4. Une transparence accrue des fonctions d'investigation et de répression
a) Une plus grande formalisation du cadre des enquêtes et contrôles

Le déroulement des contrôles et enquêtes et les droits et obligations y afférents des parties constituent une question sensible pour les opérateurs. Ces derniers aspirent à la prévisibilité et à la transparence de la procédure, à avoir accès aux pièces du dossier lors d'une enquête, à connaître précisément l'étendue des pouvoirs des contrôleurs et enquêteurs, et à faire valoir à tout moment leurs observations. En revanche, la propension naturelle d'un régulateur sectoriel réside dans le secret et, sans aller naturellement jusqu'à l'arbitraire, à maximiser le champ et la profondeur de ses investigations.

L'AMF a été largement confrontée à cette problématique et l'a traitée en deux temps, par la conception et la publication de deux chartes : l'une pour le contrôle sur place, publiée en octobre 2007 et actualisée en février 2008, l'autre relative aux enquêtes, publiée en décembre 2010, en particulier à la suite des recommandations d'un rapport de l'Association des marchés financiers 187 ( * ) . Leur objectif était double :

- faire connaître le cadre juridique des contrôles et enquêtes , en clarifiant les rapports entre les agents compétents de l'AMF et les personnes entrant dans le champ de leur mission ;

- poser des principes de bonne conduite que doivent respecter les agents comme les personnes visées, pour assurer le bon déroulement des contrôles et enquêtes.

Les inspecteurs et enquêteurs se sont ainsi engagés à respecter chaque charte et à la porter à la connaissance de toute personne physique ou morale entrant dans le champ de leurs investigations dès la première prise de contact. Ils doivent agir avec objectivité, neutralité et courtoisie.

S'agissant des enquêtes par exemple, la charte de l'AMF expose successivement :

- l'origine, l'objet, le déroulement et les suites d'une enquête ;

- le cadre juridique applicable : droits et obligations des enquêteurs de l'AMF et des personnes sollicitées 188 ( * ) ;

- les principes de bonne conduite applicables aux enquêteurs 189 ( * ) et le comportement attendu des personnes sollicitées 190 ( * ) ;

- une annexe précise enfin les textes législatifs et réglementaires applicables.

Votre rapporteur estime qu'il serait opportun que l'ARJEL suive cet exemple et conçoive deux chartes, sans attendre d'éventuels litiges initiés par les opérateurs dans le cadre de contrôles sur place ou d'enquêtes.

Proposition 66 : Formaliser, à l'attention des agents de l'ARJEL, des opérateurs et du public, une charte des enquêtes et une charte du contrôle exposant clairement les droits et obligations des personnes qui font l'objet de ces procédures comme les pouvoirs, obligations et principes de bonne conduite des enquêteurs et contrôleurs.

b) Une meilleure transparence de la procédure de sanction
(1) La publication de certaines décisions du collège

La problématique de la transparence du processus d'enquête et de sanction relève d'un subtil compromis : elle est indispensable pour garantir le respect des droits de la défense et assurer la fonction « pédagogique » du régulateur, mais elle est limitée par les exigences de sérénité et d'impartialité de la fonction para-juridictionnelle comme par le secret professionnel, qui est renforcé en matière d'enquête et de sanction.

L'ARJEL fait déjà preuve d'une grande transparence puisque toutes les décisions du collège et de la commission des sanctions sont aisément consultables sur son site Internet. La transparence ne saurait cependant être intégrale à tous les stades de la procédure . En particulier, l'ouverture d'une enquête puis d'une procédure de sanction à l'égard d'un opérateur n'a pas nécessairement vocation à être publiée, comme en témoigne la pratique de l'Autorité des marchés financiers.

En revanche, toute décision du collège ou de la commission des sanctions de nature répressive doit l'être, tant en raison de son caractère privatif de liberté que pour éclairer les parties prenantes sur la doctrine et la jurisprudence du régulateur. Dans un objectif de sécurité juridique , la publication permet aux professionnels de mieux appréhender le contenu des règles qu'ils doivent observer, sur des aspects tels que les éléments constitutifs d'une infraction, les preuves que le régulateur est susceptible de retenir, le faisceau d'indices auquel il recourt le cas échéant, ou son application du principe de proportionnalité des peines.

Les éventuelles mesures conservatoires décidées par le collège, en cas de consécration de la faculté de les prendre ( cf . supra ), comme la mise en oeuvre des procédures civiles de blocage de l'accès aux sites illégaux ou des comptes bancaires d'un opérateur non agréé devraient donc pouvoir être publiées. De même, un éventuel recours administratif du président de l'ARJEL contre une décision de la commission des sanctions - innovation introduite par l'article 44 de la loi - doit être porté à la connaissance du public.

