TRAVAUX DE LA MISSION

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I. AUDITIONS

Audition de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes

(mercredi 14 janvier 2015)

M. Jean-Noël Cardoux, président . - Le mois de décembre a été riche en actualité sur la question des retraites, avec notamment la publication du rapport de la Cour des comptes sur les régimes complémentaires de retraite des salariés, dont il sera question aujourd'hui, ainsi qu'avec l'actualisation des projections financières du Conseil d'orientation des retraites. C'est pourquoi, avec notre rapporteur général, j'ai pris l'initiative d'une série d'auditions sur ce thème.

Nous accueillons ce matin M. Antoine Durrleman, président de la 6 e chambre de la Cour des comptes et interlocuteur privilégié  de notre commission.

Je vous remercie vivement d'avoir accepté, Monsieur le président, cette invitation à venir présenter devant la Mecss du Sénat, les conclusions du rapport public thématique de la Cour, publié en décembre dernier et consacré à l'avenir des régimes de retraites complémentaires de retraite, Agirc et Arcco.

Vous êtes accompagné de MM. Christian Babusiaux, président de chambre, contre rapporteur, Vincent Richard, conseiller référendaire et Mathieu Gatineau, auditeur, rapporteurs.

Pour des raisons comparables à celle des régimes de base, l'évolution démographique du côté des dépenses et l'absence de croissance du côté des recettes, la santé financière des régimes de retraite complémentaire se dégrade rapidement.

A la différence des régimes de base, les régimes complémentaires ne peuvent recourir à l'emprunt, ce qui est conforme à leur nature de régime par répartition. Ceci a pour conséquence qu'une solution devra impérativement être trouvée à court terme.

Face à l'urgence de la situation, des mesures conservatoires ont été prises par les partenaires sociaux en 2013, dans l'attente de la réforme des retraites. Cependant, comme le montre très bien le rapport de la Cour, non seulement les mesures récentes prises en matière de retraites, dont la réforme des retraites de 2014, n'apportent qu'une réponse très différée à la question, urgente, des complémentaires mais elle conduit même, dans un premier temps à dégrader leur situation financière.

Il n'est pas fréquent, tant pour la Cour des comptes que pour le Parlement de se pencher sur la situation des régimes complémentaires qui relèvent de la gestion paritaire des partenaires sociaux. Deux raisons principales nous y conduisent pourtant. D'une part, il semble difficile de les isoler complètement des problématiques du régime de base ni de celles de l'emploi. Depuis le début des années 1990, le montant des cotisations Arcco au niveau du plafond a plus que doublé, passant de 4,8 à 9,75 % alors que s'engageait dans le même temps une politique d'allègements de cotisations.

D'autre part, c'est la conséquence directe des critères de Maastricht : les complémentaires font partie des administrations publiques et, pour la première fois, des objectifs d'économies leur sont clairement assignés au plan législatif, via l'article liminaire des textes financiers.

C'est d'ailleurs la discordance entre les objectifs fixés par le Gouvernement et les chiffres produits par les régimes qui avait conduit notre rapporteur général à s'intéresser à cette question qui relève, plus largement, du pilotage des finances sociales.

Dans le contexte, le rapport de la Cour est tout à fait bienvenu et je vous cède la parole, Monsieur le président, sans plus attendre.

M. Antoine Durrleman . - Le rapport public thématique que nous vous présentons aujourd'hui est le premier rapport que la Cour consacre aux régimes obligatoires de retraite complémentaire des salariés du secteur privé gérés par l'Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc), créée pour les cadres en 1947, et l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco), créée pour l'ensemble des salariés en 1961.

Ces régimes complémentaires constituent un enjeu considérable, tant en termes sociaux que financiers. Ils couvrent en effet plus de 18 millions de salariés et près de 12 millions de retraités. Ils versent chaque année plus de 70 milliards d'euros de pensions de retraite.

Or, l'Agirc et l'Arrco sont aujourd'hui dans une situation financière très difficile et les partenaires sociaux, qui en assurent la gestion, devront prendre des décisions très importantes lors du nouveau cycle de négociation qui va s'ouvrir au mois de février. Je souhaiterais insister sur le fait que le rapport de la Cour vise à éclairer le débat public et non à prescrire les mesures qu'il conviendra de prendre : les partenaires sociaux sont seuls décideurs et la Cour a pour unique ambition de montrer la diversité des choix possibles.

Ce rapport thématique s'articule autour de quatre grands axes.

Il montre tout d'abord que les perspectives financières des régimes complémentaires sont particulièrement alarmantes.

Il explique ensuite que les partenaires sociaux devront nécessairement opérer des choix difficiles, complexes, délicats. Il faudra actionner plusieurs leviers pour éviter tout risque de rupture dans le paiement des pensions.

Il insiste sur le fait que les gestionnaires des régimes devront prendre des mesures indispensables pour réduire des coûts de gestion encore trop élevés.

Il souligne enfin qu'il est urgent de moderniser le pilotage des régimes, notamment en renforçant la prise en compte de l'Agirc et de l'Arrco dans la conduite de l'ensemble de nos finances publiques.

Pendant longtemps, les régimes complémentaires ont connu une situation financière bien plus enviable que celle des régimes de base. Les partenaires sociaux ont su faire preuve de responsabilité en adoptant des mesures courageuses dès 1993. Entre 1998 et 2008, les régimes complémentaires ont connu 11 années d'excédents techniques alors que, dans le même temps, les régimes de base cumulaient 8 milliards d'euros de déficit, repris par la Cades et financés par de la dette. Les partenaires sociaux ont indéniablement fait preuve de davantage de rigueur dans leur gestion financière que les pouvoirs publics.

Depuis 2009, ils font désormais face à leur tour à des déficits. Cette situation préoccupante s'explique par plusieurs facteurs.

Tout d'abord, le ratio démographique entre le nombre de cotisants et de retraités s'est continuellement dégradé depuis le milieu des années 2000, sous l'effet de l'arrivée à la retraite des générations nombreuses du « papy-boom ». Ce phénomène devrait se prolonger jusqu'en 2035 environ et constitue un cap difficile à passer pour l'ensemble de notre système de retraites.

Le ralentissement de la croissance économique depuis 2008 a naturellement précipité la dégradation des comptes de l'Agirc et de l'Arrco, dans la mesure où le ralentissement de la croissance de la masse salariale vient grever leurs recettes.

Enfin, un certain nombre de décisions prises par les pouvoirs publics ont eu tendance à alourdir les charges des régimes complémentaires à l'horizon 2020.

Au total, les déficits se succèdent désormais année après année et les régimes doivent mobiliser leurs réserves financières. En 2013, celles-ci sont venues combler un déficit de 4,4 milliards d'euros, soit 6 % du montant annuel des pensions versées. Or, si rien n'est fait, les réserves de l'Arrco seront épuisées en 2025 et celles de l'Agirc dès 2018, avec pour l'Agirc des réserves qui tomberaient à seulement trois mois d'allocations dès 2016 ! Même en cas de fusion de l'Agirc et de l'Arrco, les réserves financières seraient épuisées dès 2023.

Vous l'avez compris, la succession des déficits des régimes complémentaires et l'épuisement rapide de leurs réserves place les partenaires sociaux au pied du mur.

