N° 656

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 juin 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur les conséquences de la crise sur le système de protection sociale espagnol ,

Par Mme Annie DAVID, M. Gilbert BARBIER, Mme Laurence COHEN et M. Gérard ROCHE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier, Mme Catherine Deroche , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, MM. Marc Laménie, Jean-Noël Cardoux , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Françoise Boog, Patricia Bordas, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Une délégation de votre commission, conduite par Annie David, présidente, et dont étaient membres Gilbert Barbier, Laurence Cohen et Gérard Roche, s'est rendue en Espagne du 21 au 25 avril 2014 dans l'objectif de prendre la mesure des conséquences de la crise sur le système de protection sociale espagnol.

Le choix de ce pays parmi les voisins directs de la France s'est imposé comme une évidence : l'Espagne est en effet celui qui a été le plus profondément touché par les turbulences économiques et financières des dernières années, subissant les effets cumulés de l'éclatement de la bulle immobilière, de la crise financière internationale puis de celle des dettes souveraines. Sous la pression des marchés et à l'appel des institutions communautaires et internationales, le gouvernement espagnol a adopté d'importantes mesures d'austérité budgétaire et engagé de nombreuses réformes structurelles qui ont fortement mis à contribution les dépenses de protection sociale tout en suscitant d'importantes et durables contestations.

La constitution de l'Etat-providence espagnol a permis en l'espace d'une trentaine d'années la mise en place d'un nouveau modèle de protection fondé sur un réseau de services de proximité ainsi qu'une plus grande participation de la société civile aux politiques sociales. Un système de santé et de retraite de qualité a pu s'imposer. En subissant de plein fouet les conséquences de la crise, il a cependant vu son développement fortement contrarié, l'universalisation et la généralisation des prestations sociales à l'ensemble de la population n'ayant pu être achevées. Le gouvernement est revenu sur bon nombre d'innovations qui avaient vu le jour dans les années d'avant-crise, en particulier en matière de couverture du risque de dépendance dans une société pourtant concernée de très près par le vieillissement démographique.

Avec le maintien de taux de chômage et de pauvreté élevés malgré les améliorations récentes de la situation budgétaire du pays, le système tarde à retrouver les ressources qui avaient permis son formidable développement après la transition démocratique, tandis que la question de la coordination et de rééquilibrage territorial des politiques sociales demeure toujours très prégnante.

Pour mieux appréhender ces enjeux, la délégation a pu s'entretenir avec de nombreux acteurs institutionnels du champ social : responsables politiques de la majorité et de l'opposition, en particulier de la commission de la santé et des services sociaux du Sénat espagnol, partenaires sociaux, services ministériels, associations.

Compte tenu de l'importance revêtue par les échelons territoriaux dans ce domaine, il lui a également paru indispensable d'aller à la rencontre des acteurs locaux. C'est pourquoi elle s'est rendue à Parla, une ville de 120 000 habitants située en périphérie de Madrid, où elle a pu s'entretenir avec le maire et le responsable du centre d'action sociale, ainsi qu'à Tolède, où elle a rencontré les responsables de la mairie et du ministère régional de la santé et des services sociaux du gouvernement de la communauté autonome de Castille-la-Manche.

Au terme de ce déplacement, la délégation remercie vivement l'ensemble des personnes qui l'ont reçue pour l'accueil que celles-ci lui ont réservé et le temps qu'elles lui ont consacré. Elle tient également à souligner la parfaite information que ses hôtes ont su lui procurer ainsi que le concours particulièrement actif de l'ambassade de France à Madrid pour l'organisation et le bon déroulement de la mission.

I. LA PROTECTION SOCIALE ESPAGNOLE : UN SYSTÈME RELATIVEMENT JEUNE, DONT LA MISE EN oeUVRE EST FORTEMENT DÉCENTRALISÉE

A. UN SYSTÈME QUI NE S'EST VÉRITABLEMENT DÉVELOPPÉ QU'AU COURS DES TROIS DERNIÈRES DÉCENNIES

Par comparaison avec d'autres pays européens comme la France ou le Royaume-Uni, la construction d'un Etat-providence constitue un fait historique relativement récent en Espagne.

S'il existait, avant la Guerre civile, un ensemble d'assurances sociales couvrant certains risques (accidents du travail dès 1900 ; assurance vieillesse en 1919 ; assurance maternité à compter de 1923), puis, pendant la période du franquisme, un ensemble de mutuelles spécifiques à chaque secteur de production 1 ( * ) , aucun système unifié de sécurité sociale n'a vu le jour avant la loi générale de sécurité sociale de 1966 qui prévoit pour la première fois une couverture de l'ensemble des travailleurs obligatoirement affiliés et de leur famille.

