Table ronde : organisations de salariés

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Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale de Force ouvrière . - Il y a urgence de légiférer pour inscrire une nouvelle rédaction du harcèlement sexuel dans le code pénal, dans le code du travail et dans le statut de la fonction publique. Il ne faut pas perdre de vue que les autres dispositions relatives au harcèlement sexuel sont également concernées, même si elles n'ont pas été abrogées par le Conseil constitutionnel. Une question semble absente des débats : comment sera traité le vide juridique actuel ?

La définition antérieure à 2002 avait l'avantage d'être plus précise mais elle était trop restrictive. Le harcèlement peut avoir lieu en l'absence de relation d'autorité.

La définition européenne est intéressante, à la fois large et précise.

Nous n'avons pas de demandes spécifiques en tant qu'organisation syndicale. Nous estimons que la relation hiérarchique ne doit pas être un élément de la définition ; l'abus d'autorité doit être en revanche une circonstance aggravante. La description des agissements condamnables - physiques, verbaux ou non verbaux - dans la formulation européenne est intéressante. Il peut être gênant de limiter l'infraction aux seuls cas où l'objectif du harceleur est d'obtenir des faveurs sexuelles ; de ce point de vue aussi, la définition européenne est correcte. Le harcèlement sexuel se caractérise par la répétition ou la gravité des faits.

Mme Sabine Reynosa, CGT. - La CGT est membre du collectif national pour le droit des femmes. Nous avons travaillé avec l'AVFT : nous sommes sur la même longueur d'onde. Le déni actuel de justice est calamiteux, il y a urgence, mais aussi exigence de sécurité juridique. Les articles du code du travail, toujours en vigueur, sont pareillement menacés. La rédaction qui figure dans le statut de la fonction publique doit elle aussi être revue.

La rédaction contenue dans les directives est précise et nous convient. Le terme de « faveurs » revient à nier la violence et l'emprise, il doit être proscrit. La définition abrogée n'était pas cohérente avec celle des directives puisqu'elle ne prenait pas en compte ce qui conduit à créer un environnement hostile et sexiste. Elle a surtout servi en pratique à déqualifier des violences sexuelles. Il est grand temps de sortir de la confusion et de revenir à la définition européenne, puisque le droit européen s'applique en France. S'agissant de la répétition, nous avons la même position que Force ouvrière. Il faut que soient pris en compte les actes répétés ou d'une gravité particulière - lors de l'entretien d'embauche par exemple.

Quant aux sanctions, leur hiérarchie reflète les valeurs de la société : peut-on se contenter de peines inférieures à celles prévues pour un banal vol à la tire ? L'abus d'autorité doit être une circonstance aggravante. Il y aurait encore deux aspects à préciser : la responsabilité morale et pénale de l'employeur ; et l'indemnisation des victimes.

M. Claude Raoul, secrétaire confédéral de la CFTC, secrétaire confédéral de la CFTC. - Nous avons analysé les propositions de loi. La plus pertinente nous semble être celle de M. Kaltenbach, qui est aussi la plus proche du texte européen. Nous sommes favorables à des sanctions plus lourdes qui manifesteraient la volonté de faire cesser ces atteintes. Il faut aussi préciser les comportements visés, modifier l'article L. 1153-1 du code du travail ainsi que la loi de1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, autoriser les organisations syndicales à ester en justice et préciser la responsabilité pénale des personnes morales.

M. Didier Cauchois, secrétaire confédéral de la CFDT. - Faut-il revenir aux textes de 1992 et 1998 ? Tout dépend du but poursuivi. Oui, si l'objectif est d'aller vite et de satisfaire les exigences du Conseil constitutionnel. Non si l'on veut une loi de plus grande ambition. En introduisant le mobile parmi les éléments de l'infraction, on a créé une vraie difficulté dans l'établissement de la preuve : cela ouvrait une voie royale aux avocats des accusés qui avaient beau jeu de mettre les victimes au défi d'apporter la preuve que les actes reprochés à leurs clients étaient dictés par la volonté d'obtenir des rapports sexuels.

