C. UN VOLUME CONSIDÉRABLE, EN FORTE PROGRESSION ET QUI CONSTITUE UN ENJEU IMPORTANT POUR LES FINANCES PUBLIQUES

1. Un agrégat de 3 091 milliards d'euros, dont l'encours progresse rapidement
a) Des encours agrégés de 3 091 milliards d'euros, dont 1 412 milliards d'euros de dettes financières, qui constituent un ensemble disparate

Selon la Cour des comptes, l'agrégat des encours des engagements hors bilan de l'Etat s'élevait fin 2012 à 3 091 milliards d'euros , soit 152 % du PIB. Ces données agrégées, pour la première fois disponibles, dépassent nettement le passif total de l'Etat (soit 1 859 milliards d'euros).

Cet encours est constitué, pour plus de la moitié du total (soit 54 %), des engagements de retraite portés par l'Etat (1 679 milliards d'euros). Les autres engagements hors bilan sont constitués par les dettes financières pour un montant presque équivalent, à hauteur de 1 412 milliards d'euros. Ces engagements entrent plus particulièrement dans le champ des attributions de votre rapporteur spécial, alors que les engagements hors bilan au titre des retraites sont suivis par notre collègue Francis Delattre, rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale « Pensions ».

Le tableau ci-après détaille la répartition des engagements hors bilan de l'Etat, fin 2012, selon la classification figurant au compte général de l'Etat, et fait apparaître le caractère très disparate de ces engagements . L'encours total n'inclut pas, faute de pouvoir les évaluer et les comptabiliser de manière fiable, les engagements découlant de la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat, au titre, notamment, de litiges fiscaux, de destructions d'armement ou de retraits de sites militaires.

Classification des engagements de l'Etat en comptabilité générale

(en milliards d'euros)

Catégorie

Principales composantes

Pour

information encours à fin

2012

Engagements pris dans le cadre d'accords bien définis : engagements de type financier ou contractuel accordés par l'Etat, caractérisés par l'existence de documents contractuels ou juridiques liant l'Etat à un tiers

Dette garantie : engagement de l'Etat de se substituer à un emprunteur défaillant vis-à-vis de son créancier, sur le capital ou les intérêts, le cas échéant de façon subrogative

163

Garanties liées à des missions d'intérêt général : mécanismes d'assurance, garanties de protection des épargnants, garanties de change en faveur des banques centrales

486

Garanties de passifs : opérations de cession et restructuration d'entreprises publiques, garanties liées à la mise en oeuvre de structures spécifiques, autres passifs

186,8

Engagements financiers de l'Etat : contrats de cofinancement, instruments financiers à terme, engagements budgétaires, autres engagements financiers

142,3

Engagements découlant de la mission de régulateur économique et social de l'Etat : obligations potentielles de l'Etat correspondant à des transferts pour lesquels l'ensemble des conditions nécessaires à la constitution du droit du bénéficiaire n'est pas réalisé à la date de clôture ou doit être maintenu sur des périodes postérieures à l'exercice clos

Aides au logement, revenu de solidarité active, allocation aux adultes handicapés, contrats d'aide et de soutien par le travail, mécanisme de financement de l'audiovisuel public, engagements liés au Fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage (FNDMA)

434

Engagements découlant de la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat : litiges avérés et engagements résultant des obligations reconnues par l'Etat, pour lesquels les conditions de comptabilisation des provisions pour risques ne sont pas vérifiées

Démantèlement des matériels militaires, destruction de munitions, dépollution de sites militaires, engagements de nature fiscale

Données non disponibles

Engagements de retraite de l'Etat : droits à pensions futures des actifs et des inactifs calculés sur la totalité de la période d'activité accomplie à la date de clôture des comptes

Fonctionnaires de l'Etat, militaires, fonctionnaires de La Poste, agents intégrés dans la fonction publique territoriale suite à la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat (FSPOEIE), autres régimes

1 679

Source : enquête de la Cour des comptes reproduite en annexe (tableau n° 3) d'après le recueil des normes comptables de l'Etat et le compte général de l'Etat 2012

Le tableau ci-après détaille la composition et l'évolution des encours relevant de la catégorie des « engagements pris dans le cadre d'accords bien définis », correspondant à un montant total de 978,1 milliards d'euros fin 2012, soit le plus important après celui des engagements de retraite. Il comprend :

- les garanties de dette apportées par l'Etat, ayant donné lieu à un examen spécifique plus approfondi de la Cour des comptes dans son enquête (cf. infra ) ;

- la protection des épargnants, les garanties au commerce extérieur de la COFACE ; ce dispositif a également été étudié plus en détail par la Cour des comptes dans son enquête (cf. infra ) ;

- les garanties de passifs (principalement, les garanties accordées aux banques multilatérales de développement et les garanties apportées par la France dans le cadre du FESF, cf. infra sur l'examen de l'évolution de l'encours global) ;

- les engagements financiers de l'Etat, quand des autorisations d'engagement n'ont pas entraîné de consommation de crédits de paiement (c'est notamment le cas pour le Mécanisme européen de stabilité, cf. infra ), et au titre du paiement de la dette.

