C. UN RÉFÉRENDUM INÉVITABLE PRÉSENTÉ COMME UNE EXIGENCE DÉMOCRATIQUE COMPORTANT QUELQUES DANGERS

1. Le référendum : une question de démocratie

À propos du référendum sur le maintien dans l'Union, nos interlocuteurs ont insisté sur le fait qu'il était désormais perçu comme une nécessité démocratique, quarante ans après le référendum de 1975.

En 1975, deux ans après leur entrée dans le Marché commun, les quarante millions d'électeurs britanniques ont été consultés pour savoir s'ils souhaitaient rester dans les Communautés européennes. Il est intéressant de se souvenir que la question posée était : « Le gouvernement a annoncé les résultats de la renégociation des conditions du maintien du Royaume-Uni dans la communauté européenne : pensez-vous que le Royaume-Uni doive rester dans la Communauté européenne ? » Il était déjà question de renégociations en 1975.

67,2 % des électeurs répondirent par l'affirmative, après une formidable campagne électorale dépassant les clivages politiques, baptisée « Britain in Europe ». Le Premier ministre britannique Harold Wilson (travailliste) favorable au maintien n'était pas totalement soutenu par sa majorité à laquelle il avait pourtant réussi à imposer le silence.

Quarante ans plus tard, nos interlocuteurs nous expliquent qu'il est normal de retourner vers l'électorat pour rendre au projet européen sa légitimité démocratique mais, ajoutent-ils, comme en 1975, après renégociation avec Bruxelles. C'est là la grande difficulté.

Sans qu'il soit possible de déterminer pour l'instant l'ampleur de cette renégociation, il semble clair que du côté conservateur, on souhaite des accommodements de la part de Bruxelles afin de retirer au projet européen tout ce qui alimente la polémique contre Bruxelles.

2. Les dangers d'un référendum contrebalancés par une opinion publique raisonnable

Au motif que les sondages ont maintenant montré que l'opinion souhaite majoritairement le maintien du Royaume-Uni au sein de la Communauté européenne au prix de quelques concessions, le Gouvernement britannique se rassure sur l'issue de cette consultation dont beaucoup ont pensé sur le moment qu'elle n'était qu'un coup de poker.

L'opinion britannique a toujours pratiqué une certaine forme de détachement à l'égard de la construction européenne. C'est l'héritage d'un ancien empire maritime qui se sent à mi-chemin entre le grand large et le continent et entend bien maintenir cet équilibre sans rien perdre de son poids sur le continent. Comme le disait Henry Kissinger, « Le Royaume-Uni est le seul pays européen que la raison d'État n'a jamais contraint à des visées expansionnistes sur le continent » . Toutefois, le Royaume-Uni s'est trouvé régulièrement dans l'obligation d'intervenir sur le continent pour empêcher l'émergence d'une puissance continentale dominante qui pourrait menacer ses intérêts économiques ou sa sécurité. Ces idées sont solidement implantées dans le subconscient de l'opinion britannique qui considère que le pays est pour l'heure assez puissant pour contenir l'hégémonie bruxelloise. Quand la menace n'est pas trop sensible, l'opinion se satisfait d'une bienveillante surveillance à l'égard de l'Union, version atténuée du « splendide isolement ». Des souvenirs du Commonwealth encore vifs et la « relation spéciale » avec les États-Unis entretiennent l'opinion publique dans l'idée - peut-être fausse - que l'Angleterre ne saurait jamais dépendre totalement de l'Europe. Ainsi, l'opinion britannique reste eurosceptique avec modération. C'est pourquoi tant que l'opinion publique reste confiante dans la capacité du pays à défendre ses intérêts et sa tradition, le référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Union ne représente pas un danger.

3. Le risque écossais : populisme et europhilie au service de l'indépendantisme

Le référendum de 2014 a donné des résultats sans ambiguïté contre l'indépendance de l'Écosse (55,3 %). Le leader du Scottish National Party Alex Salmond, se sentant désavoué, a cédé la place à Nicola Sturgeon qui s'est lancée dans une campagne particulièrement active, visant à déstabiliser le Parti travailliste à l'occasion des prochaines élections législatives. En effet, le SNP se propose de transformer ces élections pour les circonscriptions écossaises en un nouveau vote d'adhésion en faveur de l'indépendance.