Une bonne loi est indispensable ; la prévention dans les environnements de travail ne l'est pas moins. Des dispositifs d'alerte, faisant intervenir les délégués du personnel ou les délégués syndicaux, seraient utiles, de même qu'une saisine automatique de la médecine et de l'inspection du travail. Si l'employeur a des obligations en matière de déclenchement de la saisine, il devra prendre position car sa responsabilité pourra être engagée. Les organisations syndicales ont aujourd'hui des difficultés pour agir. Or une personne qui est déjà passée à l'acte sans se heurter à une réaction de l'employeur ou du ministère public aura tendance à récidiver. Autoriser les syndicats à agir, au nom de l'intérêt collectif, permettrait de porter devant les juges un plus grand nombre d'affaires. Quant aux sanctions, pourquoi ne pas envisager des peines accessoires, comme en droit pénal économique, comme par exemple l'interdiction d'exercer telle profession ? Il importe aussi de pouvoir rechercher la responsabilité pénale du chef d'entreprise ou de son représentant légal, qui a l'obligation d'assurer la sécurité des salariés.

Mme Emmanuelle Tronche, Union syndicale solidaires . - Nous soutenons le texte de l'AVFT : aucune proposition de loi ne nous satisfait donc vraiment. Il est important de réaffirmer que les atteintes à la personne sont plus graves que les atteintes aux biens. Elles doivent être plus lourdement condamnées.

Le harcèlement sexuel au travail dépasse le cadre des relations hiérarchiques ; le rapport d'autorité devrait plutôt constituer une circonstance aggravante. L'AVFT énumère d'autres circonstances aggravantes : vulnérabilité physique ou psychique, menace d'une arme ou d'un animal. Il y a lieu aussi de réformer la loi du 13 juillet 1983 sur les droits et obligations des fonctionnaires. En outre, l'Etat est tenu à une obligation de prévention. Enfin, les associations et syndicats doivent pouvoir se porter partie civile dans les procédures en responsabilité contre l'employeur.

M. Jean-Pierre Godefroy . - La possibilité donnée aux syndicats d'ester en justice me paraît très importante.

Le Conseil constitutionnel n'a pas abrogé les articles L. 1153-1 et L. 1155-2 du code du travail. Les plaintes de salariées qui seraient déposées aujourd'hui sur le fondement de ces articles auraient-elles une chance d'aboutir ? Peut-on allonger le délai de prescription ? Il y a une ambiguïté dans les commentaires du Conseil constitutionnel.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Les syndicats que vous représentez souhaitent-ils tous avoir la possibilité d'ester en justice ? Sous réserve, bien entendu, de prévoir l'accord des victimes, afin d'éviter toute possibilité d'instrumentalisation de celles-ci, contre leur gré. Etes-vous favorables à ce que cette faculté soit donnée aux associations ? Enfin, M. Cauchois, secrétaire confédéral de la CFDT a fait une proposition qui me semble discutable, concernant l'interdiction d'exercer une profession, car aucune profession ne prédispose particulièrement au harcèlement sexuel.

Mme Éliane Assassi . - Tout à fait.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois. - En revanche pouvoir rechercher la responsabilité d'autres personnes que l'auteur lui-même est intéressant. Le supérieur hiérarchique, le chef d'entreprise qui n'ont pas réagi, qui ont fermé les yeux, voire encouragé le harcèlement, sont coupables de complicité ou de non-assistance. On se souvient d'une affaire récente de bizutage attentatoire à la dignité. Il faudrait examiner le comportement des supérieurs hiérarchiques.

M. Didier Cauchois, secrétaire confédéral de la CFDT. - Nous ne sommes certainement pas hostiles à ce que les associations aient la possibilité d'ester en justice. Nous ne réclamons aucun monopole, d'autant moins que le harcèlement sexuel se produit ailleurs que dans le milieu de travail.

L'idée d'une interdiction d'exercer m'a été inspirée par le cas d'un DRH déjà condamné pour des faits de harcèlement dans une autre entreprise et de nouveau poursuivi pour des faits identiques. Les victimes étaient stupéfaites d'apprendre que, malgré cette condamnation, il avait pu être maintenu dans ce type de fonction. Elles ont remarqué qu'en cas d'abus de biens sociaux menant à une liquidation judiciaire, le gérant se voyait appliquer une interdiction d'exercer... Il conviendrait de se pencher sur la récidive : comment éviter que le harceleur se retrouve dans le type d'environnement qui lui a permis de passer à l'acte ?