Comme l'a encore rappelé la Cour des comptes lors de la certification des comptes de 2011, le recensement des « engagements pris dans le cadre d'accords bien définis » s'avère toutefois encore incomplet , dans l'attente notamment que soit créé un outil recensant l'ensemble des garanties accordées par l'Etat. De même, la Cour des comptes a déploré que « la présentation, en annexe, du tableau des principaux dispositifs de garantie actifs au 31 décembre 2011, ne permet[te] pas d'apprécier la réalité du risque supporté par l'Etat à ce titre » 18 ( * ) .

Pour remédier à ces lacunes, la Cour des comptes a formulé des recommandations, examinées dans la partie II du présent rapport.

Encours des engagements pris dans le cadre d'accords bien définis

(en milliards d'euros)

Au 31 décembre

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Dette garantie

56,3

61,4

78,6

150,0

138,0

124,0

163,0

Garanties liées à des missions d'intérêt général

227,5

235,4

261,1

394,2

399,1

431,1

486,0

dont garantie de protection des épargnants

165,0

173,0

186,3

307,0

313,7

339,4

394,4

dont engagements au titre de l'assurance-crédit Coface ou de la procédure de stabilisation de taux d'intérêt

52,4

53,6

74,5

85,9

84,3

90,9

90,7

Garanties de passif

n/a

34,7

34,7

13,0

59,1

60,8

186,8

Engagements financiers de l'Etat

122,6

126,5

117,6

124,0

158,8

154,5

142,3

dont engagements budgétaires

55,4

61,5

68,8

82,3

95,7

93,3

91,8

dont valeur nominale des instruments financiers à terme

45,7

47,9

33,5

24,3

19,0

16,0

12,7

Total « Engagements pris dans le cadre d'accords bien définis »

406,4

458,1

492,1

681,1

755,0

770,4

978,1

Total en pourcentage du PIB

22,6 %

24,3 %

25,5 %

36,1 %

39,0 %

38,6 %

48,1 %

Source : rapport de la Cour des comptes annexé au présent rapport (tableau n° 5), d'après les comptes généraux de l'Etat 2006 à 2012

b) Une forte progression des encours traduisant notamment la montée en puissance des mécanismes européens de stabilité financière

La progression rapide des encours s'explique par plusieurs facteurs :

1) la dynamique propre à certains dispositifs, comme les engagements de retraite et la garantie de protection des épargnants qui ont augmenté, respectivement, de 458 milliards d'euros et de 221,4 milliards d'euros entre fin 2006 et fin 2012 ; la progression des engagements au titre des retraites des fonctionnaires civils et militaires doit toutefois être relativisée, puisqu'elle retrace une réévaluation comptable des paramètres d'actualisation des pensions futures à verser ; par ailleurs, la hausse des encours de l'épargne réglementée entraîne une augmentation du total des engagements hors bilan, mais le risque de réalisation est relativement peu élevé ;

2) les changements de référentiels comptables ;

3) la montée en puissance des dispositifs de stabilisation économique et financière au sein de la zone euro :

- l'encours de la dette émise par le FESF, autorisé à contracter des emprunts sur les marchés au bénéfice des pays rencontrant des difficultés de financement, lequel s'élevait, fin 2012, à 58,1 milliards d'euros (contre 7,3 milliards d'euros fin 2011) au titre de la quote-part française 19 ( * ) ;

- par ailleurs, le FESF ayant été créé pour une durée de trois ans, un dispositif pérenne a été mis en place avec la création du Mécanisme européen de stabilité (MES) ; la part française au capital appelable du MES représentait un engagement de 126,4 milliards d'euros fin décembre 2012 ;

4) dans la dette garantie par l'Etat, les opérations relevant du plan de soutien aux banques ont, enfin, conduit à un appel en garantie suite à une émission de titres de créances par la Société de financement de l'économie française (SFEF), dont l'encours au principal s'élevait à 23,7 milliards d'euros fin 2012.