Le régime des cadres doit faire l'objet de mesures urgentes et il sera nécessaire dès 2017 de demander à ses ressortissants des efforts spécifiques. Ceci étant dit, si les cadres devaient assurer le redressement de leur régime à eux seuls, il faudrait par exemple réduire le montant de leurs pensions de 10 % ! Pour éloigner une telle perspective, il faudra renforcer les transferts de solidarité opérés de l'Arrco vers l'Agirc, transferts qui s'élèvent déjà actuellement à 1 milliard d'euros par an. Il sera également nécessaire de poursuivre la réflexion sur une fusion entre l'Agirc et l'Arrco. Les raisons qui ont présidé à la création d'un régime spécifique pour les cadres ont très largement disparu aujourd'hui et il paraît désormais indispensable de garantir une meilleure égalité de traitement entre cadres et non-cadres, d'harmoniser les rendements entre les deux régimes et de réformer l'Association pour la gestion du fonds de financement de l'Agirc et de l'Arrco (AGFF).

Au-delà des mesures propres à l'Agirc et aux enjeux de sa fusion avec l'Arrco, les partenaires sociaux disposent de trois leviers pour réduire les déficits récurrents des régimes complémentaires.

Ils peuvent agir sur le niveau des pensions, en particulier en déterminant les règles de leur indexation sur l'inflation. Dans l'accord signé en mars 2013, les partenaires sociaux avaient déjà prévu une sous-indexation des pensions par rapport à l'inflation mais les économies espérées n'ont pu être réalisées en raison de la faiblesse de l'inflation. Faut-il dès lors aller plus loin et envisager une baisse du montant nominal des pensions ?

Il leur est également possible de procéder à des hausses de cotisations, mais ils doivent tenir compte d'un contexte très contraint car les hausses au profit des régimes de base ont déjà été nombreuses ces dernières années. Au surplus, le niveau maximal de cotisations pour les salariés est de 28 % et le niveau actuel est déjà en moyenne de 27,5 %... Sur cette question, une amélioration de la concertation entre pouvoirs publics et partenaires sociaux est indispensable.

Enfin, les partenaires sociaux peuvent envisager d'agir sur la durée d'assurance et sur l'âge de liquidation de la pension, quitte à dissocier ces critères de ceux qui sont en vigueur pour les régimes de base. Ce paramètre des bornes d'âge est certes très sensible, mais il convient de le considérer avec beaucoup d'attention.

La Cour n'a nullement pour objectif de proposer un plan de redressement, elle présente uniquement les différents leviers d'action, la décision appartenant exclusivement aux partenaires sociaux. En tout état de cause, il faudra faire en sorte que les efforts à fournir reposent équitablement sur les retraités, les salariés et les entreprises.

Comme je l'ai dit précédemment, la Cour a constaté lors de l'élaboration de son rapport que les régimes complémentaires pâtissaient de coûts de gestion trop importants. Ces dépenses représentent 2,7 % des cotisations perçues et elles ont progressé bien plus rapidement ces dernières années que l'inflation. Elles sont, à périmètre et volume d'activité identiques, de 20 % plus élevées que celles de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav). Les dépenses en matière de systèmes d'information ou bien encore de rémunérations apparaissent particulièrement conséquentes. Le caractère très dispersé des gestionnaires de ces régimes est également générateur de surcoûts. L'Agirc et l'Arrco ont d'ores et déjà décidé un plan d'économie de 300 millions d'euros à horizon 2018. La Cour estime que des marges supplémentaires pourraient être dégagées et que les coûts de gestion pourraient diminuer de 450 millions d'euros à horizon 2020, ce qui représente 4 à 8 % des besoins de financement des régimes.

La Cour s'est également intéressée à la question du contrôle du recouvrement des cotisations des régimes complémentaires, qui demeure très insuffisant, en particulier dans le domaine de la lutte contre le travail illégal. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a prévu qu'un inspecteur des Urssaf puisse contrôler le versement par les entreprises des cotisations Agirc-Arrco mais le décret d'application n'a pas encore été publié. Pourtant, la Cour estime que les pertes de cotisations en raison de fraudes représentent entre 2,2 et 2,7 milliards d'euros pour les régimes complémentaires. Ces pertes sont bien sûr préjudiciables aux régimes, mais également aux assurés qui ne verront pas leurs droits validés.

La qualité du service aux assurés, enfin, est insuffisante, puisque les erreurs de liquidation des pensions sont beaucoup trop nombreuses - en 2013, 260 millions d'euros au moins n'ont pas été versés aux assurés - et des délais anormalement long - parfois supérieurs à trois mois - peuvent être constatés.

Le pilotage des régimes complémentaires de retraite est le dernier axe développé par la Cour dans son rapport. Elle juge nécessaire la rénovation du cadre de décision avec notamment le choix de scenarii économiques plus prudents ou bien encore une gestion des réserves financières plus performante. Elle pose également une nouvelle fois la question d'une intégration du pilotage de ces régimes dans la gestion de l'ensemble des finances publiques de notre pays. Il s'agira ainsi d'intégrer les contraintes qui pèsent sur les régimes complémentaires lors de l'adoption des mesures relatives aux régimes de base. Un meilleur cadre de concertation dans ce domaine apparaît en effet indispensable et l'intégration des régimes Agirc-Arrco dans le cadre d'une loi de financement de la protection sociale permettrait à l'ensemble des acteurs de disposer d'une vision commune. Cette proposition devrait préserver l'entier pouvoir de décision des partenaires sociaux, la Cour ne suggérant en aucune façon une étatisation des régimes complémentaires de retraite.

M. Jean-Noël Cardoux, président . - Merci pour cet exposé très dense, qui montre que les partenaires sociaux devront procéder à des choix douloureux.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Dans le cadre de la préparation de l'examen du PLFSS pour 2015, notre commission avait posé une partie des constats que vous formulez. Nous avions interrogé la ministre sur les économies demandées aux régimes de retraites complémentaires, mais nous n'avons malheureusement pas obtenu de réponses... Espérons que votre rapport bénéficiera d'un meilleur accueil !

Je vous interroge au nom de notre collègue Gérard Roche, rapporteur de la branche vieillesse du PLFSS.

La Cour envisage une dissociation, au moins temporaire, des bornes d'âge entre régimes de base et régimes complémentaires, afin de réduire le déficit de l'Agirc-Arrco. Comment la mettre en pratique sans complexifier à l'excès le système pour les usagers ? Comment faire en sorte que les effets sur les complémentaires des mesures prises pour les régimes de base (taux de cotisation, plafond de la sécurité sociale) soient mieux pris en compte par l'Etat ? Quelles solutions préconise la Cour pour renforcer la concertation - à ce jour très insuffisante - entre services de l'Etat et gestionnaires des régimes complémentaires sur l'ensemble des sujets d'intérêt commun ?

Quel serait l'impact d'une fusion entre l'Agirc et l'Arrco dans le domaine de la protection sociale supplémentaire, en particulier celui de la prévoyance, où de nombreux régimes sont articulés sur la distinction cadres/non-cadres ? La fin de l'autonomie de l'Agirc ne reviendrait-elle pas à remettre en question la notion-même de cadre ? En quoi une telle fusion pourrait-elle être l'occasion d'améliorer l'égalité de traitement entre catégories d'assurés ?

Le rapport pointe le fait que la LFSS pour 2007 n'est toujours pas appliquée. Dans sa réponse, l'ACOSS indique qu'outre des questions d'effectifs non accordés par la tutelle, les modifications législatives et règlementaires nécessaires ne sont pas intervenues. Avez-vous obtenu plus d'explications sur ce point ? Une nouvelle intervention du législateur vous paraît-elle nécessaire ?

