LE TRANSPORT AÉRIEN : LABORATOIRE DU DUMPING SOCIAL ?

LE DROIT APPLICABLE

BASE D'AFFECTATION, BASE D'EXPLOITATION : QUELS DROITS POUR LES PERSONNELS NAVIGANTS ?
Le droit de la sécurité sociale

La notion de « base d'affectation », contenue dans règlement n°3922/91 du 16 décembre 1991 relatif à l'harmonisation de règles techniques et de procédures administratives dans le domaine de l'aviation civile, sert désormais de référence au niveau européen pour définir le droit de la sécurité sociale applicable aux personnels navigants des compagnies aériennes. Aux termes de ce texte, la base d'exploitation est le lieu désigné par l'exploitant pour le membre d'équipage, où celui-ci commence et termine normalement un temps de service. L'exploitant n'est, par ailleurs, pas tenu de loger ce membre d'équipage sur ce lieu. Le règlement n°465/2012 du 22 mai 2012 modifiant le règlement n°883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement n°987/2009 fixant les modalités d'application du règlement n°883/2004 précise ainsi que les personnels navigants des compagnies aériennes sont désormais rattachés au régime de sécurité sociale de l'État au sein duquel se trouve leur base d'affectation.

Le règlement prévoit néanmoins la possibilité de mettre en oeuvre une période de transition de dix ans pour l'application de ce dispositif. À l'issue de ces dix ans, la compagnie doit régulariser la situation des salariés recrutés avant la mise en oeuvre du règlement. Cette régularisation peut intervenir auparavant, à la demande des intéressés ou en cas de « changement significatif », sans que ce terme ne soit précisé.

Le règlement de 2012 vise à corriger les possibilités de contournement contenues dans la législation , qu'il s'agisse du règlement n°1408/71 du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté ou du règlement n°883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale qui lui a succédé. Ces règlements rattachaient en effet par défaut les personnels navigants au territoire du siège de la compagnie, dès lors qu'ils exerçaient leur activité sur au sein d'au moins deux États. L'article 14 du règlement de 1971 prévoyait deux exceptions : le fait que la travailleur soit occupé par une succursale de l'exploitant au sein d'un autre État membre ou le fait qu'il exerce une activité prépondérante sur le territoire sur lequel il réside et qui n'est pas celui du siège de la société. L'article 13 du règlement de 2004 indiquait, quant à lui, que le personnel navigant pouvait être rattaché à la législation de l'État membre de résidence, dès lors qu'il y exerçait une partie « substantielle » de son activité où à la législation de l'État membre dans lequel se situe le centre d'intérêt de ses activités, si la personne ne réside pas dans l'un des États membres où elle exerce une partie substantielle de son activité. Ces critères restaient néanmoins délicats à évaluer, compte tenu de la nature même du métier des personnels navigants.

La base d'affectation permet ainsi de ne plus avoir recours à cette notion de pluriactivité. La base d'affectation ne saurait être trop loin du domicile des intéressés, ce qui permet d'étayer la référence au lieu de résidence mis en avant par le règlement de 2004.

Le droit du travail

Si la base d'affectation constitue une référence en matière de sécurité sociale, elle ne possède pas d'équivalent au niveau communautaire en matière de droit du travail.

La France a, de son côté, élaboré la notion de « base d'exploitation » au sein du décret n°2006-1425 du 21 novembre 2006 relatif aux bases d'exploitations des entreprises de transport aérien. La base d'exploitation est définie comme un ensemble de locaux ou d'infrastructures à partir desquels une entreprise de transport aérien exerce de façon stable, habituelle et continue son activité. Ce lieu constitue le centre effectif de l'activité professionnelle des salariés de ladite entreprise : ils y travaillent, prennent leur service et y retournent après l'accomplissement de leur mission. C'est donc elle qui détermine le droit du travail applicable.

