Mme Virginie Duval, secrétaire générale et M. Richard Samas-Santafe, secrétaire national de l'Union syndicale des magistrats (USM)

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Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - L'USM avait attiré votre attention sur les difficultés liées à la définition du terme de harcèlement. Nous n'avons pas l'ambition de rédiger les textes de lois mais nous pouvons vous apporter notre éclairage juridique.

Les juristes ont un besoin urgent d'une réforme sur le harcèlement sexuel car toutes les affaires en cours sont tombées et il est assez compliqué de l'expliquer aux victimes. Nous souhaitons aussi sécuriser les procédures car nous avions envisagé, dans un premier temps, de requalifier les faits de harcèlement sexuel en agressions sexuelles mais cela n'est pas possible dans tous les cas.

Le législateur va donc devoir formuler une nouvelle définition du harcèlement sexuel dans le code pénal, mais aussi dans le code du travail et dans la loi de 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires puisque la décision du Conseil constitutionnel remet en question directement ou indirectement ces différents textes.

Faut-il en revenir aux définitions qui figurent dans les lois du 22 juillet 1992 ou du 17 juin 1998 ? Ce ne serait pas opportun du fait de la fameuse directive européenne qu'il va falloir intégrer dans notre système juridique. De plus, ces définitions ne recouvraient pas toutes les situations possibles de harcèlement sexuel car elles se fondaient sur des faits commis par des personnes abusant de leur autorité, alors que tel n'est pas toujours le cas. Le Conseil constitutionnel a demandé des précisions, mais si elles sont trop nombreuses, vous risquez d'enfermer les juristes et tous les autres intervenants dans un cadre restreint et d'exclure de nombreuses situations.

Il est toujours difficile d'apporter la preuve d'un harcèlement, qu'il soit sexuel ou moral. Nous touchons là à un domaine psychologique et à des tensions qui peuvent survenir dans le monde du travail. Nos collègues qui sont sur le terrain évoquent tous la difficulté d'apporter la preuve de la réalité des faits.

Nous avons examiné les quatre propositions de loi que vous nous avez fait parvenir. Toutes les propositions qui se sont inspirées de la définition qui figure dans la directive européenne sont les bienvenues, notamment parce qu'elles écartent la notion de recherche de « faveurs sexuelles ». La définition de « comportement à connotation sexuelle » peut néanmoins prêter à de larges interprétations jurisprudentielles.

La proposition de loi n°536 reprend la définition de la directive, qui parle d'atteinte à la dignité d'une personne. Il est ajouté « aux droits », ce qui peut recouvrir plus de situations ; c'est donc positif. En revanche, il est évoqué « un comportement ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte aux droits et à la dignité d'une personne ». Le « et » est restrictif car il impose une cumulation. Un « ou » alternatif serait préférable. Le dernier membre de phrase n'est en revanche pas restrictif puisqu'il y a un « ou ». Il ne fait pas référence au terme « dégradant », qui figure dans la directive.

L'abus d'autorité est évoqué comme une circonstance aggravante, mais l'abus d'autorité est une notion juridique précise qui se trouve ici très - et peut être trop - élargie.

Le 3 ème point (alinéa 6) ne nous semble pas congruent : on ne peut qualifier d'abus d'autorité le harcèlement s'il est commis sous la menace d'une arme ou d'un animal. Dans ce cas, il s'agit de violence, ce qui fait double emploi avec la notion d'agression.

Le 4 ème point appelle aussi des réserves : que signifie, en droit, la notion de « profiter » de l'état de vulnérabilité de la victime ?

M. Richard Samas-Santafe, secrétaire national de l'USM . - Le fait de profiter n'est répréhensible que si l'on a connaissance de l'état de vulnérabilité de la victime. Nos collègues chercheront à savoir si la personne avait connaissance de cet état. Tout ceci figure déjà dans le code pénal.

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - De même, l'état de vulnérabilité est déjà défini dans le code pénal. On y ajoute ici une dimension économique : est-ce volontaire ?

J'en arrive à la proposition de loi n°539 : l'idée est de pouvoir réprimer un acte unique, même si le texte n'est pas vraiment explicite sur la question. Pour un juriste, il est difficile de faire le lien entre les notions de harcèlement et d'acte unique... Le harcèlement n'implique-t-il pas la répétition, l'enchaînement ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Pour nous, il peut y avoir une plainte pour harcèlement si l'acte incriminé est particulièrement grave.

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - Le harcèlement ne peut être constitué que s'il y a une répétition d'actes. C'est en tout cas la configuration qui nous semble normale.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Si la succession d'actes est difficilement prouvable, la victime pourra peut-être ne porter à la connaissance du juge que le dernier acte.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - La personne que nous avons reçue avant vous nous a parlé d'un cas concret : au cours d'un entretien d'embauche, le recruteur a fait miroiter un poste en échange de « faveurs » sexuelles. La femme a refusé et elle n'a pas été recrutée. Cela peut-il entrer dans le champ du harcèlement, même s'il n'y a pas de répétition ?

