M. Dominique Baudis, Défenseur des droits, accompagné de Mme Maryvonne Lyasid, adjointe du Défenseur des droits et M. Richard Senghor, secrétaire général

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M. Dominique Baudis, Défenseur des droits . - Merci pour votre invitation. Une de mes missions est de lutter contre les discriminations, et le harcèlement sexuel en fait partie, notamment en matière d'emploi. Lorsqu'elles résistent, les victimes de harcèlement sexuel se voient refuser des promotions ; elles sont mises à l'écart, sanctionnées, parfois même licenciées.

Nous souhaitons éclairer les travaux du Gouvernement et du Parlement et rappeler ce qui devrait figurer dans la loi afin de bien garantir la sécurité et la protection de nos concitoyens. Faut-il légiférer très vite ou prendre au contraire le temps de la réflexion ? Les victimes de harcèlement sexuel ne sont, pour l'instant, plus protégées par la loi pénale. Il faudrait donc légiférer vite, quitte à revenir ensuite sur tel ou tel point.

Un retour aux définitions du harcèlement sexuel qui figurent dans les lois de 1992 ou de 1998 n'est pas souhaitable car ces deux textes ne définissent pas de façon précise ce qu'est le « harcèlement ». En outre, la caractérisation du délit nécessitait dans la loi de 1998 l'existence d'un rapport d'autorité, ce qui restreint la portée de l'incrimination. Y revenir serait donc un recul par rapport à la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 qui a supprimé ce critère et élargi ce délit aux relations non hiérarchiques.

La transposition en droit pénal de la directive de 2006 risquerait d'être inconstitutionnelle dans la mesure où elle ne répond pas à l'exigence d'intentionnalité requise dans notre droit pénal pour caractériser un délit.

Nous avons examiné les intéressantes propositions de loi déposées par divers sénateurs. Pour nous, la définition du harcèlement sexuel devrait être à la fois précise et suffisamment large pour incriminer tous les gestes et propos inacceptables. La nouvelle incrimination devrait définir matériellement le harcèlement sexuel comme « tout propos, écrit, acte ou comportement à connotation sexuelle imposé à autrui contre sa volonté ». Le but poursuivi par l'auteur de l'infraction ne doit pas être cantonné à la recherche de « faveurs » sexuelles mais doit intégrer la volonté de l'auteur de créer un environnement insécurisant et humiliant, sans nécessairement rechercher des faveurs sexuelles.

Le prochain texte devrait aussi se prononcer clairement sur le caractère répété ou isolé des actes de harcèlement. Des agissements relativement bénins peuvent constituer une réelle agression lorsqu'ils sont répétés, tandis qu'un acte isolé doit pouvoir être incriminé lorsqu'il revêt une gravité certaine sans pour autant avoir été réitéré.

Les agissements incriminés sont plus faciles à mettre en oeuvre lorsqu'un rapport de subordination existe entre le harceleur et sa victime. Pour autant, le rapport d'autorité n'est pas inhérent au harcèlement sexuel. Le délit doit pouvoir être caractérisé même quand le harcèlement a lieu entre deux collègues de rang égal dans le cadre du travail ou dans un simple rapport de voisinage. En revanche, l'abus d'autorité devrait être une circonstance aggravante.

La définition du harcèlement sexuel retenue dans le code du travail est assez voisine de l'article 222-33 du code pénal qui a été censuré par le Conseil constitutionnel. Il n'est donc pas impossible que cette disposition subisse le même sort. Dans un souci de cohérence, la nouvelle définition retenue dans le code du travail devrait être la même que dans le code pénal. Pour le même motif, il serait pertinent de réviser l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires afin que la définition prévue pour l'incrimination pénale soit reproduite à l'identique.

