LE CAS DES VÉHICULES UTILITAIRES LÉGERS

Les véhicules utilitaires légers (VUL) et leurs conducteurs sont exemptés de la plupart des normes européennes encadrant l'accès aux marchés du transport routier de marchandise. De fait, si la France a souhaité appliquer les dispositions du règlement n°1071/2009 à ce secteur en obligeant les sociétés à satisfaire aux conditions d'établissement, d'honorabilité et de capacités financières et professionnelles, elle demeure relativement isolée au sein de l'Union européenne.

Les acteurs du secteur relèvent une présence croissante de ces véhicules en provenance d'autres États membres sur certains segments du marché, créant les conditions d'une concurrence déloyale à la fois avec les VUL français mais aussi avec les camions de plus de 3,5 tonnes. Une étude lancée par le ministère des transports devrait permettre de quantifier le phénomène dans les prochains mois.

La Commission européenne a néanmoins indiqué le 9 décembre 2013 à la France que les règles européennes en matière de cabotage pouvaient être appliquées aux véhicules de moins de 3,5 tonnes. La proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale adoptée par l'Assemblée nationale le 25 février 2014 et prochainement examinée par le Sénat prévoit d'ailleurs au plan national la modification de l'article L. 3421-3 du Code des transports afin d'y assujettir les VUL.

Il convient par ailleurs de rappeler que le règlement n°68/2009 du 23 janvier 2009 portant neuvième adaptation au progrès technique du règlement n°3821/85 concernant l'appareil de contrôle dans le domaine des transports par route permet la mise en place d'un adaptateur au sein des véhicules de transport de marchandise de moins de 3,5 tonnes. Il s'agit d'un appareil de contrôle émettant un signal permanent représentatif de la vitesse et/ou de la distance parcourue par le véhicule. Reste que conformément au règlement n°3820/85 du 20 décembre 1985 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route, la mise en place d'un tel chronotachygraphe pour ce type de véhicule demeure à l'appréciation des États membres.

QUELLES RÉPONSES APPORTER ?
L'état de la coopération administrative européenne

La Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas ont été les pionniers de la coopération administrative européenne avec la signature d'un accord en octobre 1999 visant :

- la systématisation des échanges d'informations sur les entreprises ne respectant pas la législation européenne ;

- l'organisation de contrôles communs et coordonnés ;

- le développement de programmes communs de formation des agents des services de contrôle ;

- la promotion d'échanges transfrontaliers d'expériences ;

- des échanges d'informations sur les nouveaux développements technologiques ;

- une concertation renforcée entre les pays participants, avec prise d'initiatives communes et, dans la mesure du possible, prises de positions communes.

L'Allemagne et l'Irlande sont devenues partie de cet accord en 2001, le Royaume-Uni et l'Espagne le signant en 2002. Il a ensuite été étendu à la Pologne et l'Autriche en 2004, à la Bulgarie, à la Hongrie et à la Roumanie en 2007 et enfin à la Lituanie en 2010, donnant ainsi naissance à « Euro contrôle route ». La Lettonie, Malte, la Slovénie et la République tchèque sont par ailleurs observateurs au sein de cette organisation. La présidence de cette instance est assurée par chaque pays membre pour une période de six mois.

Si les semaines de contrôle et la mise en avant des fraudes au chronotachygraphe ont eu un impact indéniable sur la révision du règlement et la promotion d'un nouveau dispositif, il convient de constater que cette coopération est limitée à la moitié des membres de l'Union européenne et vise principalement le volet technique. Rien n'est véritablement mis en oeuvre en vue d'une lutte efficace contre les montages transnationaux et une fraude souvent qualifiée d'industrielle. La seule avancée constatée concerne l'élaboration en 2012 d'un guide de contrôle de situation de détachement dans le secteur du transport routier, destiné aux inspections du travail des trois pays membres du projet TRANSPO : la France, l'Italie et la Roumanie.

Renforcer les contrôles et mieux encadrer le cabotage

La fraude au temps de conduite et de repos a des conséquences indéniables en matière de sécurité routière mais aussi de concurrence déloyale. S'il convient de saluer l'accord sur le tachygraphe intelligent, le calendrier de mise en oeuvre qui peut atteindre jusqu'à 15 ans pour certains véhicules doit être revu afin d'éviter un régime à plusieurs vitesses où les flottes de poids lourds modernes seraient in fine mieux contrôlées que les anciens, créant insidieusement une prime à la vétusté. Le coût avancé pour la mise en place de ces nouveaux dispositifs, entre 1 000 et 2 000 euros, est à relativiser au regard de ceux induits pour adapter les flottes aux normes environnementales Euro 5 et Euro 6, entrées en vigueur les 1 er janvier 2009 et 1 er janvier 2014. Le renouvellement des camions s'est traduit par une hausse des tarifs variant entre 12 et 15 000 euros selon les constructeurs. Une mise en service généralisée du nouveau tachygraphe dès 2018 apparaît donc souhaitable.

Cette généralisation du dispositif dans les camions doit s'accompagner d'une mise à niveau immédiate des outils de contrôle au sein des États membres. Le règlement n°165/2014 prévoit en effet une période de 15 ans pour l'acquisition des matériels nécessaires. Un tel délai apparaît en complet décalage avec la volonté initiale de renforcer les contrôles.

