B. LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE « HÉTÉRODOXE » ET SON APPRÉCIATION PAR L'UNION EUROPÉENNE

1. La levée de la procédure pour déficit excessif

La procédure pour déficit excessif qui visait la Hongrie depuis son adhésion à l'Union européenne a été levée le 29 mai 2013. Ce résultat a pu être obtenu après la mise en oeuvre d'un nouveau plan de rigueur en mai 2013, gelant pour les exercices 2013 et 2014 les dépenses de fonctionnement, soit 92,9 milliards de forints (317 millions d'euros) pour la seule année 2013. Une économie équivalente à 0,7 % du PIB est attendue de ces mesures en 2014. Le dispositif prévoyait également une suspension des investissements et le gel de diverses allocations si l'objectif de réduction du déficit public en dessous de 3 % n'était pas atteint. La Commission européenne a notamment motivé cette suspension de la procédure par l'importance de l'effort budgétaire accompli en 2012 (3 % du PIB, pour un déficit public ramené à 1,9 %). Le déficit public était estimé à 2,9 % du PIB fin 2013.

Si cette levée a logiquement été présentée par le gouvernement comme une forme de légitimation de sa politique économique, la Commission européenne a assorti sa décision de plusieurs réserves. Elle a ainsi souligné que le Conseil budgétaire hongrois ne disposait pas de réels moyens d'analyse du budget, et milite pour un caractère plus contraignant pour la politique budgétaire locale. La lutte contre la corruption, le renforcement de l'indépendance de la justice, l'amélioration de l'environnement des affaires et de la concurrence et la fin des taxations disproportionnées doivent également faire figures de priorité aux yeux de Bruxelles. La Commission a également insisté sur la nécessaire accentuation de la trajectoire de la dette publique vers les 60 % du PIB 7 ( * ) . Ses conclusions ont été reprises par le Conseil le 8 juillet 2013 8 ( * ) . Suite à la présentation par le gouvernement du Cinquième amendement, Budapest avait auparavant obtenu la révision d'un paragraphe de la recommandation pays de la Commission visant l'indépendance de son système judiciaire.

La Commission européenne a maintenu cette appréciation nuancée de la situation économique locale lors de sa présentation à la mi-décembre 2013 des résultats de sa quatrième mission de surveillance post-programme 9 ( * ) . La Hongrie a en effet bénéficié d'un programme d'assistance financière de l'Union européenne, accordé en novembre 2008, de 5,5 milliards d'euros. Les deux dernières tranches seront ainsi remboursés en novembre 2014 (2 milliards d'euros), puis au premier semestre 2016 (1,5 milliard d'euros).

Aux yeux de la Commission, les coûts de financement de l'économie restent élevés alors que le niveau de la dette reste inquiétant si on la rapproche des capacités fiscales. Elle fait, par ailleurs, figure d'exception dans ce domaine dans la région. Les faibles niveaux d'investissement mais aussi de productivité qu'elle relève devraient contribuer à modérer la croissance du pays attendue en 2015 (+ 2,1 %). La croissance potentielle est affectée par la politique gouvernementale, jugée par la Commission, pour partie, défavorable au marché. L'incertitude de l'environnement juridique est également mise en avant par Bruxelles. La situation du secteur financier suscite à ce titre une certaine inquiétude. Si la Commission relève que les banques ne souffrent pas de problèmes de liquidités, elle estime que la fiscalité pesant sur les établissements bancaires demeure trop lourde. Elle note également que les créances douteuses demeurent importantes et fragilisent toute perspective à long terme. Elle s'interroge enfin sur le maintien de prêts spécifiques à destination des petites et moyennes entreprises qui ne favoriserait pas, selon elle, un assainissement durable de l'économie. Le « Funding for growth scheme » devrait demeurer une mesure temporaire et ciblée sur des projets valables.