Mme Muguette Dini . - C'est de la discrimination !

M. Yves Détraigne . - On ne peut qualifier cela de harcèlement !

M. François Pillet . - Pourquoi ne pas parler de chantage, tel qu'il est défini dans le code pénal ? C'est un emploi contre des relations sexuelles.

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - Nous ne sommes pas, dans ce cas, confrontés à un harcèlement. Le harcèlement implique une notion de répétition. L'acte unique dont vous me parlez devrait être qualifié autrement. Peut-il s'agir de discrimination, de chantage ? En tout état de cause, on ne pourrait qualifier l'acte en fonction des répercussions qu'il aurait sur la victime, car nous sommes là sur un autre terrain : je pense aux violences avec des incapacités totales de travail inférieures ou supérieures à 8 jours.

M. Alain Anziani . - Un arrêt de la cour d'appel de Lyon du 15 mars 2011 est à l'origine de cette discussion : il dit que « le harcèlement sexuel ne suppose pas qu'il y ait pluralité d'actes, le législateur n'ayant pas exigé, comme pour le harcèlement moral, des agissements répétés ».

M. Richard Samas-Santafe, secrétaire national de l'USM . - Cette jurisprudence est unique et ne peut guère être invoquée.

M. Alain Anziani . - Certes, la cour d'appel ne vaut pas la Cour de cassation, mais pour l'instant, cet arrêt s'applique.

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - C'est la première fois que j'entends parler de cette jurisprudence, qui me paraît étonnante. Reportez-vous à la définition du dictionnaire du mot harcèlement.

M. Alain Anziani . - Pour le harcèlement moral, le législateur avait précisé explicitement qu'il s'agissait d'une répétition. Cette précision ne se retrouvant pas dans la définition de harcèlement sexuel, le juge a considéré, a contrario, qu'un acte unique pouvait suffire à constituer le délit.

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - Le fait de préciser qu'il peut s'agir d'un acte unique va entraîner une jurisprudence très importante, avec des débats sans fin.

Vous avez également évoqué un acte unique d'une particulière gravité qui entraîne un trouble psychologique important. Mais dans ce cas de figure, nous nous trouvons dans le champ de la violence. Une autre qualification est donc possible. Au demeurant, même si cela peut être difficile à entendre, certains faits moralement répréhensibles ne trouvent pas toujours de qualification.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Si quelqu'un accomplit un acte très répréhensible lors d'une embauche et si une autre personne répète trois fois des paroles non appropriées, la gravité du premier acte semble plus importante que celle du second, mais comme il n' y aura pas de répétition, le juge dira qu'il relève d'une autre qualification, qui n'est pas facile à trouver.

Mme Esther Benbassa . - Et comment prouver que c'est en raison de son refus que cette personne n'a pas été recrutée ?

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - C'est parole contre parole. Et la définition du chantage, telle qu'elle figure en l'état dans le code pénal, ne peut s'appliquer.

Mme Muguette Dini . - Pourquoi ne pas modifier la définition du chantage ?

Mme Esther Benbassa . - Si la notion de harcèlement verbal figure dans la loi, le refus du recrutement sera plus facilement prouvable.

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - Quoi qu'il en soit, nous en revenons toujours à la notion de répétition. Même si l'on indique dans le texte que les faits peuvent être verbaux, il faudra en tout état de cause les prouver.

Mme Esther Benbassa . - C'est la même chose dans les cas de discrimination raciale.

M. Richard Samas-Santafe, secrétaire national de l'USM . - Il ne peut y avoir de gestes physiques, sinon on tombe dans l'agression sexuelle. Il s'agit donc forcément d'agression verbale. Si la notion de répétition n'était pas retenue, cela permettrait de qualifier plus facilement les actes de harcèlement sexuel, mais il faudrait être sûr de la jurisprudence.

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - J'en viens à la proposition de loi n°540 : la définition se rapproche des rédactions du code pénal, mais elle est cumulative, puisqu'elle comporte un « et ». Ne faudrait-il pas le remplacer par un « ou » ?

Mme Esther Benbassa . - Pourquoi ne pas remplacer « dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle » par « des comportements à connotation sexuelle » ?

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - Ce serait juridiquement tout à fait différent. Un comportement à connotation sexuelle reste à définir.

Enfin, cette proposition de loi ne prévoit pas de circonstances aggravantes.

