B. L'AVENIR DES SOUS-PRÉFECTURES

1. Le sous-préfet : la porte d'entrée des services de l'État

Avec le schéma préfectoral issu du décret précité du 16 février 2010, le sous-préfet n'a vu son rôle redéfini qu'à la marge .

Les missions du sous-préfet

Délégué du préfet dans l'arrondissement , le sous-préfet veille au respect des lois et des règlements. Il concourt en outre au maintien de l'ordre public et de la sécurité des populations.

Il anime et coordonne l'action des services de l'État dans l'arrondissement, tout en participant à l'exercice du contrôle administratif et au conseil aux collectivités territoriales .

Le préfet de région peut, avec l'accord du préfet du département, lui confier des missions particulières , temporaires ou permanentes, d'intérêt régional.

La centralisation du contrôle de légalité en préfecture (cf . supra ) a cependant altéré le rôle du sous-préfet . Celui-ci est devenu une simple courroie de transmission des actes prioritaires, avec un rôle plus ou moins bien défini de conseil aux collectivités locales.

Peut-être en anticipation de cette relative dévalorisation du rôle du sous-préfet, la directive nationale d'orientation des préfectures (DNO) 2010-2015 préconise la transformation des sous-préfectures en administrations de mission tournées vers le développement des territoires : « « assemblier » des politiques publiques à l'échelle de l'arrondissement, garant de leur cohérence et animateur de la transversalité de l'État sur le territoire (...) le sous-préfet aura ainsi à développer ses interventions en matière d' ingénierie territoriale ».

Plus largement, votre rapporteure spéciale souligne le rôle important du sous-préfet en tant que « tête de réseau » de l'État . Au cours des missions de contrôle de votre rapporteure spéciale, l'image du sous-préfet comme « porte d'entrée » des services de l'État est ressortie. Cette fonction est d'autant plus essentielle que nombre d'élus locaux (notamment dans les petites communes, faiblement dotées en moyens humains) ne disposent pas de l'expertise nécessaire pour conduire seuls certains projets. Ils se tournent alors assez naturellement vers le sous-préfet pour faire avancer les initiatives locales. Dans cette perspective, on passe progressivement d'une administration de guichet à une administration de projet. Le sous-préfet devient ainsi un « développeur ».

Un projet de revitalisation réussie : le canton de Pouillon et « L'Oeuf Landais »

Afin de compenser trente-trois emplois supprimés à la suite de la fermeture programmée de la société de « L'oeuf Landais », une convention a été signée entre cette entreprise et l'État le 12 mars 2012. L'objectif était de contribuer au développement d'emplois sur le territoire du canton de Pouillon (Landes) . Une enveloppe de 90 090 euros était prévue pour soutenir cette opération, via le versement de subventions aux entreprises créatrices d'emplois en contrat à durée indéterminée (CDI).

Le sous-préfet de Dax et son équipe ont joué un rôle moteur dans cette revitalisation par l'activation des réseaux, la mise en relation et l'apport d'une expertise en montage de partenariats (conseil régional de l'Aquitaine, conseil général des Landes, communauté de communes de Pouillon, partenaires sociaux et chambres consulaires).

Sur les onze communes du canton, dix ont été bénéficiaires du dispositif : Habas (seize emplois), Misson (onze emplois), Pouillon (sept emplois), Cagnotte (quatre emplois), Ossages (deux emplois), Gaas, Labatut, Mimbaste, Mouscardès et Tilh (un emploi chacune).

Au total, quarante-cinq emplois ont pu être créés et vingt-neuf entreprises ont été aidées, majoritairement dans le domaine du bâtiment et des travaux publics (BTP) et de l'agriculture.

Source : sous-préfecture de Dax

Recommandation n° 12 : préserver le sous-préfet comme « porte d'entrée » du réseau des services de l'État.

Ouvrant de nouvelles perspectives au sous-préfet, le développement de cet axe de travail trouve toutefois sa limite au regard des moyens humains disponibles . Car les sous-préfectures manquent de fonctionnaires de catégorie A. De ce fait, le sous-préfet est « freiné » par la rareté des cadres parmi ses collaborateurs.

Recommandation n° 13 : afin de satisfaire la recommandation précédente, doter les sous-préfectures en cadres qui seront la « ressource » pour accompagner les projets locaux.

