N° 103

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur les Îles Wallis et Futuna ,

Par Mme Sophie JOISSAINS et M. Jean-Pierre SUEUR,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, Jean-René Lecerf, Alain Richard, Jean-Patrick Courtois, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. François-Noël Buffet, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Vincent Dubois, Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, MM. François Grosdidier, Jean-Jacques Hyest, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Jacques Mézard, François Pillet, Hugues Portelli, André Reichardt, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mme Catherine Tasca, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Les îles Wallis et Futuna forment, à plusieurs titres, un territoire d'exception au sein de la République. Distant de plus de 19 500 kilomètres de la métropole, ce double archipel, isolé dans l'océan Pacifique, se trouve à 3 000 kilomètres au sud-ouest de la Polynésie française et à 2 200 kilomètres à l'est de la Nouvelle-Calédonie, avec laquelle Wallisiens et Futuniens conservent un lien privilégié, fruit de l'histoire et de l'émigration 1 ( * ) .

L'île de Wallis est elle-même distante de Futuna de 240 kilomètres. Leur géographie les distingue : Wallis, d'un relief faible, est entouré d'un atoll et d'îlots inhabités qui ferment le lagon tandis que Futuna, de même qu'Alofi, l'île voisine, est dépourvue de lagon et ses falaises se jettent, depuis le mont Puke culminant à 524 mètres, à pic dans la mer.

Les îles Wallis et Futuna sont voisines de micro-États du Pacifique sud : les Samoa occidentales à l'est et les îles Fidji au sud-ouest, respectivement distants de 345 et 450 kilomètres. Cette proximité explique la taille relativement limitée de la zone économique exclusive 2 ( * ) à laquelle la France peut prétendre grâce à ces deux îles.

Ce proche voisinage ne doit pas masquer une réalité : les îles Wallis et Futuna souffrent de l'éloignement. Futuna, sur laquelle accoste le 19 mai 1616 le navigateur William Schouten après avoir découvert le cap Horn, est baptisée par Bougainville, l'apercevant en 1768, « l'enfant perdu ». C'est plus d'un siècle après le débarquement du navigateur hollandais à Futuna que le capitaine britannique Samuel Wallis aborde, le 16 août 1767, l'île qui devait porter son nom. L'île est alors occupée depuis le XII ème siècle par des Polynésiens venus de Tonga, formant un royaume indépendant au terme d'âpres luttes.

Ces premières rencontres entre Européens, d'une part, Wallisiens et Futuniens, d'autre part, restent sans suite immédiate. Au XIX ème siècle, Wallis devient seulement un port de relâche pour les baleiniers et les trafiquants.

L'arrivée des puissances européennes dans la région s'effectue à la faveur d'une concurrence aiguisée entre les missions religieuses dans le Pacifique Sud. En 1837, les pères maristes installent les premières missions catholiques. Ils joueront un rôle moteur dans la demande des autorités locales pour solliciter la protection de la France, notamment pour contrer les appétits britanniques et protestants dans la région.

Après une première demande de protectorat restée infructueuse en 1842, une nouvelle demande de la reine de Wallis et du roi de Futuna aboutit en 1886. Un décret du 5 avril 1887 place l'île de Wallis sous le protectorat de la France, prenant la suite des traités conclus le 4 novembre 1842 et le 19 novembre 1886 avec le souverain. Le protectorat est étendu à Futuna le 16 février 1888, dans le prolongement également des déclarations des souverains du 13 novembre 1842 et du 29 septembre 1887.

Le protectorat français unit l'île de Wallis et celle de Futuna qui connaissaient jusque-là des histoires distinctes. Futuna reste, un temps, à l'écart du statut conféré à Wallis par le décret du 27 novembre 1887 instituant un résident sur l'île qui cesse alors d'être administrée directement par le gouverneur général de la Nouvelle-Calédonie. C'est finalement le décret de 1909 réglant l'organisation administrative et financière des îles Wallis et Futuna qui, pour la première fois, crée officiellement le « protectorat des îles Wallis et Futuna » et lie ainsi le sort des Wallisiens et Futuniens.