Comment, dans son principe même, une loi de financement de la protection sociale pourrait-elle être bâtie « dans des conditions respectant le rôle des partenaires sociaux » ? La préservation de leur autonomie de décision ne serait-il pas un moteur plus puissant en faveur des réformes qu'un encadrement législatif ?

Mme Nicole Bricq . - Je tiens à remercier la Cour pour ce rapport salutaire qui attire notre attention sur la situation financière très dégradée des régimes de retraite complémentaire. Je dois reconnaître que je n'ai découvert qu'au moment de mon arrivée à la commission des affaires sociales le fait que le Parlement n'avait absolument pas son mot à dire en ce qui concerne l'Agirc et l'Arrco, alors qu'ils s'agit pourtant d' « administrations de sécurité sociale » (ASSO) au sens où l'entendent les traités budgétaires européens ! La Cour insiste sur le fait que les partenaires sociaux, par le passé, ont mieux géré ces régimes complémentaires que les pouvoirs publics n'ont géré les régimes de base. Je crois néanmoins que la représentation nationale devrait pouvoir encadrer les évolutions de l'Agirc et de l'Arrco et je suis totalement acquise à la transformation des lois de financement de la sécurité sociale en lois de financement de la protection sociale.

Dans l'immédiat, quel pourrait être le rôle du législateur pour adopter dès 2015 des mesures permettant de réaliser 120 milliards d'euros sur les soldes cumulés des régimes en 2030, comme vous le préconisez dans votre rapport ?

M. Dominique Watrin . - Je regrette que la Cour nous propose les mêmes vieilles recettes pour faire face aux difficultés financières des régimes complémentaires, en adoptant des partis-pris idéologiques. Elle aurait dû étudier d'autres pistes, et en premier lieu celle qui consisterait à rapprocher les niveaux de salaires des femmes de celui des hommes : une telle évolution serait de nature à apporter des recettes supplémentaires !

Ce rapport a malgré tout quelques mérites. Il montre à quel point les salariés ont dû consentir des efforts considérables entre 1994 et 2010 en subissant des hausses de cotisations, des baisses de rendement ou bien encore l'application de mesures visant à réduire les coûts de gestion des régimes.

Il pointe également les défaillances de l'Etat, qui n'a toujours pas pris le décret d'application de la LFSS pour 2007 qui permettrait de lutter contre la fraude aux cotisations Agirc-Arrco. Il conviendrait dans cette perspective de donner davantage de moyens techniques et humains aux Urssaf, en créant notamment plusieurs centaines de postes.

Enfin, votre rapport montre clairement que la décélération salariale est à l'origine des déficits des régimes complémentaires, ce qui prouve, selon nous, qu'une autre politique économique et sociale est nécessaire.

Pour terminer mon intervention, je souhaiterais vous poser une question : excluez-vous toute hausse de cotisations patronales pour renflouer l'Agirc et l'Arrco ?

M. Antoine Durrleman . - Aucune mesure législative n'est nécessaire pour modifier les bornes d'âge des régimes complémentaires de retraite. Les partenaires sociaux sont seuls compétents pour décider d'une déconnexion avec les bornes d'âge des régimes de base. Une telle déconnexion est facile à réaliser d'un point de vue technique, puisqu'il suffit de prévoir un abattement sur le niveau des pensions.

Sur la question de l'avenir de l'Agirc, je ne crois pas que sa fusion éventuelle avec l'Arrco entraînerait une disparition de la notion de cadre. Cela signifierait seulement qu'elle ne jouerait plus dans le domaine des retraites, ce qui ne l'empêcherait nullement de rester pertinente dans les autres domaines. La fusion des régimes serait l'occasion de favoriser une meilleure égalité entre les cotisants, notamment en termes de rendements.

Une nouvelle législation n'est pas nécessaire pour permettre des inspections des Urssaf. Le législateur a traité la question, c'est désormais un décret d'application qu'il faut publier. Il n'a pas encore été pris car il se heurte à certaines réticences. Les régimes complémentaires redoutent un engrenage qui conduirait les Urssaf à devenir l'opérateur du recouvrement de leurs cotisations, sur le modèle de ce qui s'est produit pour les cotisations chômage, transférées des Assedic à Pôle Emploi puis, finalement, aux Urssaf. Du côté des Urssaf, certaines difficultés techniques sont mises en avant : le contrôle serait-il uniquement un contrôle d'assiette ? Faudrait-il contrôler également les barèmes des cotisations, qui sont très complexes ? Sera-t-il demandé aux Urssaf de calculer les points supplémentaires récupérés par les assurés en cas de redressement de cotisations impayées par les employeurs ? Ceci étant dit, il est possible de choisir entre ces différentes options et ces incertitudes ne justifient pas le blocage complet du dossier. C'est aux pouvoirs publics qu'il convient désormais de trancher cette question.

Sur la question de la concertation entre pouvoirs publics et partenaires sociaux, des lieux existent déjà en partie, tels que le récent Comité de suivi des retraites, mais ils demeurent insuffisants. Un lieu de discussion spécifique serait nécessaire et une loi de financement de la protection sociale aurait le grand mérite de rendre indispensable cette concertation. Du reste, les régimes complémentaires sont déjà concernés par le programme de stabilité que la France envoie tous les ans à la Commission européenne et font partie des Asso dont les comptes figurent dans les tableaux liminaires des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale...

Sur l'accroissement possible des ressources des régimes via une revalorisation des salaires des femmes afin de les rapprocher de ceux des hommes, cette proposition a été chiffrée par l'Agirc - Arrco. Réduire l'écart de 15 % qui subsiste aujourd'hui entre les salaires des hommes et ceux des femmes permettrait d'augmenter de 11 milliards d'euros les recettes des régimes en 2025. Naturellement, ces cotisations permettraient à leurs bénéficiaires de valider de nouveaux droits et engendreraient dans un second temps un surcroît de dépenses pour les régimes.

La Cour ne préconise ni n'exclut aucune mesure. En matière de hausses de cotisations, elle est agnostique et sa seule ambition est d'éclairer les acteurs sur les différents leviers à leur disposition.

M. Philippe Mouiller. - J e voudrais revenir sur la notion d'espace de discussion entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux. Alors que les paramètres sont connus, tant sur l'équilibre des régimes que sur les préconisations en termes de gestion, la question est celle de la capacité des partenaires sociaux à s'entendre sur les choix alors que les mesures sont à prendre sont toutes douloureuses.

Mme Agnès Canayer. - Je voudrais signaler que ces régimes sont souvent perçus comme opaques par les cotisants.

M. Olivier Cadic. - Le rapport de la Cour conforte des constats que nous avions établis. L'impact de l'évolution de l'espérance de vie est un facteur trop souvent négligé dans l'analyse de la situation financière des régimes de retraite. Je regrette que les acteurs n'arrivent pas à agir lorsqu'ils y sont contraints par l'urgence de la situation. Ne pourrions-nous pas mettre en place un système de régulation qui permette un ajustement automatique des paramètres, plutôt que d'accumuler les déficits et de réagir a posteriori ?

