B. L'ÉCLATEMENT DE 2013 : UNE GESTION PRÉCIPITÉE ET DES RÉPONSES À LA PORTÉE MAL MESURÉE

1. L'emballement des revendications : de l'ouverture d'une licence à une université de plein exercice
a) Des revendications initiales centrées sur l'ouverture d'une licence, un rééquilibrage des moyens en faveur de la Guyane et de meilleurs services aux étudiants

La grève , qui a démarré, le 8 octobre 2013 , sur le campus de Troubiran à Cayenne, est portée par une intersyndicale composée d'enseignants et de personnels IATOS et par un collectif étudiant. Les principales revendications portent initialement sur :

- le déploiement effectif des moyens permettant l'ouverture de la licence professionnelle de protection de l'environnement (LPPE) ;

- l'amélioration des conditions de la vie étudiante, avec la résolution de problèmes persistants concernant les transports, la restauration universitaire et le manque d'activités sportives ;

- le rééquilibrage de moyens en faveur du développement du pôle guyanais et la fin des dysfonctionnements observés dans les recrutements d'enseignants-chercheurs ;

- une modification de la gouvernance de l'UAG dans le sens d'un renforcement de l'autonomie des pôles.

Le retard pris dans l'ouverture de la LPPE constitue le point de départ des troubles survenus en Guyane. Il convient de souligner que l'ouverture de cette licence, qui doit théoriquement intervenir tous les deux ans, n'a pu être approuvée par le conseil d'administration de l'IESG que le 19 septembre 2013, alors qu'elle avait été demandée depuis le 10 avril 2013, ce qui a eu pour effet de retarder son approbation par le conseil des études et de la vie universitaire et le conseil d'administration de l'UAG.

À cet égard, votre groupe de travail relève que, contrairement aux déclarations d'une partie des grévistes, le directeur de l'IESG en exercice pendant les faits, M. René Dorville, a sollicité en vain à plusieurs reprises la convocation du conseil d'administration de l'institut auprès de son président, qui était alors M. Christian Porthos, représentant du président du conseil général de la Guyane. Comme l'atteste le rapport de la mission de l'IGAENR dépêchée à la fin du mois d'octobre 2013 en Guyane par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, M. Dorville a produit plusieurs documents démontrant les efforts qu'il a déployés pour obtenir la réunion de ce conseil d'administration, dont un courrier en recommandé en date du 10 mai 2013, cosigné par les neuf représentants enseignants du conseil d'administration, adressé au président du conseil général et à son représentant, dans lequel il sollicite la réunion du conseil d'administration conformément aux statuts de l'IESG qui prévoient que « le président convoque le conseil chaque fois que les circonstances l'exigent et au moins trois fois par an ». Or, le conseil d'administration n'a pas été réuni entre le 20 juillet 2012 et le 19 septembre 2013. La responsabilité de M. Dorville dans les dysfonctionnements de l'IESG (absence de réunions, problèmes de quorum ) ne peut donc être retenue.

b) La radicalisation du conflit ou l'impossible dialogue

Il convient de souligner que la création d'une université de plein exercice en Guyane était absente des revendications initiales de l'intersyndicale et du collectif étudiant.

M. Christian Forestier 76 ( * ) et M. Raphaël Robinson 77 ( * ) ont été sollicités par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche pour conduire une mission de médiation auprès des grévistes, qui s'est déroulée du 17 au 21 octobre 2013 à Cayenne. M. Forestier a ainsi indiqué à votre groupe de travail qu'il avait été pour le moins surpris que le collectif étudiant, suivi par un certain nombre de responsables politiques, réclame, après son départ, la création d'une université de plein exercice alors même que cette revendication avait été absente des discussions qu'il avait conduites au cours de sa médiation.

Des éléments contextuels et de calendrier ont manifestement contribué à dramatiser et précipiter la gestion de la crise. La proximité d'une visite du Président de la République en Guyane prévue pour la mi-décembre 2013, le contexte de préparation de la campagne des municipales de 2014 et la perspective de la mise en place de la collectivité unique en 2015 ont, de toute évidence, créé les conditions d'un climat politique propice à un emballement des revendications. Les élus locaux et nationaux et les responsables politiques guyanais ont ainsi été nombreux à être interpelés par les grévistes et à réagir, voire surenchérir sur le devenir du pôle universitaire guyanais.