Ce sujet est difficile pour vous mais il l'est également dans les juridictions. Nos collègues ont beaucoup de mal à établir les faits et ils peinent à expliquer aux victimes que ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de poursuites qu'on ne les croit pas. Mais il en va de même pour bien d'autres types d'affaires.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Ce que vous dites sur les « et » et les « ou » est important, car le texte de la directive me semble un peu phraseur. Le voici : « Harcèlement sexuel : la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne ». L'essentiel est dit. Mais la définition continue : .... «  et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Le mot « environnement » me gêne : est-il nécessaire de le mentionner, et l'atteinte à la dignité de la personne n'est-elle pas en soi suffisante ?

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - Mais il y a le terme « et en particulier ».

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Effectivement.

M. Yves Détraigne . - C'est l'équivalent de ces « notamment », que nous n'aimons pas dans nos textes.

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - Tout à fait.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Cela signifie que l'on peut se sentir atteint dans sa dignité de personne sans l'être nécessairement dans son environnement de travail.

Mme Muguette Dini . - Après, on nous reprochera de ne pas être assez précis !

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Si quelqu'un prononce des paroles agressives, menaçantes, il s'agit d'un acte, et non pas d'un environnement.

Mme Muguette Dini . - Il faudrait plutôt parler d'ambiance.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Le mot « ambiance » ne pourrait pas figurer dans la loi.

Mme Esther Benbassa . - Pourquoi ne pas écrire « contexte » ?

M. Alain Anziani . - N'oubliez pas que cette directive a été rédigée en anglais, puis traduite en français, ce qui ne rend pas toujours exactement compte des subtilités respectives de nos langues.

Mme Muguette Dini . - Lorsque j'ai été rapporteure pour avis du texte de transposition, je me suis heurtée à cette grande difficulté : les notions anglaises et françaises ne concordent pas nécessairement entre elles.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Ne vaudrait-il pas mieux reprendre -en la complétant et en l'améliorant- la définition de 1992 ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Cette définition imposait de prouver que l'auteur recherchait des « faveurs sexuelles », ce qui est trop restrictif.

Mme Muguette Dini . - Il peut en effet s'agir de simples fantasmes, pas de volonté de passer à l'acte.

M. Richard Samas-Santafe, secrétaire national de l'USM . - Le texte de la directive est assez clair, il me semble : « comportement non désiré à connotation sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement ».

Le «  avec pour effet et pour objet » me convient aussi.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Je préfèrerais ne conserver que le « ayant pour objet », car notre droit pénal exige un élément intentionnel.

M. Richard Samas-Santafe, secrétaire national de l'USM . - Dans ce cas, vous ne visez pas les conséquences involontaires des actions commises.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Ce qui est important, c'est l'aspect intentionnel. D'ailleurs, un délit est forcément intentionnel.

M. Richard Samas-Santafe, secrétaire national de l'USM . - On peut harceler sans en avoir conscience, mais la victime en pâtira.

Mme Muguette Dini . - De nombreux harceleurs sont totalement inconscients de la gravité de leurs actes, sous prétexte qu'ils ne touchent pas, qu'ils n'ont pas l'intention d'avoir des relations sexuelles avec la personne. C'est le ressenti de la victime et le caractère répétitif des actes qui importent.

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - Il faut recouvrir le maximum de cas.

Mme Esther Benbassa . - Pourriez-vous nous proposer une définition du harcèlement ?

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - En tant que magistrat, mon travail est de mettre en oeuvre la volonté du législateur ! J'attends donc beaucoup de vous...

Mme Muguette Dini . - Vous nous avez dit que certaines définitions risquaient de faire jurisprudence. C'est pourquoi nous vous demandons de nous dire ce qui pourrait être trop flou.

M. Philippe Kaltenbach . - Je suis prêt à ne conserver que « porter atteinte à la dignité » en supprimant la référence aux « droits ».

Certaines associations pensent qu'il faut durcir les peines encourues. Qu'en pensez-vous ?

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - Quelles que soient les infractions, nous prononçons rarement le maximum prévu, car nous le gardons pour les cas les plus graves. En revanche, les juges nous disent leur difficulté à apporter la preuve des faits incriminés.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Les associations rappellent que le harcèlement est sanctionné de peines moins lourdes qu'un simple vol.

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - Nous ne sommes pas dans le même domaine. Ce qui importe, pour la victime, c'est d'être reconnue en tant que telle. Elle peut ensuite obtenir des dommages et intérêts.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Je m'interroge aussi sur la banalisation de certains propos que l'on peut entendre sur certaines ondes et qui portent atteinte à la dignité des êtres humains ...

Mme Virginie Duval, secrétaire générale de l'USM . - C'est tout le problème de la liberté d'expression que vous posez là.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Nous vous remercions pour les éclairages que vous nous avez apportés.

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