III. L'ÉCLATEMENT DE 2013 : LA SANCTION DE SÉISMES ET DE BLOCAGES À RÉPÉTITION

A. UNE HISTOIRE JALONNÉE DE MOUVEMENTS SÉCESSIONNISTES ET DE CRISES

1. L'éclatement de l'académie des Antilles et de la Guyane

La création d'une académie des Antilles et de la Guyane en 1973, dont le siège était établi en Martinique, n'a pas permis de garantir l'unité de la politique de l'enseignement supérieur et de la recherche dans la zone, les déséquilibres importants de traitement des territoires étant manifestes. Mme Michèle Rudler, dernière rectrice des Antilles et de la Guyane, reconnaît ainsi que « quand la Guyane avait besoin de professeurs des écoles, de professeurs des collèges, on a peut-être un peu minimisé les besoins universitaires. Et c'est cela qui a mis le feu aux poudres car, effectivement, après, dans les choix, il fallait faire une distribution qui n'a pas toujours été en faveur de la Guyane » 69 ( * ) .

Alors que les responsables politiques locaux militaient déjà depuis près de quinze ans pour l'établissement d'un rectorat de plein exercice dans chaque territoire, la grève des lycéens intervenue en Guyane en 1995-1996 précipite la scission de l'académie des Antilles et de la Guyane en trois rectorats , effective en 1997 70 ( * ) . Initialement, l'État entend accéder aux revendications guyanaises par la création d'une académie de la Guyane tout en maintenant une académie des Antilles. Toutefois, les élus guadeloupéens, au premier rang desquels la présidente du conseil régional de l'époque, Mme Lucette Michaux-Chevry, exigent rapidement, dans la foulée de l'annonce de la création d'un rectorat en Guyane, la création d'un rectorat de plein exercice en Guadeloupe, justifiée par l'installation du siège de l'UAG en Guadeloupe. Cet enchaînement de divisions n'est pas sans rappeler la situation actuelle de l'UAG, désormais confrontée à la question du devenir d'une université des Antilles après la création d'une université de plein exercice en Guyane.

La création de trois académies distinctes pour les départements français d'Amérique débouche immanquablement sur la transformation de l'IUFM des Antilles et de la Guyane en trois IUFM 71 ( * ) .

2. Un climat d'instabilité chronique

Une grave crise budgétaire et financière a secoué l'UAG entre 2000 et 2002 . À l'issue d'un contrôle portant sur les exercices 1999 à 2003, la Cour des comptes estimait que les dérives constatées étaient le résultat « d'un ensemble de comportements et de pratiques assez éloignées d'une gestion rigoureuse des deniers publics », en précisant que la crise qui en découlait avait été accentuée par « des dysfonctionnements observés du côté de l'agence comptable et des services financiers qui s'y rattachent » 72 ( * ) . Afin de répondre aux principales critiques de la Cour sur l'absence de suivi rigoureux des recettes et une pratique de la dépense reposant sur le simple constat des inscriptions budgétaires, le président en exercice de l'époque avait pris l'engagement de réformes devant aboutir à une remise en ordre comptable et budgétaire, avec trois objectifs : l'apurement des comptes, le cadrage renforcé des procédures budgétaires et le renforcement progressif des procédures de gestion et de contrôle.

C'est précisément à partir de cette crise financière , qui intervenait, comme le soulignait fort justement la Cour des comptes, « trois années après le déclenchement d'une grève dont les ressorts, au-delà des problèmes sociaux qui l'avaient provoquée, s'enracinaient dans ce qu'il faut bien reconnaître comme un malaise identitaire » 73 ( * ) , que la gouvernance de l'UAG connaît un mouvement d' instabilité qui va se poursuivre jusqu'à aujourd'hui. Les présidents qui se succèdent depuis 2005 soit n'ont pas achevé leur mandat soit ont choisi de ne pas se représenter 74 ( * ) . Les fortes résistances internes à l'évolution et à l' encadrement des pratiques de gestion , notamment en matière budgétaire et comptable, expliquent sans doute que, en dépit des efforts déployés par les présidences successives, l'IGAENR faisait encore état, dans son rapport d'audit sur l'UAG de 2007 75 ( * ) , de dysfonctionnements comptables toujours nombreux et d'une consolidation qui demeurait fragile.