Le basculement des revendications sur la demande de création d'une université de plein exercice était accompagné d'une forte radicalisation des positions de l'intersyndicale . Cette dernière a mis l'accent sur la disqualification de la gouvernance tant du pôle guyanais que de l'université. La personnalisation du conflit a conduit à des demandes d'éviction de responsables universitaires du pôle et a constitué un point de rupture du dialogue avec les instances dirigeantes de l'UAG, l'État se voyant acculé à une position inconfortable d'arbitre.

Il ressort, en effet, tant de la mission de l'IGAENR que de la médiation Forestier-Robinson intervenues en octobre 2013, que le conflit a sans doute été instrumentalisé pour précipiter le renvoi du vice-président du PUR de la Guyane, M. Jean-Marie Fotsing, et du directeur de l'IESG, M. René Dorville.

La mise en cause du vice-président du PUR de la Guyane mérite un examen approfondi. Votre groupe de travail rappelle que l'élection du vice-président de chacun des trois PUR s'effectue en deux temps. Le conseil consultatif de chaque pôle, composé des quatorze membres élus et nommés au titre d'une région au conseil d'administration de l'UAG, est saisi, à titre consultatif pour désigner son vice-président choisi parmi les six représentants des enseignants-chercheurs et assimilés du conseil consultatif. Le candidat proposé par le pôle est ensuite élu à la majorité absolue des 42 membres du conseil d'administration de l'université.

Comme le rappelle le rapport de la mission de l'IGAENR d'octobre 2013, contrairement aux deux autres pôles où une seule candidature a émergé et a été validée par le conseil d'administration de l'UAG, deux candidats se sont présentés pour la Guyane, M. Jean-Marie Fotsing et M. Jean-René de Neef. M. Fotsing a été élu par le conseil consultatif du PUR de la Guyane avec sept voix, contre six pour M. de Neef et un vote blanc.

Votre groupe de travail souligne qu'aux termes de l'article 29 des statuts de l'UAG, « pour le calcul de la majorité des suffrages exprimés par les membres des conseils, quelle que soit par ailleurs la majorité requise, on ne tient compte ni des abstentions, ni des bulletins blancs ou nuls ». Or, si le nombre des suffrages exprimés est impair, la majorité absolue est égale à la moitié du nombre pair immédiatement supérieur, conformément à une règle constante en matière électorale. Votre groupe de travail considère donc, que sur la base de ces éléments, la candidature de M. Fotsing aurait dû être considérée comme ayant réuni une majorité absolue (7 voix sur 13 suffrages exprimés) au sein du conseil consultatif du PUR de la Guyane.

Néanmoins, sur proposition du représentant du président du conseil régional de la Guyane, M. Jocelyn Ho-Tin-Noé, le conseil d'administration de l'UAG du 6 mars 2013 a accepté de se prononcer sur deux candidatures pour la vice-présidence du PUR de la Guyane. Le conseil d'administration n'a pas estimé qu'une majorité absolue ait été dégagée après deux votes, avec 19 voix pour M. de Neef et 18 voix pour M. Fotsing. En conséquence, la présidente de l'UAG a renvoyé les deux candidats devant le conseil consultatif du pôle Guyane.

Ce dernier a choisi de ne pas revoter et a donc, de fait, confirmé le vote initial en faveur de la désignation M. Fotsing que le conseil d'administration de l'UAG a finalement élu, le 21 mars 2013, avec 22 voix, soit la totalité des suffrages exprimés (34 votants, 33 bulletins dont 11 bulletins blancs), comme l'indique le procès-verbal du conseil d'administration du 21 mars 2013.

