2. L'effectivité limitée de l'accès à une couverture maladie

Comme tout public en situation de précarité, les personnes qui se prostituent connaissent souvent des difficultés à accéder effectivement à une couverture maladie , alors qu'elles sont pour la plupart éligibles à l'un ou l'autre des dispositifs de prise en charge décrits précédemment. Ce constat, unanimement partagé par les acteurs de terrain, s'explique par une pluralité de facteurs parmi lesquels la barrière de la langue, la complexité des dispositifs et des démarches administratives, la méconnaissance des droits et du fonctionnement du système de soins.

a) Le renoncement aux soins : une constante chez les publics en situation de précarité, particulièrement marquée chez les personnes étrangères en situation irrégulière

Les études réalisées en France sur le renoncement aux soins 50 ( * ) mettent toutes en avant le facteur financier. En 2008, 15,4 % de la population adulte déclarait avoir renoncé à des soins médicaux pour des raisons financières au cours des douze mois qui ont précédé. Les personnes appartenant au plus bas quintile de revenus renoncent davantage à des soins que les autres et, globalement, le taux de renoncement augmente de façon régulière quand le revenu diminue. Autrement dit, les populations en situation de précarité sont les premières concernées par ces renoncements , lesquels portent fréquemment sur les soins de premiers recours (alors que dans le reste de la population, ils concernent davantage les soins dentaires et d'optique).

Parmi ces publics précaires, on trouve notamment les bénéficiaires potentiels de l'AME (catégorie dont relève la grande majorité des personnes prostituées), comme le montrent l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport commun publié en 2010 51 ( * ) : « la complexité de l'accès aux droits et l'inquiétude ressentie vis-à-vis d'un environnement souvent perçu comme hostile font que les bénéficiaires potentiels ne recourent à l'AME qu'en cas de forte nécessité » . Selon La Drees, qui y a consacré une étude en 2008 52 ( * ) , le renoncement aux droits et aux soins chez ces personnes est, sans surprise, principalement motivé par des raisons financières ou lié au fait qu'elles ont d'autres priorités, comme le logement ou l'alimentation.

b) La barrière linguistique

La mauvaise maîtrise de la langue française constitue un obstacle important à l'accès aux soins : elle conduit à des incompréhensions sur les informations délivrées par les professionnels (dates des rendez-vous, nature des traitements prescrits, démarches à entreprendre, etc.), à des erreurs de diagnostic, à des errements... sans compter qu'elle rend quasiment impossible les prises en charge psychologiques.

Certes, de nombreux acteurs aident les personnes non francophones dans leurs démarches (les plates-formes d'accueil pour les demandeurs d'asile, les directions territoriales de l'office français pour l'intégration et l'immigration, les associations, le centres communaux d'action sociale, les services sociaux des établissements hospitaliers, etc.), mais le recours à l'interprétariat est encore trop rare dans les administrations et les diverses structures de prise en charge.

Lors d'un déplacement à l'hôpital Ambroise Paré de Boulogne-Billancourt, vos rapporteurs ont pu constater l'utilité du recours à la médiation et à l'interprétariat . Cet hôpital a mis en place depuis une dizaine d'années, en partenariat avec l'association Pastt (prévention et action pour la santé et le travail des transsexuel-le-s), un dispositif d'accès aux soins, à la prévention et aux droits destiné à la population prostituée du bois de Boulogne, essentiellement transgenre et originaire d'Amérique latine. Afin de faciliter les échanges avec ce public, un poste d'agent de médiation a été créé et confié à une personne parlant le portugais et l'espagnol car elle-même née au Brésil. Ce type d'initiative nécessite toutefois des crédits dédiés, dont ne disposent souvent pas les acteurs de terrain.

Proposition

Développer le recours à la médiation et à l'interprétariat dans les établissements de santé et les services sociaux.

c) Les difficultés administratives

La complexité des procédures administratives est régulièrement citée par les associations comme un facteur aggravant, certaines parlant même de véritable « parcours du combattant ». La constitution des dossiers et la production des justificatifs nécessaires pour ouvrir les droits sont d'autant plus difficiles que la personne est en situation irrégulière, cas fréquent parmi la population étrangère qui se prostitue.

Comme l'expliquent l'IGF et l'Igas dans le rapport précité, la nature même de l'AME implique que les modes de preuve soient particulièrement souples, « ce qui va à l'encontre de la culture administrative traditionnelle et nécessite une impulsion importante au niveau central » . Non seulement les délais d'instruction des dossiers sont parfois très longs (deux voire trois ans) mais, en outre, il semble que des disparités importantes existent dans leur traitement selon les Cpam et même selon les agents.