En ce qui concerne l'évolution des comptes publics, la Commission européenne ne prévoit aucune difficulté à court terme. Elle entend néanmoins surveiller les incidences d'une intégration des fonds de pension au budget de l'État, mais aussi la reprise de la dette des municipalités. La loi sur les collectivités territoriales, entrée en vigueur le 1 er janvier 2013, prévoit en effet un apurement de la dette des communes de moins de 5 000 habitants pris en charge par l'État. Le montant de cette intervention est estimé à 600 milliards de forints (1,97 milliard d'euros). Le gouvernement ne dispose pas, selon la Commission, de marges de manoeuvre en matière financière, la moindre dépense devant être compensée pour permettre au déficit public de demeurer inférieur à 3 % du PIB.

En dépit de ces réserves, la décision de la Commission de lever la procédure pour déficit excessif revêt une portée politique indéniable puisqu'elle fragilise le discours récurrent du Premier ministre aux termes duquel la Hongrie, comme d'autres pays issus des élargissements de 2004 et 2007, se voit appliquer des doubles standards plus rigoureux que pour les pays fondateurs de l'Union.

Il convient d'ajouter, par ailleurs, que la sortie du programme d'assistance financière de l'Union européenne n'est pas sans incidence sur le recours aux fonds structurels de l'Union européenne, puisque la Hongrie ne bénéficiera plus des conditions avantageuses de cofinancement des pays sous programmes.

2. La pratique économique du gouvernement est-elle compatible avec le droit communautaire ?

La stratégie énergétique du gouvernement, comme son action en direction des banques, ont suscité un certain nombre de réserves de la part de la Commission européenne tant elles peuvent apparaître comme des éléments d'un plan plus vaste d'éviction des entreprises étrangères de certains secteurs.

La loi foncière adoptée le 21 juin 2013 reflète, de son côté, le double jeu constant du gouvernement à l'égard de l'Union européenne. L'adoption d'une nouvelle loi foncière faisait partie des conditions d'adhésion de la Hongrie à l'Union européenne en 2004. Budapest disposait d'une période transitoire de sept ans, prolongée de trois ans en 2011 pour se mettre en conformité avec le droit communautaire. Présentée comme un texte censé protéger la terre hongroise sans transgresser le droit de l'Union européenne, la loi semble d'ores et déjà susceptible de recours devant la Cour de justice de l'Union européenne. Le texte limite, en effet, pour les investisseurs étrangers, la possibilité d'acquérir sans condition les terres arables. Au-delà d'un hectare, l'achat d'une terre est subordonné à une expérience professionnelle de trois ans ou un diplôme dans le domaine agricole. L'acquéreur doit, par ailleurs, être enregistré en Hongrie. Le contrat est soumis à un conseil foncier issu de la communauté agricole locale dont la composition n'est pas précisée, puis par la préfecture. La surface maximale de terres pour une seule personne physique est fixée à 300 hectares (500 dans le cas d'un couple). Le texte interdit enfin aux étrangers d'acquérir des baux emphytéotiques. La loi votée est une loi cardinale, le Troisième amendement à la Constitution adopté le 21 décembre 2012 imposant cet instrument juridique.

Le cas de la vente de tabac devrait sans doute donner lieu lui aussi à une intervention de la Commission européenne, tant le cadre législatif mis en place semble à rebours du droit communautaire. La distribution du tabac est nationalisée depuis le 15 juillet 2013. L'ambition affichée par le gouvernement consiste à limiter l'accès des jeunes au tabac. Le tabac est désormais distribué au sein de points de vente standardisés, interdits aux moins de 18 ans. 5 415 bureaux de tabac ont ainsi été créés, qui remplacent les 42 000 débits existant avant la réforme, la vente de tabac étant alors totalement libre. La loi n'autorise qu'un seul point de vente par îlot de 2 000 habitants, les gérants disposant d'une concession d'une durée de 20 ans.

Le mode d'attribution des débits de tabac, relativement opaque, suscite des réserves tant il semble exister un écart entre le discours initial - attribuer ces commerces à des jeunes mères célibataires, des chômeurs et des retraités - et la pratique : les gérants sont issus de familles d'entrepreneurs proches du pouvoir, à des prête-noms, voire à des maires. Le soupçon de corruption et de clientélisme est particulièrement prégnant dans ce dossier. La commission des vendeurs est quant à elle portée de 4 à 10 %. Certains observateurs relèvent en outre que la mise sous tutelle du réseau de distribution permettrait de promouvoir les intérêts du fabricant de tabac hongrois Continental , dont la part de marché ne dépasse pas à l'heure actuelle 15 %.