Votre groupe de travail partage l'analyse de la mission de l'IGAENR d'octobre 2013 selon laquelle la présidente de l'UAG s'est employée à faire émerger un consensus au sein du pôle guyanais, alors même que les statuts de l'université ne prévoient pas la possibilité d'une deuxième saisine du conseil consultatif du pôle sur la désignation du vice-président. Comme le souligne l'IGAENR, la régularité de l'élection de M. Fotsing est attestée par les procès-verbaux, tant du conseil consultatif du pôle que du conseil d'administration de l'université et elle n'a, du reste, pas été contestée puisqu'aucun recours n'a été déposé contre cette élection.

Au début de la grève en Guyane, M. Fotsing assumait les fonctions de vice-président du pôle depuis moins d'un an. Les documents qu'il a transmis à la mission de l'IGAENR d'octobre 2013 démontrent qu'il a mené une activité intense, notamment pour le renforcement de la sécurité des biens et des personnes sur le nouveau campus de Troubiran et la mise en oeuvre des entretiens avec les personnels du pôle en vue de la réorganisation de ses activités. Son action s'est bien inscrite dans le périmètre d'intervention du vice-président de pôle défini par l'article 9 des statuts de l'UAG.

Des responsables administratifs ont fait état de problèmes relationnels avec M. Fotsing, mais il n'a pas été possible pour la mission de l'IGAENR d'étayer, à l'examen d'une période aussi courte, des conclusions définitives sur le mode managérial de M. Fotsing. Une des critiques formulées à son encontre par l'intersyndicale, lors de son audition par la délégation de votre groupe de travail, a porté sur le projet de recherche « ATIPA » en sciences géo-environnementales envisagé dans le cadre d'un rattachement au laboratoire CEREGMIA (centre d'études et de recherche en économie, gestion, modélisation et informatique appliquée) et financé sur fonds européens, projet hypothétique auquel M. Fotsing a plusieurs fois fait référence au cours de sa campagne 78 ( * ) .

Quant à M. Dorville, son mandat en tant que directeur de l'IESG devait expirer en 2014. Comme l'a évoqué précédemment votre groupe de travail, aucun élément probant ne permet de mettre en cause sa responsabilité dans les dysfonctionnements de l'IESG.

2. Une gestion chaotique
a) Un ministère qui n'avait pas anticipé la crise
(1) Un défaut d'anticipation doublé d'une gestion hasardeuse

Les éléments analysés précédemment justifient, selon votre groupe de travail, le refus opposé par la présidente de l'UAG d'accéder aux demandes des grévistes qui appelaient à ce que soient mis fin aux fonctions des personnes (MM. Fotsing et Dorville) qu'ils désignaient comme responsables de la crise. Votre groupe de travail rappelle qu'il revient aux représentants de l'État d'encourager l'ensemble des parties prenantes à un respect strict de la légalité et de la légitimité des instances régulièrement élues. Une ligne que Mme Corinne Mencé-Caster s'est employée à tenir avec exemplarité, bien qu'elle ait indiqué avoir reçu quelques encouragements à faire preuve d'une autorité outrepassant le cadre légal.

Compte tenu de « l'absence de réponse de [MM. Fotsing et Dorville] aux sollicitations du recteur de l'académie de Guyane », la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, par deux arrêtés en date du 12 novembre 2013 , a mis fin aux fonctions de M. Fosting 79 ( * ) et de M. Dorville 80 ( * ) . Les deux arrêtés font référence aux « dissensions régnant dans le pôle universitaire de Guyane ayant entraîné un conflit social au sein de tout le pôle depuis le 7 octobre 2013 » et se fondent sur « la responsabilité [de MM. Fosting et Dorville] dans cette situation, attestée par le préfet de la région Guyane et le recteur de l'académie de Guyane soulignant que le conflit trouve son origine dans le mode de gouvernance des composantes et du pôle universitaire de Guyane et dans le mode de management et les relations personnelles entre [MM. Fotsing et Dorville] et une partie notable des personnels ». Ces arrêtés ont, sans surprise, fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir déposé par la présidence de l'UAG. Les considérants de ces arrêtés font référence à une responsabilité des personnes en cause dans la crise alors qu'aucun élément de la mission de l'IGAENR ne permet d'attester, ce qui laisse votre groupe de travail perplexe.

