E. GÉNÉRALISER LA COMPTABILITÉ ANALYTIQUE AU SEIN DES UNIVERSITÉS

Comme le rappellent la rapporteure Dominique Gillot et notre collègue Ambroise Dupont dans leur rapport d'information précité, la logique de réforme poursuivie par la loi LRU consiste à contrebalancer une plus grande autonomie de gestion accordée aux universités par un renforcement de la contractualisation a priori des objectifs à atteindre et de l'évaluation a posteriori de leurs performances. Au terme de leur accession aux RCE, les établissements ont ainsi vocation à développer des outils de prospective, de pilotage et de gestion divers et suffisamment fins pour disposer d'une visibilité pluriannuelle de leurs ressources humaines, financières et immobilières et de leurs dépenses correspondantes, en fonction des priorités fixées par leur contrat d'établissement .

Cela suppose pour les équipes dirigeantes et les services centraux de pouvoir s'appuyer sur des données comptables sincères et régulièrement réactualisées, à partir de tableaux de bord (mettant en rapport les états réalisés et prévisionnels, dans le cadre d'une programmation pluriannuelle) et d'une comptabilité analytique mettant l'accent sur la vérité des coûts (renforcement d'une logique de coûts complets et réels, données statistiques croisées...).

L'article 45 du décret n° 94-39 du 14 janvier 1994 89 ( * ) prévoyait déjà l'introduction, au sein de chaque établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, d'une comptabilité analytique . Les exigences de pilotage et de mesure de la performance ont été réaffirmées par la mission conjointe de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) dans son cahier des charges pour la mise en oeuvre de la loi du 10 août 2007 90 ( * ) . Or, cinq ans après l'adoption de la loi LRU, force est de constater que moins d'une dizaine d'universités françaises ont mis en place une comptabilité analytique .

L'article 17 de la loi du 10 août 2007 précise que les établissements « mettent en place un outil de contrôle de gestion et d'aide à la décision de nature à leur permettre d'assumer l'ensemble de leurs missions, compétences et responsabilités ainsi que d'assurer le suivi des contrats pluriannuels d'établissement ». Cet article prévoit également que « les activités de formation, de recherche et de documentation des établissements font l'objet de contrats pluriannuels d'établissement », qui étaient jusqu'alors facultatifs aux termes de l'article 20 de la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur (abrogée depuis l'ordonnance n° 2000-549 du 22 juin 2000). Un certain nombre d'universités ont alors pris l'initiative d'élaborer des contrats d'objectifs et de moyens (COM), sous l'impulsion de la CPU 91 ( * ) , afin de mieux associer l'ensemble de leurs composantes et de leur communauté pédagogique et scientifique à la réalisation des objectifs stratégiques fixés à l'établissement.

L'article L. 712-9 du code de l'éducation créé par l'article 18 de la loi LRU dispose, en outre, que « l'établissement assure l'information régulière du ministre chargé de l'enseignement supérieur et se dote d'instruments d'audit interne et de pilotage financier et patrimonial selon des modalités précisées par décret. Les comptes de l'université font l'objet d'une certification annuelle par un commissaire aux comptes ».

L'obligation d'une certification annuelle des comptes des universités par un commissaire aux comptes, dans les conditions précisées par le décret du 27 juin 2008 92 ( * ) sur le régime budgétaire et financier applicables aux établissements publics d'enseignement supérieur, les a contraintes à s'aligner sur les règles de la comptabilité publique. Beaucoup d'universités sont désormais dotées d'un contrôleur de gestion. Certaines d'entre elles, comme l'université de Strasbourg, disposent de tableaux de bord ou de plans de développement à cinq ou à dix ans, qui s'appuient sur une vision consolidée de leurs moyens (humains, financiers, patrimoniaux) et du coût de l'ensemble de leurs activités. Cette évolution a été rapide mais demeure inachevée dans un nombre encore important d'établissements.

L'impératif de contrôle des coûts, consécutif au passage aux RCE, a contraint les universités autonomes à passer d'une comptabilité d'engagements à une comptabilité analytique. Le logiciel SIFAC 93 ( * ) , en remplacement de son prédécesseur NABUCO 94 ( * ) , devait permettre de mettre en place ce type de comptabilité afin de conduire chaque établissement à évaluer le coût complet des diplômes, de ses filières ou d'un étudiant-type d'une UFR spécifique 95 ( * ) .

