EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le mercredi 3 décembre 2014 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par le rapporteur André Gattolin, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet, président . - Il est vrai que ce pays revêt une dimension géostratégique, en même temps qu'il est un témoin de la problématique climatique en cours. Il faut être attentif à ses évolutions - d'autant que les terres rares que contient son sous-sol suscitent l'intérêt de bien des pays, au premier rang desquels la Chine, dont on sait qu'elle exploite 80 % à 90 % de ces terres, et recherche de nouveaux gisements d'exploitation, en Afrique et ailleurs.

M. André Reichardt . - Le Canada a mis en place un plan pour le développement du grand Nord. Il s'agit d'exploiter les richesses du sous-sol tout en accompagnant, dans leur développement, les populations autochtones - qui, soit dit en passant, ne voient pas les choses de cet oeil. Le Groenland manifeste-t-il une volonté similaire de développer l'exploitation minière qui justifierait un intérêt accru de l'Union européenne ?

M. Gérard César . - Les ressources pétrolières et gazières de l'Arctique représentent 10 % des ressources mondiales et 30 % des réserves de gaz. C'est énorme. Nous avons eu l'occasion, sous la présidence de Jean-Paul Emorine, de nous rendre à Mourmansk pour aborder ces questions. Le groupe Total était intéressé à créer un joint venture avec Gazprom. Où en est-on de ce projet, rendu complexe par le problème des températures, qui peuvent atteindre moins 40 ?

M. André Gattolin . - Lorsque je me suis rendu au Canada, j'ai rencontré le nouveau ministre du développement durable, de l'environnement et de la lutte contre les changements climatiques du Québec, qui me disait qu'à l'époque du gouvernement libéral de Jean Charest, on avait tenté de lancer un plan similaire à celui qui existait au plan fédéral. Mais il n'est pas simple de travailler en Arctique. Areva, qui a depuis vingt ans un contrat avec une grande société d'exploitation de l'uranium, en fait l'expérience. Il est très difficile, en effet, de tracer des routes et de les stabiliser. On voit dans le changement climatique une opportunité d'exploitation de ces zones, mais c'est oublier que la fonte du permafrost provoque dans les infrastructures, y compris les canalisations, des mouvements et des effondrements. L'industrie sibérienne arctique russe rencontre le même problème. À quoi s'ajoute le fait qu'en fondant, le permafrost dégage beaucoup de méthane, gaz qui contribue vingt-trois fois plus que le CO2 à l'effet de serre. Pour autant, le gouvernement de Pauline Marois, du parti québécois, avait défini un plan redimensionné, intitulé « Le Nord pour tous ». Le nouveau gouvernement libéral de M. Couillard, qui entendait relancer ce plan Nord, se heurte cependant à de gros problèmes budgétaires : il faudrait des milliers de kilomètres de routes pour désenclaver le pays.

Le même problème se pose au Groenland, où toute infrastructure fait défaut. Les économistes estiment qu'il faudrait, en dehors de la zone de Barents et de la Norvège, où les conditions climatiques sont meilleures grâce au Gulf Stream , un baril à 120 ou 130 dollars au moins pour que l'exploitation du pétrole en Arctique soit rentable. Il faut savoir que l'industrie minière se partage en deux types d'entreprises : les seniors, soit de grandes entreprises disposant d'importantes capacités d'exploitation, et les juniors, des sociétés plus jeunes et plus spéculatives, généralement valorisées à la bourse de Toronto, où des conditions assez favorables leur sont offertes, et qui font de l'exploration. Mais le problème réside dans le passage de l'exploration à l'exploitation. Tout cela explique les énormes mouvements sur les cours du gaz et du pétrole, d'une tout autre nature que ceux qui peuvent être liés à la problématique du gaz non conventionnel.

L'engouement sans doute un peu exagéré que l'on constate au Groenland sur le potentiel existant tient au fait qu'il fallait trouver les voies d'une indépendance rapide. Pour se former, cependant, dans les disciplines scientifiques, sachant que l'université de Nuuk n'offre que des cursus en sciences humaines, les élites doivent partir étudier à Copenhague, dont elles ne reviennent pas toujours...

Le parallèle avec le Canada est intéressant. Il faut savoir que plus de la moitié de la balance commerciale du Canada relève du secteur primaire
- le bois et les matières premières non transformées -, un peu à l'image de la Russie, qui assure son équilibre économique par la vente massive de matières premières. Il est un seul domaine où le Canada investit au Groenland : les mines d'extraction du rubis. C'est que leur exploitation n'exige que cinquante à soixante employés, que l'on peut aisément former parmi les Groenlandais, quand un projet d'exploitation du zinc ou du nickel, comme l'avaient formé les Chinois, exige 5 000 employés, qu'il faut faire venir d'ailleurs. Le rubis bénéficie, de surcroît, d'un cours très stable et ne nécessite pas d'infrastructures : un hélicoptère suffit.

À côté de tels projets, dont le pays a besoin, le secteur traditionnel de la pêche pourrait être un atout. N'est-ce pas en misant sur ce secteur que l'Islande s'est redressée ? Mais pour l'instant, peu de bateaux groenlandais pêchent dans ces eaux ; ce sont, pour l'essentiel, des bateaux des pays de l'Union européenne, qui payent une redevance. À noter que le contrat de partenariat noué entre l'Union européenne et le Groenland ne pouvant passer par les fonds de développement régionaux, les lignes d'aide au Groenland sont paradoxalement inscrites au budget de l'Union européenne. Il serait bon de rechercher, à l'avenir, un système d'accords sur mesure qui ne privent pas les Groenlandais du sentiment de leur indépendance.

L'accord avec le groupe Total ? Christophe de Margerie avait déclaré à plusieurs reprises qu'il se refusait à forer dans les zones off shore glacées. Si bien que les premiers gisements ont été exploités par Gazprom, mais que Total a racheté, in fine , une partie de sa production dans ces zones. Un article paru dans « Le Figaro économie » de ce matin, qui fait apparaître la corrélation entre l'effondrement du prix du brut et celui de l'économie russe, montre combien les économies fondées sur ce type d'exploitation sont dépendantes.

M. Jean Bizet, président . - Il est vrai que les effets de l'effondrement des prix du brut sur l'économie russe sont bien supérieurs à ceux des mesures de rétorsion décidées par l'Union européenne. Quand on voit que lors de sa dernière réunion, l'Opep a décidé de ne pas fermer les robinets, on se dit que le message est peut-être venu d'ailleurs...

À l'issue de ce débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport.

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