Le 7 novembre 2013, Mme Anne Corval , directrice de l'antenne du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en Guyane, est nommée par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur le fondement de l'article L. 719-8 du code de l'éducation 81 ( * ) , administratrice provisoire du pôle universitaire guyanais, chargée des fonctions de vice-présidente du PUR de la Guyane et de directrice de l'IESG 82 ( * ) . La présidente de l'UAG regrette que cette décision intervienne sans qu'elle ait été consultée 83 ( * ) , mais prend cependant acte de cette nomination en accordant à Mme Corval des délégations de signature pour engager, liquider et mandater les dépenses du pôle et de l'IESG, assurer la gestion des personnels et garantir la sécurité des locaux.

Votre groupe de travail souligne que les tensions sur le site de Guyane étaient perceptibles dès le début de l'année 2013, comme en attestent les déclarations de membres du conseil d'administration de l'UAG au cours de sa réunion du 6 mars 2013.

Si les responsables de l'université se sont exposés à des critiques sur leur manque de réactivité face à l'ampleur du malaise grandissant au sein du pôle guyanais, l'État, par défaut d'anticipation, s'est retrouvé contraint de gérer une situation explosive dans la précipitation . La radicalisation du conflit et son extension aux lycées de la Guyane, de même que la nécessité de pacifier la situation avant la venue du Président de la République prévue pour le 13 décembre 2013, ont été déterminantes pour expliquer une gestion chaotique et hasardeuse . Des décisions lourdes (la destitution de deux responsables du pôle guyanais puis la scission de l'UAG) semblent avoir été prises sans en mesurer le véritable impact sur la totalité de l'établissement et les conséquences en cascade sur l'ensemble des trois régions.

(2) Le protocole d'accord de fin de conflit

À l'issue d'une négociation qui ignore les Antilles et dont la présidence de l'UAG semble avoir été mise à l'écart, un protocole d'accord de fin de conflit est finalement signé, le 11 novembre 2013 , entre l'intersyndicale et le collectif des étudiants guyanais et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, représentée par le préfet de la région Guyane et le recteur de l'académie de Guyane. Ce protocole, contresigné par l'ensemble des élus locaux et nationaux de ce territoire, met un terme à cinq semaines de blocage sur le PUR de la Guyane.

Ce protocole valide les engagements, déjà annoncés le 1 er novembre 2013 par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, en faveur :

- de la création d'une université de plein exercice en Guyane par décret pris en 2013 ou au plus tard au premier trimestre 2014, pour une mise en place de l'université à la rentrée 2015 ou au plus tard à la rentrée 2016 ;

- du renforcement du niveau de qualité universitaire et d'excellence scientifique du territoire guyanais qui accueille les implantations de plusieurs organismes de recherche et le centre spatial international à Kourou ;

- du suivi de l'effectivité de mesures déjà annoncées, dont l'ouverture, depuis le 14 octobre 2013, de la licence professionnelle de protection de l'environnement et les différents dispositifs visant à améliorer la vie étudiante sur le pôle universitaire guyanais, en matière de restauration, de logement, de bibliothèque et d'accès ;

- de l' attribution à l'université de 40 à 60 emplois supplémentaires sur trois ans à partir de 2013 , en réponse à sa sous-dotation historique.

Dans un communiqué en date du 11 novembre 2013 annonçant la signature du protocole d'accord, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche « remercie vivement tous ceux qui ont contribué à la signature de ce protocole d'accord, et notamment ses collègues Christiane Taubira et Victorin Lurel », qui ont été très présents localement pendant la négociation.

b) Des tensions persistantes et des clarifications à opérer en urgence
(1) Des tensions toujours vives en Guyane malgré l'annonce de la création de l'Université de la Guyane dès 2014

