D. BREXIT : BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN

1. La position britannique serait caricaturée

Nos interlocuteurs ont insisté sur le fait qu'ils considéraient que la Commission et la presse continentale s'étaient livrés à une agitation propagandiste afin d'exagérer la probabilité d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et de mettre en exergue les risques d'un tel scénario.

Or de l'avis de la classe politique britannique dans son ensemble, seul le Parti UKIP souhaite la sortie inconditionnelle de l'Union. Pour le reste, cette éventuelle sortie n'est qu'un débat interne au Parti conservateur, un débat démocratique qui n'est pas tranché mais qui ne le sera sans doute pas, dans la mesure où les renégociations n'ont pas commencé. Pour cette frange minoritaire du Parti Conservateur, tout dépendra des concessions obtenues à Bruxelles.

Il nous a été précisé que l'euroscepticisme était un sentiment très répandu, mais qu'il n'entraînait pas pour autant le soutien à un quelconque « Brexit » dont le nom seul témoignerait de l'inventivité maligne de la presse dans ce domaine. En somme, beaucoup de bruit pour rien autour d'un concept embryonnaire et, dans certains cas, seul le plaisir de faire peur serait à l'oeuvre. Un de nos interlocuteurs nous a même avoué que « sans les quatre M - Ministers, MPs, Medias, Mandarins », le débat aurait déjà perdu de sa vigueur et le bon sens l'aurait emporté.

En effet, dans l'opinion publique, l'idée ne fait plus recette et il semble que l'on s'attache plutôt à un succès des négociations préalables au référendum.

Sur ce chapitre des négociations, les plus pessimistes remarquent qu'elles peuvent entraîner un changement des Traités ; mais apparemment dans l'actuelle majorité, tous semblent plutôt souhaiter éviter des négociations importantes qui exigeraient des modifications des Traités difficiles à obtenir.

On évoque de préférence des accommodements à la marge au profit du Royaume-Uni. Il semblerait que l'Allemagne et les Pays-Bas soient réceptifs, à la différence de la France qui maintient une position intransigeante et traite la question par le mépris (c'est du moins ce qui est ressenti de l'autre côté de la Manche). On continue, du côté britannique, à évoquer un compromis sur le modèle de la double majorité.

Si le Royaume-Uni obtient les accommodements souhaités, il faudra toutefois prendre aussi en considération le contexte européen au moment du référendum. Il semble évident qu'une majorité favorable au maintien du Royaume-Uni dans l'Union pourrait s'effriter en cas de crise européenne majeure liée à l'euro, au dossier grec - s'il n'est pas réglé -, à la remontée des taux ou à la situation internationale.

Nos interlocuteurs nous ont faire remarquer que la situation internationale avec les menaces qu'elle fait peser sur l'Europe (terrorisme, Proche-Orient déstabilisé et guerre en Ukraine) avait pour l'instant rapproché l'opinion de l'idée d'une certaine solidarité européenne en matière de sécurité. L'affaire ukrainienne en particulier rencontre un écho plus fort au Royaume-Uni qu'en France et l'attitude du Président Poutine est considérée comme une menace sérieuse et durable pesant sur l'équilibre et la paix en Europe.

2. La position de l'Union européenne manquerait d'habileté diplomatique

En résumé, s'il existe un risque de sortie, ce n'est pas parce que les Britanniques seraient plus hostiles que d'autres peuples à l'Union, mais bien parce que l'Union ne réagit pas avec suffisamment d'habileté au débat, certes vif et dangereux, sur une éventuelle sortie du Royaume Uni.

Ce débat a été lancé par des minorités qui ont réussi à le coupler avec les problèmes les plus aigus que connaît le pays comme l'immigration massive ; mais sur place il est perçu comme parfaitement démocratique et les principaux partis politiques y ont répondu en adoptant de fait, sinon de droit, ce qu'il faut bien appeler une plateforme commune officieuse parfaitement compatible avec l'appartenance à l'Union.

De quoi s'agit-il ? Du consensus tacite qui réunit 75 % de la majorité parlementaire autour des pistes de réformes proposées par le Premier ministre (approfondissement du marché intérieur, rééquilibre du partage des compétences dans certains secteurs, non-discrimination entre États membres et non membres de la zone euro et amélioration du processus législatif européen).

Que l'Union réfléchisse un instant avant de déclarer, comme cela a été fait, qu'elle peut parfaitement fonctionner sans la Grande-Bretagne (tout en déclarant au même moment que la zone euro ne saurait fonctionner sans la Grèce !). Que l'Europe prenne garde de ne pas créer un problème britannique ! Voilà ce que nos interlocuteurs très optimistes sur l'issue positive du référendum nous ont déclaré.

