3. Il manque vraisemblablement 25 milliards d'euros de mesures en 2013-2016

Un premier problème est celui du calibrage de l'effort à réaliser.

Le déficit public prévu pour 2012 est de 4,4 points de PIB, soit environ 90 milliards d'euros.

C'est donc 90 milliards d'euros de mesures qui devront entrer en vigueur en 2013-2016, si l'on veut ramener les finances publiques à l'équilibre en 2016.

a) Pour réduire le déficit public de 90 milliards d'euros en 2013-2016, il faudra prendre des mesures d'un montant équivalent

Il pourrait a priori sembler évident que, pour réduire le déficit de 90 milliards d'euros, il faille prendre des mesures à due concurrence.

Si tel semble effectivement être le cas 49 ( * ) , il ne faut pas perdre de vue la réalité des mécanismes en jeu.

En particulier, quand le Gouvernement indique 74 milliards d'euros de mesures d'économies sur les dépenses en 2011-2016, cela ne signifie pas que le niveau de dépenses doit baisser de ce montant entre 2010 et 2016, mais qu'il augmentera de 74 milliards d'euros de moins que ce qu'aurait été sa tendance « spontanée » (que par ailleurs le Gouvernement se garde d'expliciter).

Si les montants en milliards d'euros sont les plus « parlants », il est en réalité préférable de raisonner en points de PIB.

L'évolution du solde en points de PIB (c'est-à-dire du ratio déficit/PIB) est la somme de deux facteurs :

- l'augmentation du ratio recettes/PIB ;

- la diminution du ratio dépenses/PIB.

(1) Le ratio recettes/PIB devrait rester stable, hors mesures discrétionnaires

On considère habituellement que, lorsque la croissance du PIB est proche de son potentiel (ce que prévoit le présent projet de programme de stabilité), les recettes tendent spontanément à augmenter à la même vitesse que le PIB.

Autrement dit, hors mesures discrétionnaires, le ratio recettes/PIB tend à rester stable.

Le Gouvernement estime cependant que le ratio recettes/PIB tendra spontanément à augmenter, en dehors de toute mesure (y compris celles déjà votées), d'environ 14 milliards d'euros, du fait en particulier du dynamisme de l'impôt sur les sociétés 50 ( * ) .

Cette hypothèse est toutefois peu prudente.

Certes, il est vrai que l'impôt sur les sociétés tend à croître plus rapidement que le PIB en période d'augmentation soutenue des bénéfices des entreprises. Toutefois, si l'hypothèse de croissance du PIB de 2 % retenue par le présent projet de programme de stabilité à compter de 2014 n'est pas irréaliste, les aléas sont orientés à la baisse. Le produit de l'impôt sur les sociétés en 2016 sera par ailleurs dépendant du profil de croissance des bénéfices des entreprises au cours des prochaines années : pour que son produit atteigne un « pic », il faut que les bénéfices des entreprises augmentent fortement l'année considérée, et aient fortement augmenté l'année précédente 51 ( * ) . Rien n'assure que ce sera le cas en 2016.

Par ailleurs, le présent projet de programme de stabilité ne paraît pas prendre en compte certains phénomènes qui, eux, vont jouer en sens inverse. Par exemple, il résulte du jeu combiné de la réforme du crédit d'impôt recherche (CIR) en 2008 et de l'anticipation du versement du CIR dans le cadre du plan de relance que le coût budgétaire du CIR, qui sera bien de l'ordre de 5 milliards d'euros en « régime de croisière », ne devrait être que de 2,3 milliards d'euros en 2012 52 ( * ) . Autrement dit, le coût du CIR devrait augmenter de plus de 2,5 milliards d'euros en 2013-2016 à politiques inchangées.

(2) Le ratio dépenses/PIB devrait également rester stable, hors mesures discrétionnaires

Dans le cas des dépenses, l'évolution du ratio dépenses/PIB dépend, par définition, du taux de croissance relatif des dépenses et du PIB 53 ( * ) .

(a) Une croissance « spontanée » des dépenses de l'ordre de 2 % par an en volume

La croissance « spontanée » des dépenses est, par nature, en partie conventionnelle, et ne peut donc être évaluée avec précision. Elle peut toutefois être évaluée à environ 2 % par an en volume .

Comme on l'a indiqué, les dépenses publiques ont augmenté depuis le début des années 1990 de 2,3 % en moyenne , comme le montre le graphique ci-après.