2. Un élément essentiel pour l'appréciation de la soutenabilité des finances publiques, mais dont les incidences budgétaires sont aujourd'hui limitées
a) Des impacts budgétaires aujourd'hui limités

Si l'enquête de la Cour des comptes n'avait pas vocation à quantifier la probabilité de réalisation des risques liés aux engagements hors bilan 20 ( * ) , il convient d'observer l'absence de corrélation entre l'augmentation des encours et les dépenses budgétaires, les engagements hors bilan recouvrant des obligations aux horizons temporels et aux risques potentiels très variables . En pratique, le programme 114 « Appels en garantie de l'Etat » du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat », doté de crédits évaluatifs, retrace la dépense budgétaire associée à l'ensemble des dispositifs pour lesquels l'Etat a octroyé sa garantie, qui concerne pour les deux tiers les dispositifs de garantie mis en oeuvre par la COFACE. Le montant annuel moyen des dépenses effectives s'est élevé à 303 millions d'euros entre 2009 et 2012.

En revanche, les recettes provenant des engagements hors bilan apparaissent tendanciellement orientées à la baisse : 4 milliards d'euros en 2006, moins de 2 milliards d'euros par an entre 2009 et 2011, moins de 1 milliard d'euros en 2012.

Alors que les informations sont aujourd'hui parcellaires et dispersées, la Cour des comptes a effectué un premier travail de recensement, qui devra être complété pour tendre vers davantage d'exhaustivité :

- dans le cadre des garanties de dette apportées à des établissements bancaires, y compris Dexia, l'Etat a perçu directement ou via la SFEF des recettes non fiscales qui s'élèvent annuellement, entre 2009 et 2012, entre 400 millions et 600 millions d'euros ;

- dans le domaine de la protection des épargnants, des prélèvements peuvent être opérés sur la trésorerie du fonds d'épargne qui centralise ces dépôts, et lui-même géré par la Caisse des dépôts et consignations ; entre 2006 et 2012, ces prélèvements ont été opérés cinq années, pour un montant record de 1,45 milliard d'euros en 2006 et des montants annuels compris entre 742 millions et 965 millions d'euros en 2007, 2008, 2010 et 2011 ; il n'a pas été opéré de prélèvement à ce titre en 2009 et 2012 ;

- au titre des opérations menées par la COFACE, il a été procédé chaque année à des prélèvements sur le compte des procédures publiques au regard de l'excédent de ce compte, mais pour des montants décroissants : 2,5 milliards à 2,9 milliards d'euros par an entre 2006 et 2008 ; 0,9 milliard à 1 milliard d'euros en 2009 et 2010 ; 450 millions d'euros en 2011 et 600 millions d'euros en 2012.

b) Un élément d'appréciation de la soutenabilité des finances de l'Etat

Les engagements hors bilan sont « un facteur d'appréciation de la crédibilité de la trajectoire budgétaire de l'Etat et de sa capacité à rembourser les dettes. S'il n'existe pas de limite en théorie à leur enveloppe globale, il appartient aux pouvoirs publics de s'assurer que leur niveau n'entame pas la crédibilité de la signature de l'Etat » 21 ( * ) .

A cet égard, dans son enquête réalisée à la demande de votre commission des finances, la Cour des comptes a mené des travaux inédits sur le poids comparé , en France et dans d'autres pays disposant également d'une comptabilité en droits constatés, des passifs éventuels constitués par les engagements hors bilan relevant de la seule catégorie des dettes financières (à l'exclusion des engagements de retraite). Dans la zone euro, la France est aujourd'hui le seul pays à disposer d'une comptabilité en droits constatés.

Les résultats de cette étude comparative sont présentés de manière synthétique dans le tableau ci-après. Ils font apparaître un poids relativement élevé des passifs éventuels de la France (45,6 % du PIB en 2011), traduisant un rôle traditionnel important de l'Etat comme régulateur économique et sociale, notamment dans le secteur financier, auquel s'ajoute son rôle comme réassureur de risques non couverts par le secteur privé. Mais en l'absence d'harmonisation des périmètres des engagements hors bilan ainsi mesurés sur la base de référentiels comptables harmonisés, les comparaisons internationales s'avèrent peu pertinentes, comme l'a observé Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes, lors de l'audition pour suite à donner réalisée le 15 mai 2013, et dont le compte rendu figure en annexe au présent rapport. Il a aussi souligné que la France, en étant le seul pays de la zone euro à disposer d'une comptabilité en droits constatés, bénéficiait d'un avantage comparatif dans l'appréciation des agences de notations sur les comptes publics et les engagements de l'Etat :

« En premier lieu, si elles peuvent éclairer l'évolution de la situation française en comparaison de celles connues par d'autres Etats, les comparaisons internationales ne permettent pas, à ce jour, de comparer les niveaux des engagements hors bilan dans différents Etats.

