CHAPITRE III : METTRE PLEINEMENT LA RECHERCHE PARTENARIALE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT

Éclairée par les auditions qu'elle a menées à Paris ainsi que par les rencontres de chercheurs nationaux dans les pays qu'elle a visités, votre mission estime nécessaire de proposer des voies d'amélioration pour que la recherche que mène la France en partenariat avec les pays du Sud contribue de manière plus effective à leur développement.

Ces propositions s'inscrivent dans la réflexion en cours, à l'échelle nationale et mondiale. Au niveau mondial, une large concertation est engagée en vue de l'élaboration des nouveaux Objectifs de développement durable qui sont prévus pour succéder après 2015 aux Objectifs du millénaire pour le développement. En France, le Premier ministre a réuni, le 31 juillet 2013, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), en présence de 15 ministres concourant à la politique française de développement. Cette réunion du CICID, qui n'avait pas eu lieu depuis quatre ans, témoigne de la volonté du Gouvernement de donner de nouvelles orientations à la politique de développement de notre pays. Les décisions prises visent à rénover cette politique autour de quatre axes : d'une part, nos priorités géographiques et sectorielles ont été redéfinies et l'attribution des aides se fondera dorénavant sur des partenariats différenciés ; d'autre part, le Gouvernement entend renforcer la cohérence de la politique de développement avec les autres politiques publiques - notamment en ce qui concerne la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes et la responsabilité sociale et environnementale -, assurer une plus grande coordination de l'ensemble des acteurs du développement et améliorer l'efficacité, la redevabilité et la transparence de notre politique de développement.

Le relevé de décisions publié à la suite du CICID 116 ( * ) affirme la contribution éminente que la recherche apporte à notre dispositif d'aide au développement. Il appelle toutefois à améliorer la cohérence, la visibilité et l'accessibilité du dispositif français de recherche pour le développement.

C'est dans la même perspective que s'inscrivent les propositions de votre rapporteure destinées à faire de la recherche en partenariat un véritable levier de développement. A ses yeux, le premier impératif lui semble être d'ordre interne : l'action publique de la France doit gagner en cohérence dans l'optique de favoriser le développement du Sud par la recherche. Il convient ensuite de trouver les moyens d'améliorer nos partenariats de recherche avec le Sud, pour les rendre plus équilibrés et plus efficaces. Enfin, sur cette base renouvelée, la France pourrait mieux faire connaître son offre de recherche partenariale, à l'égard du Sud et auprès de ses partenaires bailleurs.

I. AMELIORER LA COHÉRENCE DE L'ACTION PUBLIQUE FRANÇAISE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT PAR LA RECHERCHE

La première urgence consiste à revoir la place que la France veut donner, en interne, à sa recherche pour le développement. De ce point de vue, votre mission préconise de conforter la mission des opérateurs de recherche pour le développement et, dès lors, de rendre plus cohérentes nos politiques publiques.

A. CONFORTER LA MISSION DES OPÉRATEURS DE RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT

Convaincue de la nécessité pour le Sud de se forger des capacités de recherche autonome pour assurer durablement son développement, votre mission estime que doit être reconnu le rôle que jouent nos opérateurs de recherche dédiés à cet égard.

1. Clarifier leur stratégie scientifique grâce à un comité de pilotage interministériel en liaison avec l'AFD

L'existence des institutions françaises dédiées à la recherche pour le développement, l'IRD et le Cirad, ne se justifie qu'à partir du moment où la spécificité de cette recherche est reconnue. Si elle ne l'était pas, pourquoi ne pas fusionner le Cirad et l'INRA ou l'IRD et le CNRS ?