Comme pour la Nouvelle-Calédonie, la seconde guerre mondiale marque un tournant décisif dans l'évolution du protectorat. La création, en 1942, d'une base arrière américaine dans la perspective d'une percée japonaise dans le Pacifique central entraîne subitement Wallis-et-Futuna dans l'ère des biens matériels et de l'économie monétaire -période aussi faste qu'éphémère car la base est fermée à la fin de l'année 1943. Lors de leur déplacement, vos rapporteurs ont visité le lac d'Olalola qui renferme en son fond les munitions laissées par l'armée américaine après son passage.

Autre trace de l'irruption américaine dans la vie des archipels, une crise économique intervient, provoquant des tensions politiques au gré de la succession rapide de rois contestés. Lors du référendum du 22 décembre 1959, les Wallisiens et les Futuniens choisissent parallèlement l'adhésion à la France par un vote sans ambiguïté : 94,12 % des suffrages exprimés - et près de 100 % pour la seule île de Wallis - approuvent l'intégration dans la République.

Conformément à ce souhait, les îles Wallis et Futuna sont alors érigées en territoires d'outre-mer par la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 qui constitue encore le statut du territoire. Son intégration, en 2003, dans la catégorie des collectivités d'outre-mer relevant de l'article 74 de la Constitution n'a pas conduit à la refonte de ce statut qui se caractérise ainsi par une profonde stabilité.

C'est pourquoi votre commission des lois a décidé le déplacement du 28 au 30 juillet 2014 d'une délégation pluraliste de deux de ses membres à Wallis pour recueillir les attentes locales sur le devenir statutaire de ce territoire et mesurer l'action de l'État et l'état des services publics sur place. Vos rapporteurs ont pu compter, pour le bon déroulement de leur déplacement, sur la pleine collaboration des services de l'État à Wallis-et-Futuna qu'ils tiennent à remercier à nouveau pour leur aide précieuse. Si la délégation sénatoriale n'a pu se rendre à Futuna, elle a rencontré les deux Premiers ministres des souverains futuniens qui s'étaient pour l'occasion déplacés à Wallis. Vos rapporteurs expriment également leur gratitude à notre collègue Robert Laufoaulu et notre collègue député Napole Polutélé pour l'accueil qu'ils leur ont réservé dès leur arrivée et tout au long de leur séjour sur place.

Le Parlement doit à nos compatriotes wallisiens et futuniens l'attention que la situation si singulière de ce territoire mérite au-delà de sa distance avec Paris et de sa faible démographie. Votre commission des lois est attachée à s'informer de la situation de cette collectivité française. Les rapports successifs de nos collègues et anciens collègues de 1985 3 ( * ) , de 1993 4 ( * ) et de 2004 5 ( * ) , présentés à la suite de leurs déplacements, attestent de ce suivi à échéance régulière.

À la suite de leur déplacement, vos rapporteurs ont mesuré l'attachement profond des deux îles au statut actuel, ce qui n'exclut pas des réflexions sur ses perspectives d'évolution. Ils ont parallèlement pu mesurer les attentes fortes qui se manifestent en direction de l'État pour soutenir le développement économique du territoire, sans bouleverser irrémédiablement l'organisation sociale héritée de la tradition.

I. L'ALLIANCE DE LA COUTUME ET DE LA RÉPUBLIQUE : UNE FORMULE INSTITUTIONNELLE PÉRENNE

Sous réserve de modifications limitées et ponctuelles, le statut issu de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 a subsisté. Ses grandes équilibres n'ont pas été remis en cause tant ils correspondent à un attente forte de la population locale s'agissant de la prise en compte des spécificités culturelles et sociales.

Cet attachement fort au statut de 1961 se manifeste particulièrement lors de la fête du Territoire organisée le 29 juillet, date de la promulgation de la loi statutaire, et à laquelle vos rapporteurs ont pris part pour le 53 ème anniversaire de l'entrée dans la République de Wallis-et-Futuna.