« En effet, la grande majorité des Etats n'établit tout simplement pas de comptes en droits constatés certifiés. Dans la zone euro, la France est le seul pays à s'être doté d'une comptabilité générale certifiée par un auditeur externe, en l'occurrence la Cour des comptes. Ni l'Italie, ni l'Allemagne ne publient de données comparables.

« Du reste, les Etats qui produisent des comptes en droits constatés le font, à l'heure actuelle, sur la base de normes de comptabilisation locales qui, même si elles sont généralement dérivées des normes International Public Sector Accounting Standards (IPSAS), sont trop hétérogènes pour que des comparaisons puissent être facilement établies entre leurs situations. Les référentiels comptables ne permettent donc pas d'établir des comparaisons, même quand les données en droits constatés sont disponibles.

« Face à ces limites, Eurostat et les autres services de la Commission européenne ont initié des réflexions afin harmoniser le suivi des passifs éventuels des administrations publiques au niveau européen. Cette démarche s'inscrit dans un cadre plus large visant à inciter les Etats membres à produire chaque année des comptes en droits constatés, comprenant un bilan, un compte de résultat et une annexe aux comptes. La France y prend actuellement une part importante, et j'y reviendrai en conclusion .

« (...) Nous sommes en contact régulier avec la Commission européenne, le Fonds monétaire international et les agences de notation à propos de la comptabilisation et du recensement des engagements hors bilan. Le fait que la France dispose de comptes solides, certifiés par une autorité externe, participe de la crédibilité de nos finances publiques. Dans nos échanges réguliers avec les institutions communautaires, le processus de certification et la qualité du système comptable apportent des garanties de sérieux et de crédibilité. L'investissement consacré à la construction de ces outils commence à être payé de retour ».

Poids des passifs éventuels pour certains Etats
ayant adopté une comptabilité en droits constatés

Données à fin d'exercice

2009

2010

2011

Passifs éventuels (Md€)

Passifs éventuels

(% PIB)

Passifs éventuels (Md€)

Passifs éventuels

(% PIB)

Passifs éventuels (Md€)

Passifs éventuels

(% PIB)

Nouvelle-Zélande

2

2,6 %

2

2,3 %

3

2,7 %

Etats-Unis

5 256

52,6 %

5 986

54,7 %

7 193

66,5 %

Royaume-Uni

n/d

n/d

565

33,3 %

398

22,3 %

Australie

555

78,3 %

234

25,0 %

179

16,5 %

Canada

154

16,0 %

183

15,4 %

201

15,9 %

Suisse

7

2,0 %

12

3,1 %

14

3,0 %

France

779

41,2 %

867

44,9 %

920

45,6 %

Le Royaume-Uni n'a pas présenté d'évaluations chiffrées de ses engagements hors bilan dans les états financiers publiés en 2009. L'Australie a opéré un changement de méthode de recensement de ses engagements hors bilan entre 2009 et 2010. La Suisse a opéré un changement de méthode de recensement de ses engagements hors bilan entre 2009 et 2010, les chiffres sont fournis hors « Engagements en matière de prévoyance et autres prestations en faveur de l'employé ». Engagements français hors « Engagements de retraite et assimilés de l'Etat ».

Source : Enquête de la Cour des comptes reproduite en annexe (tableau n° 10), d'après FMI ; Treasury annual report 2009, 2010, 2011 (Nouvelle-Zélande) ; Financial report of the United States Government 2009, 2010, 2011 ; Annual report and accounts 2009, 2010, 2011 (Royaume-Uni) ; Treasury annual report 2009, 2010, 2011 (Australie) ; Comptes publics du Canada 2009, 2010, 2011 (Suisse) ; compte général de l'Etat 2011 (France)


* 18 Cité par l'enquête de la Cour des comptes reproduite en annexe (p. 77).

* 19 Cette quote-part au sein des pays membres de l'Union européenne s'élève à 21,83 % de l'ensemble des garanties émises par le FESF.

* 20 A contrario , l'inscription de certains risques au hors bilan de l'Etat peut être considérée comme réduisant la probabilité qu'ils surviennent, l'Etat contribuant ainsi à stabiliser l'environnement macro-économique.

* 21 Enquête de la Cour des comptes reproduite en annexe. Citation p. 9.

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