3. Rendre plus transparentes les relations entre professionnels de santé et fabricants

L'effort indispensable à réaliser en matière de transparence passe aussi par une plus grande publicité des relations entre les professionnels de santé et les fabricants de dispositifs médicaux.

Les dispositifs médicaux implantables sont, plus que tout autre produit de santé, « opérateur-dépendant », c'est-à-dire qu'ils sont développés par les industriels en coopération avec ceux, médecins et chirurgiens, qui seront amenés à les utiliser. Ainsi, ils peuvent être personnalisés selon des besoins spécifiques et répondre de manière plus adaptée aux besoins des praticiens. Ce mode de fonctionnement a permis des avancées importantes dans le traitement de nombreuses pathologies et a contribué à l'amélioration générale de la qualité des soins ces dernières années.

Néanmoins, des efforts restent à accomplir pour dissiper les soupçons suscités par les liens d'intérêts qui peuvent exister entre médecins, experts ou scientifiques et l'industrie du dispositif médical. Les liens d'intérêts ne sont pas condamnables en eux-mêmes. Pour des dispositifs médicaux qui sont de plus en plus spécialisés, il est par nature difficile de trouver des experts qui n'entretiennent aucun lien d'intérêts avec les fabricants.

Il convient cependant de rendre publics les liens d'intérêts afin qu'ils ne se transforment pas en conflits d'intérêts, c'est-à-dire qu'ils puissent avoir une influence sur la manière dont la personne concernée exerce ses fonctions, ou en donner l'apparence. Comme l'affaire du Mediator l'avait révélé, la collusion entre l'industrie du médicament et certains médecins peut avoir des conséquences graves pour les patients.

La France a tenté de répondre à ce défi avec la loi du 29 décembre 2011 66 ( * ) dont l'objet était, à l'aune du scandale du Mediator, de restaurer la confiance dans le système de sécurité sanitaire. Celle-ci n'a que partiellement tenu compte des travaux de réflexion qui l'ont précédée, notamment du rapport 67 ( * ) de la mission commune d'information que le Sénat avait alors mise en place.

Il faut agir sur plusieurs fronts afin de garantir l'indépendance de tous , des étudiants en médecine aux professeurs des universités - praticiens hospitaliers (PU-PH), face aux entreprises. Des progrès ont été réalisés en matière de publication des liens d'intérêts des personnes qui siègent dans les organismes et commissions publics du champ sanitaire. Après la publication du décret du 9 mai 2012 68 ( * ) , le formulaire de déclaration d'intérêts auprès de l'ANSM a été actualisé et sera disponible par télédéclaration à compter du 18 juillet 2012. Le site de l'agence (consulté le 4 juillet 2012) précise toutefois que « pour des raisons d'ordre technique, les montants des rémunérations perçues et des participations financières détenues [...] ne seront demandés que dans un second temps » .

Sous cette réserve, les dispositions de la loi « Médicament » relatives aux liens d'intérêts entre industries des produits de santé et experts sont maintenant applicables. Il n'en est pas de même de celles qui concernent les avantages consentis par les entreprises aux professionnels de santé.

Il semble ainsi illusoire , et de faible portée concrète, d'imposer 69 ( * ) seulement aux entreprises de rendre publique l'existence de conventions passées avec des praticiens , leurs associations, des établissements de santé ou encore des étudiants en médecine, sans que les flux financiers en cause ne soient révélés. C'est cette voie qu'ont choisie les Etats-Unis avec le Sunshine Act en imposant que les informations relatives au paiement ou autre transfert de valeurs, faits à un bénéficiaire par un fabricant, soient mises à la disposition du public de manière claire et accessible, avant le 31 mars de l'année suivant celle au cours de laquelle ils ont été effectués. La publicité annuelle de ces flux financiers et des liens d'intérêts qu'ils entraînent doit être rendue obligatoire en France .