Cette stabilité des institutions locales contraste avec les évolutions institutionnelles particulièrement marquées qu'ont connues les autres collectivités françaises du Pacifique sud : la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.

Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, les îles Wallis et Futuna forment une collectivité d'outre-mer au sens de l'article 74 de la Constitution. La loi du 29 juillet 1961, bien que loi ordinaire, reste en vigueur. En revanche, toute modification du statut doit résulter d'une loi organique adoptée, après avis de l'assemblée délibérante, pour tenir compte des intérêts propres de la collectivité au sein de la République.

Comme le relevaient nos collègues Jean-Jacques Hyest, Simon Sutour et notre ancien collègue Christian Cointat en 2004, «  son organisation se distingue par trois traits spécifiques : l'exécutif de la collectivité est assuré par le représentant de l'État ; l'autorité coutumière est associée à la gestion des affaires territoriales ; l'assemblée territoriale, organe délibérant de la collectivité, dispose d'attributions encore limitées » . Et ce statut « repose sur un équilibre sans autre exemple dans les collectivités françaises entre la légalité républicaine de droit commun et la reconnaissance du pouvoir coutumier », sans oublier que « l'histoire a laissé une forte empreinte dans la vie présente des deux îles à travers deux institutions influentes : les monarchies coutumières et l'église » 6 ( * ) .

L'administrateur supérieur confirmait à vos rapporteurs la persistance de cet équilibre des pouvoirs : des pouvoirs notables de l'État, le maintien des chefferies coutumières et l'existence d'une assemblée élue au suffrage universel. « L'essentiel de l'équilibre institutionnel , complétait-il, est d'assurer la régulation de ces trois pouvoirs en cas de frictions ». Cet équilibre se manifeste particulièrement lorsque, lors de la cérémonie du kava 7 ( * ) à laquelle la délégation a notamment été conviée pour la fête du Territoire, la première coupe est servie au Lavelua et la dernière à l'administrateur supérieur, marquant, dans l'ordre protocolaire coutumier, les deux rangs les plus importants.

Vos rapporteurs ont constaté que ces traits singuliers de l'organisation institutionnelle de la collectivité n'ont pas fondamentalement évolué depuis le précédent déplacement d'une délégation de votre commission des lois, même si des mouvements se sont fait jour au sein du pouvoir coutumier.

A. LES INSTITUTIONS REPUBLICAINES

1. L'État : des prérogatives renforcées, une responsabilité éminente

L'État est représenté par un administrateur supérieur qui, depuis 1987, est issu du corps des préfets. Il a pris la suite du Haut-Commissaire de la République française dans l'océan Pacifique qui exerçait auparavant la direction des services de l'État depuis Nouméa. L'administrateur supérieur est représenté à Futuna par un délégué désigné par arrêté.

Le territoire est divisé entre trois circonscriptions qui correspondent aux trois royaumes : Uvéa, Sigave et Alofi, ces deux dernières étant à Futuna. Les communes n'existant pas à Wallis-et-Futuna, les circonscriptions forment l'échelon administratif de proximité.

Les trois circonscriptions territoriales

Les circonscriptions territoriales sont administrées par un conseil de circonscription composé des autorités coutumières et présidé par chacun des trois rois. Dotées de la personnalité morale, elles disposent d'un budget autonome depuis 1980.

L'administrateur supérieur exerce, à Wallis, les fonctions de chef de circonscription. Un délégué de l'administrateur supérieur exerce, à Futuna, les fonctions de chef des deux circonscriptions. Le budget est arrêté par l'administrateur supérieur ou son délégué, après avis du conseil de circonscription. Le chef de circonscription est l'ordonnateur du budget et rend exécutoire les délibérations du conseil de circonscription.

Les circonscriptions ne disposent, à la différence des communes, d'aucune ressource fiscale propre ; elles sont totalement dépendantes des dotations qui leur sont attribuées, principalement la dotation générale de fonctionnement (DGF).

Les compétences des circonscriptions s'étendent de l'état civil à la gestion des routes de village, en passant par la délivrance des titres d'identité, la tenue des listes électorales et l'organisation des scrutins, la préservation des ouvrages et infrastructures, le suivi des établissements recevant du public, le ramassage des encombrants et déchets domestiques, ou encore les relations avec la chefferie, l'intendance et l'entretien du palais royal.