Comme il a déjà été dit, l'euroscepticisme leur semble une attitude britannique parfaitement compatible avec l'appartenance à l'Union. Le manque d'enthousiasme ne marque pas un refus de participer, mais seulement la suggestion que les règles pourraient être un peu changées.

Au fond, ce qui frappe Bruxelles et les autres capitales européennes, c'est que Londres s'offre un débat sur l'Europe qui mobilise essentiellement des élites très eurosceptiques et très passionnées alors que toutes les élites européennes sont europhiles ou prétendent l'être face à des opinions publiques très eurosceptiques.

Il conviendrait plutôt de reconnaître que la situation est au Royaume-Uni exactement l'inverse de celle des autres États membres. Toujours affectées d'une singularité insulaire, les élites britanniques se disputent sur la question européenne avec un véritable entrain - ce qui est considéré comme un sacrilège ailleurs - et l'opinion publique britannique regarde la question européenne avec une indifférence bienveillante - alors que les autres opinions publiques sur le continent rejettent de plus en plus massivement Bruxelles.

Il y a un débat passionné parmi les parlementaires, mais sur la question de savoir si le parlement britannique devait disposer d'un veto sur toute la législation européenne, il ne s'est trouvé que 95 parlementaires pour voter cette disposition qui fut massivement rejetée. Certes, 95 parlementaires peuvent finir par former une minorité agissante et menacer l'unité d'un grand parti, mais ce n'est pas encore le cas.

Aujourd'hui, même les Britanniques europhiles reprochent à Bruxelles de souhaiter et d'entretenir l'idée d'une Europe plus intégrée, car cette idée a pour corollaire, chez certains Eurocrates, l'éviction du Royaume-Uni qui constituerait, à leurs yeux, un obstacle sur le chemin du fédéralisme, comme si la France et l'Allemagne - libérées de l'entrave britannique - étaient désireuses de ne plus former qu'un seul État.

Selon les Britanniques, il est illusoire de croire qu'une Europe sans eux retrouvera un élan et fera avancer des dossiers comme la défense commune et la politique étrangère commune.

Même les europhiles britanniques appellent Bruxelles à changer d'attitude vis-à-vis du Royaume-Uni et à entrer sans tabou dans le débat des meilleurs moyens pour réformer l'Union plutôt que de s'accrocher au statu quo .

Le Discours de Bloomberg

En écho au célèbre Discours de Bruges de Margaret Thatcher, le 23 janvier 2013, dans un discours sur l`Europe David Cameron s'est engagé, s'il obtient un deuxième mandat le 7 mai prochain, à organiser avant la fin de 2017 un référendum dont l'enjeu sera le maintien ou la sortie de son pays de l'Union européenne.

Dans l'hypothèse où se tiendrait un référendum, David Cameron annonce clairement qu'il fera campagne pour le maintien du Royaume-Uni dans l'Union à condition de mener à bien au préalable un aménagement des Traités européens qui aboutirait à octroyer au Royaume-Uni un statut spécial au sein de l'Union.

Dans ce discours de référence, le Premier ministre pose dès le départ que l'Union européenne ne saurait être qu'un moyen et non une fin en soi et que par ce moyen, il cherche à atteindre une fin claire : la prospérité de l'Europe. Pour réussir, il considère que l'Union doit être reformée.

Selon lui, le Royaume-Uni aujourd'hui se sent mal à l'aise dans l'Union telle qu'elle est et plus encore telle qu'elle pourrait évoluer. Le Premier ministre place le développement du marché unique au centre de ses préoccupations. Il met en garde contre une évolution de l'Union dans le sillage de l'évolution de la zone euro qui conduirait à léser les intérêts de ceux qui n'ont pas adopté la monnaie unique. Il n'hésite pas à résumer la position de l'opinion britannique par une question : « Pourquoi n'avons-nous pas ce pourquoi nous avons voté (sous-entendu en 1975) ?

Selon le Premier ministre, trois défis se présentent à l'Union : l'évolution de l'Eurozone, la perte de compétitivité européenne, le fossé entre l'Union et ses citoyens.

Il convient de reformer l'Union en appliquant les cinq principes suivants :

- achever le marché unique dans le domaine des services, de l'énergie et du numérique ;

- introduire la flexibilité dans les relations entre l'Union et les États membres et ne pas craindre que chaque État membre soit lié à l'Union d'une manière différente des autres États membres ;

- quand cela est nécessaire, rapatrier au profit des États membres les compétences transférées à l'Union ;

- renforcer la responsabilité démocratique de l'Union et le rôle des Parlements nationaux ;

- introduire plus de justice et d'équilibre entre les États membres dans la construction de l'Eurozone.

Une citation importante résume sa position :

« Nous croyons en une union simple d'États membres indépendants qui partagent des traités et des institutions et poursuivent ensemble un idéal de coopération. »

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