Sur ces fondements, le système de protection sociale espagnol actuel ne s'est réellement développé qu'à partir de la seconde moitié des années 1970 avant d'être consolidé à la fin des années 1980 concomitamment avec l'adhésion de l'Espagne à l'Union européenne en 1986. Il a en effet pris son essor après la transition démocratique, à la faveur de trente années de croissance économique (1977-2007) caractérisées par une intense reconversion industrielle et une forte augmentation des demandes sociales en faveur d'une amélioration de la protection sociale.

A partir de 1977 s'est ainsi progressivement déployé, aux côtés des structures traditionnelles de la sécurité sociale liées au marché du travail et du rôle toujours central de la famille, le système sanitaire et de retraites tandis que des progrès étaient réalisés en matière de protection sociale des chômeurs, d'aide sociale et de revenus minimaux.

Entre 1996 et jusqu'en 2007, la protection sociale a été élargie par étapes à de nouvelles catégories d'assurés comme les personnes en situation de dépendance ou les personnes immigrées et de nouvelles réformes ont vu le jour, en particulier en matière d'égalité et de prise en charge de la perte d'autonomie.

Les grandes dates du développement de l'Etat-providence espagnol

- 1978 : adoption de la Constitution espagnole dont l'article 41 prévoit que « les pouvoirs publics assureront à tous les citoyens un régime public de sécurité sociale garantissant une assistance et des prestations sociales suffisantes dans les cas de nécessité et, tout particulièrement, de chômage. L'assistance et les prestations complémentaires seront facultatives ». Son article 43 reconnaît à tous les citoyens un droit à la protection de la santé ; décret royal 36/1978 du 16 novembre 1978 de gestion institutionnelle de la sécurité sociale qui crée les organismes chargés de la gestion de la sécurité sociale ;

- A partir de 1985 (et jusqu'en 1995) : développement des systèmes régionaux des services sociaux aux personnes ;

- 1986 : loi générale de santé 14/86 du 25 avril créant le système national de santé sistema nacional de salud ») faisant de l'accès aux soins publics un droit de citoyenneté ;

- 1988 : loi sur le budget général de l'Etat du 28 décembre qui introduit une réforme du financement en fonction de la nature des prestations (celles de caractère contributif étant financées essentiellement par des cotisations et celles de caractère non-contributif par le budget de l'Etat) ;

- A partir de 1989 (et jusqu'en 1995) : développement des systèmes régionaux de revenus minimaux ;

- 1990 : loi 26/1990 du 20 décembre relative aux pensions non contributives, qui élargit le système de sécurité sociale des personnes en activité professionnelle à l'ensemble des résidents ;

- 1995 : pacte de Tolède signé par toutes les forces politiques et sociales du pays, établissant une feuille de route pour garantir la soutenabilité des prestations sociales , en particulier des pensions publiques de retraite ;

- 1997 : loi 24/1997 du 15 juillet de consolidation et de rationalisation du système de sécurité sociale qui prévoit un fonds de réserve de la sécurité sociale ;

- 1999 : mise en place du fonds de réserve de la sécurité sociale ;

- 2006 : loi 39/2006 du 14 décembre sur la promotion de l'autonomie personnelle et la prise en charge des personnes en situation de dépendance ;

- 2007 : loi organique 3/2007 du 22 mars pour l'égalité entre les hommes et les femmes instaurant un congé de paternité et améliorant les prestations versées au titre de la maternité.

Le système de sécurité sociale espagnol comprend deux niveaux de protection. Le premier, de caractère contributif, se décline, d'une part, au sein d'un régime général, applicable à tous les travailleurs salariés qui ne sont pas affiliés à des régimes spéciaux et à certaines catégories de fonctionnaires, d'autre part, au sein de trois régimes spéciaux (pour les travailleurs indépendants, les mineurs et les marins). Le second, d'ordre non-contributif a pour objectif de garantir une couverture minimale pour les personnes se trouvant dans une situation de besoin et dont les revenus sont inférieurs à un niveau établi par la loi.

Il présente, par rapport à la France, deux grandes spécificités :

- d'une part, les partenaires sociaux n'interviennent pas directement dans la gestion de la sécurité sociale . Ils sont néanmoins associés aux réformes, en particulier dans le cadre du consensus établi par le pacte de Tolède de 1995 qui définit les modalités d'évolution du système de retraite ;

- d'autre part, le périmètre de la sécurité sociale n'inclut pas les dépenses de santé . Celles-ci ne sont pas financées par les cotisations sociales mais quasi-exclusivement par l'impôt (budget général de l'Etat) et leur gestion relève des dix-sept communautés autonomes 2 ( * ) .


* 1 Les mutualidades laborales.

* 2 A l'exclusion des villes sous statut autonome de Ceuta et Melilla, où c'est l'Institut national de gestion sanitaire (INGESA : Instituto nacional de gestión sanitaria) qui gère les dépenses de santé.

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