III. LES ARGUMENTS EN PRÉSENCE

A. UNE NOUVELLE FORME D'ENTRAVE NUMÉRIQUE À L'IVG QUI NÉCESSITE UNE RÉPONSE PÉNALE

Les auteurs de la proposition de loi, le Gouvernement et le Haut-Conseil à l'Égalité justifient la mesure en mettant en avant le fait que la tentative d'entrave à l'IVG prend aujourd'hui de nouvelles formes sur Internet .

Tout en soulignant qu'une « opinion explicitement exprimée relève des principes de liberté d'expression et d'opinion qu'il ne s'agit pas de remettre en cause », ils soulignent qu'au contraire, « induire délibérément en erreur , intimider et/ou exercer des pressions psychologiques ou morales afin de dissuader de recourir à l'IVG, comme le font certains sites internet, se situe sur un tout autre terrain » 21 ( * ) .

Ainsi que l'a montré le rapport précité du HCE|fh sur l'accès à l'IVG, « on observe depuis quelques années une montée en puissance très importante de sites cherchant à tromper délibérément les internautes en se faisant passer, au premier abord, pour des sites purement informatifs ».

Les opinions anti-IVG de leurs auteurs ne sont « pas clairement affichées , voire délibérément masquées, et ces sites prennent une apparence utilisant les codes des sites officiels , par exemple en proposant des numéros verts d'information et en faisant référence à des « centres nationaux » d'aide et d'écoute ».

Or, ces sites sont susceptibles de délivrer à des femmes qui souhaitent obtenir des renseignements concrets sur le déroulement d'une procédure d'IVG, des informations de nature à les dissuader d'y recourir , en mettant l'accent sur des conséquences négatives d'une IVG sur les plans physiologique, psychologique, voire affectif et familial.

Ce constat est particulièrement alarmant quand on imagine les conséquences de ces informations sur des femmes vulnérables , et plus spécialement sur les jeunes filles.

Or, ces sites , très bien référencés , figurent souvent en tête des résultats affichés par les moteurs de recherche . Une recherche effectuée sur Google à partir du terme IVG a fait ressortir le site ivg.net en première place, avant celui du ministère de la santé, comme le montre la capture d'écran ci-dessous 22 ( * ) .

L'image ci-après 23 ( * ) montre l'apparence trompeuse du site ivg.net , qui utilise les codes graphiques de sites officiels , avec un numéro vert et la garantie supposée d'une information objective portant notamment sur une « aide aux démarches administratives » dont on peut supposer qu'elle concerne l'IVG, ce qui n'est pas toujours le cas. Selon le rapport du HCE|fh, ces sites n'indiquent pas, par exemple, les adresses des centres d'IVG.

On remarque par ailleurs que les sites ivg.net et avortement.net renvoient à la même plate-forme téléphonique . Selon le rapport du HCE|fh, « Le financement d'un numéro vert, d'une équipe d'animation de la ligne téléphonique, du site et des réseaux sociaux sont autant d'éléments qui semblent attester de moyens dédiés significatifs ».

Pour les auteurs de la proposition de loi, cette situation pose réellement problème quand on connaît l'importance des informations en ligne en matière de santé .

Le rapport précité du HCE|fh souligne que, parmi les 15-30 ans, plus de 57 % des femmes et près de 40 % des hommes utilisent Internet pour s'informer sur des questions relatives à la santé . En outre, 80 % des jeunes ayant eu recours à Internet pour des questions de santé estiment les informations recueillies comme étant le plus souvent crédibles . Il rappelle que « 10 % des 15-75 ans déclarent avoir modifié la façon de s'occuper de leur santé suite aux informations trouvées sur Internet. Cette proportion atteint un tiers (33,2%) des 15-30 ans ».

Selon les auteurs de la proposition de loi, en « se faisant passer pour ce qu'ils ne sont pas, ces sites détournent les internautes d'une information fiable et objective » ; ils « entravent aussi l'action des pouvoirs publics qui tentent de prodiguer une information claire et accessible quant aux conditions d'accès à l'IVG », ce qui a pour conséquence de « limiter l'accès de toutes les femmes au droit fondamental à l'avortement » 24 ( * ) .

Dans son communiqué de presse du 29 septembre 2016 relatif à l'amendement déposé au projet de loi « Égalité et Citoyenneté » (PLEC), la ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes fait valoir que « les manipulations, les informations faussées délivrées sur des sites qui se font passer pour neutres portent atteinte au libre choix des femmes. En effet, ces sites n'ont qu'un but : culpabiliser les femmes et les dissuader de recourir à l'IVG ».

De même, dans son communiqué du 28 septembre 2016 saluant l'amendement du Gouvernement, le HCE|fh relève que les sites concernés visent les jeunes femmes les plus démunies et les moins bien informées et, bien souvent, des mineures qui ne savent pas à qui s'adresser.

De plus, le HCE|fh estime que « l'extension à Internet du délit d'entrave à l'IVG contribue une brique essentielle à l'édifice bâti pour garantir le libre choix des femmes. Le délit d'entrave , institué en 1993 pour lutter contre les « commandos » réactionnaires qui agressaient ou tentaient de dissuader les femmes aux abords des centres IVG, doit s'adapter aux nouveaux usages numériques et aux stratégies développées ces dernières années par les lobbys opposés à l'IVG ».

Enfin, au cours de son audition par la délégation le 27 octobre 2016 , Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes a parfaitement rappelé les termes du débat :

- nécessité de préserver la liberté d'expression en ligne ;

- nécessité d'assurer aux femmes une information objective, a fortiori quand le site qu'elles consultent a toutes les apparences d'un site officiel et donc neutre.

Elle a souligné que les activistes anti-IVG « se déplacent au fur et à mesure que nous les délogeons » et « agissent désormais sur Internet ». « Soyons clairs, l'hostilité à l'IVG est une opinion que chacun est libre d'exprimer. Mais se dissimuler derrière de pseudo sites d'information pour attirer des femmes en recherche d'informations, notamment pratiques, et les faire douter de leur choix, c'est un irrespect absolu de la liberté de décision des femmes » 25 ( * ) .


* 21 Source : exposé des motifs de la proposition de loi.

* 22 Date : 2 décembre 2016.

* 23 Date : 30 novembre 2016.

* 24 Source : exposé des motifs de la proposition de loi.

* 25 Source : compte rendu de l'audition de Mme Laurence Rossignol par la délégation, jeudi 27 octobre 2016.

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