C. UNE APPROCHE PRAGMATIQUE À PRIVILÉGIER

Vos rapporteurs ont conscience que, dans la société française, la question des « statistiques ethniques » demeure polémique. La publication par le COMEDD, en 2010, d'un rapport sur les outils statistiques pour mesurer la diversité sociale avait suscité des réactions, jusqu'à la constitution d'un collectif d'auteurs, réunis au sein de la commission alternative de réflexion sur les « statistiques ethniques » et les discriminations (CARSED) qui avait publié un ouvrage : Le retour de la race - Contre les « statistiques ethniques ».

Pour vos rapporteurs, disposer de données statistiques précises sur la composition de la société française est un préalable indispensable pour détecter et mettre en lumière les différences entre le poids démographique d'un groupe d'individus présentant une caractéristique commune - comme une origine qu'ils partageraient - et leur place actuelle au sein de l'école, de l'université, du monde professionnel ou encore du système politique. Seule la publication de ces éléments statistiques peut susciter la prise de conscience nécessaire sur l'état des discriminations. En somme, l'outil statistique fournit une donnée de référence indispensable pour déceler la discrimination.

Vos rapporteurs font leur ce constat du comité « Veil » de réflexion sur le préambule de la Constitution à propos de la « question des statistiques ethniques, dont le comité, pas plus que l'immense majorité des scientifiques, ne comprendrait pas qu'elles soient interdites, tant il est vrai que la lutte contre les discriminations suppose de pouvoir les mesurer ».

Alors que dans la conduite des politiques publiques, la donnée statistique prend une importance décisive, elle paraît déconsidérée en matière de lutte contre les discriminations. Pire, ce qui ne soulève, pour la plupart des motifs de discrimination, aucune objection entraîne de vifs débats lorsqu'elle s'applique aux discriminations raciales, ethniques ou religieuses.

Loin de souhaiter raviver les polémiques sur les « statistiques ethniques », vos rapporteurs estiment qu'il faut dépasser la question sémantique. D'ailleurs, M. François Héran, reprenant un constat du COMEDD, le soulignait lors de son audition : selon l'acception du terme ethnique qui est retenue, le recensement français est déjà « républicain et ethnique ». Dans certains cas, l'appartenance à une « communauté » et, le cas échéant, à une « tribu », est explicitement demandée à nos concitoyens, comme pour le recensement en Nouvelle-Calédonie 26 ( * ) , un recensement « ethnique » ayant lieu dans ce territoire depuis 1989.

Tout d'abord, vos rapporteurs constatent que ni la limite constitutionnelle, ni la législation actuelle, en particulier la loi du 6 janvier 1978, ne constituent des obstacles insurmontables. Lors de leur audition, Mme Chantal Cases et M. Fabrice Lenglart, représentant respectivement l'INED et l'INSEE, ont admis que le cadre législatif actuel permettait déjà beaucoup de travaux de recherche. En outre, les différentes personnes entendues ont fait valoir que la CNIL était désormais parfaitement sensibilisée à cette problématique.

Au fond, vos rapporteurs sont attachés à n'admettre la collecte de données que dans la mesure où elle ne soulève pas d'objection pour ne pas provoquer, comme pouvaient le craindre les représentants de l'INED et de l'INSEE lors de leur audition, une défiance des personnes et donc une baisse du taux de réponse.

Aussi, vos rapporteurs privilégient-ils le recueil de données objectives qui ne puisse pas être interprété comme un encouragement au communautarisme. Ce souhait est d'ailleurs partagé par la CNCDH qui, dans son avis du 22 mars 2012, s'opposait aux statistiques ventilées par « ethnie » mais qui marquait son ouverture à la connaissance des discriminations en fonction de l'origine des personnes pourvu que cette dernière repose sur les « éléments objectifs que sont le lieu de naissance des personnes, leur nationalité ainsi que le lieu de naissance et la nationalité de leurs parents ». Au demeurant, cette solution permet de se placer pleinement dans le périmètre autorisé par la jurisprudence constitutionnelle.

Outre les données objectives existantes et qui, de l'aveu de M. Patrick Weil, ne sont pas pleinement exploitées, vos rapporteurs proposent donc d'introduire, dans le recensement général, une question sur le pays de naissance des ascendants et la nationalité antérieure. En 2007, la CNIL relevait à ce sujet que « selon les chercheurs et statisticiens, il semble que le fait de poser des questions sur l'origine et la nationalité des parents voire des grands-parents soit bien accepté par la société française, alors que celle-ci ne semble pas prête à recourir à des critères reposant sur les origines raciales ou ethniques ».

S'ils sont conscients du caractère limité de cette donnée pour mesurer l'origine des personnes, celle-ci s'estompant au fil des générations même si elle peut continuer à être un facteur de discrimination, vos rapporteurs estiment qu'elle constitue une avancée prudente mais utile pour un meilleur outil statistique en faveur de la lutte contre les discriminations.

Proposition n° 1 : introduire une fois tous les cinq ans, dans le recensement, une question sur le pays de naissance des ascendants et la nationalité antérieure afin d'obtenir des résultats mesurables sur l'ampleur des discriminations et leur déploiement


* 26 Cf . l'arrêté du 9 septembre 2014 portant création d'un traitement automatisé réalisé à l'occasion du recensement de la population de Nouvelle-Calédonie en 2014.

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