Mme Françoise Gatel. - Le montant des économies de gestion préconisées par la Cour est à la fois rassurant et inquiétant. Nous voyons bien qu'il est nécessaire de travailler à la rationalisation des 37 institutions de retraite complémentaire mais ces acteurs ont aussi des salariés attachés à la défense de leur poste de travail. Plus généralement, il me semble qu'en termes de contrôle, nos interrogations ne peuvent se borner à la question des retraites complémentaires. La retraite est un élément fondateur de notre système de protection sociale qui pose aussi, dans la mesure où les cotisations sont assises sur le travail, la question de la situation globale de notre économie.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - En matière de réformes dans le domaine de la protection sociale, les constats sont toujours les mêmes et les préconisations identiques mais aucun des gouvernements successifs n'a eu le courage d'en tirer pleinement les conséquences. La Cour propose de faire évoluer la loi de financement de la sécurité sociale pour en faire une loi de financement de la protection sociale obligatoire. Faut-il, comme certains le préconisent, aller vers une intégration du projet de loi de financement de la sécurité sociale dans le projet de loi de finances, avec les mêmes contrôles que pour le budget de l'Etat ? Faut-il aller, par ailleurs vers l'unification des régimes de protection sociale ?

M. Daniel Chasseing. - Je voudrais souligner l'importance des facteurs démographiques. Entre 1970 et 2000, le nombre des personnes de plus de 60 ans est passé de 9 à 12 millions. Il sera de 20 millions en 2030. Sur la même période, le nombre de personnes de plus de 90 ans va passer de 400 000 à 1,5 million. Le chômage a aussi fortement augmenté. Il y a urgence à actionner tous les leviers identifiés par la Cour des comptes. Je ne suis en revanche pas favorable à l'augmentation des taux de cotisations des entreprises qui poserait des difficultés pour l'emploi.

M. Antoine Durrleman . - Les partenaires sociaux ont déjà pris des mesures pour améliorer la gestion des régimes. Il faut souligner que les institutions de retraite complémentaire sont insérées dans des groupes de protection sociale qui gèrent également des activités de prévoyance et d'assurance de personnes, notamment en frais de santé. Elles ont ainsi vécu sur le pied d'autres activités financées par les entreprises qui n'ont pas les mêmes besoins d'efficience de gestion. Cette donnée explique aussi les réticences des partenaires sociaux à l'égard d'un éventuel transfert du recouvrement des cotisations aux URSSAF, qui irait à rebours de la simplification pour les entreprises et ferait disparaître un argument commercial. Les références en matière de gestion sont donc plutôt celles du secteur des assurances que celui des régimes de sécurité sociale. Les régimes ont commencé à fusionner avec un objectif de nombre de cotisants qui soit au moins égal à 10 % des effectifs. Il est nécessaire d'accélérer ce processus.

Il existe des mécanismes de pilotage qui prévoient des ajustements automatiques en fonction de données démographiques ou économiques dans certains pays. C'est le cas de l'Allemagne et de la Suède. Cette référence est intéressante mais il faut souligner que les ajustements ne sont jamais totalement automatiques. Ils constituent des signaux d'alerte qui évitent d'agir au coup par coup et obligent à des logiques d'anticipation pour des évolutions qui doivent s'inscrire dans le temps.

Une loi de financement de la protection sociale obligatoire aurait également l'intérêt d'offrir une vision pluriannuelle sur la période qui s'ouvre.

La Cour ne s'est jamais prononcée sur la fusion des lois financières. Elle a suggéré des évolutions sur les modalités d'organisation du débat parlementaire pour évoquer et éclairer de façon globale le sujet des recettes de l'Etat et de la sécurité sociale dont les modes de financement sont liés. Il semble qu'en revanche les sujets de dépenses doivent faire l'objet de réflexions séparées.

Pour ce qui concerne l'unification des régimes de sécurité sociale, certains posent la question effectivement des régimes dits alignés. Ce n'est plus un sujet technique mais un sujet de sensibilité socio-professionnelle.

M. Jean-Noël Cardoux . - Je vous remercie pour ces éléments.

Audition de M. Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR) sur l'actualisation des projections financières du système de retraite

(mercredi 21 janvier 2015)

M. Jean-Noël Cardoux, président . - Monsieur le président, mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions consacrées aux retraites avec le Conseil d'orientation des retraites (COR), dont nous accueillons le nouveau président, M. Pierre-Louis Bras, que je remercie d'avoir bien voulu honorer l'invitation adressée à son prédécesseur, M. Hadas-Lebel.

M. Bras est accompagné de M. Yves Guégano, secrétaire général et de Mme Anne-Sophie Le Guiel, responsable de la communication.

Je rappelle que le COR est placé auprès du Premier ministre, qu'il est composé de parlementaires (la commission des affaires sociales a reconduit, le 15 décembre dernier, nos collègues Georges Labazée, Catherine Procaccia et Gérard Roche), de représentants des organisations professionnelles et syndicales, des retraités et des familles, de membres de l'administration et d'experts.

Créé en 2000, le Conseil d'orientation des retraites a vu son rôle s'enrichir progressivement. La dernière réforme des retraites lui confie notamment le soin de « produire, au plus tard le 15 juin, un document annuel et public fondé sur des indicateurs de suivi définis par décret ».

Pour 2014, cet exercice a été reporté au mois de décembre et ce sont ces travaux, adoptés par le COR le 16 décembre dernier, que vous venez nous présenter.

L'actualisation des projections de 2012 à l'horizon 2060 prend en compte les effets des dernières réformes en matière de retraites - notamment la loi du 20 janvier 2014, tout en intégrant, à court et moyen termes, les effets de la dégradation de la conjoncture économique.

Lors de la publication de cette actualisation, la lecture de la presse était assez surprenante : pour les uns, l'avenir de notre système de retraite était garanti, pour les autres, il était en grand péril !

Cela tient à la diversité des scénarii envisagés et aux hypothèses macroéconomiques retenues et vous pourrez sans doute nous éclairer sur les choix opérés.

Vous avez la parole.

M. Pierre-Louis Bras, président du COR. - Juste quelques mots pour vous rappeler que le COR n'a pas pour fonction de dégager un consensus sur les mesures à prendre en matière de retraites mais uniquement d'établir un diagnostic partagé par l'ensemble des acteurs. Ses membres sont très divers, puisque les partenaires sociaux en font partie, chacun avec leur sensibilité. C'est pourquoi vous comprendrez que nous fassions preuve d'une certaine réserve. Je passe à présent la parole au secrétaire général de notre institution qui va vous présenter l'actualisation des projections financières de notre système de retraite.

M. Yves Guégano, secrétaire général du COR. - Lors de sa réunion du 16 décembre dernier, le COR a rendu publiques ses nouvelles projections financières du système de retraite à l'horizon 2060. Ce sont ces travaux que je vais vous présenter aujourd'hui en cinq points : les hypothèses sur lesquelles se fondent nos projections, les résultats à court terme de ces projections, leurs résultats à l'horizon 2060, l'impact d'un taux de chômage restant durablement à 10 % sur les résultats obtenus et, enfin, les conditions de l'équilibre financier du système de retraite.

Le décret du 20 juin 2014 fixe la liste des indicateurs dont nous devons assurer le suivi. Parmi eux figure le solde financier du système de retraite sur 25 ans. Pour réaliser nos projections financières, nous utilisons les hypothèses démographiques de l'Insee. Nous tenons compte de l'ensemble du cadre juridique existant. Enfin, nous envisageons différents scénarios économiques : d'une part, plusieurs niveaux de croissance des revenus d'activité, dans une fourchette allant de 1 à 2 % de croissance ; d'autre part, un taux de chômage qui est selon les cas de 4,5 ou de 7 %. Le COR ayant été régulièrement critiqué pour son volontarisme sur les chiffres du chômage, nous avons décidé pour la première fois d'envisager également les effets d'un taux de chômage qui se maintiendrait durablement à 10 % de la population active. Nous obtenons ainsi toute une série de projections possibles, dont la plus favorable envisage une croissance des revenus d'activité de 2 % et un taux de chômage de 4,5 % et la moins favorable une croissance des revenus d'activité de 1% et un taux de chômage de 10 %.