Elles sont confrontées à l'aggravation des charges qui leurs sont transférées par le territoire (aides maternelles, service propreté, centre de secours), sans compensation, ce que le rapport d'information de 2004 relevait déjà : « Les dépenses de personnel ont ainsi été portées entre 1997 et 2003 de 45,5 % à 74 % des recettes de fonctionnement (encore celles-ci comportent-elles en 2003 une subvention exceptionnelle de l'État de 24 millions de Francs CFP non reconductible) ».

Nos collègues en concluaient alors que « sous l'effet conjugué de la progression constante des charges et de la quasi-stabilité de la DGF, les circonscriptions ne paraissent plus en mesure de jouer leur rôle social et économique » . Cette situation persiste puisque les dotations de l'État ne sont pas, de manière générale, en augmentation et que l'évolution démographique propre au territoire conduit mécaniquement à leur baisse.

En qualité de représentant de l'État, l'administrateur supérieur exerce les compétences régaliennes : la défense du territoire, l'ordre et la sécurité publics, le respect des lois, des règlements et des décisions de justice, les relations et communications extérieures, l'enseignement, la tenue de l'état civil, le fonctionnement du Trésor et de la douane, le contrôle administratif et financier ainsi que l'administration de la justice.

Pour l'exercice de sa mission en matière d'enseignement, l'État assure directement la gestion de l'enseignement secondaire. En revanche, il concède celle de l'enseignement primaire à la mission catholique des îles Wallis et Futuna à laquelle il est lié par convention. Établi pour la première fois en 1969, cette convention a été reconduite en 1995 puis en 2012 jusqu'en 2017.

Rencontré par vos rapporteurs, l'évêque de Wallis-et-Futuna a précisé que l'enseignement est dispensé par des laïcs et que l'enseignement primaire assuré par la mission catholique n'est pas un enseignement privé au même titre qu'en métropole mais un enseignement par délégation de l'État.

La concession de l'enseignement primaire à la mission catholique

La convention signée le 9 février 2012 entre l'administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna et l'évêque de Wallis-et-Futuna a pour objet de définir les conditions dans lesquelles la mission catholique s'acquitte de sa mission d'éducation dans le premier degré qui est concédée par l'État pour les années 2012 à 2017.

La mission catholique exerce ses responsabilités par l'intermédiaire d'un établissement scolaire unique dénommé « direction de l'enseignement catholique ». Les écoles maternelles élémentaires et primaires du territoire sont placées sous sa responsabilité. La direction de l'enseignement catholique met en oeuvre la loi concernant l'organisation et le déroulement de la scolarité des élèves. Elle est également responsable de la sécurité des élèves pendant le temps scolaire ainsi que de la sécurité des personnes et des biens utilisés par les écoles du premier degré.

Pour sa part, l'État assure une mission de conseil et un contrôle pédagogique des maîtres du premier degré et des enseignements dispensés dans les écoles relevant de la responsabilité de la mission catholique.

Le vice-recteur assume le contrôle de l'obligation scolaire. Il peut conjointement avec le directeur de l'enseignement catholique adapter les horaires et les programmes scolaires pour tenir compte des spécificités du territoire.

L'État compense financièrement les charges résultant des responsabilités de la mission catholique et exclusivement en lien avec ses missions d'enseignement. À ce titre, l'État verse annuellement une dotation unique et forfaitaire dont le montant est reconduit chaque année, sous réserve de son actualisation en fonction du coefficient d'évolution de la dotation générale de décentralisation des communes pondéré par l'évolution annuelle des effectifs d'élèves scolarisés à Wallis-et-Futuna.

La mission catholique produit un bilan annuel de l'utilisation de cette subvention. Un comité consultatif présidé par l'administrateur supérieur se réunit au moins une fois par an pour procéder à une analyse de la subvention versée.

