD). La décision programmatique, de l'ordre de 200 millions d'euros, devra être approuvée par les nations en 2013.

Quant aux moyens nécessaires à l'architecture d'une future défense antimissile des territoires, rien dans la décision de Lisbonne ne contraint les nations à les réaliser et à les financer. Elles feront l'objet de contributions nationales volontaires. Et les Etats-Unis ont annoncé une contribution nationale qui à elle seule doit permettre de donner corps à l'objectif fixé à Lisbonne.

Il faut rappeler qu'à l'OTAN, toute décision se prend sur la base de l'unanimité.

Ainsi, il est tout à fait possible pour la France de ne pas s'engager au-delà du financement en commun des fonctionnalités nouvelles requises pour le commandement et le contrôle (C2) . De surcroît, son accord sera requis, comme celui des toutes les autres nations, avant de lancer ce programme qui devra être approuvé par le Conseil de l'Atlantique Nord en 2013.

Se limiter au financement du C2, soit environ 12 % d'une dépense évaluée à 200 millions d'euros sur dix ans, constituerait pour la France une implication a minima .

La France n'a pas identifié la menace balistique sur son territoire national comme une priorité. Elle dispose d'une capacité de dissuasion, mais aussi de possibilités de rétorsion conventionnelle. Dès lors, ne faut-il pas préserver nos ressources financières pour satisfaire les autres besoins d'équipement ?

Cette option mérite d'être évoquée.

1. Quel besoin militaire et quelle efficacité ?

La menace balistique à laquelle la France s'estime aujourd'hui confrontée relève des missiles à courte portée qui pourraient atteindre ses forces déployées en opération ou sur des bases permanentes. Ce besoin militaire est pris en compte par le développement de capacités de défense antimissile de théâtre. Avec le programme SAMP/T, la France doit étendre sa défense sol-air à la menace des missiles à courte puis à moyenne portée. Son intérêt commande également de mener à bien le programme ALTBMD de l'OTAN, afin de rendre ses capacités interopérables avec celles des alliés et de tirer le bénéfice, en opérations, de l'intégration des différents moyens apportés par les nations.

Une menace sur le territoire national n'est envisagée qu'à plus long terme, en fonction du rythme de progression des programmes balistiques des pays susceptibles d'entrer en conflit avec la France ou ses alliés.

Une attaque balistique sur le territoire national impliquerait très certainement une charge nucléaire ou chimique, voire biologique, afin d'en maximiser les effets. On ne peut toutefois exclure qu'elle s'effectue avec des charges conventionnelles si un objectif psychologique et politique était privilégié. Dans les deux cas, elle serait d'une autre nature qu'une frappe visant nos forces sur un théâtre d'opérations.

Pour la France, ce type d'attaque relève d'abord de la stratégie de dissuasion. Notre pays s'estime à l'abri de toute attaque balistique à l'aide de missiles de type ICBM ou MRBM, car dans ce schéma, l'assaillant serait certain d'essuyer une riposte nucléaire. La DAMB semble donc inutile. Elle ne devient intéressante militairement pour nous que dans deux cas de figure : une attaque balistique de niveau moindre (SRBM) sur nos forces déployées afin de nous envoyer un signal ou nous empêcher de participer à une action militaire d'entrée en premier ; une attaque balistique de niveau importante (ICBM), dans le cadre d'une décision irrationnelle (dissuasion du fou au fort). En clair, seule la DAMB de théâtre présente un intérêt certain.

Les autres pays européens de l'OTAN, Royaume-Uni excepté, se trouvent, de ce point de vue, dans une situation différente de la nôtre. Certes, ils bénéficient de la garantie nucléaire américaine. La présence d'armes nucléaires tactiques américaines en Europe en est un signe visible, bien que la question du maintien et du renouvellement de ces armes soit aujourd'hui posée. En tout état de cause, ces pays européens peuvent légitimement se demander dans quelle mesure cette garantie des Etats-Unis est suffisamment certaine pour dissuader toute agression contre leur territoire.

La France dispose également de capacités de rétorsion conventionnelles, notamment de frappe à longue distance (missiles de croisière), plus développées que la plupart des autres pays européens. Elle dispose également d'un porte-avions qui permet une projection de puissance non négligeable, même si elle n'est pas aujourd'hui permanente.

Tous ces éléments relativisent le besoin militaire d'un système de défense contre les missiles à longue portée, d'autant qu'il ne garantirait pas une protection à 100 %.

Le degré d'efficacité d'une défense contre les missiles à longue portée reste en effet à démontrer. Sans doute les investissements considérables réalisés depuis des années par les Etats-Unis se traduisent-ils par une réelle amélioration des performances. Toutefois, il est difficile d'apprécier les taux de réussite affichés pour les différents essais, car ils dépendent évidemment des conditions dans lesquelles ces essais ont été réalisés et de la part prise par des paramètres préétablis. Une chose est d'intercepter une cible dont les caractéristiques sont connues et dont la mise en oeuvre obéit à un scénario relativement simple. Une autre est de parvenir au même résultat sur un missile produit par un Etat hostile et intégrant des capacités de leurrage, même limitées.

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