Première table ronde
Première table ronde
Le tourisme dans les outre-mer
Un secteur tributaire des politiques publiques
et exposé aux défis environnementaux et climatique



sous la présidence de Monsieur Jean-Pierre Philibert
Introduction

Jean-Pierre PHILIBERT,
Président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM),
Président de la table ronde

Je vous présente ceux qui, à mes côtés, vont contribuer à animer la première table ronde. Claude Girault, directeur général adjoint des outre-mer et membre du conseil d'administration d'Atout France et président du cluster outre-mer, Tatiana Redon, responsable des relations institutionnelles et de la communication outre-mer Suez Eau, Nicolas Vion, président de la commission tourisme de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM) et président du groupement des hôteliers de Guadeloupe, Nicolas de Sèze, directeur général de l'Institut des missions d'outre-mer (IEDOM-IEOM), Isabelle Richard, adjointe à la sous-directrice tourisme de la direction générale des entreprises à Bercy et Yan Monplaisir, vice-président du Groupement des investisseurs hôteliers des départements d'outre-mer (GIHDOM) et président du groupe Monplaisir en Martinique.

Le premier réflexe, lorsqu'on parle de politiques publiques, est de se tourner vers le représentant de l'État, en l'occurrence Claude Girault. Nous voyons bien, y compris en matière environnementale, la somme des actions à entreprendre. Par exemple, le conflit en Martinique entre la mangrove, d'une part, et l'accès à la plage, d'autre part, empêchant un certain nombre d'hôteliers de faire du tourisme balnéaire. Dans ces conditions, la réglementation est-elle l'ennemie du tourisme ?

Première séquence


Le tourisme, un secteur d'activité exposé au risque climatique
et tributaire des politiques environnementales

Claude GIRAULT,
Directeur général adjoint des outre-mer

Merci Monsieur le président de me donner l'occasion de m'exprimer sur le sujet. Je peux vous rassurer directement sur le fait que la réglementation n'intervient pas pour empêcher le développement du tourisme mais bien au contraire pour le sécuriser. Vous évoquiez, dans votre propos introductif à la tribune, la qualité de nos territoires et de nos climats. C'est notre atout le plus remarquable, y compris quand le climat est rude. Vous avez eu la gentillesse d'évoquer mon rôle au sein du cluster outre-mer d'Atout France, où nous travaillons - pouvoirs publics, professionnels et collectivités - pour permettre aux clients des marchés européens de découvrir nos destinations sur les trois océans. La réglementation est l'un des atouts de la sécurité qui se développe dans nos territoires : sécurité sanitaire, environnementale. C'est une protection des joyaux que constituent nos territoires et nos plages. Lorsque ces joyaux sont attaqués par des phénomènes naturels, nous devons réfléchir ensemble à une meilleure protection.

Le sujet des sargasses revient en permanence. Il existe un travail scientifique de connaissance du phénomène, qui s'aggrave d'année en année. Est-ce l'un des éléments marquants du changement climatique attaquant nos territoires ? Face à cela, l'État n'a pas mis en oeuvre une réglementation mais s'est saisi d'une action concrète. La ministre de l'environnement et la ministre des outre-mer ont arrêté un plan sargasses, qui n'est pas suffisamment connu malgré toutes les publicités qui ont été effectuées. De plus, l'État travaille au sein du cluster avec les professionnels du tourisme et en partenariat avec les collectivités territoriales pour accompagner les plus fragiles d'entre elles, notamment d'un point de vue financier. La Haute autorité de santé publique (HAS) a rappelé également que le phénomène ne présentait pas de danger sanitaire majeur s'il était traité régulièrement. Toutes ces actions viennent protéger l'activité touristique, mais il ne faut pas baisser la garde et ne pas confondre une réglementation tatillonne avec ces dispositifs de protection.

Les « touristes-clients » viennent chercher dans nos destinations un environnement de sécurité sanitaire, ainsi qu'une capacité à aménager des environnements urbains protecteurs en cas de phénomènes climatiques. Ces questions sont essentielles, et il est nécessaire d'évaluer la réglementation pour mettre en place une activité touristique durable. À l'occasion de la COP21, la ministre des outre-mer réunira le 15 octobre prochain un atelier spécifique sur les outre-mer. L'ensemble des phénomènes de dérèglement climatique sont susceptibles de porter atteinte à la qualité de notre environnement et de nos territoires. L'une des réponses à y apporter est une activité publique correctement régulée.