A court terme, nous sommes tenus juridiquement de nous baser sur les hypothèses économiques retenues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. Ces hypothèses demeurent incertaines, ainsi que l'a rappelé dans son avis le Haut Conseil des finances publiques.

A court terme, le résultat de nos projections montre que le besoin de financement du système de retraite serait compris entre 7 et 9 milliards d'euros, soit entre - 0,3 et - 0,4 % du PIB à horizon 2018, dont environ 1,4 milliard et 5,5 milliards de déficit respectivement pour les régimes de base et les régimes complémentaires. Par construction, le régime de retraite des fonctionnaires, qui relève du compte d'affectation spécial « Pension », est à l'équilibre. Toutefois, le COR essaie de mettre en lumière l'effort supplémentaire auquel devra consentir l'Etat pour équilibrer ce régime en 2018 à hauteur de 2 milliards d'euros.

Le solde financier du système de retraite dépend de trois grands indicateurs : le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités, le taux de prélèvement global et la pension moyenne de l'ensemble des retraités. Le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités diminue continûment et la baisse s'est accélérée depuis 2006 avec le départ à la retraite des générations nombreuses du baby-boom. La hausse de la pension moyenne s'explique par des effets de structure : des revenus plus élevés et l'augmentation du taux d'activité des femmes expliquent que les jeunes retraités bénéficient de pensions plus importantes que celles des générations précédentes. Il faut aussi tenir compte de la diminution de la part du non-salariat dans l'économie, ainsi que du développement des régimes complémentaires.

En termes de prévisions à court terme, la baisse du nombre de cotisants va se poursuivre mais à un rythme plus ralenti, en raison des effets de la réforme des retraites de 2010. Le taux de prélèvement global a connu une très forte hausse ces dernières années, et il devrait augmenter encore légèrement puis stagner dans les années à venir. Enfin, le rapport entre la pension moyenne et les revenus d'activité devrait connaître une légère baisse car les pensions augmenteront moins rapidement que les salaires.

Il est important de décomposer le déficit des régimes de retraite entre déficit conjoncturel et déficit structurel. L'analyse du déficit ces dernières années montre que celui-ci était structurel dès 2006 en raison des premiers effets du papy-boom. La dégradation du solde a culminé en 2010 puis a été réduite grâce aux différentes réformes des retraites adoptées à partir de cette date, notamment les hausses de cotisations et le relèvement de l'âge légal de 60 à 62 ans. A partir de 2017, le relèvement de l'âge légal à 62 ans sera terminé et le déficit structurel repartira à la hausse dès 2018. A l'heure actuelle, le déficit est aussi en partie conjoncturel. A plus long terme, nous analysons uniquement le déficit structurel puisque nous nous basons sur différentes estimations possibles de la croissance potentielle du pays.

Si nous nous plaçons à présent à l'horizon 2060, nous voyons que le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités diminuera plus ou moins en fonction du taux de chômage. Le taux de prélèvement global diminuerait légèrement pour des raisons de structure, car la masse salariale du secteur public serait moins dynamique que celle du secteur privé. Le plus marquant est la baisse des pensions par rapport aux revenus d'activité et cette baisse sera par construction d'autant plus importante que les salaires augmenteront : ce phénomène résulte du choix d'indexer les pensions sur les prix.

Un des principaux facteurs explicatifs de l'évolution du ratio entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités est l'âge effectif de départ à la retraite des Français. Cet âge dépend des relèvements de l'âge légal, des hausses de la durée de cotisations et des hypothèses de comportements des individus. Aujourd'hui, cet âge effectif est environ de 61 ans. En 2018, il devrait être de 62 ans. Sous l'effet des réformes de 2010 et de 2014, il devrait atteindre 64 ans en 2040. Il n'évoluerait plus au-delà de 2040 en cas d'absence de nouvelles réformes. Les ressources consacrées au système de retraite resteraient stables aux environs de 13,5 % du PIB. La part des dépenses dans la richesse nationale sera en revanche très sensible à la croissance des revenus d'activité : plus ceux-ci connaîtront une croissance élevée, plus la part des pensions dans le PIB sera faible.

L'analyse de nos projections montre la sensibilité du système de retraite à la croissance. Si les scénarios les plus favorables se réalisent, le système reviendrait à l'équilibre, voire connaîtrait des excédents à partir de la deuxième moitié des années 2020. L'impact du taux de chômage est nettement moins important que celui de la croissance des revenus d'activité. Un taux de chômage se maintenant à 10 % à long terme entraînerait par exemple un creusement du déficit du système de retraite de 0,1 % du PIB en 2020 alors qu'1 % d'incertitude sur la masse salariale du secteur privé représente un aléa de 5,5 milliards d'euros pour les ressources du régime général !

Les projections que nous venons de vous montrer doivent servir au Comité de suivi des retraites pour formuler des recommandations ainsi qu'aux décideurs, afin de leur permettre de réfléchir aux meilleurs moyens de ramener notre système vers l'équilibre financier. Dans tous les cas de figure, il faudra faire des choix : comment revenir à l'équilibre si la situation financière n'est pas favorable ? Si l'équilibre est atteint, cet équilibre sera-t-il satisfaisant du point de vue de l'équité ? Si le système enregistre des excédents, comment seront-ils redistribués ? Pour répondre à ces questions, il convient de regarder attentivement les trois indicateurs que je vous ai détaillés au cours de mon intervention.

Il n'existe pas de consensus sur les mesures à prendre mais nous avons un ordre de grandeur de l'impact financier des différents leviers à disposition des décideurs publics. Ainsi, relever d'un an l'âge effectif du départ à la retraite améliore le solde du système de 0,6 % du PIB pour l'année 2040. Le pilotage du système doit en tout état de cause tenir compte du double objectif de pérennité financière et d'équité.

M. Jean-Noël Cardoux, président . - Comme vous l'avez bien compris, mes chers collègues, cette audition, contrairement à celle de la semaine dernière, ne porte nullement sur la gestion des régimes, mais uniquement sur les projections financières du système de retraite, dans une démarche prospective. Je cède la parole à notre rapporteur général, qui a un certain nombre de questions à vous poser.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Le déficit du système de retraite français représentait - 0,4 % du PIB en 2013 (soit 7,9 milliards d'euros). Il devrait s'établir, année après année, entre - 0,3 % et - 0,5 % du PIB d'ici 2020, sous réserve que les prévisions de croissance « optimistes » du Gouvernement se vérifient. Etait-il suffisant de prévoir, comme l'a fait la loi du 20 janvier 2014, une augmentation de la durée d'assurance nécessaire à l'obtention d'une retraite à taux plein uniquement à partir de 2020 ?

Peut-on se contenter d'un très hypothétique retour à l'équilibre du système dans la deuxième moitié des années 2020 ? Ne faut-il pas prévoir une accélération du calendrier de la montée en charge des mesures prises en 2010 et 2014 voire envisager une nouvelle réforme plutôt que de laisser les déficits s'accumuler pendant dix ans ?