Toutefois, l'accès sélectif à SIFAC, restreint aux plateformes financières (unités financières chargées de l'exécution du budget), a été critiqué car il imposait aux directeurs de composante, quand bien même ils seraient ordonnateurs de certaines dépenses et disposeraient d'une délégation de signature, de passer par ces plateformes. Cette centralisation de l'exécution budgétaire, qui permet certes d'obtenir une vision globale réactualisée du coût des différentes activités de l'université, a rajouté une lourdeur administrative supplémentaire en amoindrissant la proximité entre les services centraux et les services gestionnaires des composantes 96 ( * ) .

99 établissements d'enseignement supérieur disposent du logiciel SIFAC et peuvent donc potentiellement établir une comptabilité analytique. En réalité, selon les données recueillies par la direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle du ministère, seulement quatre établissements ont déployé la comptabilité analytique sur l'ensemble de leurs activités et quatre sont en cours de formation-action pour un déploiement prévu en juin 2013 . Plusieurs universités utilisent cette fonctionnalité de façon partielle, sans qu'il soit possible de les dénombrer. Des travaux de recherche de décembre 2010 font apparaître qu'une grande majorité d'universités sont encore dotées « d'outils élémentaires de pilotage guidés par une seule logique de surveillance, et ce de façon plus ou moins incomplète » et que les pratiques universitaires continuent d'être « caractérisées par une communication et une utilisation des informations de pilotage produites encore trop centralisées » 97 ( * ) .

Dans son rapport public annuel de février 2012, la Cour des comptes a évalué le passage aux RCE de sept universités parisiennes. Elle regrette le recensement très insuffisant des risques et des engagements pesant sur les comptes des universités. Les passifs sociaux (notamment les congés à payer et les comptes épargne-temps) ne sont pas retracés dans les comptes. Elle souligne, en particulier, la faiblesse de la politique de formation dans ces établissements qui n'assure pas une professionnalisation effective de la fonction comptable et financière.

Dans ces conditions, les universités passées aux RCE ne sont pas en mesure de respecter pleinement les dispositions de l'article 18 de la loi LRU, aux termes duquel « l'établissement assure l'information régulière du ministre chargé de l'enseignement supérieur et se dote d'instruments d'audit interne et de pilotage financier et patrimonial ». En l'absence de vision consolidée de leurs comptes, les établissements peuvent rarement retracer leurs multiples sources de financement et ne respectent donc pas leur obligation de transparence budgétaire par la publication d'un budget agrégé détaillant les apports de l'établissement à ses unités propres, les apports de l'établissement à des unités constituées avec des partenaires et les apports, notamment extrabudgétaires, des organismes partenaires, conformément aux dispositions du décret du 27 juin 2008.

Les marges de progrès sont encore substantielles dans une connaissance plus fine par les universités des coûts complets de leurs principales activités, indispensable à une tarification plus juste, en particulier lorsqu'il s'agit de monter des dossiers sollicitant un financement sur projet, qu'il soit national ou européen. Les réponses aux appels à projet sont encore trop souvent établies à partir des seuls coûts directs, nécessairement incomplets.

Seule la mise en place d'une comptabilité analytique permet d' objectiver le coût d'une formation et d'effectuer les choix stratégiques qui s'imposent dans un contexte budgétaire contraint. Elle permet également de justifier en coûts complets les dossiers préparés en réponse aux appels d'offre et de sécuriser ainsi les financements sur projet , en particulier lorsque ceux-ci sont cofinancés en détaillant l'articulation et la complémentarité des apports financiers de chaque partenaire. Seule une présentation en coûts complets est à même de responsabiliser chaque financeur dans la tenue de ses engagements. Pour un certain nombre de fonctions, la comptabilité analytique est incontournable pour garantir la juste tarification des services proposés par l'université : la formation continue, certaines activités industrielles et commerciales...

Les ingénieurs d'études 98 ( * ) ont vocation à jouer un rôle déterminant dans le développement des fonctions de pilotage budgétaire et financier au sein des universités. La formation et les concours applicables à ce corps doivent prendre la pleine mesure des évolutions des problématiques de gestion intervenues dans le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les fonctions support des établissements doivent disposer des personnes qualifiées et des moyens nécessaires afin de conduire leur mission d'analyse des coûts des activités, en particulier en ce qui concerne la politique de formation. Cette analyse doit servir de support à tout dialogue de gestion avec les composantes.

L'objectivation du coût de chaque activité permettra au dialogue de gestion de passer d'une logique de moyens, qui résume la discussion budgétaire à l'opportunité de la reconduction des moyens par postes de dépenses distincts et jamais mis en relation (emplois, fonctionnement, investissement) pour chaque composante d'une année sur l'autre, à une logique de résultats, qui conduit à évaluer la proportionnalité de l'ensemble des moyens consacrés à une activité vis-à-vis des objectifs qui lui ont été assignés et des résultats qui ont été atteints.

