2. Des pistes pour renforcer la pertinence de l'action française en matière de recherche pour le développement

L'exemple tchadien montre combien il est impérieux, quoique difficile, de prendre en compte avec justesse et précision la demande formulée par le partenaire en matière de recherche pour le développement : la difficulté tient pour beaucoup aux retards des Tchadiens en matière de recherche, qui rendent plus expédient le recours à l'expertise rarement tchadienne ; mais il n'en reste pas moins indispensable de partir de la demande telle qu'elle est formulée par le partenaire, car c'est bien au pays « en développement » à définir sa voie de développement - ou bien l'aide au développement, a fortiori la recherche pour le développement, risque fort de passer à côté de la cible et d'entretenir des comportements ou des habitudes qui n'ont que peu à voir avec la recherche et le développement.

C'est donc le message qu'a retenu la délégation de son déplacement au Tchad : lorsque les institutions de recherche manquent chez le partenaire, il faut d'abord l'aider à en constituer, c'est une condition indispensable au développement du pays ; et cette priorité devrait servir de mètre-étalon, tant pour l'affectation des moyens que pour l'évaluation des résultats, ce qui n'interdit en rien aux partenaires du Nord que nous sommes de proposer aux pays du Sud, des recherches dont l'initiative nous appartient.

- Entendre la demande pour le renforcement des capacités. La première demande des chercheurs tchadiens - sinon la seule ? - est bien le renforcement des capacités de l'université tchadienne (pour s'en tenir au domaine de la recherche). La délégation a été frappée par la constance et par la force de cette demande.

Les responsables tchadiens que nous avons rencontrés, aussi bien que les chercheurs, sont parfaitement au fait des retards de l'université tchadienne au regard des standards internationaux. C'est le sens de l'inflexion forte donnée à la politique de la recherche et de la formation, avec le plan triennal de 4 milliards de francs CFA, l'objectif d'un doublement du corps enseignant d'ici 2016 et le programme d'élévation du niveau des enseignants actuels, coordonné par le CNAR. C'est également dans ce sens qu'il faut comprendre les efforts de la récente direction de la recherche au ministère tchadien de l'enseignement supérieur, pour définir une stratégie nationale de recherche et coordonner sur cette base l'ensemble des actions de recherche conduites sur le territoire national.

Un point important doit être précisé : certains de nos interlocuteurs tchadiens ont témoigné de ce que les institutions françaises de recherche - IRD, CIRAD, Universités - avaient pu conserver des habitudes anciennes d'une intervention directe, sans concertation avec les autorités tchadiennes de recherche, mais aussi que les recrutements de chercheurs tchadiens se feraient essentiellement sur des fonctions subalternes, alors que, même s'ils sont peu nombreux, des chercheurs tchadiens pourraient prétendre à mieux. Quelle que soit la réalité de ces assertions, que votre mission ne saurait établir, il est certain qu'elles portent préjudice au partenariat et que l'heure est bien à la recherche « avec le Sud », en l'occurrence avec les institutions de recherche du Tchad.

- Définir, avec les autorités tchadiennes, des règles pour renforcer les capacités . La délégation a trouvé au Tchad confirmation de ce qu'il vaut bien mieux, pour renforcer les capacités, coopérer avec les institutions de recherche du pays concerné, plutôt qu'avec des chercheurs pris isolément. Ce fait bien connu des spécialistes de l'éducation, n'est pas assez reconnu à une échelle plus large : trop souvent, la coopération est évaluée au nombre d'étudiants aidés ou au nombre de chercheurs associés aux projets conduits par des organismes extérieurs au pays, sans analyse sur le devenir des individus concernés (qui, bien souvent, sortent du système d'enseignement national, voire du pays) ni sur l'impact sur les institutions du pays (impact souvent insignifiant, les individus n'étant pas en capacité de changer leur institution). La coopération interinstitutionnelle, cependant, peut elle aussi pêcher par formalisme : on ne compte plus les accords interuniversitaires qui ne sont, dans les faits, que des coquilles vides et qui ne servent qu'à l'accueil d'étudiants... pris isolément. Les documents-cadres en cours d'élaboration au Tchad entre le CNAR et les grands organismes de recherche (IRD, Universités) sont d'une autre nature : ils définissent des règles d'autorisation et de saisine, en plaçant la partie tchadienne dans sa position réelle de décideur légitime des projets qui se déroulent sur le territoire national.