La mission d'inspection concernant l'IRD a rendu son rapport en juin 2013 à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, au ministre des affaires étrangères et au ministre délégué chargé du développement. En prenant connaissance de ce rapport, votre rapporteure a pu constater le bilan globalement positif que l'ensemble des postes diplomatiques français dressaient des activités de l'IRD hors de France . Dans l'ensemble des pays concernés, l'IRD est reconnu, à la fois pour sa qualité scientifique pluridisciplinaire et pour sa présence sur le terrain dans la durée. Cette présence au Sud permet à l'IRD d'honorer sa mission, dont les principes fondateurs sont repris dans le contrat d'objectifs 2011-2015 : « promotion de la recherche au Sud, avec le Sud, pour le Sud » et assurent l'articulation entre les trois piliers de la connaissance - formation, recherche et innovation - au service du partenaire.

Même si cette appréciation globale, exprimée via notre réseau diplomatique, ne permet pas de mesurer la qualité de la relation partenariale nouée avec chaque pays du Sud, elle confirme que l'appareil français de coopération scientifique constitue un atout pour la France et répond à une attente des pays du Sud.

Votre mission souhaite faire mieux reconnaître à Paris cette appréciation positive, et, plus globalement, l'importance de la mission des opérateurs français de recherche pour le développement. Ceci implique de consolider l'identité de ces opérateurs et, dans ce but, de clarifier leur stratégie d'établissement respective.

Placés sous la tutelle conjointe des ministères de la recherche et des affaires étrangères, le Cirad, et plus encore l'IRD, sont partagés entre leur politique de site et leurs priorités scientifiques : comment éviter que la stratégie scientifique de l'établissement ne soit que l'agrégation des stratégies de chaque unité ? Comment raccorder les initiatives individuelles des chercheurs à des lignes communes à l'établissement entier ?

La confirmation du rôle des opérateurs de recherche dédiés passe donc par l'élaboration d'un schéma stratégique scientifique. Dans son rapport d'évaluation sur l'IRD en 2010, l'AERES pointait déjà « une insuffisance en matière de pilotage de la politique scientifique » : en réponse, l'IRD a adapté sa gouvernance, créé une direction générale à la science, déployé des programmes pilotes régionaux (PPR) pour mieux connecter ses domaines de recherche aux intérêts de développement des pays d'une région du Sud. Néanmoins, comme le souligne la mission d'inspection de l'IRD, les outils de pilotage global restent insuffisants : la politique « d'UMRisation » a accru la crédibilité scientifique de l'IRD et l'a rapproché des autres intituts de recherche mais elle fait courir le risque d'une dilution des moyens dédiés à la recherche partenariale avec le Sud dans des ensembles plus vastes ; en outre, au sein de l'IRD, l'approche par thématiques scientifiques est portée par la direction générale à la science, qui regroupe trois départements scientifiques de taille hétérogène 117 ( * ) , tandis que l'approche géographique est placée sous la responsabilité d'une mission générale pour la stratégie et le partenariat (MG2P), créée en 2010 et directement raccordée au président qui se trouve ainsi seul responsable de la cohérence d'ensemble.

Il convient en effet d'articuler la vision géographique et la vision scientifique/thématique de l'action des opérateurs de recherche partenariale : si la stratégie scientifique incline naturellement à renforcer les domaines d'excellence de l'IRD, la démarche partenariale appelle à explorer des thématiques co-construites avec les pays du Sud et pouvant être nouvelles. Notre politique étrangère a, en outre, ses impératifs en termes de zones d'action prioritaire ; elle a également intérêt à arrimer les thématiques de recherche de nos instituts de recherche pour le développement à l'agenda international pour étayer les positions françaises, par exemple au G20. Comment répartir l'effort au mieux, notamment au sein de l'IRD et du Cirad, pour faire concorder partenariat, géostratégie et excellence scientifique ? Comment maintenir dans la durée (par l'expatriation ou les missions de longue durée) la présence de chercheurs français dans les pays du Sud, tout en assurant une forme de réactivité aux besoins du Sud ?

C'est l'objet de la double tutelle des opérateurs que de résoudre ces dilemmes et d'assurer la cohérence globale.