La délégation de votre groupe de travail a constaté que l'administratrice provisoire doit assumer une tâche d'une grande complexité, ne disposant que de moyens humains très limités, dans un climat de tensions persistantes qui ne favorise pas une réflexion sereine. Ses relations avec l'intersyndicale se sont détériorées en raison de désaccords sur le rôle et la constitution du directoire censé l'accompagner dans l'administration provisoire du pôle. Les membres de l'intersyndicale souhaitent, en effet, que ce directoire soit investi de compétences décisionnelles, dans un cadre collégial, à l'instar d'un comité de direction. En outre, la composition de cette instance, telle que proposée par l'administratrice provisoire, ne satisfait pas l'intersyndicale qui refuse la consultation de membres issus de l'ancienne gouvernance du pôle ou de l'IESG, entretenant un contexte de « règlements de comptes », voire de « chasse aux sorcières » rapporté par plusieurs responsables administratifs et pédagogiques rencontrés par la délégation de votre groupe de travail (et attesté par de nombreux courriels parvenus également au groupe de travail).

Le président du conseil général de la Guyane, M. Alain Tien Long, rencontré par la délégation de votre groupe de travail, considère que le conseil d'administration de l'IESG ne peut valablement continuer à siéger, en raison de la démission d'une partie des personnalités extérieures 84 ( * ) et la mise en place d'une administration provisoire. Or, en estimant qu'il n'est ni raisonnable ni souhaitable de conduire la réflexion sur la création de l'Université de la Guyane en excluant des responsables universitaires pourtant régulièrement élus (dont certains continuent, du reste, de siéger valablement au sein du conseil d'administration de l'UAG 85 ( * ) ), Mme Corval a pris l'initiative de consulter également les membres élus du conseil d'administration de l'IESG dans sa formation restreinte aux enseignants-chercheurs pour laquelle le quorum pouvait encore être réuni. Cette décision a été mal accueillie tant par les membres de l'intersyndicale que par les responsables des collectivités territoriales, dans un climat de suspicion généralisée.

Malgré la démission d'une partie des personnalités extérieures du conseil d'administration de l'IESG, il était encore possible de réunir un quorum pour la tenue du conseil dans sa formation restreinte aux enseignants de l'institut. C'est ce conseil d'administration restreint qui a été consulté par Mme Corval afin d'examiner un certain nombre de décisions relatives à la publication des postes vacants et au recrutement d'enseignants vacataires, avant de les transmettre pour validation au conseil d'administration de l'UAG. Le mandat du conseil d'administration restreint de l'IESG est arrivé à échéance le 19 mars 2014 86 ( * ) .

Votre groupe de travail salue le soin constant pris par Mme Corval d'assurer la continuité des activités du pôle guyanais tout en assurant une consultation de la communauté universitaire la plus large possible, dans l'intérêt général des étudiants et des enseignants, et en clarifiant le fonctionnement administratif, pédagogique et financier du pôle.

(2) Les Antilles en attente de clarifications

Les responsables politiques antillais ont indiqué à la délégation de votre groupe de travail avoir pris connaissance par voie de presse 87 ( * ) de la décision du Gouvernement tendant à la scission de l'UAG contenue dans le protocole d'accord de fin de conflit sur le pôle guyanais.

Les élus locaux antillais ont été consultés par le Gouvernement sur l'avenir de l'enseignement supérieur dans la zone à l'occasion d'une réunion à Paris, sans leurs homologues guyanais, avec la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministre des outre-mer le 21 novembre 2013. Le président du conseil régional de la Martinique, M. Serge Letchimy, a fait part à la délégation de votre groupe de travail de sa surprise lorsqu'il a constaté que le procès-verbal de cette réunion, transmis par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, ne respectait pas l'intégralité des engagements pris lors de cette réunion 88 ( * ) . En particulier, il a rappelé que les ministres avaient accueilli favorablement la proposition défendue par M. Jacques Gillot, président du conseil général de la Guadeloupe, et lui-même de mettre en place une structure fédérative, dont le principe devait être acté par la future ordonnance, chargée de coordonner les coopérations entre l'Université de la Guyane et ce qui devait être, selon lui, la future Université des Antilles, en matière de recherche et de développement des filières.