Nous avons également besoin d'écouter ce que les professionnels nous disent. D'ailleurs, je participe tous les ans à vos travaux et échanges, qui enrichissent notre culture et nous permettent d'adapter la réglementation qui n'a pas pour but de vous empêcher d'agir mais de garantir la qualité de nos prestations.

Jean-Pierre PHILIBERT, président de la table ronde

Je ne conteste pas le rôle majeur de l'État pour lutter contre les sargasses et analyser les causes du phénomène. Je vois aussi les aides apportées à la replantation des massifs de coraux, et ces politiques vont dans le bon sens. Cependant, je reviens au sujet que j'évoquais précédemment. Alors que la mangrove ne semble pas particulièrement menacée aux Antilles françaises, nous constatons par moments une sorte d'opposition entre la défense de la mangrove et le développement du tourisme, comme s'il n'était pas fait confiance aux acteurs du tourisme pour respecter un environnement riche mais compliquant l'accès aux plages, par exemple en Martinique. Sur ce point, ne peut-on pas faire confiance aux opérateurs en acceptant les projets à la condition qu'ils soient respectueux de l'environnement ?

Claude GIRAULT, directeur général adjoint des outre-mer

Vous avez raison d'aborder la question sous l'angle de la responsabilité des acteurs, car le développement touristique respectueux de l'environnement constitue également l'une des pistes de progrès et de richesse. Rassembler les professionnels du secteur et les acteurs de défense de l'environnement pour les inviter à discuter et s'entendre est également une mesure essentielle.

Le tourisme n'est pas l'ennemi qui va ravager les territoires, mais l'allié qui va au contraire leur permettre de se développer. La mise en valeur et la protection de ces territoires va offrir aux touristes des raisons de fréquentation. Vous avez cité ces perles de nos territoires qui, si les professionnels n'y prennent garde, seront détruites. Pour ma part, je suis très confiant dans cette capacité des représentants de l'État et des élus locaux à dialoguer et à travailler de manière partenariale sur la protection de l'environnement et l'édiction de règles. Le président Magras a d'ailleurs cité tout à l'heure le rapport de la Cour des comptes sur le tourisme outre-mer qui incite à ces partenariats, tandis que l'État intervient pour faciliter le dialogue.

Titania REDON,
Responsable des relations institutionnelles et de la communication outre-mer
SUEZ Eau France

Bora Bora

Côté pile, une île célèbre dans le monde entier pour la beauté de son lagon, la beauté de ses plages et bien entendu la beauté de ses vahine .

Côté face, un défi que vous, élus, professionnels du tourisme, connaissez bien : fournir une eau de qualité, assurer l'assainissement.

Notre objectif à tous : poursuivre la démarche de préservation de la ressource ; innover pour garantir aux populations et aux touristes un environnement sain, respectueux du développement durable et assurer le développement économique.

L'eau : un défi économique, social et environnemental pour Bora Bora

À Bora Bora, le défi était immense. Pour relever ce défi : son maire depuis 25 ans, Gaston Tong Sang, que je remercie de la confiance qu'il nous accorde pour vous parler aujourd'hui de son engagement et de notre partenariat pour le développement durable de Bora Bora.

Un partenariat public-privé que je vous présente aujourd'hui pour la Polynésienne des eaux et Suez, mais aussi en tant qu'ultramarine, originaire des Raromata'i, dont fait partie Bora Bora.

Bora Bora - « perle du Pacifique » - est une petite île de 38 km 2 , peuplée de 9 600 habitants, avec peu de ressources en eau douce, et qui accueille chaque année 100 000 touristes venus du monde entier.

Des touristes attirés par ses plages de sable blanc, la limpidité de ses eaux de baignade, son récif de corail et ses poissons, la luxuriance de sa végétation, l'exotisme et le luxe de ses hôtels, la richesse de notre culture.

100 000 touristes dans une île dont les ressources en eau sont rares, c'est un triple défi : assurer l'approvisionnement en eau potable, voire en eau tout court, assainir les eaux usées, gérer les déchets pour protéger l'environnement.

Et lorsque je vous parle du manque d'eau dans nos îles c'est une situation que je connais bien : rentrer d'une journée à la plage, à la pêche, ou du travail et n'avoir pour douche qu'une bassine qui s'est remplie goutte par goutte, tout au long de la journée, c'est une situation encore courante en Polynésie.