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois. - Je comprends mieux.

Mme Sabine Reynosa, CGT . - Les syndicats travaillent avec les associations. Les uns et les autres doivent pouvoir ester en justice. Cela ne peut se faire, évidemment, sans l'accord de la victime. Mais il serait bon que les syndicats prennent davantage l'initiative sur ces problèmes. Inspirons-nous de ce qui se pratique en matière de harcèlement moral. Je préciserai à M. Godefroy qu'un fort risque d'abrogation pèse à mon avis sur les articles du code du travail traitant du harcèlement sexuel. Ainsi, nous conseillons plutôt aux salariées d'invoquer le harcèlement moral, même si cela revient à nier la dimension du genre.

Mme Sabine Duran, Union syndicale solidaires. - Oui, même faculté d'ester pour les syndicats et les associations, et accord de la victime.

M. Claude Raoul, secrétaire confédéral de la CFTC . - Reste à définir ce qu'on entend par « associations ». Il y en a de toutes sortes, il en existe au sein de l'entreprise, parle-t-on aussi de celles-là ?

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Lorsque des associations sont autorisées à agir en justice, des conditions de durée d'existence, de représentativité, sont toujours posées.

M. Claude Raoul, secrétaire confédéral de la CFTC . - On peut défendre aujourd'hui une personne victime de harcèlement sexuel sur le fondement des articles du code du travail, mais cela présente un fort risque, que nous ne prendrions pas.

Mme Gisèle Printz . - N'oublions pas les associations sportives. Il y a de nombreux cas de harcèlement sexuel dans ce milieu-là aussi.

Mme Esther Benbassa . - En quoi les associations de femmes seraient-elles moins légitimes que les syndicats ? J'ajoute que nous ne parlons pas ici, bien sûr, des associations internes aux entreprises !

M. Claude Raoul, secrétaire confédéral de la CFTC . - Il faudrait prévoir des garde-fous contre les associations proches de l'entreprise.

Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale de Force ouvrière . - Exigeons un intérêt à agir et l'accord du salarié. En dehors du milieu de travail, ce sont à l'évidence les associations qui interviendront.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois . - Souhaitez-vous ou non une exclusivité des syndicats dans le champ professionnel ?

Mme Laurence Cohen . - Des garde-fous, oui, mais une exclusivité des syndicats dans le milieu du travail est impensable. Le harcèlement sexuel est suffisamment pénible, la procédure longue et difficile : laissons au moins la victime choisir qui la soutiendra. Il existe de nombreuses associations spécialisées dans les droits des femmes. Ne bordons pas trop les choses. Ce qui compte, c'est l'accompagnement des victimes.

M. Daniel Cauchois, secrétaire confédéral de la CFDT . - Les syndicats ne demandent pas le monopole dans le milieu professionnel, d'autant qu'une part non négligeable des affaires se passe dans des PME qui n'ont pas de délégués syndicaux. Un mot du montant des consignations : en contentieux de droit du travail, leur montant est généralement dérisoire. Or en matière de harcèlement sexuel, il est toujours élevé. Cela traduit un jugement social, un doute, qui n'est pas admissible. De plus, il est bon que le plus grand nombre de faits soient portés à la connaissance du juge.

Mme Christine Guinand, CGT, membre du collectif « Femmes mixité ». - S'agissant des PME, je signale que les unions syndicales locales peuvent être sollicitées aussi. Mais généralement elles renvoient les demandes vers des associations spécialisées, mieux armées pour traiter ces questions, y compris financièrement. La victime doit surtout s'adresser à des personnes en qui elle a grande confiance.

Mme Sabine Duran, Union syndicale solidaires . - Le harcèlement sexuel touche aussi les milieux associatifs et syndicaux, ne l'oublions pas.

M. Alain Gournac . - Eh oui, on connaît cela !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Merci à tous. Nous avons bien progressé.

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