Votre groupe de travail regrette que la gouvernance de l'UAG ait été maintenue aussi longtemps à l'écart de la préparation du décret portant création de l'Université de la Guyane, dès lors qu'il emporte des conséquences notables sur l'avenir de l'UAG et de ses pôles antillais, tant sur le plan institutionnel que sur le plan financier.

Les instances dirigeantes de l'UAG soulignent le climat d'incertitude qui ne permet pas à la communauté universitaire présente sur les pôles antillais d'envisager leur avenir institutionnel avec sérénité. Elles redoutent un brouillage de la réflexion commune par la démultiplication de foyers d'agitation sur les pôles, en raison d'un sentiment d'inquiétude souvent légitime et largement nourri par l'absence de directives claires de la part du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les conditions et le calendrier des évolutions institutionnelles à étudier. L'État, en particulier, doit veiller à ce que le climat de pression permanente et de précipitation qui a présidé à l'enchaînement des décisions concernant l'avenir du pôle guyanais ne se reproduise pas dans les Antilles .

Le déroulement des événements en Guyane a été marqué, en effet, par la très forte pression d'un mouvement contestataire dont le degré de représentativité demeure incertain dès lors qu' aucune consultation de la communauté universitaire du pôle guyanais dans son ensemble n'a été organisée (les tentatives de consultation ayant été entravées). L'intersyndicale du pôle guyanais est parvenue à rythmer les négociations en privilégiant le recours aux annonces par médias interposés plutôt que les cadres prévus et consentis pour un dialogue constructif. C'est précisément ce mode opératoire que les responsables des pôles universitaires antillais redoutent.

Le conseil d'administration de l'UAG du 8 juillet 2013 avait déjà convenu de la mise en oeuvre d'une large réflexion sur chaque pôle, organisée sous l'égide des vice-présidents de pôle, en vue de formuler des propositions sur la future ordonnance. À la suite des événements guyanais, le conseil d'administration de l'UAG du 16 décembre 2013 a acté le principe d'une consultation de la communauté universitaire dans toutes ses composantes (étudiants, personnels enseignants, personnels administratifs) sur les pôles guadeloupéen et martiniquais . Toutefois, de fortes incertitudes pèsent sur la bonne marche des opérations au sein de l'UAG :

- quelles seront les conséquences juridiques directes pour l'UAG et ses pôles antillais de la publication du décret portant création de l'Université de la Guyane, même sur un mode expérimental ? ;

- alors qu'elle doit préparer, à la demande de la direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle (DGESIP) du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, un projet de contrat d'établissement avec l'État pour la période 2015-2014, l'université ignore sur quel cadre ce projet de contrat doit se fonder, la date de création effective de l'Université de la Guyane n'étant toujours pas connue ;

- plusieurs cadres de discussion se télescopent : négociation du décret portant création de l'Université de la Guyane, consultation de la communauté universitaire sur les pôles antillais, préparation de l'ordonnance portant adaptation des dispositions de la loi du 22 juillet 2013 dans les Antilles et en Guyane, qui doit être publiée avant le 22 juillet 2014.

Les activités du pôle guadeloupéen continuent, à l'heure où s'écrit ce rapport, d'être perturbées par le mouvement de grève lancé à partir de la mi-mars 2014 par une partie des organisations syndicales. Les grévistes réclament du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche l'assurance du maintien en Guadeloupe de la totalité des postes de l'UAG affectés au pôle guadeloupéen et de la totalité des personnels titulaires et non titulaires exerçant des fonctions permanentes de l'UAG en Guadeloupe : en d'autres termes, l'absence de tout redéploiement des postes présents en Guadeloupe (y compris ceux relevant de l'administration générale de l'UAG) que ce soit vers la Guyane ou vers la Martinique.