La croissance des dépenses publiques

(en %)

Inflation : croissance de l'indice des prix à la consommation hors tabac.

Source : Insee (comptes nationaux, sauf 2010 et 2011 : information rapide n° 82 du 30 mars 2012)

• Dans le cas de l'Etat (hors transferts aux autres administrations publiques 54 ( * ) ), l'augmentation « spontanée » peut être évaluée à environ 1,25 % en volume.

En effet, les dépenses de l'Etat correspondent pour près de la moitié à des rémunérations. Or, au niveau de l'ensemble de l'économie, les rémunérations tendent à augmenter à la même vitesse que le PIB (soit de l'ordre de 2 % par an sur longue période, comme en 2013-2016 selon le présent projet de programme de stabilité). Même en faisant l'hypothèse (optimiste) que les autres dépenses sont stables en volume, on parvient à une croissance globale de près de 1 %. Si on retient par ailleurs une hypothèse d'augmentation de la charge de la dette de 1,5 milliard d'euros par an 55 ( * ) , on parvient sur le périmètre concerné (de l'ordre de 300 milliards d'euros) à une augmentation supplémentaire de 0,5 point.

• Dans le cas des administrations de sécurité sociale , la croissance « spontanée » des dépenses est supérieure à la tendance, de l'ordre de 2 % par an en volume, observée de 2008 à 2010, et peut être évaluée à environ 2,25 % (pour une tendance « historique » de 3 %).

En particulier, la croissance « spontanée » de l'ONDAM apparaît supérieure à 4 % par an en valeur 56 ( * ) (soit de l'ordre de 2,25 % en volume). En effet, la santé correspond à ce que les économistes appellent un « bien supérieur », et tend donc à voir les dépenses correspondantes augmenter plus rapidement que le PIB.

De même, on calcule que la croissance spontanée des dépenses de retraite (c'est-à-dire avant réforme des retraites) est évaluée par le Gouvernement à plus de 2 % par an en volume.

Les dépenses d'assurance vieillesse des régimes obligatoires de base : reconstitution du taux de croissance avant réforme

(en %)

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016*****

Moyenne 2013-2016

Dépenses prévues*

188,3

194,1

202,6

210,4

217,5

224,0

230,5

235,7

Economies résultant de la réforme des retraites**

0,0

0,0

1,5

4,8

6,9

8,0

11,0

16,0

Dépenses prévues hors économies***

188,3

194,1

204,1

215,2

224,4

232,0

241,5

251,7

Taux de croissance en valeur (en %)

Taux de croissance avant réforme

3,1

5,2

5,4

4,3

3,4

4,1

4,2

4,0

Taux de croissance après réforme

3,1

4,4

3,8

3,4

3,0

2,9

2,3

2,9

Inflation****

1,5

2,2

1,7

1,75

1,75

1,75

1,75

1,75

Taux de croissance en volume (en %)

Taux de croissance avant réforme

1,6

3,0

3,7

2,5

1,6

2,3

2,5

2,2

Taux de croissance après réforme

1,6

2,2

2,1

1,6

1,2

1,2

0,5

1,1

* LFSS 2012, annexe B (régimes obligatoires de base).

** Présent projet de programme de stabilité.

*** Calculs de la commission des finances.

**** Observée en 2010 ; puis hypothèse d'inflation retenue par la LFSS 2012.

***** Prolongation d'une année par la commission des finances (la LFSS pour 2012 s'interompt en 2015, mais le présent programme de stabilité chiffre les économies en 2016 ; on suppose que la croissance des dépenses avant économies est égale en 2012 à la moyenne des années précédentes, et qu'en 2012 l'inflation est de 1,75 %).

Source : calculs de la commission des finances, d'après les documents indiqués

• Avec une croissance spontanée des dépenses de l'Etat et des administrations de sécurité sociale de l'ordre de respectivement 1,25 % et 2,25 % en volume, les dépenses de l'ensemble doivent (compte tenu de la part de ces catégories d'administrations publiques dans les dépenses totales, de l'ordre de respectivement 30 % et 50 %) augmenter d'environ 2 % par an en volume.

Les administrations publiques locales représentent une part trop faible des dépenses publiques totales (environ 10 %) pour modifier significativement cet ordre de grandeur.