Lors de leur audition, plusieurs associations ont également fait état d'un problème dans le calcul des ressources pour l'accès à la CMU-c et l'AME. Pour ces deux prestations, l'évaluation des ressources se fonde théoriquement, en l'absence de documents justificatifs, sur une déclaration sur l'honneur. Or, il apparaît que  les pratiques de certains services vont au-delà de la réglementation et cherchent à appréhender les moyens d'existence des personnes à travers une estimation de leurs dépenses, ce qui, dans le cadre de la prostitution, peut faire obstacle à l'accès aux droits. En effet, comme l'explique l'Igas dans son rapport précité, « en cas de logement à l'hôtel, l'estimation du coût de la nuitée d'hôtel avec une projection sur un mois dépasse largement le plafond de ressources permettant l'accès à l'AME ou la CMU, alors que le reste à vivre de la personne qui se prostitue et qui, dans de nombreux cas, doit assurer le remboursement au réseau de passage ou de traite, ou le paiement d'un « protecteur » , sans compter l'envoi d'argent à la famille restée au pays, peut être minimal » .

Une application plus harmonisée et homogène de la réglementation par les services est donc nécessaire . L'appréciation des conditions d'éligibilité à l'AME doit être précisément encadrée par des instructions ministérielles partagées par toutes les directions administratives concernées afin de garantir un égal accès au droit sur tout le territoire.

Parallèlement, les agents des Cpam doivent être sensibilisés aux difficultés rencontrées par les personnes prostituées - en particulier celles victimes de la traite - pour l'accès aux droits sociaux . Il est notamment indispensable qu'ils prennent systématiquement en compte le reste à vivre de ces personnes.

Par ailleurs, force est de constater que le turn-over et la forte mobilité liés à certaines formes de prostitution ne favorisent pas l'engagement de procédures administratives et le suivi des dossiers. En outre, la mobilité géographique devient un obstacle supplémentaire lorsqu'elle ne permet pas à la personne concernée de satisfaire aux conditions de stabilité de résidence exigées, notamment pour l'AME.

Propositions

Harmoniser les règles de gestion administratives de l'aide médicale de l'Etat.

Sensibiliser les agents des caisses primaires d'assurance maladie aux difficultés rencontrées par les personnes prostituées pour l'accès aux droits sociaux et les inciter à une meilleure prise en compte du reste à vivre de ces personnes.

d) La méconnaissance des droits et des structures délivrant des soins

Enfin, le manque d'information et de connaissance sur les droits sociaux et sur l'accompagnement qui peut être proposé dans les structures de soins ou d'aide sociale apparaît comme un frein majeur, en particulier pour les personnes prostituées d'origine étrangère. La complexité du droit de l'assurance maladie, à laquelle s'ajoute celle du droit en matière d'immigration, la multiplicité des acteurs, les barrières culturelles sont autant de facteurs favorisant cette méconnaissance.

Un travail est actuellement en cours entre l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (Inpes) et les représentants d'associations de diverses obédiences en vue d'éditer une brochure « vos droits, votre santé » à l'usage de toutes les personnes prostituées (femmes, hommes, trans). Après un premier projet de maquette n'ayant pas abouti faute de consensus entre les acteurs, un second a vu le jour. Celui-ci comporte, entre autres, un volet « accès aux droits » qui détaille les différents dispositifs existants (AME, CMU...) et indique les procédures à suivre, et un volet « santé » qui aborde la question des IST, des addictions, des violences et donne des conseils sur les conduites à tenir.

Pour vos rapporteurs, la diffusion de cette brochure doit être la première étape d' une réelle stratégie d'information et d'orientation en direction des personnes prostituées .

Proposition

Accroître l'effort d'information et d'orientation des personnes prostituées en développant les outils et les moyens confiés aux associations.


* 50 « Le renoncement aux soins pour raisons financières : une approche économétrique », Questions d'économie de la santé, Irdes, n° 170, novembre 2011 ; « Le renoncement aux soins : une approche socio-anthropologique », Caroline Després, Paul Dourgnon, Romain Fantin, Florence Jusot, Questions d'économie de la santé, Irdes, n° 169, octobre 2011 ; Médecins du monde, rapport 2002 de l'Observatoire de l'accès aux soins, 25 juin 2003.

* 51 IGF-Igas, « Analyse de l'évolution des dépenses au titre de l'aide médicale d'Etat », novembre 2010.

* 52 Drees, « Les bénéficiaires de l'AME en contact avec le système de soins », Etudes et résultats n° 645, juillet 2008.

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