II. UNE AGRICULTURE DE PLUS EN PLUS SENSIBLE
AUX
MARCHÉS
Le revenu agricole connaît une forte volatilité en lien avec celle des prix agricoles.
Or le revenu est la condition du maintien durable des exploitations. Alors que la rémunération moyenne de l'agriculteur est moitié moindre que la moyenne européenne, on ne peut envisager le maintien des exploitations sans assurer un revenu décent aux producteurs.
Ces données générales en Europe, peuvent être ponctuellement déclinées en examinant certains problèmes auxquels les agriculteurs français se trouvent confrontés 104 ( * ) .
A. LES EXPLOITANTS FRANÇAIS DOIVENT S'ADAPTER À UNE AGRICULTURE EUROPÉENNE DE PLUS EN PLUS EXPOSÉE AUX MARCHÉS, À LA CONCURRENCE INTERNATIONALE ET À LA CONCURRENCE EN EUROPE MÊME
La politique agricole commune (PAC) est désormais plus pleinement orientée vers les marchés .
Depuis 1992, ainsi que mentionné ci-dessus, les réformes successives de la politique agricole commune ont transformé le contexte de l'économie agricole en Europe.
L'agriculture européenne a longtemps bénéficié de l'intervention publique sur les marchés qui permettait de soutenir les revenus des agriculteurs en agissant directement sur les prix et avait pour effet d'immuniser largement les producteurs contre les signaux du marché.
La PAC reposait alors un double mécanisme :
- vis-à-vis du monde extérieur, les droits de douane sur les importations et les subventions aux exportations corrigeaient les écarts entre les cours internationaux et les prix à l'intérieur des frontières de la communauté européenne ;
- dans l'espace européen, les mesures de stockage public permettaient d'éviter que les écarts entre la production et la demande ne se traduisent par une baisse des prix intérieurs au-dessous des prix administrés à l'issue des fameux « marathons agricoles »
La stabilité des prix a permis aux agriculteurs de faire croître leur production sans trop de risques.
Critiquée de l'extérieur par les partenaires commerciaux de l'Europe pour ses effets dépressifs sur les marchés internationaux, cette politique l'a été également à l'intérieur de l'Europe pour son coût budgétaire. S'en est suivi un abandon progressif du soutien aux prix avec une réorientation de la PAC dans le sens d'une dérégulation par alignement sur les prix mondiaux.
Les réformes successives de la PAC depuis 1992 ont abouti à l'instauration de mécanismes de soutien direct au revenu, à travers des aides peu à peu découplées, et, d'autre part, de filets de sécurité dont les conditions de déclenchement ont été resserrées.
Les mesures de soutien au stockage et d'achats à l'intervention n'ont pas disparu. Mais la pratique de l'Union européenne consiste à fixer les seuils de déclenchement de ces mesures à des niveaux extrêmement bas et à recourir à des procédures d'adjudication garantissant le caractère non inflationniste de ces dispositifs pour le budget communautaire .
L'agriculteur européen est désormais davantage soumis aux contraintes du marché puisqu'il doit vendre sa production au niveau des cours mondiaux et non plus à celui des prix d'intervention.
UNE AGRICULTURE AMÉRICAINE FORTEMENT SUBVENTIONNÉE ET EXPORTATRICE Avec 2,2 millions d'exploitations d'une taille moyenne de 165 hectares, l'agriculture américaine occupe 2 % des actifs et contribue pour seulement 1,5 % au PIB. Elle n'en reste pas moins un secteur jugé stratégique et bénéficie à ce titre de substantielles subventions : 5 milliards de dollars par an de paiements directs, 1 milliards d'aides contra-cycliques et aides compensatoires, 6,5 milliards de subventions aux assurances. Ces montants sont inférieurs à ceux de l'aide apportée à l'agriculture européenne. Mais le tableau serait incomplet sans prendre en considération deux mécanismes n'existant pas en Europe à un tel niveau. Le premier mécanisme est le soutien aux agro-carburants qui s'élève à 7 milliards de dollars par an 105 ( * ) . Le second est constitué par l'aide alimentaire, dont le budget global s'élève en 2010 à 94 milliards de dollars, et qui bénéficie indirectement à l'agriculture du pays à travers les achats de produits alimentaires par les organismes fédéraux ou locaux. Le secteur agricole est l'un des rares qui contribue positivement au commerce extérieur américain avec un niveau moyen d'excédent commercial de 13 milliards de dollars. Les États-Unis ont une diplomatie commerciale agressive vis à vis des marchés extérieurs, comme le montrent notamment les nombreux conflits auxquels les États-Unis sont parties à l'OMC. |
En lien avec ses réformes, les dépenses de la politique agricole commune ont baissé à partir de 1997 tant en niveau absolu qu'en parts de PIB.
