(2) Les autres enjeux de la non dépendance
La question de la dépendance de l'Europe à l'égard de technologies importées ne se réduit toutefois pas à celle des règles ITAR. En effet, l'accès à la technologie la plus performante est un élément clé de la compétitivité d'une entreprise, avec un impact direct sur les performances, les délais et les coûts de production. La dépendance entraîne des difficultés d'accès aux technologies de dernière génération, ainsi qu'une limitation de l'accès à la documentation associée. Ceci peut par exemple entraîner des difficultés à gérer des anomalies impliquant des équipements importés. L'existence d'une source d'approvisionnement unique est par ailleurs en soi un facteur de risque.
Le concept de non dépendance implique donc une maîtrise des technologies et l'existence d'une double source, dont l'une au moins située en Europe.
Mais elle implique aussi une maîtrise des coûts, car le maintien à tout prix en Europe de filières beaucoup plus coûteuses qu'aux États-Unis n'est pas viable. C'est pourquoi les maîtres d'oeuvre soulignent la nécessité de les impliquer à chaque étape des développements, afin d'assurer que ceux-ci répondent aux attentes des marchés. Dans cet objectif, et afin de diminuer les coûts associés, il est souhaitable de favoriser la standardisation des composants clefs et l'utilisation accrue de composants « sur étagère ».
La non-dépendance demande des investissements notamment dans le domaine des composants électroniques durcis en vue de leur usage spatial, dans le sens d'une puissance accrue des systèmes. L'électronique subit des contraintes particulières en milieu spatial, puisque les composants sont soumis à des phénomènes tels que le vent et les éruptions solaires, le rayonnement cosmique ainsi que diverses radiations, entraînant un bombardement de photons, d'électrons, de protons et d'ions.
Certains composants ne sont pas disponibles en Europe. Des filières doivent être développées, par exemple dans le domaine des composants programmables (FPGA 35 ( * ) ) ou dans le domaine de l'imagerie (capteurs CMOS 36 ( * ) ). De façon générale, l'Europe est en retard sur les États-Unis en matière de processeurs numériques et support (packaging) associé. L'industrie des semi-conducteurs, qui est fragile, doit être soutenue. Les besoins propres au secteur spatial, qui représentent un volume faible au regard de la production totale de composants électroniques, doivent être préservés comme prioritaires, puisque, à titre d'illustration, toute la production de composants spatiaux correspond à une semaine de production chez STMicroelectronics.
Par ailleurs, l'industrie spatiale doit être en mesure de gérer l'impact de la législation REACH 37 ( * ) , s'agissant notamment (mais pas seulement) de l'interdiction de l'hydrazine. L'hydrazine anhydre est un matériau stratégique tant pour les lanceurs que pour les satellites. La plupart des véhicules spatiaux, dans les domaines des télécommunications, de l'observation, la navigation et de la science, de même que pour les lanceurs, utilisent ce carburant ou ses dérivés. Plus particulièrement, les principaux programmes européens, tels qu'Ariane 5, Soyouz, Vega, Galileo ou GMES l'utilisent. Ce carburant est utilisé pour les manoeuvres d'ajustement en orbite. L'hydrazine constitue un facteur de dépendance en soi, puisqu'elle est actuellement importée (de Chine, Russie, Japon, États-Unis...), mais elle pourrait être obtenue, au sein de l'Espace économique européen, par purification de l'hydrate d'hydrazine. Si l'industrie spatiale demande à ce que l'interdiction de ce produit chimique ne lui soit pas appliquée, il n'en reste pas moins que son interdiction pourrait en réduire la disponibilité en Europe, ce qui rend nécessaire la recherche d'alternatives.
L'ESA, la Commission européenne et l'Agence européenne de défense (EDA) ont établi une liste d'actions stratégiques à entreprendre afin de réduire la dépendance de l'Europe 38 ( * ) . Cet effort de veille et d'harmonisation est louable ; il doit être suivi d'effet et des priorités doivent être clairement établies, afin d'éviter une trop grande dispersion des moyens. Enfin, les industriels doivent demeurer associés au processus afin d'assurer que les filières développées correspondent au besoin des marchés et sont économiquement viables.
Orientations
- Développer des filières européennes dans les secteurs technologiques clés pour lesquels il existe une dépendance (composants microélectroniques durcis) tout en veillant à la rentabilité économique des filières ainsi développées et en concentrant les moyens disponibles sur quelques priorités stratégiques
* 35 Field-Programmable Gate Array (FPGA)
* 36 Complementary Metal Oxyde Semiconductor
* 37 Règlement sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et les restrictions des substances chimiques, entré en vigueur le 1er juin 2007 (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals)
* 38 Critical Space Technologies for European Strategic non dependence (Février 2012).