Les effets à long terme de la crise qui a débuté en 2008 sur la croissance potentielle de notre économie sont très difficiles à évaluer. Néanmoins, la plupart des économistes semblent pencher pour une dégradation. Dès lors, ne pensez-vous pas que vos scénarii C et C' sont les plus probables, ce qui pourrait entraîner un déficit du système de un peu plus de 1 % du PIB en 2040 et de un peu plus de 1,5 % du PIB en 2060 ? Un nouveau report des bornes d'âge n'est-il pas nécessaire pour éviter une telle situation ? Ou faut-il augmenter les taux de cotisations, mais n'a-t-on pas atteint un plafond qu'il serait dangereux de dépasser avec un taux de prélèvement global de 30 % de la masse des revenus d'activité bruts ? Faut-il baisser les pensions ?

M. Philippe Mouiller . - Je voudrais tout d'abord souligner que, pour beaucoup d'entre nous, les hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement dans la construction des textes financiers pour 2015 sont bien trop optimistes par rapport à la réalité de la situation économique. Avez-vous intégré dans vos projections l'incidence du compte pénibilité ainsi que celui du dispositif de départ anticipé pour carrières longues ?

M. Georges Labazée . - Nous nous sommes beaucoup focalisés, ces dernières années, sur l'impact du baby-boom sur le système de retraites. Dans vos projections, qui prévoient un taux de natalité constant, comment est-il pris en compte ?

M. Olivier Cadic . - Quelles sont les projections en termes d'allongement de la durée de vie ?

Mme Nicole Bricq . - Je voudrais revenir sur le modèle économétrique retenu. Il y a deux paramètres importants : le taux de chômage et la productivité, dont les indicateurs se dégradent. Quels que soient le système et le pays considéré, tous les économistes ont une interrogation sur la croissance potentielle, très faible par rapport aux schémas économiques classiques qui l'évaluent normalement pour la France de l'ordre de 1,8 à 2 %. Or la croissance potentielle est beaucoup plus faible. Comment intégrez-vous ce paramètre dans un modèle de long terme dont les paramètres conjoncturels sont par définition absents ?

M. Pierre-Louis Bras, président du COR. - Vous avez bien anticipé que je ne serais pas en mesure de répondre à toutes vos questions, en particulier celles qui supposent de notre part une prise de position. Le rôle du COR est d'ouvrir le champ des possibles et de proposer une boite à outils aux décideurs sur les effets des décisions sur les différents paramètres que sont l'âge effectif de départ, le montant des prélèvements, le niveau des pensions moyennes.

Quelles que soient les réformes structurelles dans l'agencement des régimes et la manière dont on organise le système de retraite, ces questions sont sous-jacentes.

Pour le long terme, la mission du COR n'est pas de faire des prévisions, personne n'en est capable, mais de faire des projections en fonction de la palette, large, définie par les partenaires sociaux.

Le compte pénibilité n'a pas été intégré dans les comptes.

Les effets du baby-boom, qui ont commencé à se faire sentir en 2005 pour une période de 30 ans, sont bien évidemment intégrés dans le modèle. Le ratio entre cotisants et retraités baisse puis se stabilise en fin de période de projection : à l'horizon 2050, on en a fini avec les effets du baby-boom mais pas avec ceux de l'allongement de la durée de vie et donc du temps passé à la retraite si l'âge de départ n'évolue pas.

Parmi les indicateurs qui seront fournis en juin, figureront des éléments de projection relatifs aux années passées à la retraite.

A partir de 2018, la prise en compte par le modèle d'éléments conjoncturels n'aurait pas de sens. La projection pour la productivité du travail permet la détermination d'un scénario de croissance associé puisque la croissance potentielle équivaut à la productivité du travail, elle-même égale au nombre d'heures travaillées par tête que multiplie le nombre de têtes. Si l'on considère que la durée du travail par tête est stable, l'augmentation de la productivité tient à la croissance de la population active.

M. Yves Guégano, secrétaire général du COR. - Je comprends les interrogations sur les hypothèses. Je suis, comme vous, incapable de prévoir la croissance économique à long terme. La question est aussi de savoir, lorsque le pilotage d'un système dépend très fortement d'un paramètre que l'on est incapable de prévoir, comment faire en sorte que le système de retraites soit beaucoup moins dépendant de la croissance économique. Je voudrais indiquer que la séance du Conseil de février sera ainsi consacrée aux modes de revalorisation des pensions, un élément qui contribue à accroitre l'incertitude, tant sur la situation financière que sur le montant des pensions.

Pour ce qui concerne le dispositif de départ anticipé pour carrières longues, il n'y a pas de distinction des effets de chacun des dispositifs. Compte tenu des critères d'éligibilité et de l'allongement de la durée d'assurance, de moins en moins de personnes pourront y avoir recours. Cette proportion est estimée à 5 % à l'horizon 2040, régimes spéciaux et catégories actives compris.

Le COR retient dans ses projections l'hypothèse centrale de taux de fécondité de l'Insee, qui est de 1,95 enfant par femme.

Dernier point important, lorsqu'on considère les gains d'espérance de vie, c'est aux âges élevés qu'elle est décisive pour le système de retraite. A l'âge de 60 ans, le gain d'espérance de vie est d'environ un an tous les 10 ans. C'est une évolution très importante : 5 ans de durée supplémentaire de retraite à l'horizon 2050.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Notre objectif est de maîtriser le modèle pour parvenir à l'équilibre. Le tableau que vous nous avez fourni à l'horizon 2040 est très intéressant mais il le serait encore davantage à plus court terme, à l'horizon 2020. Un tableau actualisé tous les trois ans serait utile aux parlementaires.

M. Yves Guégano, secrétaire général du COR. - Il serait même encore plus intéressant d'avoir ce type d'ordre de grandeur chaque année. Nous avons construit un outil, que nous pourrons vous communiquer, qui permet de mesurer les effets des variations des différents paramètres. Il faut aussi noter que le relèvement des bornes d'âge a plus globalement d'autres effets sur les comptes sociaux.

Mme Annie David . - Dans les pistes à explorer, on peut évoquer l'égalité salariale entre les hommes et les femmes. Le COR pourrait explorer de nouvelles pistes au-delà des paramètres connus.

M. Pierre-Louis Bras, président du COR. - L'évolution du salaire moyen peut comprendre des évolutions différentielles mais on ne peut pas déconnecter l'évolution moyenne des salaires de celle de la productivité.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - De toute façon, cette évolution se traduirait aussi, certes de manière différée, par un surcroît de prestations.

M. François Fortassin . - Je voudrais souligner que le paramètre du taux de remplacement est celui qui intéresse le plus nos concitoyens et que l'âge de départ doit tenir compte de la pénibilité du travail.

M. Pierre-Louis Bras, président du COR. - Dans le rapport, vous pourrez trouver sept cas-types qui permettent de visualiser le taux de remplacement en fonction du niveau de salaire et des perspectives de carrière à législation constante.

Mme Élisabeth Doineau . - Vous nous avez fourni des indicateurs de suivi alors que nous aurions souhaité des indicateurs de performance sur la pérennité du système de retraites.