La mise en place d'un tel dialogue de gestion prospectif suppose l'élaboration d' indicateurs de suivi et de résultats qui ont vocation à être renseignés et, le cas échéant, réajustés, au cours de l'exécution d'une convention pluriannuelle d'objectifs et de moyens entre l'université et chacune de ses composantes.

Proposition n° 24 : Renforcer l'accompagnement des universités dans le développement de leurs fonctions de pilotage budgétaire et financier avec pour objectif de généraliser la mise en place de la comptabilité analytique dans l'ensemble des établissements d'ici à la rentrée universitaire 2014-2015.

Dans son rapport d'avril 2012 99 ( * ) , l'IGAENR souligne que « si les universités s'attachent à renforcer leur dialogue interne, celui-ci reste majoritairement centré sur les dépenses et n'aborde que faiblement le volet ressources qu'il s'agisse du niveau de constatation des recettes, de leur recouvrement ou du développement de recettes nouvelles ».

Le développement des ressources propres n'est pas encore suffisamment encouragé aussi bien dans la contractualisation entre l'État et l'université que dans le cadre du dialogue de gestion entretenu par l'université avec ses composantes. Le calcul des dotations récurrentes ne prend pas en compte les ressources propres disponibles.

L'IGAENR constate que très peu d'universités sollicitent leurs ressources propres pour financer une partie des dépenses de fonctionnement de leurs activités. L'université de Bordeaux 2 est l'un des rares établissements à pratiquer une politique de prélèvement sur ses ressources propres afin de couvrir une partie de son fonctionnement, en particulier dans ses activités de recherche. Toutefois, en l'absence d'une évaluation des coûts complets de l'activité, le taux de prélèvement ne peut être ajusté en fonction de la réalité des coûts supportés.

La mission de l'IGAENR insiste sur le fait que l'ampleur très insuffisante du préciput pratiqué par l'ANR sur ses dotations (4 %) est particulièrement pénalisante dès lors que cette avance ne permet pas de couvrir l'intégralité des coûts fixes et d'environnement des projets subventionnés. Dans ces conditions, les établissements ont trop souvent tendance à prélever sur leurs moyens récurrents (dotation globale de l'État) pour financer le fonctionnement d'activités contractualisées qui sont pourtant censées être développées sur ressources propres.

Conformément aux préconisations de l'IGAENR, il paraît donc indispensable d'encourager le financement des activités sur projet par les ressources propres. Les objectifs en termes de collecte des ressources propres doivent être déterminés sur la base d'une évaluation en coûts complets de chaque activité ou projet.

Proposition n° 25 : Encourager le développement des ressources propres en vue de financer les activités sur projet, à partir d'une évaluation préalable des coûts complets de chaque activité ou projet. Faire du renforcement du suivi du recouvrement des ressources un objectif prioritaire dans le cadre du dialogue de gestion avec les composantes.


* 89 Décret n° 94-39 du 14 janvier 1994 relatif au budget et au régime financier des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel.

* 90 IGF-IGAENR, cahier des charges établi en vue de l'élargissement des compétences universités prévu par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, octobre 2007.

* 91 La CPU a mis en place un groupe de travail intitulé « Contrats d'objectifs et de moyens ».

* 92 Décret n° 2008-618 du 27 juin 2008 relatif au budget et au régime financier des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel bénéficiant des responsabilités et compétences élargies.

* 93 « Système d'information financier, analytique et comptable ».

* 94 « Nouvelle approche budgétaire et comptable ».

* 95 Christine Musselin, Julien Barrier, Camille Boubal et Aude Soubiron, Liberté, responsabilité... et centralisation des universités , rapport publié le 27 août 2012 sous contrat avec l'École supérieure de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

* 96 Ibidem .

* 97 David Carassus, Caroline Baradat et Élodie Dupuy, Caractérisation des modes de pilotage des universités françaises dans un contexte de mutation , rapport élaboré en partenariat avec le MESR, l'ÉSEN et l'IGAENR, décembre 2010.

* 98 Ce corps de fonctionnaires de catégorie A fait partie de l'ensemble plus vaste des ingénieurs et techniciens de recherche et de formation (ITRF).

* 99 IGAENR, Étude des mécanismes internes d'allocation des moyens en crédits et en emplois dans les universités , rapport n° 2012-041, avril 2012.

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