Proposition 67 : Prévoir la publication, sur le site de l'ARJEL, des décisions du collège portant sur d'éventuelles mesures conservatoires ou la mise en oeuvre d'une procédure civile de blocage de l'accès à un site illégal ou de blocage des flux financiers transitant par le compte bancaire d'un opérateur non agréé. Prévoir également la publication de tout recours administratif du président de l'Autorité à l'encontre d'une décision de la commission des sanctions.

(2) La publicité des décisions et séances de la commission des sanctions

Ainsi que cela a été souligné lors des débats parlementaires, la procédure de sanction de l'ARJEL a été en grande partie inspirée de celle de l'AMF. Depuis, la transparence de cette dernière a cependant été renforcée avec la loi de régulation bancaire et financière du 12 octobre 2010, par deux mesures dont votre rapporteur estime que l'ARJEL serait fondée à s'inspirer :

1) Un principe , et non plus simplement une faculté, de publication des décisions de la commission des sanctions. Le VII de l'article 43 de la loi du 12 mai 2010 dispose ainsi que la commission des sanctions de l'ARJEL peut décider la publication de la décision de sanction au Journal officiel et son affichage ou sa diffusion. Le V de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier prévoit, s'agissant de l'AMF, que « la décision de la commission des sanctions est rendue publique dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, dans un format proportionné à la faute commise et à la sanction infligée ». Une exception subsiste néanmoins : la commission des sanctions peut décider de ne pas publier sa décision « lorsque la publication risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause ». Votre rapporteur préconise que ces dispositions soient transposées à l'ARJEL.

De même, le principe de publication du nom de la personne physique ou morale sanctionnée doit prévaloir . Mais dans la mesure où cette publication peut créer un préjudice moral ou réputationnel s'apparentant à une nouvelle sanction 191 ( * ) , le recours à l'anonymisation immédiate doit dans la pratique demeurer possible , en application de la proportionnalité des peines. Le « droit à l'oubli » que prévoit l'article 6 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés 192 ( * ) implique également de recourir à l'anonymisation différée des décisions sur le site Internet de l'ARJEL 193 ( * ) .

2) La seconde mesure consiste en un principe de publicité des séances de la commission des sanctions , assorti d'une exception . L'accès aux audiences serait donc de droit, saufs cas exceptionnels, c'est-à-dire si le président de la commission ou de la formation estime, d'office ou sur la demande d'une personne mise en cause, que la confidentialité s'impose. Il peut alors interdire au public l'accès de la salle pendant tout ou partie de l'audience « dans l'intérêt de l'ordre public, de la sécurité nationale ou lorsque la protection des secrets d'affaires ou de tout autre secret protégé par la loi l'exige ».

Il convient enfin de rappeler qu'à l'instar des juridictions ou de l'AMF, les articles 8 et 9 du décret n° 2010-495 194 ( * ) prévoient la possibilité d'une récusation d'un membre de la commission des sanctions 195 ( * ) . Dans le cas de l'AMF, le principe de cette récusation est cependant de niveau législatif. Le III bis de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, qui avait d'ailleurs été introduit 196 ( * ) à l'initiative de votre commission des finances, dispose ainsi que « dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, la récusation d'un membre de la commission des sanctions est prononcée à la demande de la personne mise en cause s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute l'impartialité de ce membre ».

Votre rapporteur considère, s'agissant de l'ARJEL, que ce principe pourrait être « remonté » au niveau de la loi , les modalités de la récusation demeurant d'ordre réglementaire.

Proposition 68 : Renforcer la transparence de la procédure de sanction par les mesures suivantes, de nature législative :

- faire évoluer la faculté de publication des décisions de sanction vers un principe général, assorti d'une exception résultant d'une perturbation grave du secteur des jeux en ligne ou d'un préjudice disproportionné pour les parties en cause ;

- prévoir un principe de publicité des séances de la commission des sanctions. D'office ou sur la demande d'une personne mise en cause, le président de la formation pourrait toutefois interdire au public l'accès de la salle « dans l'intérêt de l'ordre public, de la sécurité nationale ou lorsque la protection des secrets d'affaires ou de tout autre secret protégé par la loi l'exige » ;

- inscrire dans la loi, plutôt que dans un décret, la faculté de récusation d'un membre de la commission des sanctions.