Audition de Mme Monika Queisser, chef de la division
des politiques sociales de l'Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE) sur les réformes
et le pilotage des régimes de retraite en Europe

(mercredi 21 janvier 2015)

M. Jean-Noël Cardoux, président . - Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre Mme Monika Queisser, cheffe de la division des politiques sociales de l'OCDE, et qui est également membre du COR. Les pays développés font face aux mêmes défis structurels (allongement de la durée de vie et vieillissement de la population) mais aussi à des difficultés conjoncturelles similaires qui pèsent sur nos systèmes de retraite. Bien que la diversité des systèmes de retraite d'un pays à l'autre rende difficiles les comparaisons, il est intéressant que Mme Queisser nous dresse un panorama des pays européens. Merci d'avoir répondu à notre invitation, je vous laisse la parole.

Mme Monika Queisser. - C'est un petit voyage autour du monde auquel je vous invite au travers de ce panorama des systèmes de retraite des différents pays de l'OCDE.

Les Etats de l'OCDE ont mis en oeuvre des réformes de leurs systèmes de retraite selon cinq axes principaux :

- beaucoup de pays ont mis en oeuvre des réformes visant à assurer la viabilité des systèmes de retraite, et ce, dès avant le début de la crise économique que nous traversons ;

- les réformes ont pour but d'assurer l'adéquation des prestations de retraites ;

- un certain nombre de réformes ont été mises en oeuvre afin d'inciter les travailleurs à rester plus longtemps dans l'emploi et, notamment dans les pays où la capitalisation est importante, à épargner suffisamment durant leur vie active ;

- les différents pays de l'OCDE ont également cherché à améliorer l'efficience administrative des systèmes de retraite afin de réduire les coûts de gestion ;

- enfin, un certain nombre de mesures visent à diversifier les sources de revenu à la retraite. La situation actuelle et la faiblesse des taux de rendement remettent en question les politiques qui avaient conduit dans certains pays à privilégier les systèmes par capitalisation.

Avant d'aller plus loin, je rappelle que l'espérance de vie s'allonge dans tous les pays de l'OCDE. Les projections permettent d'espérer un maintien de cette tendance jusqu'en 2060. En 2060, une personne âgée de 65 ans aura une espérance de vie supérieure de cinq ans à celle d'une personne de cet âge aujourd'hui. La France se classe particulièrement bien, même s'il existe une importante disparité entre les hommes et les femmes.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que la perception de la « vieillesse » varie de manière notable d'un pays à l'autre. Un sondage Eurobaromètre de 2012 montre que les Allemands considèrent qu'on est « vieux » à partir de 60 ans, contre 65,9 ans pour les Français et 70,4 ans aux Pays-Bas.

La comparaison des taux d'emploi des 55-59 ans et des 60-64 ans est également intéressante. La France a par exemple un taux d'emploi des 55-59 ans proche de la moyenne de l'OCDE (environ 70 %), mais ce chiffre baisse considérablement pour la tranche d'âge suivante (environ 20 % contre près de 50 % en moyenne).

J'en viens aux réformes visant à assurer la viabilité financière des systèmes de retraite. L'âge légal de départ est traditionnellement l'outil le plus utilisé en raison de sa simplicité. Ce n'est toutefois pas la variable la plus facile à faire évoluer, en raison de sa simplicité même, qui la rend particulièrement sensible dans les opinions publiques. De même, très peu de pays ont baissé le niveau nominal des retraites (par exemple la Grèce, ou le Portugal, avant que cette mesure ne soit annulée par les juges).

Les modifications des modalités de calcul des droits sont en revanche moins facilement compréhensibles et suscitent par conséquent souvent moins d'oppositions politiques. Il peut s'agir des règles définissant le salaire de référence ou encore les règles d'indexation des pensions. L'indexation sur les salaires a largement été abandonnée au profit d'une indexation sur les prix. Récemment, les pays ont joué sur les modalités de cette indexation bien que le faible niveau de l'inflation limite les économies ainsi réalisées.

Au cours des dernières années, on a pu observer la fin de programmes de retraite anticipée, qui avaient souvent été utilisés en réponse à la dégradation de la situation de l'emploi au cours des dernières décennies (allocation équivalent retraite en France, utilisation des dispositifs d'incapacité en Allemagne par exemple). Cet outil n'a ainsi pas été utilisé au cours de la dernière crise. Les nombreuses études démontrant notamment un effet négatif sur la qualité de la main d'oeuvre semble ici avoir eu un impact.

Les projections de l'OCDE et la comparaison avec les projections réalisées par le passé montrent que les réformes mises en oeuvre ont souvent permis de limiter l'augmentation tendancielle de la charge des retraites par rapport au PIB. Ce n'est cependant pas le cas partout, et notamment pas en France.

Diverses mesures ont été adoptées dans le but d'améliorer l'adéquation des prestations versées aux besoins. Au début de la crise, et avant que les difficultés budgétaires ne rendent ces mesures insoutenables, plusieurs pays ont mis en oeuvre des allocations exceptionnelles pour faire face à la chute des revenus des ménages âgés. Par la suite, les pays ont cherché à cibler davantage leurs dépenses en augmentant le nombre de prestations sous condition de ressources.

Les formules de calcul ont également été modifiées afin de renforcer la progressivité des taux de remplacement. Les Etats-Unis et la Suisse sont des exemples de pays dans lesquels le taux de remplacement décroît fortement avec le niveau de revenu.

Enfin, on a pu récemment observer un ciblage sur les bas revenus, par exemple au travers de mécanismes d'indexation graduée.

Au cours des dernières décennies, le risque de pauvreté s'est largement déplacé des personnes âgées vers les jeunes. Le taux de pauvreté des plus de 75 ans s'est ainsi largement réduit et est aujourd'hui proche du taux de pauvreté global. A l'inverse, le taux de pauvreté des moins de 26 ans a nettement progressé. Cette évolution permet d'expliquer en partie que le débat sur le partage des efforts entre les générations ait évolué au cours des dernières années.

Un certain nombre de mesures visant à inciter les personnes à travailler plus longtemps ont été développées par les pays de l'OCDE. On peut évoquer les mécanismes de surcote/décote, la fin des mécanismes de retraite anticipée déjà évoquée ou encore des incitations de nature fiscale. Les mécanismes de retraite partielle sont délicats à manier car ils peuvent entraîner une réduction du salaire de référence et, partant, du niveau de la pension. Ces dispositifs nécessitent donc une réflexion sur les modalités de calcul des droits à la retraite.

Parallèlement, et peut être paradoxalement, certains pays (France, Allemagne notamment) ont adopté des mesures de baisse de l'âge de départ à la retraite pour les carrières longues. Si ces mesures peuvent se justifier, les études menées en Allemagne montrent cependant que ces mesures ne bénéficient pas nécessairement à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir ceux qui ont eu une carrière pénible, précaire ou interrompue.

Par ailleurs, l'étude de l'écart entre l'âge légal (actuel et à long terme) et l'âge effectif de départ à la retraite montre que des évolutions importantes du marché du travail sont nécessaires pour que les réformes de l'âge légal aient un impact sur l'équilibre financier global du système de protection sociale.

De nombreux efforts ont par ailleurs été faits dans le sens d'une amélioration de l'efficience administrative des régimes de retraite. La recherche d'une baisse des coûts de gestion est notamment passée par des fusions entre régimes ou entre caisses, l'exemple extrême étant celui de la Grèce. On constate en effet que les réflexions sur l'unification des régimes progressent dans l'ensemble des pays, et que le régime distinct dont bénéficie le secteur public fait de plus en plus débat. On peut noter que les pays dans lesquels il existe une séparation complète entre les régimes (c'est-à-dire des caisses, des règles de calcul et des prestations distinctes), parmi lesquels la France et l'Allemagne, constituent une minorité au sens de l'OCDE. Le débat sur l'harmonisation des systèmes de retraite au sein des modèles nationaux sera, selon l'OCDE, un des grands sujets de débat à l'avenir. Au-delà des économies de gestion, une plus grande harmonisation favorise par ailleurs la lisibilité du système et la mobilité des travailleurs.