Les deux ministères doivent pour cela trouver les moyens de mieux se coordonner. Le CICID, qui se réunit de manière irrégulière 118 ( * ) , ne paraît pas l'enceinte adaptée pour un dialogue soutenu et spécifique sur les opérateurs dédiés à la recherche pour le développement : c'est pourquoi votre mission propose de créer un comité de coordination ad hoc , réunissant de manière régulière 119 ( * ) le ministère des affaires étrangères et celui de l'enseignement supérieur et de la recherche pour un pilotage plus serré des opérateurs .

Votre mission propose d'adjoindre à ce comité de coordination, à titre d'observateur, l'Agence française de développement qui est aux avant-postes de notre politique de coopération et dont les opérationnels sont bien placés pour faire remonter les questions de recherche les plus adaptées aux pays où se déploie l'action de l'AFD. Comme le disait à votre mission M. Alain Henry, directeur de son département recherche : « l'AFD a un rôle stratégique vis-à-vis de la recherche : notre rôle, c'est de poser aux chercheurs les bonnes questions - et il n'y a pas de bonnes recherches sans bonnes questions . »

Il n'est pas sûr que le rapprochement physique de l'IRD et de l'AFD au sein d'une cité de la coopération internationale et du développement, projetée à Marseille, suffise à faciliter le dialogue entre l'AFD et la recherche pour le développement.

L'AFD, en la personne de son directeur de la stratégie, est présente au sein du conseil d'administration de l'IRD ; de même, son contrat d'objectifs et de moyens lui recommande de se rapprocher des établissements dédiés à la recherche pour le développement : « L'activité de production intellectuelle de l'AFD se fera en synergie la plus forte possible avec les autres acteurs français de la recherche sur le développement (IRD, Cirad) dans le but de mutualiser et de maîtriser les moyens consacrés à ces activités, conformément aux conclusions du comité de suivi de la RGPP. » Le contrat prévoit même à cette fin qu'un comité de coordination se réunisse au moins une fois par an en présence des membres du co-secrétariat du CICID pour débattre des grandes orientations du plan de recherche de l'Agence, et d'une programmation pluriannuelle indicative, incluant d'éventuels programmes conjoints d'études.

En parallèle de ses activités opérationnelles, l'AFD développe effectivement une activité de production de connaissances et de conseil ; son département recherche a un rôle d'animation et de production de recherches qu'il soumet à divers centres de recherche : lors de son audition par votre mission, M. Alain Henry, qui dirige ce département recherche de l'AFD, a indiqué que l'AFD sollicitait pour des travaux d'études et de recherches l'IRD, le Cirad mais aussi le Centre d'études et de recherches sur le développement international (CERDI), l'Institut français des relations internationales (IFRI), des universités internationales (britanniques, hollandaises, américaines et égyptienne), des centres de recherches du Sud, comme le Forum euro-méditerranéen des instituts en sciences économiques (FEMISE) ou, au Niger, le Laboratoire d'études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL), l'Académie des sciences sociales au Vietnam...

De l'avis général des personnes que votre mission a entendues, la collaboration entre les instituts français de recherche pour le développement et l'AFD est insuffisante ; et votre mission n'a entendu parler d'aucune réunion du comité de coordination prévu par le contrat d'objectifs et de moyens, et encore moins de programmation conjointe de recherche entre l'AFD, l'IRD et le Cirad.

Dans les pays du Sud qui ne font pas partie des 17 pays pauvres prioritaires et qui, comme le Cameroun, ont atteint le point d'achèvement de l'initiative Pays pauvres très endettés (PPTE) 120 ( * ) , ce sont les contrats de désendettement et de développement (C2D) , permettant au pays bénéficiaire d'utiliser les sommes libérées suite à l'annulation de la dette pour financer des projets de développement, qui constituent, de facto , la stratégie française de coopération au développement de ces pays : il est regrettable que ces documents négociés par l'AFD coexistent avec d'autres documents stratégiques émanant des autres institutions du dispositif français, et notamment des instituts français de recherche, sans qu'aucun lien ne soit établi entre eux.