2. La révision de la carte sous-préfectorale

La réflexion sur le rôle du sous-préfet ne peut être dissociée de celle sur la carte des sous-préfectures, c'est-à-dire de leur répartition sur le territoire. Leur circonscription administrative est assise sur l'arrondissement. Depuis la « réforme Poincaré » de 1926, « la période contemporaine est caractérisée, à la différence des plus anciennes, par des créations d'arrondissements sans suppression » 38 ( * ) ainsi que le soulignait la Cour des comptes dans son rapport public annuel pour 2012 39 ( * ) . Aujourd'hui le nombre d'arrondissements s'établit à 330 en France métropolitaine et 12 outre-mer. Pour couvrir ces arrondissements, on compte 230 sous-préfectures en métropole et 8 outre-mer. Si la RéATE a concerné la quasi-totalité des services déconcentrés de l'État, encore faut-il remarquer que la carte des sous-préfectures n'a pas été retouchée à cette occasion.

Parmi les anachronismes concernant la situation actuelle des sous-préfectures, une grande hétérogénéité des missions doit être soulignée au regard de la délivrance des titres d'identité . Ainsi, vingt-trois sous-préfectures ont vu leurs activités de guichet totalement supprimées, d'autres ne délivrent plus de cartes grises, tandis qu'enfin certaines poursuivent l'intégralité de ces missions.

La suppression des activités de délivrance de titres conjuguée à la centralisation du contrôle de légalité en préfecture pose très sérieusement la question de l'utilité de certaines sous-préfectures . En juillet 2013, le rapport de Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss, « La stratégie d'organisation à 5 ans de l'administration territoriale de l'État » 40 ( * ) , a ainsi recensé quarante sous-préfectures ayant actuellement moins de dix agents. Une telle structure avec moins de dix agents ne s'apparente-t-elle pas davantage à une fiction administrative qu'à une réalité opérationnelle ? La notion de taille critique ne doit en effet pas être négligée en matière d'efficacité administrative et préfectorale.

À cet égard, votre rapporteure spéciale estime que l'activité de délivrance du passeport biométrique aurait tout autant pu être maintenue en sous-préfecture, plutôt que d'être confiée à des mairies qui n'étaient pas nécessairement demandeuses (Cf. supra ).

Par ailleurs, la grande diversité des situations constitue un facteur de complexité pour l'usager , qui ne sait plus a priori si telle ou telle sous-préfecture exerce encore une compétence en matière de titres.

Recommandation n° 14 : homogénéiser les activités de guichet des sous-préfectures afin de rétablir de la lisibilité pour l'usager.

S'agissant du réseau sous-préfectoral, la question récurrente est bien connue : faut-il maintenir toutes ces sous-préfectures sur le territoire ?

La réponse n'est pas simple, d'autant qu'elle se heurte à des obstacles eux aussi bien identifiés. Tout d'abord, annoncer la fermeture d'un service public n'est jamais chose facile, ni une bonne nouvelle pour le territoire concerné. La crainte de la relégation, des pertes d'emplois et de la dégradation du service public dû à l'usager se cumulent pour susciter bien souvent une levée de bouclier des élus locaux dans la défense de leur territoire. Par ailleurs, les critères objectifs restent à définir pour fonder une telle décision. Enfin, le précédent de la réforme de la carte judiciaire met en garde s'agissant des limites d'une réforme menée dans la précipitation et sans réelle concertation avec les élus.

Afin de se donner les meilleures chances de réussite et de désamorcer autant que possible les facteurs de blocage, quatre conditions paraissent devoir être réunies :

- définir des critères objectifs ;

- établir une méthode basée sur la concertation la plus large possible ;

- gager la révision du format de la carte sous-préfectorale sur des contreparties pour les territoires concernés ;

- prévoir un accompagnement social pour les personnels touchés par ce mouvement.

La question des critères est essentielle. Car si chacun peut s'accorder sur un principe général consistant en la nécessité de revoir cette carte, les problèmes surgissent dès lors que les situations particulières commencent à être évoquées. C'est pourquoi il semble judicieux de d'abord convenir d' une grille d'analyse partagée avant de se lancer dans une étude au cas par cas. La densité démographique des territoires, le maillage existant en termes de services publics et les caractéristiques géographiques offrent des points d'entrée fiables dans cette perspective.

Recommandation n° 15 : fonder une révision de la carte des sous-préfectures sur des critères objectifs : spécificités des zones de montagne ou rurales, temps d'éloignement des usagers par rapport aux services de l'État...

La concertation représente également un prérequis. Le plus sûr moyen de faire d'une telle réforme un échec serait en effet de l'imposer « d'en haut » . Au contraire, l'échange et l'argumentation dans un esprit constructif peuvent permettre à la réflexion d'avancer.

Recommandation n° 16 : établir une méthode basée sur la concertation la plus large possible.

Cette concertation sera d'autant plus fructueuse qu'elle pourra être alimentée de solutions de contreparties. Le départ « sec » d'un service public est beaucoup plus difficile à accepter que lorsque cette suppression s'accompagne de propositions d'alternatives . En 2009 par exemple, lorsqu'il a été décidé la suppression de l'arrondissement de Boulogne-sur-Seine ainsi que de sa sous-préfecture, la création concomitante d'une « Maison de l'État » a été annoncée 41 ( * ) .