Il faut par ailleurs prendre en compte certaines dépenses que le Gouvernement a « léguées » à la prochaine législature. Ainsi, selon le présent projet de programme de stabilité, les dépenses correspondant aux « investissements d'avenir », quasiment nulles en 2011, devraient atteindre près de 3 milliards d'euros (soit environ 0,25 point de dépenses publiques) en 2015.

(b) Une analyse qui n'est pas remise en cause par la stabilisation des dépenses en volume en 2011

Comme la commission des finances l'a souligné dans son rapport sur le projet de loi de règlement pour 2010, hors facteurs exceptionnels 57 ( * ) , la croissance des dépenses publiques aurait été en 2010 de l'ordre de 1,5 % (et non 0,8 %).

De même, la stabilisation des dépenses publiques en volume en 2011 ne remet pas en cause l'idée que la croissance spontanée des dépenses publiques serait de l'ordre de 2 %.

• Tout d'abord, bien que les données par catégories d'administrations publiques ne soient pas disponibles (elles ne le seront que le 15 mai 2012), il apparaît déjà que la bonne performance de 2011 doit, comme on l'a vu, être relativisée :

- si l'inflation avait été égale à sa moyenne depuis 1990 (1,7 %), les dépenses auraient augmenté en volume de 0,3 point (après prise en compte du surcoût, de 0,1 point de dépenses, des charges d'intérêt correspondant aux obligations indexées) ;

- la bonne performance s'explique pour près de 0,4 point par des livraisons de matériels militaires particulièrement faibles.

Sans ces deux phénomènes, les dépenses publiques auraient augmenté d'environ 0,7 % en volume.

Par ailleurs, cette « bonne performance » provient, on l'a vu, pour 0,1 point du retard des investissements d'avenir .

• Ensuite, la bonne performance de 2011 s'explique notamment par des mesures d'économies : RGPP, gel du point fonction publique et des concours aux collectivités territoriales, réforme des retraites, etc.

Au total, la tendance spontanée d'évolution des dépenses ne semble pas connaître de modification sensible.

(c) L'hypothèse de croissance du PIB retenue par le présent projet de programme de stabilité : près de 2 % en 2013-2016

Or, le présent projet de programme de stabilité prévoit une croissance du PIB légèrement inférieure à 2 % en volume (en moyenne).

Ce taux correspondant à celui de la croissance « spontanée » des dépenses publiques, tel qu'on l'a évalué ci-avant, le ratio dépenses/PIB devrait, hors prise en compte des mesures discrétionnaires, demeurer constant .

Comme on a vu que tel serait également le cas du ratio recettes/PIB, le montant des mesures à prendre en 2013-2016 devrait donc être égal au montant du déficit de 2012, soit environ 90 milliards d'euros .

b) Les 15 milliards d'euros de « charge de la dette évitée » ne réduisent pas d'autant le montant de l'effort nécessaire pour revenir à l'équilibre

• Le tableau précité figurant en page 11 du présent projet de programme de stabilité indique, outre un montant de 115 milliards d'euros de mesures cumulées en 2011-2016, une « charge de la dette évitée » d'environ 15 milliards d'euros, portant le « total des économies, y compris charge de la dette », à 129 milliards d'euros .

En effet, la somme des moindres déficits annuels (22,6 milliards en 2011, 51,5 milliards en 2012, etc.) réduit d'autant la dette en 2016. Compte tenu d'un taux d'intérêt moyen sur la dette de l'ordre de 4 %, les 115 milliards d'euros de mesures réduisent donc le déficit de 15 milliards d'euros supplémentaires, soit (du fait d'arrondis) 129 milliards d'euros au total. C'est ce montant, figurant à l'extrémité de la ligne « total des économies y compris charge de la dette », qui correspond à l'impact total des mesures prévues.

Lors de son audition par la commission des finances le 11 avril 2012 sur le présent projet de programme de stabilité, Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, a indiqué, en réponse à une question de notre collègue Jean Arthuis, que « le chiffre (...) pour expliquer l'écart entre le montant du déficit fin 2011 et celui de l'effort à accomplir pour le faire disparaitre totalement fin 2016 s'obtient en prenant en compte, dans le tableau de la page 11 [du présent projet de programme de stabilité], la charge de la dette évitée ».

Ainsi, si l'on soustrait des 129 milliards d'euros les 23 milliards d'euros d'économies totales (y compris charge de la dette) de 2011, on parvient à des économies totales (y compris charge de la dette) en 2012-2016 de 106 milliards d'euros, ce qui correspond quasiment au déficit constaté en 2011 (103 milliards d'euros).