De même , votre mission déplore que, lors de l'élaboration du document cadre de partenariat (DCP) , qui fixe les priorités de l'action française de coopération mais n'est plus obligatoire 121 ( * ) que dans chacun des 17 pays pauvres prioritaires, le MAEE n'implique pas suffisamment les institutions de recherche pour le développement. C'est d'autant plus regrettable que l'élaboration de ce DCP obéit à un processus partenarial pour prendre en compte les réalités du pays partenaire et aligner le DCP sur la stratégie nationale de ce pays, processus susceptible de mieux ajuster l'offre française de partenariats de recherche aux besoins du pays considéré.

Il convient donc d'organiser le dialogue entre l'AFD et les opérateurs dédiés à la recherche en partenariat pour envisager une programmation commune en amont avec les pays du Sud, améliorer ainsi l'efficacité des stratégies de développement et faciliter l'élaboration d'une réponse française commune aux appels d'offres internationaux. Comment comprendre que le projet de la Banque Mondiale de créer des centres d'excellence en Afrique ne trouve pas de réponse française ? Mme Marion Guillou, présidente d'Agreenium, a effectivement indiqué à votre mission que l'AFD, vers laquelle s'est tournée la Banque Mondiale, a décliné cette offre qui dépassait sa fonction de bailleur de fonds. Votre mission ne peut que regretter que, du fait d'un défaut de dialogue entre acteurs français du développement, ces nouveaux centres d'excellence en Afrique partent vers d'autres universités africaines que nos partenaires alors que, comme le faisait observer Mme Guillou, « 85 % des francophones du monde seront africains en 2050 et tout le système d'enseignement-recherche africain est à rétablir ».

Pour intégrer effectivement la dimension recherche dans notre politique de coopération, votre mission propose donc d'inviter l'AFD comme observateur au comité de pilotage ministériel de la recherche pour le développement. Symétriquement, elle préconise de prévoir une présence de l'IRD au conseil d'administration de l'AFD . Ce conseil comprend 17 membres : outre les 12 membres représentants l'État, le Parlement et le personnel de l'agence, siègent à ce conseil cinq personnalités qualifiées : quatre en raison de leur connaissance des problèmes économiques et financiers, et une en raison de sa connaissance de l'écologie et du développement durable. Y adjoindre une sixième personnalité susceptible d'apporter sa connaissance de la recherche pour le développement pourrait être fructueux pour amener l'AFD à mieux tenir compte de cette dimension dans les contrats partenariaux qu'elle négocie au nom de la France avec les pays du Sud.

Il est temps de sortir du « Yalta » opéré entre le MAE et l'AFD, confiant les actions de recherche au MAEE et les tenant de ce fait trop souvent à l'écart de la politique de coopération bilatérale que mène la France au Sud . L'OCDE en suggère d'ailleurs la nécessité : dans son examen consacré à la France en 2013, le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE pointe l'absence de stratégie de la France en matière de renforcement des capacités, alors que notre pays finance de nombreux acteurs et actions en ce domaine. Évoquant le projet cadre d'intervention transversale de l'AFD en matière de renforcement des capacités qui sera présenté prochainement au conseil d'administration de l'agence , le CAD de l'OCDE propose d'élargir cette initiative aux autres acteurs de la coopération française : les opérateurs de la recherche pour le développement doivent y tenir leur juste place.

Votre rapporteure soutient donc la nécessité de clarifier la stratégie scientifique des opérateurs de recherche pour le développement et d'organiser leur connexion à l'AFD, acteur-pivot de la politique française de développement.


* 116 Cf. décision n° 7.

* 117 Le département « Environnement et ressources » abrite 61 % du nombre d'unités de recherche, le restant se partageant entre les départements « Sociétés » et « Santé », de taille beaucoup plus réduite.

* 118 Sa dernière réunion, le 31 juillet 2013, est intervenue 4 ans après la précédente (en 2009).

* 119 Sur un rythme annuel ou biannuel.

* 120 Fondée à la fin des années 1990 sur une action coordonnée de la communauté internationale pour réduire le poids de la dette extérieure à un niveau soutenable.

* 121 Depuis 2011.

Page mise à jour le

Partager cette page