La diminution du nombre de points de vente a également eu des effets pervers, qu'il s'agisse de la disparition de points de vente dans certaines zones rurales - 1 400 villages sont ainsi concernés - ou de la baisse des revenus de nombreux petits commerçants pour qui la vente de tabac représentait entre 80 et 85 % des recettes. 10 à 15 000 emplois seraient ainsi menacés. Le risque, dans ces conditions, de voir apparaître un véritable marché noir n'est pas à exclure, avec une perte de recettes fiscales évaluée à environ 150 milliards de forints (492 millions d'euros).

Il conviendra également de suivre l'évolution de la position de la Commission européenne sur les contrats-étudiants mis en place par le gouvernement hongrois. Ce dispositif prévoyait initialement que l'étudiant devait travailler en Hongrie le double de son temps d'études si celles-ci avaient été subventionnées par l'État. La menace du lancement d'une procédure d'infraction a conduit les autorités à revoir les principes de cette réforme. L'étudiant devra désormais travailler en Hongrie sur une période au moins équivalente à celle où il a perçu une bourse. Cette obligation de travail serait évaluée sur une période de 20 ans à compter de la fin de son cursus.

Le 20 juin 2013, la Commission européenne a par ailleurs saisi la Cour de justice européenne au sujet des titres restaurant 10 ( * ) . La réforme de ce secteur d'activité, entrée en vigueur en janvier 2012, a privé les groupes français Chèque déjeuner , Edenered et Sodexho , d'environ 90 % du marché au profit d'une société publique hongroise, NUSZ Fondation Erzébet , et des banques locales, en particulier la banque hongroise OTP . Si le gouvernement argue du caractère social de la réforme, la Commission européenne estime que le nouveau dispositif aurait dû garantir la liberté d'établissement et la libre-prestation de service.

La loi sur la gestion des déchets publics, entrée en vigueur le 1 er juillet 2013, est également sujette aux réserves de la Commission européenne. Afin d'obtenir une licence de collecte et de transport des déchets, les entreprises doivent désormais être détenues à majorité par des capitaux publics. Deux taxes ont parallèlement été instaurées : la première vise l'enfouissement des déchets. 10 euros par tonne en 2013, puis 40 euros d'ici 2016. La seconde, versée à l'Autorité de l'énergie, s'élève à 0,34 centime d'euro par résident dont les déchets sont prélevés par l'entreprise. La loi prévoit enfin un plafonnement de l'augmentation des prix pratiqués par ces sociétés : le tarif 2013 ne pouvait ainsi excéder de 4,1 % celui de 2012. Les entreprises allemandes, autrichiennes et française ( ERECO ) sont particulièrement visées par ce nouveau dispositif.

Les prélèvements spéciaux opérés sur les entreprises de télécommunications, principalement étrangères, dans le cadre des mesures de rigueur adoptées en mai 2013 en vue de lever la procédure de déficit excessif, sont également remis en cause par la Commission européenne. Ces prélèvements ont été précédés en 2010 d'une taxe spécifique sur le secteur des télécommunications, prélevée jusqu'en 2012 et dont le produit a été estimé à 180 milliards de forints (600 millions d'euros). Celle-ci est considérée comme illégale par la Commission, qui a introduit un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne le 12 octobre 2012 11 ( * ) . Les taxes sur les appels et les SMS mises en place en 2012 ont également conduit la Commission à initier une procédure d'infraction. Bruxelles considère que les sommes prélevées ne sauraient excéder les coûts administratifs et réglementaires propres à ce secteur 12 ( * ) . Certains observateurs voient, derrière cette multiplication des prélèvements sur les entreprises du secteur, la volonté du gouvernement de nationaliser le secteur, avec en filigrane la création éventuelle d'un quatrième opérateur lié à l'État, la reprise d' Antenna Hungaria et l'expiration de la licence de Vodafon en 2015.

