CONCLUSION SUR LA DEUXIÈME PARTIE

Le dérèglement climatique mondial transforme profondément et peut-être durablement l'environnement du Groenland. Les richesses de son sous-sol sont grandes et sont désormais exploitables. Mais les conditions d'exploitation en milieu polaire demandent des avancées technologiques, d'importants investissements et des choix politiques majeurs comme pour ce qui concerne l'extraction de l'uranium.

Face à ces défis, le Groenland souffre d'un manque de capacités. Il ne peut exploiter seul ses richesses et doit faire venir des investisseurs étrangers. Son enclavement et son manque d'infrastructures (ports, routes, etc...) demeurent un frein à son développement. Enfin, sa population déjà peu nombreuse décroît tandis que ses élites sont encore insuffisantes pour affronter la situation.

Or, les richesses du Groenland attirent l'attention des grandes puissances consommatrices de matières premières. Elles font également l'objet d'études de compagnies minières dont les méthodes ont mis à mal de nombreux territoires dans le monde et notamment en Afrique. Face à ces grands acteurs de l'économie mondiale, le Groenland semble insuffisamment armé.

Avec seulement 56 000 habitants, le Groenland est le plus petit acteur de la zone arctique. Il ne faudrait pas qu'il tombe dans un état de dépendance économique qui le placerait sous le joug de certains grands pays ou de grandes entreprises internationales.

L'euphorie autour de l'extraction des hydrocarbures semble aujourd'hui retomber. La chute des prix de l'énergie ne rend plus rentable aujourd'hui l'extraction en milieu polaire. Le Groenland ne pourra donc pas compter sur un scénario rêvé d'une manne financière issue des revenus du pétrole et du gaz et d'un développement rapide.

Toute cette spéculation aura au moins eu le mérite de sensibiliser la population des méfaits d'un développement anarchique sur l'environnement. Et cette sensibilité à préserver l'environnement unique du Groenland, qui fait partie intégrante de la culture inuit doit être entretenue, car si le Groenland veut être attractif, il doit d'abord l'être pour sa jeunesse, qui peine parfois à imaginer son avenir sur la grande île.

Mais le Groenland a besoin d'importants investissements pour engager la diversification de son économie et le développement durable. Il convient d'améliorer encore les politiques et dispositifs de formation et de renforcer son administration d'État. L'Europe pourrait être celle qui accompagnera le Groenland sur cette voie.

TROISIÈME PARTIE :
POUR UNE EUROPE EN APPUI AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU GROENLAND

I. CONSIDÉRER LE GROENLAND DANS LE NOUVEL ARCTIQUE

Le réchauffement climatique dans l'Arctique entraîne plusieurs conséquences qui ramènent cette région dans la géopolitique mondiale. Exclu depuis la fin de la Guerre froide des relations est-ouest, l'Arctique fait désormais l'objet d'une attention renouvelée des grands acteurs mondiaux : européens, américains et russes, mais aussi asiatiques.

Pour le Groenland, ce n'est pas nouveau. Sa position stratégique entre l'Europe et l'Amérique a été employée durant la Deuxième guerre mondiale pour permettre le ravitaillement des troupes russes par les États-Unis. Après l'annexion du Danemark par l'Allemagne en 1941, l'ambassadeur danois à Washington avait négocié que les États-Unis assurent la protection du Groenland. Cet accord fut profitable aux deux parties, puisque les États-Unis ont pu installer une base à Thulé dans le nord-ouest du Groenland qui existe encore aujourd'hui.

L'intérêt des États-Unis pour ce territoire à la position stratégique les a même amenés à proposer plusieurs fois au Danemark d'acheter le Groenland. Si le Danemark a toujours refusé, il a facilité l'installation de plusieurs bases militaires américaines durant la Guerre froide, permettant ainsi aux États-Unis d'assurer leur défense en cas d'attaque soviétique et notamment en cas d'attaque nucléaire. Et la présence de militaires américains au Groenland depuis la Deuxième guerre mondiale non seulement a tissé des liens durables entre la population groenlandaise et les États-Unis, mais a aussi permis un soutien économique au Groenland de par la seule présence de la base militaire américaine sur son sol.

L'intérêt récent des pays asiatiques pour le Groenland est lui d'ordre économique : Chine et Inde sont de gros consommateurs d'énergie et cherchent à diversifier leurs sources d'approvisionnement. En outre, la Chine, qui détient un quasi-monopole sur l'exploitation des terres rares suit avec attention le développement de leur prospection au Groenland qui reste liée à celle de l'uranium. Signe de l'intérêt asiatique pour le Groenland, l'année 2012 a vu la venue du président sud-coréen Lee-Myung Bak, mais également la réception d'une délégation groenlandaise en Corée du Sud ainsi qu'en Chine. Et les Groenlandais envisageaient encore récemment d'ouvrir une représentation à Pékin.

Aujourd'hui, il existe une inconnue dans la région : la Russie . Sa gestion de la crise ukrainienne l'a mise au ban des nations, tandis qu'en même temps, Vladimir Poutine réaffirmait le caractère stratégique de l'Arctique pour son pays. Immenses réserves de gaz, gisements de pétrole, possibilité d'une route maritime le long de la côte nord nécessitent des investissements massifs ainsi qu'une technologie certaine qui font défaut aujourd'hui. À cela, s'ajoute la volonté du président russe de restaurer une présence militaire dans l'Arctique, qui elle aussi nécessite des crédits budgétaires. Or, les sanctions européennes qui frappent la Russie visent en partie les investissements dans les technologies qui permettraient de faciliter l'exploitation d'hydrocarbures en milieu polaire.