Des mesures visant à plus de transparence ont également été mises en oeuvre. Une simplification des démarches, dont le chèque emploi service en France est un exemple, permet de réduire l'emploi non déclaré (souvent en raison de la complexité des formalités administratives), et donc d'augmenter les recettes des régimes basés sur les cotisations.

Les régimes de retraite des pays de l'OCDE ont enfin été marqués par une diversification des sources de revenu des retraités. Il existe en la matière une grande disparité entre les pays. La France se distingue par des revenus du travail particulièrement faibles (alors que cette part est conséquente aux Etats-Unis ou en Corée notamment), mais des revenus du capital (épargne financière et revenus locatifs) plus importants. Ce phénomène s'explique par le large recours aux assurances-vie, et plus généralement par le niveau de l'épargne. Les revenus du capital sont même relativement plus élevés en France qu'en Allemagne malgré les incitations à l'épargne retraite individuelle qui y ont été mises en oeuvre (réformes Riester).

Avant de conclure ma présentation, je souhaiterais lister les défis identifiés par l'OCDE pour l'avenir :

- la situation financière des systèmes de retraite est tributaire de la reprise de la croissance économique et de l'amélioration de la situation de l'emploi, dont les aléas pèsent sur les rentrées de cotisations ;

- dans les systèmes de capitalisation, la remontée des taux de rendement est également nécessaire ;

- des évolutions sur le marché du travail, notamment une hausse du taux de participation des seniors sur le marché du travail, sont également indispensables ;

- la crise a entraîné une perte de confiance dans les marchés financiers, notamment dans les pays d'Europe de l'Est qui ont alors été tentés de revoir l'articulation de leurs systèmes de retraite entre répartition et capitalisation ;

- l'OCDE prévoit par ailleurs une évolution des débats nationaux sur le juste partage des efforts entres les générations. La situation à cet égard est différente d'un pays à l'autre, notamment au regard des disparités dans le processus de vieillissement de la population.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Le système de retraite français vous paraît-il plus ou moins soutenable par rapport à celui de nos voisins européens ? Un recul progressif de l'âge de la retraite de 62 ans à 64 ans vous paraîtrait-il une mesure raisonnable pour ramener durablement à l'équilibre notre système de retraite ? Comment réduire les coûts de gestion des régimes de retraite ? Sont-ils trop nombreux en France ? Enfin, le modèle suédois de régime en comptes notionnels, souvent présenté comme un exemple, a-t-il bien résisté à la crise économique ?

M. Yves Daudigny . - Je vous remercie également pour cet exposé très pédagogique - et c'est un enseignant qui le dit. Vous avez expliqué que le risque de pauvreté s'était déplacé des seniors vers les jeunes au cours des dernières décennies. Peut-on, selon vous, craindre que ce risque de pauvreté ne remonte parmi les seniors compte tenu de la conjoncture actuelle et des tensions sur les régimes de retraite ?

Mme Monika Queisser . - En ce qui concerne la soutenabilité des régimes de retraite, l'OCDE n'est pas en mesure d'effectuer des calculs pour l'ensemble des pays membres. Les chiffres que je vous ai présentés sont essentiellement ceux du Gouvernement français. L'OCDE est toutefois particulièrement attentive au coin fiscal et social, d'autant plus que les cotisations ne servent pas uniquement à couvrir les pensions de retraite, mais également l'ensemble des risques de la protection sociale. Certains pays choisissent d'ailleurs d'arbitrer entre les risques, à l'image de l'Italie qui favorise clairement le risque vieillesse au détriment, notamment, du chômage. Par ailleurs, la soutenabilité des régimes de retraite est largement tributaire de la situation sur le marché du travail.

Concernant le recul de l'âge légal, il est important de noter que la France se caractérise par un important écart entre l'âge légal et l'âge effectif de départ à la retraite. L'âge effectif est relativement bas en France, alors que l'espérance de vie se situe au-dessus de la moyenne. Il y a là une marge de progression importante, indépendamment de la question d'un report de l'âge légal.

Mme Élisabeth Doineau . - Et pourtant le chômage des plus de 55 ans est déjà particulièrement élevé...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Pendant longtemps, on a cherché à partager le travail, notamment au travers des préretraites.

Mme Monika Queisser. - Effectivement. Mais on ne peut pas raisonner comme si le travail pouvait se partager, et comme si les jeunes et des seniors étaient interchangeables. C'est mal connaître la réalité du marché du travail. La France cumule en effet un âge effectif de départ à la retraite bas, avec un chômage des jeunes très élevé, problème structurel qui n'est pas lié à la crise. Pendant longtemps, le débat s'est concentré en France sur la seule variable de l'âge. En Allemagne, c'est le taux de cotisations qui préoccupe le plus l'opinion publique. Une limite à 22 % a d'ailleurs été adoptée sans que la justification économique de ce chiffre soit tout à fait claire. Ailleurs, c'est le taux de remplacement qui est au centre des préoccupations.

La problématique des coûts de gestion concerne davantage les systèmes privés. La plupart des pays ont néanmoins engagé des réformes de leurs systèmes publics. La France se situe, avec la Grèce et le Japon, dans le trio de tête des pays où les systèmes sont les plus fragmentés, le nombre de régimes différents y est extrêmement élevé. Il y a là des sources d'économies mais les gains à attendre ne sont pas de nature à sauver un système de retraite.

L'harmonisation des régimes est d'autant plus nécessaire que le modèle de la carrière linéaire au sein d'une même entreprise n'existe plus.

Le modèle suédois a subi lui aussi la crise économique. Il se caractérise par un allongement progressif de la durée de cotisation qui reste toutefois inférieur à la progression de l'espérance de vie. Chaque génération peut donc espérer une retraite plus longue que la précédente, ce qui permet au système d'être relativement bien accepté. Toutefois, le système suédois prévoit également une modulation des pensions en fonction du niveau des réserves. Cette règle a fait l'objet d'assouplissements en raison des tensions fortes qui se sont exercées sur les réserves des caisses de retraite avec la crise économique.

En ce qui concerne la pauvreté des seniors, il existe effectivement un risque que les progrès enregistrés ces dernières années soient effacés. Cependant, de nombreux pays de l'OCDE ont mis en oeuvre des politiques ciblées pour prévenir ce risque.

M. Georges Labazée . - La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) à indique que l'espérance de vie en France a tendance à se stabiliser, voire à décroître très légèrement dernièrement. La situation est probablement différente d'un pays à l'autre de l'OCDE, mais ne devons-nous pas nous attendre à la fin de l'allongement continu de l'espérance de vie ?

Mme Monika Queisser. - Il s'agit d'un réel débat au sein de la sphère médicale. Toutefois, la médecine progresse et l'implantation réussie d'un coeur artificiel en a fourni un exemple récent. L'atténuation de l'écart d'espérance de vie entre les hommes et les femmes, qui s'explique en partie par le fait que les femmes ont de plus en plus souvent des comportements à risques, contribue aussi à ralentir l'allongement de l'espérance de vie moyenne.

M. Jean-Noël Cardoux, président . - Il n'y a pas d'autres questions, je vous remercie de votre exposé.

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