Les représentants syndicaux ont fait part de leur souhait que les enseignants puissent accéder au statut de professeur des écoles et que le recrutement local soit privilégié à l'avenir.

Source : ministère des outre-mer

Pour l'exercice des missions de l'État, l'administrateur supérieur ne dispose sur place que d'une administration resserrée. Or, malgré leur faible population, les îles Wallis et Futuna sont confrontées à une complexité normative, sans commune mesure avec d'autres collectivités ultramarines. En raison du principe de spécialité législative 8 ( * ) , le droit applicable y est souvent lacunaire et obsolète, mettant au défi la clarté et la sécurité juridiques, comme le déclarait à vos rapporteurs le président du tribunal de première instance.

Entendus par vos rapporteurs, les représentants syndicaux locaux ont ainsi insisté sur l'obsolescence du droit du travail et de la protection sociale applicable aux salariés du territoire. Ils ont dénoncé l'absence de règles protectrices en matière de maladie professionnelle ou d'accidents du travail ainsi qu'une dissymétrie des droits au congé maternité entre employés selon qu'ils sont régis ou non par le droit métropolitain.

Pour vos rapporteurs, il y aurait lieu de mener, au niveau des administrations centrales, un travail complet d'actualisation et d'adaptation du droit applicable dans cette collectivité d'outre-mer, ainsi que d'instaurer un dispositif d'appui auprès de la collectivité pour l'exercice de son propre pouvoir normatif.

2. Le Territoire de Wallis-et-Futuna : des compétences étendues, des pouvoirs restreints

La collectivité territoriale que constitue le Territoire de Wallis-et-Futuna comprend classiquement un organe délibérant - l'assemblée territoriale - et, de manière plus originale, un exécutif représenté par l'administrateur supérieur. Le représentant de l'État est ainsi le chef du Territoire.

(1) L'assemblée territoriale

L'assemblée territoriale est élue au suffrage universel direct, tous les cinq ans, dans le cadre de cinq circonscriptions à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne. Les élections de 2012 ont marqué un profond renouvellement de sa composition politique puisque trois figures historiques de l'assemblée n'ont pas été renouvelées par les électeurs.

L'assemblée désigne en son sein une commission permanente comprenant quatre membres -dont deux représentent la circonscription de Wallis et les deux autres, respectivement, les circonscriptions de Alo et de Sigave. Cette commission règle les affaires qui lui sont renvoyées par l'assemblée territoriale et peut, en cas d'urgence et d'impossibilité de réunir l'assemblée dans les délais nécessaires, délibérer et émettre des avis dans les matières relevant de la compétence de l'assemblée.

Les compétences de l'assemblée territoriale sont limitées et limitativement énumérées, à savoir : le statut général des agents territoriaux, le statut civil coutumier, le domaine du territoire, le régime local des droits et biens fonciers, le commerce extérieur et l'artisanat, l'agriculture, la forêt, les eaux non maritimes et l'environnement, l'élevage, la pêche, les transports intérieurs, l'hygiène et la santé publique, la protection de l'enfance et des aliénés, le tourisme, la chasse, l'urbanisme et l'habitat, l'aide sociale, la protection des monuments et des sites.

En outre, l'assemblée territoriale peut émettre des voeux dans les matières relevant de la compétence de l'État et délibérer en matière financière sur tout projet établi en conseil territorial.

L'assemblée territoriale a connu l'évolution politique marquée qu'ont relatée à vos rapporteurs les représentants syndicaux du territoire. Ils ont rappelé qu'à la suite des trois premiers renouvellements de l'assemblée territoriale en 1962, 1969 et 1972, son président était le Premier ministre du roi de Wallis, le Kalaekivalu, ce qui assurait l'unité et la stabilité du pouvoir. À l'inverse, depuis trois ans, quatre présidents se sont succédé, nuisant à l'efficacité et à l'influence de cette instance. Notre collègue député Napole Polutélé évoquait devant vos rapporteurs le « ballet des majorités » qui se succèdent depuis trois ans.