Cependant, il convient de souligner que l'Arctique et le Groenland n'ont jamais été le lieu de combats et ce, même au plus fort de la Guerre froide. Jusqu'à récemment, la région est même restée un lieu de dialogue (au sein du Conseil arctique, notamment) et de coopération entre les puissances militaires, même non alliées.

Néanmoins, aujourd'hui, les formes de domination sont moins souvent militaires qu'économiques. Avec sa faible population, le manque de main d'oeuvre qualifiée et une élite des plus restreintes pour administrer un territoire immense, le Groenland apparaît comme le maillon le plus faible d'une chaîne arctique composée aussi des États-Unis, de la Russie, du Canada et de la Norvège.

Comme le rappelle le politologue Damien Degeorges, « l'élite politique du Groenland n'est constituée que de 44 personnes (9 ministres, 31 parlementaires et 4 maires) : ainsi, un lobbying auprès d'environ 25 personnes suffit pour avoir accès aux ressources stratégiques du Groenland » 8 ( * ) . Le vote à l'automne 2013 qui a mis fin à la tolérance zéro appliquée aux minerais radioactifs, considéré comme un des votes les plus importants dans l'histoire du Groenland est passé d'une seule voix au Parlement (16 parlementaires votant pour, tandis que 15 étaient contre).

Toutefois, la baisse brutale des prix du brut de pétrole pourrait dans l'immédiat mettre un terme aux explorations et aux projets d'exploitation d'hydrocarbures au Groenland . Les investissements pourraient se révéler trop importants à assumer par rapport à des gisements ailleurs dans le monde. Si l'attention dont a fait preuve le Groenland ces dernières années pourrait par conséquent diminuer, elle ne doit pas faire oublier que le Groenland et l'Arctique représentent un intérêt stratégique pour l'Union européenne.

Cela est également vrai en ce qui concerne les revendications territoriales sur les eaux encore libres de l'océan Arctique et sur le Pôle nord . La Russie et le Canada ont chacun déposé une demande d'extension de leur zone économique exclusive auprès de la Commission de délimitation des limites du plateau continental, organe souverain indépendant composé d'experts. Le Danemark doit en faire autant avant la fin de 2014. L'emplacement stratégique du Groenland peut s'avérer déterminant pour le Danemark et pour l'Union européenne dans ce qui s'apparente à une course au Pôle nord !

Thulé, un bouclier américain sur le sol Groenlandais

Les Inuits de Thulé seraient arrivés au Groenland au XIII e siècle, après avoir quitté le Nunavut canadien. Ils constituent une des trois cultures inuit présentes sur l'île. Pourtant, l'installation d'une base militaire américaine entraîna leur déplacement vers une nouvelle localité, Qaanaaq, plus de 100 km au nord de Thulé.

En 1941 le Danemark signa une alliance avec les États-Unis visant à protéger le Groenland des nazis et à favoriser la traversée de l'Atlantique par les navires et avions américains. Durant la Guerre froide, et l'entrée du Danemark et du Groenland dans l'OTAN en 1951, l'emplacement de la base se révéla encore plus stratégique pour les États-Unis dans leur lutte avec l'URSS. En mai 1953, des travaux d'agrandissement furent décidés et les 187 habitants (pour la plupart des chasseurs et des pêcheurs) furent déplacés, sans que le Danemark ne leur demande leur avis. Ce n'est qu'en 1999, qu'ils bénéficièrent d'un dédommagement pour cet exil forcé.

Située à seulement 1 524 km du Pôle nord, sur la côte ouest au nord du Groenland, Thulé est la base la plus septentrionale de l'US Air Force. Son emplacement unique a permis à son rôle d'évoluer face à l'évolution de la menace soviétique. Un mât de 378 m, la Globecom Tower , y fut construit en 1954 pour la transmission de télex sur grandes ondes. Dès les années 1950, elle devint un élément essentiel de la surveillance radar d'éventuels missiles balistiques lancés d'Eurasie. Elle servit également de point de départ pour des avions américains partant espionner les défenses soviétiques. Durant cette période, des milliers de militaires américains furent en poste à Thulé.

La course aux armements et les progrès scientifiques allaient amener au tournant des années 1960 sur le sol groenlandais et avec l'accord des autorités danoises, non seulement des bombardiers stratégiques, mais également des armes nucléaires. Près de 10 000 militaires américains sont alors à Thulé. L'activité y décroît à partir de 1965, suite à un changement de stratégie de la défense militaire américaine. Aujourd'hui, la base reste un lieu essentiel de la surveillance des satellites et elle accueille près de 2 600 vols par an.

Que s'est-il passé le 21 janvier 1968 ?

Le 21 janvier 1968, un B-52 de l'US Air Force transportant quatre bombes à hydrogène s'écrase sur la banquise dans la baie en face de Thulé. L'explosion des armes conventionnelles entraîne la dispersion des charges nucléaires et la contamination radioactive de la région. Les États-Unis et le Danemark lancent une importante opération de nettoyage et de récupération, et les neiges contaminées sont envoyées aux États-Unis.


* 8 Damien Degeorges, L'Arctique : une région d'avenir pour l'Union européenne et l'économie mondiale , Fondation Robert Schuman, Question d'Europe n° 263, 7 janvier 2013.

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