Dépenses au titre de la PAC et processus de
réforme
(en prix constants de 2007)
De l'ordre de 35 milliards d'euros (en euros 2007) au début des années 80, les dépenses de la PAC se sont hissées à la fin de la décennie 80 à 42 milliards d'euros.
Un seuil a alors été franchi (50 milliards d'euros en 1990) et les dépenses ont culminé en 1997 (à 55 milliards d'euros). Depuis, elles ont été stabilisées puis se sont légèrement réduites pour rejoindre en 2009 le niveau de 50 milliards d'euros de 1990.
Exprimées en effort relatif au PIB de l'Union européenne, les dépenses au titre de la PAC qui ont un temps atteint 0,65 % du PIB (au début des années 90) ont « rendu » 0,2 point de PIB à l'Union européenne depuis ces sommets.
La PAC n'a jamais « coûté » aussi peu à l'Union européenne que depuis 2007.
En 2009, le budget de la PAC qui occupe une part avoisinant la moitié du marché européen représente un centième des dépenses publiques agrégées de l'Union européenne.
Source : Commission européenne - DG Agriculture et développement rural
Dans ce contexte, la question des conditions de concurrence au sein de l'Union européenne est une problématique émergente .
L'agriculture européenne évolue dans un contexte de concurrence intra-communautaire, marquée par des inégalités de concurrence inquiétantes.
L'entrée dans l'Union européenne de nouveaux pays agricoles comme la Pologne, la Roumanie ou la République Tchèque, a tout d'abord inquiété. Avec un coût de la vie plus bas, des salaires moyens de 30 à 40 % inférieurs à ceux de la France, certaines productions intensives en main d'oeuvre sont en effet menacées.
La redistribution des parts de marché ne semble pas avoir joué massivement mais l'entrée de ces nouveaux pays a peut-être contribué à maintenir à un bas niveau les prix agricoles.
Il est vrai que l'intégration des nouveaux membres de l'Union ne s'est pas accompagnée d'un alignement des aides à la surface, si bien que le différentiel de compétitivité, déjà atténué par une productivité agricole plus forte dans les anciens États-membres, a été en partie gommé par un niveau de subventions aux producteurs des pays historiques de l'Union également plus élevé.
Cependant, avec les pays hors de la zone euro, les variations des taux de change peuvent faire perdre en compétitivité certaines productions françaises, comme, par exemple, le champignon de couche, auquel la dévaluation du zloty polonais à l'automne 2008 a porté un rude coup.
Plus récemment, les professionnels des secteurs de la viande, du lait, ou des fruits et légumes se sont émus d'autres formes de concurrence, en particulier avec l'Allemagne, qui a adopté un système social dérogatoire dans le secteur agricole et de la première transformation, avec un coût du travail très largement inférieur à celui des autres secteurs de son économie et qui paraît tirer profit d'investissements réalisés dans les grandes firmes des pays de la Mittle Europa qui représente une sorte d'hinterland pour le pays. On peut ajouter que la politique de développement des sources d'énergie au plus près des exploitations agricoles, très tôt lancée en Allemagne, paraît y réduire les coûts d'exploitation et contribuer à la compétitivité du pays.
* 104 Les développements qui suivent sont très largement inspirés du remarquable rapport de nos collègues Gérard César et Charles Revet sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (rapport n° 436 - 2009-2010).
* 105 Au cours de la rédaction du présent rapport, le régime de soutien aux agro-carburants des États-Unis a été largement réformé. Les soutiens publics aux agro-carburants en Europe y restaurent une mesure d'aide liée à la production en décalage avec le découplage promu par la PAC.