- Intégrer davantage d'étudiants et d'enseignants tchadiens aux programmes de recherche conduits au Tchad. La notion d'équipe mixte, qui prévaut dans le projet « GELT », paraît suffisamment acquise pour devenir une condition de toute recherche soutenue par les pouvoirs publics français. Votre mission n'insistera jamais assez sur le fait que l'intégration des étudiants et chercheurs tchadiens ne peut s'apprécier que très concrètement, dans la mise en oeuvre même des programmes de recherche. La simple citation du nom d'un chercheur dans une publication ne suffit pas, non plus que le recours à des équipes d'étudiants pour administrer les enquêtes de terrain : ce qui compte d'abord, c'est la formation des chercheurs du pays hôte, ce qui implique un suivi dans le temps - c'est le rôle des écoles doctorales. A cette aune, le programme GELT paraît bien mieux à même de renforcer les capacités tchadiennes, que la démarche d'expertise collective - qui, pour avoir fait quelques places à des chercheurs tchadiens, semble trop peu connectée à l'université tchadienne pour y laisser des traces.

- Renforcer le programme des bourses en les insérant systématiquement dans le programme de renforcement des capacités. Le nombre de bourses du Gouvernement français est en diminution, comme en atteste le tableau suivant 115 ( * ) :

Diplôme préparé

2011

2012

2013

Total

CAMES

1

1

Concours Agrégation

1

1

ENA

4

2

2

8

DES, DU, DIU spécialité médicale

5

3

5

13

DIP psychopathologie

1

1

Diplôme d'ingénieur statisticien

5

4

1

10

Diplôme d'inspecteur des douanes

2

1

1

4

Diplôme d'inspecteur des finances publiques

3

2

2

7

Doctorat

16

18

16

50

HDR

1

1

2

Licence

1

1

Master 1

2

4

2

8

Master 2

20

11

9

40

Total

57

47

42

146

En deux ans, le nombre total de bourses a reculé du quart et, si les bourses pour études doctorales sont stables - un effet de leur caractère pluriannuel ? -, celui des bourses pour masters recule de moitié.

Nos partenaires tchadiens ont unanimement regretté la diminution du nombre de bourses ouvertes aux étudiants et chercheurs tchadiens, soulignant que cette restriction arrivait à un moment où les besoins étaient plus forts et mieux organisés. Cette demande ne surprendra pas, mais elle mérite toute notre attention : car avec une quinzaine de bourses annuelles, la France ne joue pas le rôle qui pourrait être le sien - et qu'on espère d'elle - dans la région. Il y aurait une centaine de candidats par an, dont les dossiers qui parviennent au CNAR seraient « intéressants », selon le responsable de ce Centre ; or, les critères devenant plus sévères à mesure que le nombre de bourse diminue et que les universités françaises se font plus exigeantes, les étudiants et les chercheurs recalés se tournent plus souvent vers d'autres pays, en particulier les pays arabophones (Soudan, Egypte), au détriment de la francophonie qui recule rapidement dans le pays.

*

* *

À l'issue de ces déplacements en Inde et au Tchad, votre mission ne peut être tentée d'établir un comparatif entre ces deux pays du point de vue de leur partenariat de recherche avec la France. Leurs situations sont en effet aux antipodes l'une de l'autre, chacun se situant à une extrémité de la gamme de relations que la France a nouées au Sud sur le terrain de la recherche : le Tchad, qui a tout à construire, se concentre surtout sur la recherche finalisée en commun avec la France ; l'Inde, pour sa part, a déjà remonté la chaîne jusqu'à la recherche fondamentale et se trouve de fait en mesure d'établir avec la France une relation complémentaire, d'égal à égal.

Votre mission en conclut que la difficulté que rencontre la France à nouer un partenariat de recherche équilibré avec un pays du Sud apparaît inversement proportionnelle au degré de puissance de ce pays en matière de recherche. Il y a donc lieu de différencier l'action de coopération et de partenariats scientifiques en fonction du niveau de développement atteint par chaque pays du Sud.


* 115 Ne sont pas comptabilisés ici les soutiens que le poste diplomatique délivre à des étudiants et à des fonctionnaires tchadiens pour des séjours en France ou dans les pays de l'Afrique de l'Ouest, pour suivre des formations ; d'après les chiffres communiqués à la mission, quelque 200 Tchadiens en bénéficieraient chaque année.

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