Vos rapporteurs se demandent si, dans un premier temps, l'élection pour la durée du mandat de l'assemblée territoriale et non à un rythme annuel du président de l'assemblée territoriale ne serait pas un facteur de stabilité, comme il est prévu depuis 2007 pour le président de l'assemblée de la Polynésie française 9 ( * ) .

(2) Le chef du Territoire

Parallèlement, l'administrateur supérieur représente, comme chef du Territoire, le Territoire en justice et dans tous les actes de la vie civile. Il est le chef des services publics territoriaux et l'ordonnateur du budget territorial.

L'administrateur supérieur exerce des prérogatives exorbitantes du droit commun puisqu'il est appelé à approuver les délibérations de l'assemblée territoriale 10 ( * ) . À défaut, les délibérations ne sont pas exécutoires. En 1993, nos anciens collègues Jean-Marie Girault, Bernard Laurent, Michel Dreyfus-Schmidt et Camille Cabana relevaient cette « tutelle administrative ».

De même, l'effectivité des délibérations est subordonnée à la décision de l'administrateur supérieur car l'assemblée territoriale ne peut pas édicter de sanctions fiscales ou pénales pour sanctionner la méconnaissance des règles prévues par les délibérations. L'assemblée est réduite à émettre des avis, l'administrateur supérieur déterminant seul, sous réserve du respect des maxima fixés pour les peines de simple police, les peines sanctionnant la violation des actes de l'assemblée.

3. Les juridictions locales : une organisation adaptée aux spécificités locales

Les îles Wallis et Futuna sont désormais dotées de juridictions qui leur sont propres. Existent ainsi à Mata'Utu désormais un tribunal de première instance et un tribunal administratif, même si les liens avec les juridictions calédoniennes ne sont pas, sur le plan matériel ou par la voie de l'appel, rompus.

a) Les juridictions judiciaires
(1) Le tribunal de première instance

Les îles Wallis et Futuna disposent d'une juridiction de droit commun. Il s'agit du tribunal de première instance dont le siège est à Mata'Utu, chef-lieu de Wallis. Créé en 1983, il a pris la suite de la section détachée du tribunal de première instance de Nouméa instituée en 1962.

Ce tribunal possède une compétence matérielle étendue puisqu'il statue sur l'ensemble des affaires civiles, commerciales et pénales. La seule limite à sa compétence civile est la juridiction de droit local. En outre, un tribunal pour enfants existe depuis 1983 et un tribunal du travail depuis 1968.

Si l'activité pénale conduit au prononcé d'environ 260 décisions par an, pour l'essentiel des contraventions routières ou des violences familiales, près de 800 décisions civiles sont rendues chaque année.

Pour l'ensemble du contentieux judiciaire, les appels sont portés devant la cour d'appel de Nouméa. L'appel prend une dimension particulière à Wallis-et-Futuna puisqu'il est portée devant une cour d'appel située à plusieurs milliers de kilomètres, ce qui représente, selon une estimation des magistrats entendus par vos rapporteurs, un coût de plusieurs milliers d'euros, ne serait-ce qu'en frais d'avocats.

Le tribunal de première instance est composé de deux magistrats : un magistrat du siège qui statue à juge unique et une fonctionnaire territoriale qui fait fonction de magistrat du Parquet sans disposer des garanties attachées au statut de la magistrature. Le président du tribunal assure l'ensemble des fonctions juridictionnelles, juge d'instruction comme juge d'application des peines, juge aux affaires familiales comme juge de l'exécution, sans parler des contentieux spécialisés.

Le personnel judiciaire est également en nombre limité - un greffier, un interprète et un secrétaire - à la suite de la suppression de deux postes. Les moyens matériels sont également restreints et souffrent, en matière d'entretien, du climat humide, ce qui impose un renouvellement plus fréquent.

Autre particularité du territoire, il ne compte localement aucune profession judiciaire: ni avocat, ni huissier, ni notaire. Des adaptations ont ainsi été prévues :

- la compagnie de gendarmerie locale assure parmi ses missions celle de « fonctionnaire-huissier » ;

- des personnes agréées par le président du tribunal de première instance - un « citoyen défenseur » - peuvent faire office d'avocat, même s'ils ne disposent pas de formation juridique préalable.