Il faut ici souligner une initiative tout aussi récente qu'intéressante, en ce qu'elle permet de revisiter la problématique des sous-préfectures sous un jour nouveau. Le 4 juillet 2014, a en effet été annoncée la fusion de plusieurs arrondissements et le regroupement des services de l'État en région Alsace , dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle. D'ici l'année 2016, le Bas-Rhin passera ainsi, par exemple, de treize arrondissements à huit. Dans le même temps, la sous-préfecture de Wissembourg sera absorbée par Haguenau. Les anciens chefs-lieux d'arrondissement accueilleront des « permanences de service public », tandis que les bâtiments des sous-préfectures supprimées pourront accueillir des centres d'action sociale (CAS) ou des lieux de formation. Les quelques dizaines d'agents des sous-préfectures qui disparaissent seront redéployés et il est espéré une économie comprise entre 50 000 euros et 65 000 euros par an et par sous-préfecture.

Source : préfecture du Bas-Rhin

Ainsi que l'a souligné auprès de votre rapporteure spéciale Stéphane Bouillon, préfet de la région Alsace, préfet du Bas-Rhin 42 ( * ) , cette initiative a pu être d'autant mieux acceptée qu'elle a été prise après une large concertation et s'est appuyée sur des contreparties substantielles : l'engagement sur des « permanences de service public » et la reconversion de bâtiments au profit de services municipaux .

Recommandation n° 17 : gager la révision du format de la carte sous-préfectorale sur des contreparties pour les territoires concernés.

Dans un tel mouvement, les personnels ne peuvent pas être oubliés . Le souci attaché à leur accompagnement doit répondre à leurs inquiétudes actuelles. Beaucoup sont en effet préoccupés par leur devenir, celui de leurs métiers et de leurs missions. Une attention spéciale portée à l'accompagnement social, lors d'éventuelles fusions ou fermetures de sous-préfectures, paraît donc indispensable. Les leviers du redéploiement, de la formation et, plus généralement, d'une gestion dynamique des carrières et des emplois devront être requis.

Recommandation n° 18 : prévoir un accompagnement social pour les personnels touchés par ce mouvement.

Il ressort des auditions menées par votre rapporteure spéciale qu'une difficulté particulière s'attache à la gestion des effectifs en sous-préfecture : la moindre appétence des agents pour la mobilité . Cette difficulté est bien réelle et s'explique par différents facteurs : la rigidité des statuts qui rendent compliquée la mutation dans un autre service déconcentré de l'État, l'attractivité de certains territoires, la volonté de préserver l'unité familiale...

À cet égard, il est vrai que la gestion des personnels au sein de l'administration préfectorale et dans les DDI tourne parfois au « casse-tête » et à « l'usine à gaz » de par les différences de statuts entre les agents 43 ( * ) . Notamment, la gestion des commissions administratives paritaires (CAP) relève systématiquement de l'administration centrale et ces commissions se déroulent à des dates différentes les unes des autres (selon les ministères concernés et les catégories d'agents). Or, le rôle d'arbitrage du préfet de région dans la gestion des ressources humaines serait grandement simplifié et conforté si la gestion des CAP pour les agents de catégorie B et C était confiée au niveau déconcentré, quels que soient les ministères de rattachement. Il y a là un enjeu de mobilité essentiel au bon fonctionnement de l'administration préfectorale et des DDI.

Recommandation n° 19 : confier au niveau déconcentré la gestion des commissions administratives paritaires (CAP) pour les agents de catégorie B et C, afin de favoriser la mobilité des personnels et l'optimisation de la gestion des ressources humaines au sein de l'État déconcentré.

Au total, si l'interrogation sur l'avenir de la carte sous-préfectorale n'a jamais encore trouvé de réelle réponse, c'est qu'il a toujours manqué à la réflexion une grille d'analyse et une méthode pour aborder cette problématique. Par ses propositions pragmatiques, votre rapporteure spéciale souhaite contribuer utilement à faire avancer cette question qui, à force de rester sans solution, en devient lancinante et anxiogène tant pour les agents de ces services et que pour les élus des territoires potentiellement concernés.


* 38 En 1926, 106 arrondissements ont été supprimés et le maillage territorial s'appuyait alors sur 279 sous-préfectures, soit un nombre historiquement bas.

* 39 Rapport de février 2012.

* 40 Rapport au Premier ministre.

* 41 À ce jour, cette suppression n'est toutefois pas encore entrée dans les faits.

* 42 Audition du 24 juin 2014.

* 43 Cf. par exemple, pour plus de développements sur ce point, le rapport public thématique de la Cour des comptes sur « L'organisation territoriale de l'État » (juillet 2013).

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