Le pôle guyanais se caractérise, en particulier, par la permanence, depuis la fin des années 1990 , d'un climat social tendu et par une forte détérioration de ses relations avec le siège de l'UAG . En février 2003 , une grève se produit sur le site de Cayenne, pour une durée de sept semaines, paralysant le fonctionnement de l'IESG. Les responsables universitaires et étudiants guyanais estiment que le pôle ne jouit pas de la place qu'il mériterait dans le périmètre de l'UAG au regard des forts besoins du territoire en formation des jeunes et de diversification de son offre d'enseignement supérieur.

M. Luc Ferry, alors ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, « demande au recteur de l'académie de Guyane d'ouvrir, sans délai, une discussion sur les conditions d'une plus grande autonomie de gestion de l'IESG et sur les modalités d'élaboration d'une carte des formations supérieures qui tienne compte des spécificités de la Guyane ». Dans ces conditions, le président de l'université de l'époque, M. Alain Arconte, consent à une augmentation des moyens matériels des instituts du pôle guyanais et à l'évolution du statut de l' IESG vers un régime d'autonomie renforcée, semblable à celui dont bénéfice l'IUT de Kourou , dans le cadre de l'article L. 713-9 du code de l'éducation. Il s'agit, pour l'IESG, de mettre son directeur en capacité de porter un projet de développement directement auprès du ministère et de garantir à terme un fléchage et une sanctuarisation des moyens correspondants.

Mais l'adoption de la « loi LRU » en 2007 remet rapidement en cause cet équilibre. Le renforcement de l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur et la globalisation des dotations qui leur sont consenties par l'État replace les présidents et les conseils d'administration des universités au coeur des arbitrages entre composantes .

À la rentrée 2006 , l'UAG connaît de nouveaux troubles. Une grève débute ainsi le 28 septembre 2006 en Guadeloupe, en raison du mécontentement des attachés temporaires d'enseignement et de recherche (ATER), qui s'étend en Martinique et en Guyane au début du mois d'octobre 2006.

Les trois conseils de l'UAG sont renouvelés le 5 décembre 2012. Mme Corinne Mencé-Caster, doyenne de l'UFR de lettres et sciences humaines de Martinique, est élue présidente de l'université par le conseil d'administration le 25 janvier 2013 . Pour la première fois, le pôle guyanais avait présenté une candidature en la personne de M. Antoine Primerose, ancien président du GIP PUG. Mais celui-ci n'est pas parvenu à faire le plein des voix des représentants du pôle guyanais et sa candidature est écartée dès l'issue du premier tour. Face à la division du pôle guadeloupéen qui présentait trois candidats, la candidate martiniquaise l'emporte en réunissant une majorité autour des objectifs prioritaires de préservation de l'unité de l'UAG et de rééquilibrage des moyens entre pôles.


* 69 Interview de Michèle RUDLER par Karin RADOJCIC et Raoul LUCAS, « Être recteur aux Antilles-Guyane », in LUCAS, Raoul et RADOJCIC, Karin (sous la direction de), L'enseignement supérieur dans les régions ultrapériphériques (RUP) (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion) , Éditions Karthala, 2006.

* 70 Décret n° 96-1147 du 26 décembre 1996 portant création des académies de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane.

* 71 Décrets n° 2001-1228, 1229 et 1230 du 19 décembre 2001 portant respectivement création d'un institut universitaire de formation des maîtres dans les académies de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique.

* 72 Cour des comptes, Université des Antilles et de la Guyane - Exercices 1999 à 2003, relevé d'observations définitives, rapport n° 47818, 2007.

* 73 Ibidem .

* 74 M. Alain Arconte n'achève pas son second mandat entamé en 2005, de même que ses successeurs, M. Georges Virassamy (2006-2009), et M. Pascal Saffache (janvier 2009-novembre 2012, administrateur provisoire de novembre 2012 à janvier 2013).

* 75 Rapport d'audit de la mission régionale de l'IGAENR d'audit Antilles-Guyane n° 2007-101-04 qui porte sur la période 2004-2006.

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