C. UNE REDÉFINITION BIENVENUE DU SOUTIEN FRANÇAIS, ENFIN AU SERVICE DU RENFORCEMENT DES CAPACITÉS TCHADIENNES ?
L'étude documentaire et les auditions réalisées par la délégation, si elles ne permettent pas d'évaluer chacune des actions soutenues par la France, lui ont cependant donné une idée claire de leur articulation avec la demande de la partie tchadienne. L'exemple tchadien livre en conséquence des enseignements et suggère des pistes pour renforcer l'efficacité de l'action extérieure de la France dans le domaine de la recherche pour le développement.
1. Une inflexion forte et bienvenue du soutien français, vers un partenariat plus équitable
La délégation se félicite d'avoir rencontré, au poste diplomatique de N'Djamena, des interlocuteurs français tout à fait conscients du « tournant » opéré par les Tchadiens en matière de recherche et de la « fenêtre d'opportunité » ouverte récemment pour renforcer les capacités de recherche tchadiennes.
La succession entre les deux principaux programmes français de soutien à la recherche au Tchad est à cet égard édifiante. Le programme 2004-2010 a échoué, faute d'avoir répondu à une demande authentique des partenaires tchadiens. Cet échec a eu au moins le mérite de conduire la partie française à négocier davantage en amont le nouveau programme consacré aux grands ensembles lacustres tchadiens (GELT). La délégation a pu vérifier auprès de ses interlocuteurs tchadiens que ce programme avait été effectivement coproduit avec les autorités nationales : sa rédaction même a fait l'objet d'une négociation, et il a été tenu compte de demandes très claires pour intégrer davantage d'étudiants tchadiens et insérer ce programme de recherche dans la stratégie nationale de renforcement des capacités.
Le projet GELT est bien mieux construit que son prédécesseur, pour les raisons suivantes, explicitées par le Poste diplomatique :
- il part de l'existant et se raccorde au seul centre national d'appui à la recherche (CNAR), plutôt qu'imaginer une nouvelle structure pour fédérer les institutions actuelles ;
- il mise sur une nouvelle génération de chercheurs et de cadres du développement, en impliquant les enseignant-chercheurs et les plus jeunes docteurs, plutôt que les chercheurs « institutionnels » qui ont prouvé leur faible motivation ;
- il confie l'outil de gestion de recherche (site web) au seul CNAR, qui est équipé et dont la vocation est précisément l'animation de la recherche tchadienne.
Cette inflexion tangible de la méthode, cependant, est fragile. En effet, outre la forte rotation chez les partenaires tchadiens 113 ( * ) , cette inflexion est menacée par la difficulté croissante de mobiliser des moyens pour la recherche côté français, aussi bien que par une pente naturelle conduisant les organismes français à vouloir capter la majeure partie de ces moyens. A cette aune, il ne faudrait pas que les instituts dédiés « remplacent » les universités françaises, mais bien qu'ils les suppléent - le partage des tâches n'étant pas toujours aisé à faire, alors qu'il est porteur de sens : l'autonomisation des universités du Sud passe par une coopération directe avec les universités françaises, plutôt que par l'intervention systématique des instituts dédiés en lieu et place des universités.
Dans ces conditions, et pour autant que la délégation ait pu en juger dans le cadre de son déplacement, ce projet GELT mérite une grande attention et un traitement prioritaire : il en va du renouvellement de la méthode d'action de la France au Tchad en matière de recherche pour le développement.
Notre pays a une position unique au Tchad parmi les pays du Nord, liée à l'usage du français et à notre rôle séculaire dans le pays, qui, s'agissant de la recherche, a perduré bien au-delà de l'indépendance ; mais la décennie passée montre combien, malgré de bonnes intentions, il est facile de passer à côté de la cible : même un programme bien défini « sur le papier », comme l'était le projet ARS2T 114 ( * ) , peut aboutir à des résultats inverses à ceux que l'on recherche - par exemple à conforter la captation d'indemnités pour la recherche, sans incidence aucune sur la recherche effective.
La condition évidente, mais qui n'a pas semblé toujours facile à tenir par la « diplomatie scientifique », c'est l'adhésion effective de la partie tchadienne aux projets de recherche : ils doivent à tout le moins servir les intérêts du pays tels que les autorités nationales perçoivent ces intérêts. Faute de quoi, la participation sera, au mieux formelle, au pire déviante, pour un résultat toujours décevant, qu'il n'est jamais facile d'avouer - le défaut d'évaluation du programme ARS2T est en lui-même édifiant - et qui peut laisser des traces durables sur la relation partenariale.
A cette aune, votre mission ne peut taire sa circonspection envers le déroulement de l'expertise collégiale sur l'avenir du Lac Tchad. Le caractère international de la démarche est bien sûr important, sa dimension politique est déterminante - sachant que les avancées politiques empruntent des voies souvent inattendues. Cependant, et pour autant que l'on puisse s'en faire une idée avec les documents écrits à ce jour, le « document stratégique » promis pour cet automne sera-t-il autre chose qu'une série de généralités déjà bien connues avant l'expertise ? C'est l'impression qui domine à la lecture du dernier document disponible (voir supra) : le texte se fait précis seulement pour suggérer de nouveaux diagnostics, appeler à de nouvelles évaluations et expertises, ou encore à « changer la communication sur le lac », autant de tâches dont les premiers exécutants pourraient fort bien être les experts internationaux eux-mêmes. De plus, des difficultés d'ordre politique pourraient apparaître prochainement, liées à ce que certains États auraient comme seul objectif dans cette démarche d'expertise, que l'accès à une cartographie détaillée du terrain - c'est ce qu'en ont dit certaines personnalités auditionnées, sans que votre mission puisse, on le comprend, confirmer ces dires. Dans ces conditions, les moyens consacrés à l'expertise collégiale ne seraient-ils pas plus utiles au renforcement du programme des bourses d'études pour les étudiants tchadiens, au renforcement des capacités ?
* 113 Le projet ARS2T a subi une forte rotation des responsables : il a connu quatre ministres et trois secrétaires généraux du ministère (remaniements ministériels le 05 août 2005, le 15 février 2006, en janvier 2009 et en septembre 2011), deux Conseillers de coopération et d'action culturelle (changement en septembre 2008), quatre attachés de coopération (changements en septembre 2008, septembre 2010 et septembre 2011), deux chefs de projets (changement en juillet 2010). Il y a eu également deux changements à la direction de l'ITRAD (janvier puis octobre 2006) et un changement à la direction du LRVZ en avril 2006.
* 114 Projet d'appui à la recherche scientifique et technique au Tchad, voir plus haut.