• Toutefois le raisonnement du Gouvernement est trompeur , et en réalité, la « charge de la dette évitée » ne minore pas l'effort à accomplir pour revenir à l'équilibre .

En effet, l'effort à accomplir en dépenses se mesure par rapport à une tendance, que le Gouvernement ne précise pas mais que l'on estime à 2 % dans le présent rapport. Or, cette tendance porte sur l'évolution de l'ensemble des dépenses publiques quelle que soit leur nature, et prend en compte le fait que les intérêts de la dette sont moins élevés lorsque le déficit diminue. Par conséquent, le montant de l'effort à réaliser ne peut être minoré du moindre montant de la charge de la dette.

Pour dire autrement la même chose, les 15 milliards d'euros indiqués ne sont pas des économies par rapport à une tendance, mais des « non-dépenses supplémentaires » par rapport à cette tendance.

Il en découle que l'écart entre le montant des mesures annoncées par le Gouvernement et le montant du déficit à réduire constitue bien une impasse dans le chiffrage des mesures permettant de respecter la trajectoire des finances publiques.


* 49 Si l'on suppose, comme dans le cas du présent projet de programme de stabilité, que malgré l'effort de réduction du déficit la croissance demeure de l'ordre de 2 %.

* 50 Lors de son audition par la commission des finances le 11 avril 2012 sur le présent projet de programme de stabilité, Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, a en effet indiqué : « Les prélèvements obligatoires augmenteront d'un point de PIB, soit 22 milliards, dont 8 milliards provenant de recettes exceptionnelles, le reste de la reconstitution de recettes frappées par la crise. Est-ce optimiste ? L'impôt sur les sociétés, qui surréagit, avait vu son rendement chuter de 50,8 milliards en 2007 à 21 milliards en 2009. Cet impôt, qui avait perdu 60 % de son montant quand le PIB reculait de 2,5 %, n'a pas encore retrouvé son niveau d'avant la crise, ce qu'il est raisonnable d'attendre à l'horizon 2016. »

* 51 On rappelle que les recettes nettes d'impôt sur les sociétés, de 45 milliards d'euros en moyenne depuis 2001, se décomposent entre :

- quatre acomptes de 10 milliards d'euros en moyenne (payés les 15 mars, 15 juin, 15 septembre et 15 décembre), calculés en fonction des bénéfices de n-1 (ainsi que, dans le cas du dernier acompte et depuis 2005, des prévisions de bénéfices des grandes entreprises pour l'année en cours, ce que l'on appelle parfois le « cinquième acompte ») ;

- le « solde » de l'année n-1 (en avril), dépendant de l'écart entre les bénéfices de l'année n-1 et de ceux de l'année de n-2 (de 5 milliards d'euros en moyenne).

Ainsi, la forte augmentation des bénéfices une année donnée tend à majorer le « cinquième acompte », et celle de l'année précédente à majorer le solde.

* 52 Source : fascicule « Voies et moyens » annexé au projet de loi de finances pour 2012.

* 53 Les dépenses représentant environ la moitié du PIB, le ratio dépenses/PIB évolue à peu près comme le supplément de croissance des dépenses par rapport à la croissance du PIB divisé par deux. Par exemple, si les dépenses augmentent de 1 % et le PIB de 2 %, le ratio dépenses/PIB diminue d'environ (2-1) 0,5 = 0,5 point de PIB.

* 54 Pour éviter les doubles comptes.

* 55 Selon la LPFP 2011-2014, les crédits de paiement de la mission « Engagements financiers de l'Etat » passeraient de 46,9 milliards d'euros en 2011 à 56,7 milliards d'euros en 2013, ce qui représente une augmentation de près de 10 milliards d'euros en trois ans. Si l'on applique le taux d'intérêt moyen de la dette publique (de l'ordre de 4 %) au déficit public moyen prévu en 2013-2016 (soit 30 milliards d'euros), on parvient à une augmentation de 1 milliard d'euros par an.

* 56 Selon le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2012, « avant économies, les dépenses dans le champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) progresseraient de 4,1% en 2012 ».

* 57 Contrecoup du plan de relance et investissements exceptionnellement faibles des collectivités territoriales, et en sens inverse livraisons de matériels militaires particulièrement importantes.

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