J'en viens à la quinzaine de dossiers dont nous avons eu à connaître cette année. Ces réclamations sont le plus souvent doublées d'une plainte pénale. Les faits sont fréquemment imputables à un supérieur hiérarchique, les victimes sont exclusivement des femmes et il s'agit le plus souvent d'une démarche de séduction agressive : invitation à se rencontrer hors du cadre du travail, questions indiscrètes et récurrentes sur la vie privée, cadeaux déplacés, gestes explicites, etc... Dans tous ces cas, ces comportements ont créé un climat de travail insécurisant pour la victime, des conditions de travail dégradées et, le plus souvent, celle-ci a été contrainte de s'arrêter pour des raisons médicales.

L'une des principales difficultés tient à l'établissement de la preuve des agissements incriminés. La victime a le plus souvent beaucoup de mal à obtenir des témoignages de la part de ses collègues de travail et, lorsqu'elle en produit, ils sont souvent contrebalancés par des attestations d'autres collègues qui stigmatisent son comportement. Cette difficulté d'apporter la preuve des agissements est plus prégnante en matière pénale qu'en matière civile puisque l'article L. 1154-1 du code du travail opère au profit de la victime un aménagement de la charge de la preuve. C'est pourquoi les avocats, les conseils et parfois le Défenseur des droits invitent les réclamants à emprunter plutôt la voie civile car leurs réclamations prospèrent plus aisément.

Près de la moitié des réclamations que nous avons reçues ont abouti à une transaction entre la victime et son harceleur, ce qui s'explique par le caractère aléatoire de la procédure judiciaire et souvent par le souhait des victimes de ne pas revivre à l'occasion d'un procès des épisodes douloureux.

Mme Annie David , présidente . - Qu'entendez-vous par « transaction » ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes . - Qu'advient-il aux harceleurs une fois les faits établis ? La victime est-elle déplacée ?

M. Richard Senghor, secrétaire général du Défenseur des droits . - Le Défenseur des droits est en mesure de conduire une transaction après avoir invité les deux parties à trouver une solution qui, généralement, se traduit par un règlement financier. Il s'agit donc d'une transaction au civil, selon des modalités définies par le code civil.

Une autre forme d'intervention est employée pour d'autres dossiers, mais jusqu'à présent pas dans les cas de harcèlement sexuel : il s'agit de la transaction pénale, conduite avec l'autorisation du parquet. Lorsqu'une discrimination est reconnue, une solution peut être engagée, qui ne prend pas nécessairement la forme d'une transaction financière mais qui peut se traduire par l'affichage d'une note dans les locaux professionnels par exemple.

Lorsque nous intervenons, les harceleurs et les victimes ne se trouvent généralement plus dans l'entreprise. Rares sont les victimes qui s'engagent devant le Défenseur des droits ou devant le juge alors qu'elles seraient encore dans l'entreprise ; de telles procédures prennent du temps et la situation est souvent très dégradée depuis longtemps. Il n'y a donc pas de cas où auteur et victime cohabitent encore au sein d'une même entreprise.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Plus nous travaillons sur ce sujet, plus nous nous rendons compte que le vocabulaire est important. Difficile de savoir où s'arrête la séduction ou le compliment légitime et où commence le harcèlement.

Quatre mots posent problème : celui de « faveurs » semble désuet. Pourquoi ne pas lui substituer « acte » ? Ensuite, qu'est-ce que la « connotation » ? La directive nous arrive dans un jargon traduit de l'anglais, dont on voit mal le sens précis. Que signifie « créer un environnement » ? Le harcèlement, ce doit être un acte, qui peut être verbal mais qui doit être défini. Et qu'est-ce qu'un comportement ayant « pour effet » ? Cette expression n'est pas bonne car la notion d'intention est fondamentale.

Nous devons porter la plus grande attention au vocabulaire pour la définition que nous demande le Conseil constitutionnel.

M. Alain Fouché . - Quel est le pourcentage d'hommes et de femmes victimes de harcèlement sexuel ? Les transactions interviennent-elles après des expertises ?