Une telle définition fait écho à la notion d'établissement définie par le droit de l'Union et rappelée notamment par le dixième considérant du règlement n°847/2004 du 29 avril 2004 concernant la négociation et la mise en oeuvre d'accords relatifs à des services aériens entre les États membres et les pays tiers. Aux termes de celui-ci, l'établissement d'une société de transport aérien au sein d'un État membre implique l'exercice effectif et réel d'activités. La forme juridique de cet établissement, succursale ou filiale, ne peut constituer un facteur déterminant pour empêcher l'application des réglementations nationales, dès lors qu'elles sont conformes au droit de l'Union. Dans ces conditions, le décret de 2006 n'a suscité aucune réserve de la part de la Commission européenne. Le Conseil d'État a, de son côté, confirmé la compatibilité du décret au droit de l'Union en rejetant, le 11 juillet 2007, les requêtes des compagnies easyJet (Royaume-Uni) et Ryanair (Irlande) qui contestaient le décret de 2006. Reste que ce dispositif n'a pu être introduit dans le droit de l'Union, en dépit des tentatives effectuées en ce sens à l'occasion de l'adoption du règlement n°1008/2008 du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l'exploitation de services aériens dans la Communauté .

La Commission européenne a néanmoins précisé son point de vue le 15 novembre 2010 dans une réponse à une question d'un parlementaire européen à propos du droit du travail applicable sur la base de Ryanair située à Marseille. À ses yeux, les salariés travaillant sur cette base ne sauraient être considérés comme des travailleurs détachés au sens de la directive n°96/71, puisqu'ils travaillent habituellement dans cette ville. La Commission insiste en outre sur le fait que le règlement n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) établit qu'un salarié ne peut être privé du bénéfice des dispositions obligatoires que lui accorde l'État membre dans lequel ou à partir duquel il accomplit habituellement son travail , en l'occurrence la France. La Commission estime que ces dispositions apportent des garanties supplémentaires aux personnels navigants indépendamment de la législation du pays où ils ont été recrutés. Si elle souligne qu'il peut être difficile de déterminer avec précision le lieu où le personnel navigant accomplit son travail et que cette question doit être examinée au cas par cas en fonction de tous les éléments propres à chaque situation, elle insiste enfin sur le fait que le règlement n°1899/2006 du 12 décembre 2006 modifiant le règlement n°3922/91 du Conseil relatif à l'harmonisation de règles techniques et de procédures administratives dans le domaine de l'aviation civile prévoit que chaque transporteur aérien doit désigner une base d'affectation pour chaque membre d'équipage. Ce qui peut, selon elle, contribuer à déterminer le lieu dans lequel ou à partir duquel un salarié travaille habituellement. Le principe de la base d'affectation a d'ailleurs été réaffirmé à l'occasion de l'adoption des nouvelles règles en matière de temps de vol (révision du règlement n°965/2012 du 5 octobre 2012 déterminant les exigences techniques et les procédures administratives applicables aux opérations aériennes conformément au règlement n°216/2008).

L'arrêt Koelzsch rendu par la Cour de justice de l'Union européenne 15 mars 2011 souscrit au même raisonnement en prenant appui sur le cas d'un chauffeur routier. La convention dite de Rome I, transposée en droit européen par le règlement n°593/2008 garantit l'applicabilité de la loi de l'État dans lequel le salarié exerce ses activités professionnelles plutôt que celle de l'État du siège de l'employeur. En effet, c'est dans l'État au sein duquel il opère que le travailleur exerce sa fonction économique et sociale que l'environnement professionnel et politique influence l'activité de travail. Dès lors, le respect des règles de protection du travail prévues par le droit de ce pays s'impose. Aux yeux du juge, il y a lieu de constater que le critère du pays où le travailleur «accomplit habituellement son travail» doit être interprété de façon large, alors que le critère du siège de «l'établissement qui a embauché le travailleur» ne doit s'appliquer que lorsque le juge saisi n'est pas en mesure de déterminer le pays d'accomplissement habituel du travail.

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