Enfin, l'anonymisation des décisions devrait dans la pratique être possible soit de manière immédiate, en cas de préjudice disproportionné pour la personne mise en cause, soit de manière différée, en application du « droit à l'oubli » prévu par la législation sur l'informatique, les fichiers et les libertés.

c) Une meilleure prévention des conflits d'intérêt éventuels

Le III de l'article 36 de la loi du 12 mai 2010 dispose que l'ARJEL « détermine dans son règlement intérieur les modalités de prévention des conflits d'intérêts », en particulier pour les membres de son collège. En pratique, ces éléments sont prévus par le chapitre II du règlement général de l'Autorité. En outre, le chapitre III du décret n° 2010-481, précité, précise les conditions d'assermentation, d'habilitation et d'intervention des enquêteurs de l'ARJEL. En revanche, les textes n'explicitent guère les conditions d'expérience professionnelle des enquêteurs, l'article 23 du décret se bornant à faire référence à des agents « disposant des compétences techniques et juridiques nécessaires ».

L'indépendance et la crédibilité de l'ARJEL pourraient cependant être confortées en complétant ce décret par des dispositions plus précises en matière de prévention des conflits d'intérêt et de compétence professionnelle des enquêteurs , à l'instar de ce que prévoient certains articles législatifs et réglementaires du code monétaire et financier pour l'AMF.

Le I de l'article R. 621-33 de ce code dispose ainsi que « nul ne peut être habilité ou désigné pour effectuer une enquête ou un contrôle s'il a fait l'objet de l'une des condamnations mentionnées à l'article L. 500-1 » et que « nul ne peut être désigné pour effectuer une enquête ou un contrôle auprès d'une personne morale au sein de laquelle il a exercé une activité professionnelle au cours des trois années précédentes ». De même, le III de cet article prévoit que « pour être habilitée par le secrétaire général en qualité d'enquêteur, la personne pressentie doit avoir le statut de cadre ou assimilé ou justifier d'une expérience professionnelle de deux ans minimum ».

Proposition 69 : Préciser, dans le décret n° 2010-481, les conditions de prévention des conflits d'intérêt et de compétence professionnelle des enquêteurs de l'ARJEL, en s'inspirant des dispositions réglementaires analogues applicables à l'AMF.


* 187 Rapport sur le pouvoir de sanction de l'AMF, publié le 20 juillet 2009 et intitulé « Quelles évolutions du pouvoir de sanction de l'Autorité des marchés financiers ? Trente propositions d'un groupe de travail de l'Amafi, contribution à la réflexion de place ».

* 188 Les droits des personnes qui font l'objet d'une enquête sont ainsi :

- la vérification de l'identité des enquêteurs ;

- l'information sur l'objet de l'enquête ;

- l'assistance d'un conseil ;

- la constatation des actes d'enquêtes réalisés dans un procès-verbal ;

- l'information et le droit pour les personnes susceptibles d'être mises en cause de répondre avant la conclusion de l'enquête ;

- la constitution du dossier d'enquête ;

- l'information sur les suites de l'enquête.

Leurs obligations sont les suivantes :

- ne pas faire obstacle aux investigations menées ;

- ne pas opposer le secret professionnel aux enquêteurs ;

* 189 Respecter les principes qui gouvernent les actes d'enquête, expliquer le contexte et les actes de l'enquête, se comporter de manière professionnelle, neutre et loyale, et agir avec diligence.

* 190 Répondre aux questions posées par les enquêteurs avec loyauté, coopérer avec les enquêteurs, communiquer les documents, les fichiers et les explications demandés dans des délais raisonnables, et conserver une attitude neutre, professionnelle et courtoise pendant toute la durée de l'enquête.

* 191 Par exemple, à une interdiction de fait d'exercer dans le secteur des jeux.

* 192 Cet article dispose notamment que les données à caractère personnel figurant dans un traitement informatisé « sont conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées ».

* 193 Une décision sur trois de la commission des sanctions de l'AMF a ainsi été au moins partiellement anonymisée en 2008, et une décision sur deux en 2009.

* 194 Décret n° 2010-495 du 14 mai 2010 relatif à la procédure de sanction applicable aux opérateurs agréés de jeux ou de paris en ligne.

* 195 L'article 8 dispose ainsi que « le membre de la commission des sanctions qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s'abstenir ne siège pas ».

L'article 9 dispose notamment que « l'opérateur mis en cause qui souhaite récuser un membre de la commission doit, à peine d'irrecevabilité, en former la demande, s'il s'agit du rapporteur, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision procédant à la désignation de celui-ci, et s'il s'agit d'un membre de la commission appelé à délibérer, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la composition de cette formation ».

* 196 Par l'article 11 de la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier.

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