4. Des craintes de l'administration fiscale pour partie infondées

Un large débat a donc eu lieu au Sénat très récemment sur cette question et a été tranché, avec le soutien du ministre chargé du budget Bernard Cazeneuve, en faveur d'un maintien du statu quo .

Pour autant, votre rapporteur tient à souligner qu'une partie des préventions de l'administration fiscale lui paraît reposer sur une relative méconnaissance par cette dernière du fonctionnement des juridictions pénales. En effet, l'administration semble craindre qu'une suppression du « verrou » n'aboutisse à conduire les parquets à renvoyer devant le tribunal correctionnel l'ensemble des contribuables ayant commis une fraude fiscale.

Une telle crainte ne paraît guère fondée.

Tout d'abord, le droit pénal délictuel repose sur un principe d'intentionnalité : seules les personnes ayant intentionnellement commis une infraction sont susceptibles de faire l'objet de poursuites pénales, ce qui exclut les contribuables de bonne foi.

En outre, l'engagement de ces dernières est soumis à l'appréciation de leur opportunité par le procureur de la République . En pratique, ce dernier peut décider de classer une affaire sans suite, s'il apparaît, par exemple, que des sanctions administratives ont été imposées à l'intéressé et/ou que ce dernier s'est acquitté de ses obligations à l'égard de l'administration. Le procureur de la République peut également mettre en oeuvre une alternative aux poursuites ou une composition pénale. Dans les faits, sur l'ensemble des infractions pénales qui leur sont signalées chaque année, seule une moitié des affaires dites « poursuivables » donne lieu à des poursuites devant une juridiction pénale 85 ( * ) .

Il convient de rappeler qu'à l'heure actuelle, les infractions fiscales relevant de la compétence des douanes sont susceptibles d'être poursuivies dans les conditions du droit commun , sans que cela ne paraisse susciter de difficultés particulières.

Par ailleurs, votre rapporteur ne peut partager la crainte d'une diminution sensible des recettes fiscales dans le cas où les conditions de poursuite du délit de fraude fiscale rentreraient dans le droit commun. La jurisprudence du Conseil constitutionnel autorise en effet de façon très claire le cumul de pénalités fiscales et d'une amende pénale : ainsi, le principe « non bis in idem » ne s'oppose pas au cumul des poursuites et des sanctions pénales et administratives, dans la mesure où l'institution de chacun de ces types de sanction repose sur des objets différents et tend à assurer la sauvegarde de valeurs et d'intérêts qui ne se confondent pas, et à la condition que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues (décisions n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 ou encore n° 2012-266 QPC du 20 juillet 2012 par exemple).

Au demeurant, comme votre rapporteur l'a précédemment souligné, l'amende pénale n'est pas nécessairement la sanction la plus adaptée en matière de sanction d'une fraude fiscale - particulièrement lorsque des pénalités financières ont déjà été infligées par l'administration -, et il peut être utile de privilégier d'autres peines complémentaires, telles que la publication de la décision de condamnation ou la peine complémentaire de confiscation du produit de l'infraction ( cf. supra ).

Dans une matière dont la technicité n'apparaît pas plus insurmontable qu'en matière de droit boursier ou qu'en matière douanière, par exemple, votre rapporteur estime nécessaire de ne pas fermer la porte à toute évolution susceptible de contribuer à une action coordonnée de la justice et de l'administration, au bénéfice de la justice fiscale et du rétablissement de la confiance de nos concitoyens dans nos institutions.


* 85 Voir à ce sujet l'Annuaire statistique de la justice, édition 2011-2012.

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