La prison de Wallis qui compte six places à Mata'Utu est située dans l'emprise de la caserne du commandement de la gendarmerie locale. Cependant, les mineurs sont envoyés à Nouméa en cas de détention, ce qui soulève encore une fois la question de l'éloignement et met en évidence la difficulté des visites familiales comme du coût du transfèrement.

(2) La juridiction de droit local

L'article 5 de la loi du 29 juillet 1961 instituait une juridiction de droit local compétente pour trancher les litiges entre citoyens régis par le statut de droit local portant, d'une part, sur l'application de ce statut et, d'autre part, sur les biens détenus suivant la coutume. L'appel est ouvert devant une chambre d'annulation près la cour d'appel de Nouméa pour incompétence, excès de pouvoir et violation de la loi.

Toutefois, sur demande conjointe des parties, ces instances peuvent être portées devant la juridiction de droit commun, auquel cas il est fait application des usages et coutumes les régissant. M. Philippe Dorcet, président du tribunal de première instance, a ainsi souligné devant vos rapporteurs que certaines affaires coutumières étaient portées devant sa juridiction. Dans un souci de pragmatisme, il est ainsi conduit à prononcer des divorces « civils » de mariages « coutumiers ».

Un arrêté de l'administrateur supérieur du 20 septembre 1978 a organisé cette juridiction de droit local. Toutefois, elle n'a jamais été constituée faute de consensus local.

En pratique, en cas de contestation, une solution amiable peut être trouvée entre membres de la famille. À défaut d'accord, un litige en matière foncière est porté devant les autorités coutumières constituées en tribunaux, les fakamau'aga . Le cas est tranché d'abord devant le chef de village et son conseil. Le chef du district et son conseil, composé des chefs de village et du chef de la police coutumière, peut alors constituer la juridiction d'appel des décisions du chef de village et de son conseil. Enfin, en cas de désaccord persistant, le conseil des ministres, composé de six ministres et de trois chefs de district, tranche de manière collégiale. Si aucune solution consensuelle n'est dégagée à ce stade, les ministres portent l'affaire devant le roi.

Le fait ne correspond donc nullement au droit. La procédure de règlement des litiges issue de la coutume a conduit à empêcher la mise en place d'une juridiction prévue par le statut. Dans la réponse adressée à vos rapporteurs, le ministère des outre-mer indiquait ainsi que « dans la réalité, la justice coutumière continue à être rendue aujourd'hui dans les mêmes conditions que sous le protectorat français » .

b) Les juridictions administratives
(1) Le tribunal administratif de Mata'Utu

Les îles de Wallis et Futuna ont disposé jusqu'en 2003 d'un conseil du contentieux administratif d'outre-mer, juridiction héritée des colonies de la III ème République et composée de fonctionnaires et de magistrats de l'ordre judiciaire. Une première évolution a été marquée au début des années 1990 par l'attribution de la présidence à un magistrat administratif, à savoir le président du tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie.

L'ordonnance n° 2003-923 du 26 septembre 2003 a rendu applicable à Wallis-et-Futuna la partie législative du code de la justice administrative 11 ( * ) , ce qui a eu pour effet de mettre fin à ce système hors du commun.

Désormais, un tribunal administratif propre a son siège à Mata'Utu, même si la présidence reste exercée par le président du tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie. Il relève, comme son homologue calédonien, de la cour administrative d'appel de Paris.

Rencontré à Nouméa par vos rapporteurs, M. Alain Levasseur, président du tribunal administratif, a admis la faible activité de la juridiction mais a souligné l'amorce d'un contentieux en exposant le recours du Lavelua contre un acte de l'administrateur supérieur créant un corps de sapeurs-pompiers. Il a d'ailleurs relevé que cette requêté, signée par le Kalaekivalu et non par le Lavelua , avait soulevé une question procédurale inédite puisque la requêté n'était pas signée de son auteur ; elle a été cependant jugée recevable par le tribunal qui s'est appuyée sur l'article 3 de la loi du 29 juillet 1961 qui garantit l'application des « coutumes tant qu'elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit et aux dispositions de la présente loi ».