Cette adaptation nécessaire des techniques va de pair avec un renforcement de la coopération administrative entre les États membres. « Euro contrôle route » doit, en conséquence, être étendue à tous les États membres afin de permettre une véritable harmonisation des contrôles et une meilleure formation de tous les services concernés. Cette coopération administrative doit déboucher sur la mise en oeuvre de sanctions uniformes en cas de fraude, certain États, à l'image de l'Italie, étant plus exigeants que d'autres. Elle a néanmoins pour préalable une transposition effective de la législation existante. Il est anormal que dix États membres, à l'instar de l'Allemagne, de la Belgique et du Royaume-Uni n'aient toujours pas mis en place le registre électronique des entreprises prévu par le règlement n°1071/2009.

Le nouveau tachygraphe devrait contribuer à la géolocalisation des véhicules et donc faciliter leur contrôle à distance. Cette option devrait permettre un contrôle plus efficace de la fréquence des opérations de cabotage. Compte tenu de cette option, il est opportun de concrétiser l'application de la directive n°96/71 concernant le détachement des travailleurs aux opérations de cabotage en conférant au considérant 17 du règlement n°1072/2009 une valeur normative .

S'il n'est pas parfait, le compromis trouvé sur la durée des opérations de cabotage ne doit pas être remis en cause. La libéralisation souhaitée par le commissaire contribuerait à fragiliser un peu plus les entreprises de transports françaises, belges ou italiennes. Toute révision du dispositif doit donc être guidée par un impératif de précision. Il convient ainsi de s'interroger sur la possibilité de voir émerger un cabotage permanent, lié au simple franchissement d'une frontière, qui ouvre mécaniquement le droit à cabotage sur le trajet du retour. La notion de trajet de retour perd tout son sens dès lors qu'il est permis d'effectuer sur celui-ci des opérations internationales qui permettent ensuite à ces camions de caboter durant sept jours sur le territoire de l'État de déchargement. Un transporteur roumain parti effectuer une livraison en France peut ainsi optimiser son trajet de retour via les bourses de fret et effectuer trois opérations de cabotages en France, puis trois en Italie, puis trois en Autriche et trois en Hongrie avant de regagner son pays. Rien ne l'interdit non plus de revenir sur ses pas, en prenant depuis l'Autriche ou l'Italie une livraison pour un pays voisin. Cette pratique constatée notamment en Allemagne est appelée « grand cabotage ». Compte tenu du différentiel salarial indiqué plus haut, ce cabotage quasi permanent fausse les conditions de concurrence sur les marchés intérieurs des États traversés. Une solution à cette dérive pourrait consister en l'interdiction pour les véhicules d'effectuer une opération internationale sur le trajet du retour. Une telle option permettrait de limiter le cabotage dans les États membres traversés à une seule opération et respecterait ainsi l'esprit du règlement n°1072/2009.

Si le contrôle effectif du cabotage passe bien évidemment par le tachygraphe intelligent, il convient, en attendant qu'il soit installé sur tous les véhicules concernés, de mettre en place un carnet européen de cabotage, sur lequel seraient répertoriées toutes les opérations .

Il serait, en outre, nécessaire de préciser la directive n°92/106 du 7 décembre 1992 relative à l'établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres. Le transport combiné vise les chargements ou déchargements de camions dans les ports ou les gares. Le dispositif permet pour l'heure des opérations de cabotage, sans véritable contrainte, dans les États membres traversés. Tout transporteur routier établi dans un État membre a le droit d'effectuer, dans le cadre d'un transport combiné entre États membres, des trajets routiers initiaux et/ou terminaux qui font partie intégrante du transport combiné et qui comportent ou non le passage d'une frontière. Seuls les trajets nationaux par route effectués dans un État membre d'accueil qui ne font pas partie d'un transport combiné entrent dans la définition des transports de cabotage et sont soumis au règlement n°1072/2009. Il n'est dès lors pas étonnant de voir nombre de camions bulgares effectuer des opérations de cabotages autour du port de Rotterdam par exemple. Une révision du dispositif concernant le cabotage doit comporter une application des règles générales, y compris dans le cadre d'un transport combiné.

Compte-tenu du rôle des bourses de fret dans l'optimisation du cabotage , il convient également d'encadrer le fonctionnement de celle-ci afin d'éviter notamment la publication d'offres faussant les règles de concurrence loyale sur le marché intérieur. Un échange de bonnes pratiques pourrait ainsi être lancé sous l'égide de l'Union européenne afin de parvenir à la mise en place d'offres standardisées, détaillant l'ensemble des coûts et notamment les frais de personnels .

Enfin, au regard de la dynamique qui semble affecter ce marché et de sa dimension européenne, les véhicules utilitaires légers devraient désormais faire l'objet d'une réglementation européenne spécifique. Elles ne font jusque-là l'objet que de quelques allusions. Les normes relatives au temps de travail, de conduite et de repos, le tachygraphe et l'encadrement des opérations de cabotage devraient pouvoir être pleinement appliquées à l'échelle européenne.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page