B. UN DISPOSITIF QUI AGGRAVE LES TENSIONS SUR NOS FORCES ARMÉES

La mobilisation des forces armées au lendemain des attentats répondait à une situation d'urgence. Néanmoins, l'inscription dans la durée de l'opération Sentinelle, dans le cadre de la création d'une « posture de protection terrestre » permanente pourrait contribuer à désorganiser le fonctionnement de nos forces armées.

Fin 2015, ce sont environ 70 000 soldats qui ont été engagés dans le cadre de l'opération Sentinelle. Une telle mobilisation soulève plusieurs difficultés.

Tout d'abord, en termes logistiques , comme l'a rappelé le général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre lors de son audition par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat 19 ( * ) : « il est sûr que si l'opération Sentinelle perdure, ce ne peut pas être sous la forme d'un plan Vigipirate renforcé. 7 000 hommes déployés dans la durée nécessitent d'adopter un autre mode de fonctionnement et de soutien, avec des installations dignes de nos soldats. Nos hommes comprennent parfaitement que, l'urgence primant, l'installation des tous premiers mois d'une opération, ici comme à l'extérieur, soit spartiate, ils sont entraînés pour ça. En revanche, à partir du moment où l'urgence fait place à la permanence, ils méritent des conditions décentes pour se reposer, s'alimenter et se détendre. Probablement faudra-t-il recréer des bases autour de Paris. Les sites existent : Satory, Vincennes, etc. Ces bases doivent pouvoir regrouper 1 000 hommes, afin qu'ils puissent mener une vie normale durant quatre à six semaines. Il serait paradoxal qu'ils soient mieux installés à Gao qu'à Paris ! ». Votre rapporteur spécial prend acte des mesures prises, tant en matière d'infrastructures opérationnelles que d'infrastructures de soutien aux unités engagées, qui se traduiront par la réalisation de travaux visant à l'amélioration et à la rénovation des bâtiments existants ainsi qu'à la construction de modulaires au sein des emprises existantes, pour une dépense de plus de 20 millions d'euros d'ici 2017.

Par ailleurs, les réquisitions administratives sollicitent fortement des personnels déjà sous tension . Le général Jean-Pierre Bosser a ainsi estimé que « compte tenu des effectifs actuels, tenir les contrats opérationnels, en incluant Sentinelle dans la durée, imprime un taux de rotation des unités trop important pour pouvoir s'entraîner et se remettre en condition de façon acceptable. Entre janvier et juin 2015, 40 000 soldats auront été engagés dans l'opération Sentinelle, auxquels il faut ajouter ceux qui se trouvent déployés hors de métropole. À cette cadence, et sans renforcement des effectifs, nos unités finiront par alterner les opérations extérieures et les opérations intérieures avec trop peu de temps entre les deux pour pouvoir se régénérer. En matière d'efficacité opérationnelle, ce rythme a un coût qu'il est possible d'absorber temporairement, grâce à la maturité de l'armée de terre et à l'expérience de ses soldats. Mais il n'est pas réaliste dans le long terme sans risquer de voir nos effectifs fondre rapidement ».

Lors de son audition par la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale 20 ( * ) , le général Arnaud Sainte-Claire Deville, commandant les forces terrestres, a quant à lui rappelé que pour pouvoir répondre aux exigences du contrat opérationnel, l'armée de terre a dû renoncer à certaines missions ou à certaines activités , en particulier :

- 18 compagnies et 3 000 hommes n'ont pas pu être déployés dans le cadre du dispositif outre-mer ;

- la préparation opérationnelle interarmes a « particulièrement pâti de cette nouvelle donne. De janvier à octobre de cette année, la quasi-totalité des rotations consacrées à la préparation opérationnelle interarmes dans nos centres a été annulée. Depuis le 7 janvier, la capacité à la manoeuvre interarmes des unités des forces terrestres décroît donc inexorablement ». Selon le général Arnaud Sainte-Claire Deville, une telle situation signifie que la France ne serait pas en mesure de renouveler une opération comme l'opération Serval « et qu'il serait très difficile d'engager dans l'urgence les forces terrestres sur un nouveau théâtre d'opérations extérieures. S'engager sur court préavis dans une opération non planifiée nécessite en effet de disposer d'un bon niveau d'entraînement interarmes que seule permet une préparation opérationnelle interarmes de qualité » ;

- s'agissant de la mise en condition avant projection, celle-ci « a été préservée mais uniquement au profit des unités destinées à être engagées sur les théâtres d'opérations les plus exigeants. Très clairement, notre priorité en termes de préparation opérationnelle demeure les opérations dures. Aussi l'accent est-il mis sur les unités engagées dans les opérations Barkhane et Sangaris. Les autres projections font l'objet d'une mise en condition avant projection réduite à l'essentiel ».

Par ailleurs, lors de déplacements sur le terrain, votre rapporteur spécial a pu constater que jusqu'à 8 % des effectifs de sous-officiers non projetables pouvaient être mobilisés pour l'exercice de tâches ne relevant pas de leurs missions régulières.

De même, dans le domaine terrestre, depuis l'attentat de Nice du 14 juillet 2016, près de 400 mécaniciens sont mobilisés dans le cadre des OPINT.

Si une telle mobilisation de nos forces relève du rôle normal du militaire, elle se traduit également par un impact sur les calendriers de maintenance déjà tendus du fait des opérations extérieures.

Certes, la décision de porter les effectifs de la force opérationnelle terrestre (FOT) de 66 000 à 77 000 soldats devrait permettre de réduire les tensions sur nos armées, pour autant, les effets de cette décision ne seront pas immédiats, compte tenu de la capacité nécessairement limitée de nos armées à intégrer les nouveaux recrutements .

Au total, votre rapporteur spécial considère que le volume des effectifs consacrés à l'opération Sentinelle devrait être progressivement diminué. Ceux-ci devraient en outre être concentrés sur la protection mobile de quelques sites particulièrement sensibles.


* 19 Audition du 8 avril 2015.

* 20 Audition du 17 novembre 2015.

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