Il apparaît maintenant probable que le SNP pourrait gagner 56 des 59 circonscriptions écossaises le 7 mai prochain. Dans ces conditions et malgré une campagne ambigüe et populiste, le SNP pourrait servir de force d'appoint à une coalition avec le Parti travailliste. Cette éventualité a été écartée d'un revers de main par le leader travailliste Ed. Miliband qui a fait état d'un désaccord absolu avec le SNP à propos de l'indépendance de l'Écosse à laquelle il s'oppose. En outre, le programme très à gauche et très populiste de Nicola Sturgeon est à première vue incompatible avec le programme du Labour.

Toutefois, la situation est plus grave encore. Lors d'une campagne outrancière (au cours de laquelle Nicola Sturgeon a même réussi la maladresse de mettre indirectement en cause notre Ambassadeur à Londres), le SNP a démontré qu'il était prêt à pratiquer la politique du pire pour parvenir à l'indépendance de l'Écosse. C'est pourquoi, s'il devait y avoir une coalition entre le Labour et le SNP, on s'interroge au Royaume-Uni sur les contreparties qu'exigerait un parti qui ne s'intéresse plus au destin de la Grande-Bretagne dont il veut sortir au plus vite.

Déjà un des arguments les plus inquiétants avancés pendant la campagne du référendum en 2014, consistait à répéter en boucle qu'une Écosse indépendante pourrait non seulement maintenir l'État providence, mais même l'amplifier et l'améliorer. Or, il est clair aujourd'hui, vu l'état économique de l'Écosse et la baisse du cours du pétrole, qu'une Écosse indépendante ne parviendrait même pas à maintenir l'existant ni à boucler son budget.

Le budget d'une Écosse indépendante serait immédiatement en déséquilibre et en tant que nouvel État ne bénéficierait pas d'un taux d'emprunt très favorable. Quant à augmenter la pression fiscale, la mesure ferait aussitôt fuir le travail et le capital vers l'Angleterre.

La comptabilité analytique montre déjà que cette année, le déficit budgétaire de l'Écosse est de 8,6 % contre 4 % pour l'ensemble du Royaume-Uni.

Ainsi, dans le cas où l'Écosse - indépendante ou autonome - aurait un budget parfaitement indépendant, elle serait contrainte de tailler dans les dépenses à hauteur de 10 %. Or, le SNP refuse cette logique de l'indépendance budgétaire et maintient que le principe sur lequel on se serait accordé après l'échec du référendum, est celui d'une plus grande autonomie, sans conséquence négative pour l'Écosse. Cela signifierait en clair, selon le SNP, que l'Écosse pourrait être budgétairement autonome et protégée contre les conséquences négatives de ses décisions budgétaires grâce à une dotation en provenance de Londres. Ainsi, le Royaume-Uni en viendrait à subventionner une politique sociale plus généreuse en Écosse que celle pratiquée dans le reste du Royaume-Uni.

La question qui se pose aujourd'hui est donc celle-ci : en cas de coalition Labour/SNP, le Labour accepterait-il de payer ce prix exorbitant pour gouverner ? En effet, un tel pacte conduirait rapidement à l'éclatement du Royaume-Uni, car l'Angleterre, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord seraient en droit d'exiger à leur tour l'autonomie budgétaire et la séparation des comptes...

Quant au tropisme pro-européen du SNP, on comprend qu'il sert d'arme absolue contre Londres. En effet, le SNP demande, en cas de référendum sur le maintien dans l'Union, un vote par nation.

Le SNP prétend vouloir rester dans l'Union et espère pour l'Écosse un schéma idéal sur le modèle de l'accord du Vendredi Saint pour l'Irlande du Nord qui prévoit que si le Royaume-Uni décidait de quitter l'Union, l'Irlande du Nord serait consultée par référendum et pourrait opter entre rester dans le Royaume-Uni hors de l'Union ou rejoindre l'Irlande dans l'Union. L'Écosse, elle, exigerait alors un nouveau référendum sur son indépendance... On comprend que ce parti « europhile » oeuvre en faveur d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne pour assurer à l'Ecosse un accès plus rapide à l'indépendance.

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