Afin que les contrats de complaisance puissent être sanctionnés, il est important de doter les instances ordinales des pouvoirs nécessaires. Comme l'a indiqué M. André Deseur, responsable de la section « exercice professionnel » du Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom), lors de son audition, la commission médecins-industrie de celui-ci, ou les instances départementales de l'Ordre, reçoivent tous les contrats passés entre un médecin et un industriel et les examinent. Toutefois, il a déploré que l'avis de cette commission ne s'impose à aucune des parties. La loi de décembre 2011 a exigé de l'industriel qu'il informe l'instance ordinale des suites données à cet avis. La moindre des choses serait de compléter ces dispositions en l'obligeant à apporter une justification au cas où il déciderait de passer outre un avis négatif et que le Cnom puisse s'opposer à cette décision.

Proposition n° 6 :
Rendre publics les flux financiers et les liens d'intérêts entre fabricants
de dispositifs médicaux et bénéficiaires de ces avantages

Les modalités de l' enseignement de la médecine sont un autre aspect important de l'indépendance des professionnels de santé et conditionnent leurs pratiques ultérieures. C'est dès la formation des futurs médecins que l'impartialité dans le jugement et les opinions scientifiques doit être assurée. Il faut donc assurer la publicité des liens entre les entreprises et les établissements qui assurent la formation initiale médicale ou qui y concourent . De plus, afin d'éviter que les industriels ne puissent avoir une influence indue sur eux, il serait souhaitable de leur interdire de passer des conventions d'hospitalité avec des étudiants ou de leur octroyer des avantages . Il ne faut pas donner aux étudiants l'habitude d'entretenir des liens trop étroits avec l'industrie des produits de santé, même s'il n'est pas question non plus de les priver d'une contribution au financement de leurs études. Il s'agit simplement d'écarter la création de liens trop directs entre l'industrie médicale et les professionnels de santé dès le début de leurs études supérieures.

Proposition n° 7 :
Mutualiser les sommes allouées par l'industrie des produits de santé aux étudiants dans le cadre des conventions d'hospitalité

Enfin, une fois toutes ces informations rendues publiques, il serait utile de les centraliser afin d'en faciliter l'accès pour tous . C'est pourquoi la création d'un site internet unique et gratuit , dont les contours restent à préciser, constituerait une avancée majeure vers plus de transparence. Comme la mission commune d'information du Sénat consécutive à l'affaire du Mediator 70 ( * ) le préconisait, la mise en place d'un registre public des avantages consentis par l'industrie des produits de santé aux professionnels de santé constituerait la solution optimale, celle qui dissiperait les doutes sur les liens d'intérêts que le secret engendre. Elle devrait évidemment s'accompagner de sanctions pour ceux refusant de se soumettre à ces obligations de transparence.

Il conviendrait également de revoir les modalités de formation continue des médecins . Si cette question complexe dépasse le champ d'investigation de la mission d'information et a fait l'objet de plusieurs réformes ces dernières années, notamment dans la loi « HPST » 71 ( * ) , les personnes auditionnées n'en ont pas moins souligné à plusieurs reprises la place indue qu'y tiennent les industriels. Comme l'a exprimé le professeur Daniel Loisance, membre de l'Académie de médecine, « il n'est pas souhaitable que l'industrie ait le monopole de l'information des médecins dans leur pratique quotidienne » . Les praticiens subissent ensuite d'importantes pressions et voient leur exercice nécessairement influencé par les recommandations et les produits d'un fabricant. Une fois encore, seule une plus grande transparence dans les relations entre l'industrie et le corps médical constituerait une première réponse à cette question, avant d'engager une réflexion sur une plus grande implication de l'université, en coopération avec ceux qui mettent au point et produisent les dispositifs médicaux.


* 66 Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

* 67 « La réforme du système du médicament, enfin », rapport d'information n° 675 de Marie-Thérèse Hermange (2010-2011).

* 68 Décret n° 2012-745 du 9 mai 2012 relatif à la déclaration publique d'intérêts et à la transparence en matière de santé publique et de sécurité sanitaire.

* 69 Article L. 1453-1 du code de la santé publique.

* 70 Rapport précité ; proposition n° 6.

* 71 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

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