Face à ce défi, Gaston Tong Sang imagine un cercle vertueux : une eau propre pour un lagon incomparable, un nombre de chambres limité dans des hôtels luxueux qui attirent les touristes internationaux. Des touristes qui assurent les ressources économiques nécessaires à Bora Bora pour donner à ses habitants des emplois stables.

Mais les investissements nécessaires sont lourds pour une petite commune : Gaston Tong Sang s'appuie donc sur des partenaires publics (Fonds européen de développement, Pays et État) et des partenaires privés, dont la Polynésienne des eaux.

La Polynésienne des eaux est une société locale, filiale de Suez, ce qui lui permet de bénéficier de l'expertise et de l'innovation d'un grand groupe, de ses moyens financiers, humains et techniques.

1989 : Peu d'eau courante, pas d'assainissement collectif

Lorsque Gaston Tong Sang devient maire en 1989, seul le village principal de Vaitape est alimenté en eau courante. Une eau provenant de sources et de l'exploitation d'une lentille d'eau douce de qualité médiocre, non potable. Le service souffre de nombreuses coupures d'eau, ce qui oblige les habitants à se doter de citernes individuelles alimentées par camion pompier.

Il n'y a pas d'assainissement collectif. L'assainissement autonome individuel est le seul système existant sur l'île. Cette absence de collecte et d'assainissement des eaux usées constitue un réel problème sanitaire, avec un impact important sur la ressource en eau, sur la santé des populations et à l'origine de pollutions du lagon dans les années 90.

1992 - 2000 : un réseau complet grâce au partenariat entre la commune de Bora Bora et la Polynésienne des eaux

Le réseau de distribution d'eau est finalisé dès 1992 grâce au partenariat avec Vaitehi - Polynésienne des eaux.

Pour faire face aux besoins actuels et futurs, les dix-neuf forages sont complétés par la construction d'une première usine de dessalement d'eau de mer en 2001 à Faanui, suivie en 2006 et 2007 d'usines ultra-modernes à osmose inverse, à Anau. Ces usines sont équipées de récupérateurs d'énergie qui leur permettent de réduire leur consommation d'énergie de moitié par rapport aux machines plus anciennes.

Ces installations, par leur capacité de production de 3 000 m 3 par jour, sont les plus importantes de France. Elles sont équipées de panneaux photovoltaïques pour limiter leur utilisation d'énergie fossile.

Le réseau de collecte et de transports des eaux usées est réalisé entre 1993 et 2000 par la Polynésienne des eaux.

Il comprend soixante-dix postes de refoulement et deux stations d'épuration biologique très performantes sur les sites de Povai et Faanui. 80 % de l'eau épurée est rejetée par deux émissaires dans l'océan. 20 % passent dans un réseau d'eau industrielle recyclée.

Premiers bénéficiaires : les habitants de l'île

Grâce à une structure tarifaire spécifique qui limite l'impact financier sur les habitants et prévoit une majoration raisonnable pour les hôteliers, les premiers bénéficiaires sont les habitants de l'île.

Les réseaux d'adduction et de distribution sont surveillés 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 par la Polynésienne des eaux : contrôle automatisé, recherche de fuite acoustique et gaz traceur, sectorisation automatisée... Cela permet de réduire les fuites, le gaspillage et d'obtenir un haut standard de rendement, meilleur que celui de communes de taille équivalente en métropole.

Cette gestion intégrée exemplaire de la ressource est récompensée par une Marianne d'or en 2007 pour « la gestion de la rareté de l'eau ».

Des rejets réutilisés et valorisés : le RE-USE au service de l'économie de l'île

En 2005, la station d'épuration de Povai installe un système de traitement tertiaire par membrane d'ultra-filtration. Il permet aujourd'hui de produire 600 m 3 par jour d'une eau recyclée de haute qualité, destinée à l'arrosage, à la protection incendie et aux usages industriels : nettoyage des sols des hôtels, lavage des bateaux et des engins de chantiers, béton de construction.

Cette usine est récompensée en 2005 par le 1 er prix du Trophée de l'innovation Suez dans la catégorie « développement durable ».