M. Dominique Baudis, Défenseur des droits . - Le terme de « faveurs » a effectivement un relent un peu archaïque. En outre, tout harcèlement sexuel n'a pas nécessairement pour but d'obtenir des actes sexuels ; il peut s'agir seulement d'une volonté d'humilier. Il faut donc que la personne qui se retrouverait renvoyée devant la justice ne puisse arguer du fait qu'elle n'avait pas de projet d'acte sexuel.

Pour répondre à M. Fouché, la totalité des dossiers dont nous avons eu à connaître ont été déposés par des femmes, mais toutes les personnes qui saisissent la justice ne déposent pas de dossier chez le Défenseur des droits. Nous n'avons donc qu'une vision parcellaire du sujet.

Mme Virginie Klès . - La preuve de l'intention va être très difficile à apporter. Ne faudrait-il pas plutôt parler d'acte conscient plutôt que de dire « dans le but de » ?

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Plutôt que « consciemment », je préfèrerais « sciemment », qui figure d'ailleurs déjà dans des textes de droit pénal.

M. Richard Senghor, secrétaire général du Défenseur des droits . - Pour revenir sur la transaction, il s'agit d'une procédure civile : les parties se mettent d'accord sur le montant d'une transaction. Notre intervention se borne à aider la victime à obtenir une transaction à la hauteur du préjudice qu'elle a subi. Nous ne sommes pas dans la médiation, même si nous nous assurons que la victime ne sera pas perdante.

Le « sciemment » nous renvoie à l'intentionnalité : le but est d'établir le lien de causalité. Peut-il y avoir du harcèlement sexuel inconscient ? Le « pour effet » de la directive nous pose problème car il renvoie à la notion de « discrimination indirecte » - sans intention, donc - alors que le « pour objet » fait référence à une discrimination directe.

Enfin, l'association Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres (LGBT) nous a alertés sur les humiliations subies par des homosexuels. Plus qu'à l'intention d'obtenir un acte sexuel, le harcèlement qu'ils subissent est souvent motivé par une volonté d'humilier.

Mme Gisèle Printz . - A qui faut-il s'adresser si on est harcelée ? Que devons-nous conseiller aux femmes qui viennent nous trouver ?

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois . - Il faut qu'elles s'adressent au procureur de la République, à la police ou à la gendarmerie.

M. Dominique Baudis, Défenseur des droits . - Comme toute personne victime d'un délit, il faut vous adresser à la police, à la gendarmerie ou au parquet. Parallèlement, sur ce type d'affaires, vous pouvez également saisir le Défenseur des droits.

Lorsque nous sommes saisis d'un dossier dont la justice civile ou pénale a eu à connaître, nous lui faisons parvenir nos observations pour éclairer sa décision et nos conclusions sont le plus souvent reprises.

M. Alain Fouché . - Il vaut toujours mieux saisir le procureur de la République que la police ou la gendarmerie car, avec le parquet, il y a systématiquement des suites.

Mme Annie David , présidente . - Pouvez-vous préciser votre analyse concernant l'intentionnalité des faits ? Pourquoi êtres-vous hostiles à « pour effet » ?

M. Richard Senghor, secrétaire général du Défenseur des droits . - En matière pénale, l'intentionnalité doit être établie. Le « pour effet » renvoie à des effets qui peuvent être indirects et donc sans rapport avec une intention. C'est pourquoi la définition de la directive risquerait fort d'être inconstitutionnelle.

Mme Annie David , présidente . - L'intentionnalité ne vise donc pas seulement la volonté de parvenir à ses fins.

M. Dominique Baudis, Défenseur des droits . - Les termes « actes ayant pour effet » peuvent être considérés comme une sorte de conséquence secondaire et involontaire, d'où un risque juridique. Le « pour objet » est bien préférable.

Mme Annie David , présidente . - Merci pour toutes ces précisions.

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