(2) La Cour des comptes

S'agissant de la juridiction financière, le Territoire de Wallis-et-Futuna continue de relever de la compétence directe de la Cour des comptes.

La Cour des comptes a ainsi rendu public, le 27 mars 2014, un référé 12 ( * ) de son Premier président sur la situation de cette collectivité. Les recommandations que la Cour formulait ont suscité un vif émoi dans la population au point que vos rapporteurs ont été interrogés, à plusieurs reprises au cours de leur déplacement, sur les suites qui seraient données à ce rapport et interpelés sur l'incompréhension que le rapport illustrait de l'organisation particulière des îles Wallis et Futuna. Le ministre des outre-mer a d'ailleurs dû apporter, en réponse à ce référé, plusieurs précisions et corrections factuelles à ce rapport quant au régime juridique des terres coutumières et au cadre institutionnel de la collectivité.

Vos rapporteurs se demandent si, comme pour le tribunal administratif, il ne serait pas plus pertinent, dans un souci de subsidiarité et d'efficacité, de rapprocher les magistrats financiers de la collectivité soumise à leur contrôle. Les missions exercées par la Cour des comptes pourraient alors être confiées à la chambre territoriale des comptes de la Nouvelle-Calédonie ou à une chambre territoriale des comptes rattachée à une autre juridiction financière qui serait celle de la Nouvelle-Calédonie, à l'instar de celles compétentes à Saint-Martin et Saint-Barthélemy 13 ( * ) .


* 1 Selon le recensement de l'Institut de la statistique et des études économiques de la Nouvelle-Calédonie, la communauté wallisienne et futunienne représentait, en 2009, 21 300 personnes résidant en Nouvelle-Calédonie, soit 8,7 % de la population locale.

* 2 Cette zone économique exclusive s'étend sur 262.000 kilomètres carrés.

* 3 Rapport d'information n° 141 (1985-1986) de MM. Germain Authié, Jean-Pierre Tizon, Marc Bécam et Jean Arthuis, au nom de la commission des lois, 4 décembre 1985.

* 4 Rapport d'information (1992-1993) de MM. Jean-Marie Girault, Bernard Laurent, Michel Dreyfus-Schmidt et Camille Cabana, au nom de la commission des lois, 11 mai 1993.

* 5 Rapport d'information (2003-2004) de MM. Jean-Jacques Hyest, Christian Cointat et Simon Sutour, au nom de la commission des lois, 16 février 2004. Le rapport est consultable à l'adresse internet suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2003/r03-216-notice.html

* 6 Rapport d'information de MM. Jean-Jacques Hyest, Christian Cointat et Simon Sutour, précité.

* 7 Après sa préparation à partir de racines de kava broyées et diluées à l'eau puis malaxées de façon solennelle, le kava est servi dans une coupe en noix de coco puis distribué suivant un ordre protocolaire très rigoureux rappelé par le maître de cérémonie : chaque personne assise est interpellée et doit immédiatement signaler sa présence en frappant trois fois des mains, avant de prendre et de boire sa coupe de kava qui lui a été apportée par un officiant auquel elle rend la coupe après avoir pris soin de verser par terre le fond de liquide.

* 8 Le principe de spécialité législative, rappelé par l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961, subordonne l'application des lois et règlements nationaux à Wallis-et-Futuna à une mention expresse en ce sens.

* 9 Cette modification a été introduite par l'article 4 de la loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française.

* 10 Il existe des cas, comme en matière douanière, où l'approbation est tacite.

* 11 Le décret n° 2004-2 du 2 janvier 2004 a étendu à Wallis-et-Futuna l'application de la partie réglementaire du code de justice administrative.

* 12 Référé du Premier président de la Cour des comptes adressé au ministre des outre-mer sur la situation du Territoire des îles Wallis et Futuna, 20 janvier 2014.

* 13 Les chambres territoriales des comptes de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy sont rattachées à la chambre régionale des comptes de la Guadeloupe.

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