Le 8 mars 2014, la présidente de l'UAG a diffusé, auprès de la communauté universitaire des pôles guadeloupéen et martiniquais, un manifeste qui trace une feuille de route pour la réflexion sur l'évolution statutaire de l'enseignement supérieur aux Antilles. Elle y propose la création d'une Université des Antilles, assise sur des pôles à l'autonomie véritablement renforcée, capable de répondre « aux aspirations de qualité, d'attractivité, de rayonnement international, de pérennisation des moyens actuels, et de responsabilisation de chaque pôle dans la définition et la mise en oeuvre de la politique d'enseignement supérieur et de recherche sur son territoire » 89 ( * ) . Son initiative a été confortée par l'annonce, par les deux présidents des conseils régionaux de Guadeloupe et de Martinique, de la mise en place d'une commission mixte de préfiguration chargée de dessiner les contours d'une future Université des Antilles dont les deux pôles constitutifs disposeraient d'une autonomie décisionnelle effective 90 ( * ) .

Dans un courrier en date du 31 mars 2014 adressé à la présidente de l'UAG 91 ( * ) , la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a confirmé l'intention du Gouvernement de prendre deux décrets, l'un relatif à la création de la nouvelle Université de la Guyane, l'autre relatif à la transformation de l'UAG en Université des Antilles, publiés concomitamment à l'ordonnance qui doit intervenir avant le 22 juillet 2014.

Cependant la situation de revendications extrêmes en Guadeloupe perdure, comme si les protagonistes voulaient reproduire en Guadeloupe le même contexte que celui qui a conduit le ministère à prononcer la scission de l'UAG. On y retrouve les mêmes méthodes, les mêmes atteintes aux personnes et le même refus de dialogue dans les cadres réglementaires.


* 76 Ancien recteur et enseignant-chercheur ayant exercé en Guyane.

* 77 Ancien principal des collèges, personnalité guyanaise, médiateur de l'académie de Guyane.

* 78 Les CA et CEVU de l'UAG n'ont autorisé que le lancement de la phase d'études pour ce projet.

* 79 Arrêté du 12 novembre 2013 portant fin de la fonction de vice-président du pôle universitaire de Guyane de M. Jean-Marie Fotsing.

* 80 Arrêté du 12 novembre 2013 portant fin de la fonction de directeur de l'institut d'études supérieures de Guyane de M. René Dorville.

* 81 Cet article prévoit la possibilité pour le ministre chargé de l'enseignement supérieur de mettre en place une administration provisoire en cas de dysfonctionnements graves constatés dans un établissement d'enseignement supérieur.

* 82 Lettre de mission de Mme Anne Corval du 14 novembre 2013, en annexe 3.

* 83 La présidente de l'UAG reçoit le soutien de la Conférence des présidents d'université (CPU) qui, par une motion du 7 novembre 2013, voit dans la nomination d'une administratrice provisoire et l'annonce de la création d'une université de Guyane de plein exercice une démarche en contradiction avec les principes d'autonomie des universités et de mise en réseau des établissements par voie de regroupements.

* 84 Par une lettre en date du 28 octobre 2013, M. Alain Tien Long sollicite de M. Christian Porthos sa démission en tant que représentant du conseil général au sein des conseils d'administration de l'IESG et du conseil consultatif du PUR de la Guyane. Cette démission sera suivie, le 29 octobre 2013, de celles de Mme Ghislaine Prévôt, représentante pour le collège des maîtres de conférences, et de Mmes Karine Martial et Gleide Fernand, représentantes pour le collège des personnels IATOS. Pour rappel, le conseil d'administration de l'IESG compte 24 membres.

* 85 Rappelons que M. René Dorville, malgré sa destitution en tant que directeur de l'IESG, demeure membre du conseil d'administration de l'UAG, dont il a même été élu vice-président le 6 mars 2013.

* 86 Les trois nouveaux chefs de département de l'IESG ont été élus en janvier 2014 et le président du conseil des études de l'institut a été nommé par Mme Corval dans le même temps.

* 87 Courrier du président du conseil régional de la Martinique à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en date du 5 novembre 2013.

* 88 Courrier du président du conseil régional de la Martinique à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en date du 3 décembre 2013.

* 89 Manifeste du 8 mars 2014.

* 90 Communiqué de Mme Josette Borel-Lincertin et M. Serge Letchimy en date du 13 mars 2014, annexe 5.

* 91 Annexe 6.

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