Les boues résiduaires sont traitées par rhizocompostage pour être valorisées en compost. Ce compost est utilisé intégralement pour fertiliser les sols coralliens pauvres des « motu » (îlots), les jardins des hôtels et des particuliers. Il présente un très grand intérêt écologique pour l'agriculture biologique, en plein essor dans les îles.

La Polynésienne des eaux traite également les lixiviats issus du centre d'enfouissement technique dans sa station de Faanui, après un prétraitement original combiné aux déchets graisseux.

Bora Bora et Polynésienne des eaux : un partenariat pilote en Polynésie...

Aujourd'hui Bora Bora est la seule commune de Polynésie à bénéficier d'un réseau d'assainissement complet. Elle dispose d'une eau de qualité, répondant aux attentes des consommateurs et atteignant un niveau avancé de préservation de l'environnement. Ses efforts sont reconnus par l'attribution en 2000 du prestigieux Pavillon bleu européen, renouvelé chaque année depuis quinze ans.

Ces réalisations concrètes ont été rendues possibles grâce au partenariat entre une commune, un élu, porteur d'un projet et d'une vision pour sa commune, pour sa population, et une entreprise qui réalise ce projet, gère le service et rend compte à la collectivité. La collectivité veille attentivement au respect des engagements de l'entreprise.

Bora Bora est la preuve qu'un développement économique et urbain performant est possible, respectueux de l'environnement et de l'identité culturelle de l'île.

Les hôtels, essentiellement haut de gamme, sont pour la plupart construits sur le concept du bungalow sur l'eau, dans le plus pur style polynésien. Les toitures en pandanus (plantes), obligatoires, perpétuent l'agriculture et le savoir-faire ancestral polynésien.

Les hôteliers de l'île participent à la protection de l'environnement en créant des lagonariums, des jardins de corail, des nurseries de poissons, de raies ou de tortues, pour le plus grand émerveillement des touristes et des élèves conviés à des visites pédagogiques.

Les hôtels installés sur les motu (îlots) sont reliés au réseau par des canalisations enfouies dans le sable, sous le lagon, sécurisées et invisibles.

... et une vitrine dans le Pacifique et dans le monde

Bora Bora s'est toujours montré à la pointe de l'innovation dans le domaine du développement durable. Et devient encore une fois un site pionnier en accueillant un site pilote « Osmosun » de dessalement d'eau de mer au fil du soleil, qui ne consomme aucune énergie carbonée et fonctionne sans batterie.

Après la première phase d'expérimentation sur Bora Bora, ce système est appelé à être testé en autonomie sur Maupiti. Ce procédé peut également intéresser les atolls des Tuamotu où le manque d'eau est un problème crucial.

Est également en cours une étude pilote pour exploiter la lentille d'eau douce du motu Tevairoa, prévue pour le mois prochain.

Grâce aux importants investissements réalisés dans le cadre des partenariats public/privé, l'île de Bora Bora est considérée comme un exemple en matière de gestion de l'eau et des déchets.

Sa réputation en matière de veille technologique et d'innovation dépasse les frontières de la Polynésie française. Bora Bora est un exemple, notamment dans le Pacifique.

En juillet dernier, les premiers ministres du Groupe des dirigeants Polynésiens sont venus à Bora Bora étudier les possibilités d'installations identiques, au bénéfice de leurs propres populations. Représentants de Tonga, Samoa, Tuvalu, Niue ou Tokelau, tous doivent relever le même défi de l'approvisionnement en eau et du réchauffement climatique qui fera l'objet d'une déclaration commune de ces pays et collectivités du Pacifique. Cette déclaration sera présentée à la COP21 en décembre à Paris.

Et je laisserai le mot de la fin au « tavana » (maire) de Bora Bora, je le cite :

« Popora te fanau tahi : Bora Bora la première née.

Bora Bora, une commune pilote :

1 ère en eau potable

1 ère en assainissement collectif des eaux usées

1 ère en eau industrielle

1 ère en traitement de graisses

1 ère en traitement de déchets.

En tant que maire de Bora Bora, je suis convaincu que le classement des destinations touristiques se fera désormais en fonction de la qualité de l'environnement et que le prochain défi portera sur santé en consommant des produits 100 % naturels. Bora Bora se lance déjà dans la course ».

Au nom de Gaston Tong Sang, tavana de Bora Bora, je vous invite à venir nous rendre visite dans cette si belle île, la Perle du Pacifique.

Mauruuru .

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