Dans le domaine fiscal, la Cour de justice a, de son côté, jugé le 5 février 2014 que l'impôt sur le chiffre d'affaires du commerce au détail en magasin pourrait défavoriser les entreprises liées à des sociétés étrangères au sein d'un groupe 13 ( * ) . Le prélèvement pèse en effet sur le chiffre d'affaires de toutes les entreprises du groupe. Si aucune discrimination directe n'est établie, la Cour, saisie à titre préjudiciel, invite la juridiction nationale à vérifier si le mode de calcul ne joue pas au détriment des entreprises étrangères.

Cette focalisation sur certains dossiers ne doit pas faire pour autant de la Hongrie un cas isolé en Europe. Budapest fait l'objet, à l'heure actuelle, de 21 procédures d'infraction, là où la moyenne européenne est établie à 31 par État membre. Le déficit de transposition des directives est de l'ordre de 0,4 %, la moyenne européenne atteignant 0,6 %. Seul le délai de transposition est en moyenne supérieur à celui constaté au sein de l'Union européenne : 10,5 mois contre 9,6. De nombreux contentieux visent d'ailleurs des problèmes de transposition, à l'image de celui visant l'utilisation de l'eau ou l'eau de vie locale, la palinka 14 ( * ) . Ce dossier est d'ailleurs assez emblématique quant à son utilisation par le gouvernement. La loi hongroise prévoit une exemption totale de droits d'accises dès lors que l'eau de vie est produite par des ménages ou des distilleries dans des quantités ne dépassant pas 50 litres par an et qu'elle est réservée à une consommation personnelle. La norme communautaire limite cependant cette exonération à 50 %. En l'absence de modification de la législation hongroise, la Commission européenne a saisi la Cour de justice. Le gouvernement a alors mis en avant ce qu'elle considère comme une atteinte de l'Union européenne aux traditions magyares.

L'utilisation des procédures contentieuses européennes sert paradoxalement la politique du gouvernement. Leur durée moyenne concernant la Hongrie s'établit à 30,4 mois contre 26,1 au sein de l'Union. Cet écart peut paraître faible. Il ne l'est pourtant pas pour des entreprises étrangères menacées d'éviction du marché local.

In fine , seul le Comité économique et social européen a apporté, par la voix de son président en visite en Hongrie du 4 au 6 novembre derniers, un soutien à la politique menée par le gouvernement Orbán. Henri Malosse a ainsi salué les formules économiques et sociales originales adoptées par la Hongrie, qui seraient susceptibles, selon lui, d'inspirer d'autres pays. Reprenant les propos de ses interlocuteurs, les désaccords observés avec Bruxelles ne concerneraient ainsi que les moyens mis en oeuvre pour lutter contre les problèmes économiques et sociaux que rencontre le pays.


* 7 Recommandation de recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la Hongrie pour 2013 et portant avis du Conseil sur le programme de convergence de la Hongrie pour la période 2012-2016

* 8 Recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la Hongrie pour 2013 et portant avis du Conseil sur le programme de convergence de la Hongrie pour la période 2012-2016

* 9 Commission staff conclude fourth Post-Programme Surveillance mission to Hungary

* 10 Marché intérieur: la Commission assigne la Hongrie devant la Cour de justice en raison de conditions restrictives pour l'émission de titres repas et d'autres avantages en nature / Commission Européenne - IP/13/578

* 11 La Hongrie a, in fine , modifié sa législation le 17 octobre 2013

* 12 Stratégie numérique: la Commission assigne la Hongrie devant la Cour de justice pour non-suppression de la taxe «télécoms» Commission Européenne - IP/12/286

* 13 Affaire C-385/12

* 14 Un recours a été déposé en ce sens le 21 juin 2012. Fiscalité: la Commission enjoint à la Hongrie de mettre fin à l'exonération totale des droits d'accise dont bénéficie la pálinka Commission Européenne - IP/12/674

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