C. UNE ACTIVITÉ JURIDICTIONNELLE LOURDE, DES DÉLAIS DE JUGEMENT EXCESSIFS ET CROISSANTS

1. Une augmentation continue du nombre d'affaires civiles, mais une baisse du nombre d'affaires pénales poursuivables

Sur les dix dernières années, le contentieux civil et commercial 28 ( * ) est plus dynamique que le contentieux pénal. Ainsi, le nombre d'affaires nouvelles portées devant les tribunaux en matière civile et commerciale a augmenté de près de 5,5 % entre 2007 et 2015 , passant de près de 2,599 à 2,741 millions d'affaires, comme l'indique le tableau ci-après.

Évolution du nombre d'affaires portées devant les juridictions civiles
et commerciales entre 2007 et 2015

Source : commission des lois du Sénat à partir des chiffres clés annuels du ministère de la justice.

(1) Est concerné le champ de compétence civil du juge des libertés et de la détention.

(2) La baisse du nombre d'affaires relevant du juge de l'exécution devant le tribunal de grande instance est liée au transfert du contentieux de l'exécution au juge d'instance.

(3) Les affaires instruites par le juge des enfants correspondent à des mesures individuelles et répétées.

(4) Le stock des affaires devant les conseils de prud'hommes n'inclut pas les procédures courtes.

(5) Le périmètre des juridictions commerciales comprend les tribunaux de commerce, les tribunaux de grande instance à compétence commerciale des cours d'appel de Metz et Colmar, et les tribunaux mixtes de commerce outre-mer.

Cette hausse est différente selon les catégories de contentieux. Les juridictions les plus pourvoyeuses d'affaires en matière civile sont bien celles qui connaissent les augmentations de flux les plus marquantes : + 9,1 % pour les tribunaux de grande instance et + 6,4 % pour les tribunaux d'instance. Parmi les contentieux qui contribuent le plus à cette hausse, figurent ceux relevant du juge des libertés et de la détention, dont le champ de compétences a été particulièrement étendu depuis 2007 (+ 287,1 % d'affaires supplémentaires). Parmi les contentieux en baisse sur cette même période 2007-2015, votre mission a relevé les affaires nouvelles relevant des juridictions de proximité (- 24,3 %), des conseils de prud'hommes (- 4,5 %) et surtout des juridictions commerciales (- 24 %).

Au total, malgré une amélioration globale de la productivité des juridictions civiles et commerciales entre 2007 et 2015, mesurable par l'augmentation de 4,6 % du nombre des affaires clôturées chaque année, ces dernières sont toujours d'un volume inférieur au nombre d'affaires nouvelles portées chaque année devant les juridictions.

Cette situation conduit mécaniquement à une augmentation du stock des affaires des principales juridictions civiles sur la même période : + 26 % pour les tribunaux de grande instance, + 29 % pour les tribunaux d'instance et + 28,4 % pour les conseils de prud'hommes 29 ( * ) .

Enfin, sur la même période, les cours d'appel connaissent aussi une hausse importante, de l'ordre de 23,5 %, du nombre d'affaires civiles dont elles sont saisies, conduisant à une augmentation parallèle du stock d'affaires restant à traiter (+ 26,9 %), et ce malgré des efforts notables de productivité (+ 14,8 % d'affaires clôturées).

En matière pénale en revanche, le total d'affaires poursuivables a baissé de 14,4 % entre 2007 et 2015.

Évolution du nombre d'affaires poursuivables traitées par les parquets

2007

2010

2012

2015

Variation 2007-2015

Affaires poursuivables

1 476 535

1 402 671

1 379 086

1 264 619

-14,4%

Classement sans suite pour inopportunité des poursuites

241 597

163 039

152 333

153 667

-36,4%

Part des affaires poursuivables (en %)

16,4

11,6

11,0

12,2

Procédures alternatives réussies

490 434

527 530

547 678

463 960

-5,4%

Part des affaires poursuivables (en %)

33,2

37,6

39,7

36,7

Compositions pénales réussies

59 770

72 785

75 493

67 134

12,3%

Part des affaires poursuivables (en %)

4,0

5,2

5,5

5,3

Poursuites

684 734

639 317

603 582

579 858

-15,3%

Part des affaires poursuivables (en %)

46,4

45,6

43,8

45,9

Taux de réponse pénale (en %)

83,6

88,4

89,0

87,8

Source : commission des lois du Sénat à partir des chiffres clés annuels du ministère de la justice.

Sur ce total, votre mission a constaté que le taux de réponse pénale avait augmenté de presque quatre points entre 2007 et 2015, bénéficiant surtout aux compositions pénales (+ 12,3 %). À l'inverse, le nombre de poursuites et le nombre de classements sans suite sont respectivement en baisse de 15,3 % et 36,4 %, de même que le nombre des procédures alternatives aux poursuites, de façon toutefois plus modérée, de 5,4 % depuis 2007.

Quant au nombre de décisions rendues en matière pénale, il est globalement stable , mais ne rend pas compte des disparités selon les juridictions concernées , comme l'indique le tableau ci-après .

Évolution du nombre de décisions rendues en matière pénale

2007

2010

2012

2015

Variation 2007 - 2015

Cour de cassation

8 468

8 062

8 711

7 732

- 8,7%

Cours d'appel

100 377

103 684

103 516

101 633

1,3%

Cours d'assises

2 877

2 502

3 486

3 004

4,4%

Tribunaux correctionnels

577 196

577 970

646 888

611 825

6,0%

Tribunaux de police

75 889

66 523

60 463

46 605

- 38,6%

Juridictions de proximité

360 865

343 667

363 002

383 665

6,3%

Juges et tribunaux pour enfants

77 698

70 814

65 913

52 013

- 33,1%

Nombre total de décisions rendues en matière pénale 30 ( * )

1 203 370

1 173 222

1 251 979

1 206 477

0,3%

Amendes forfaitaires majorées

11 461 540

9 411 683

10 330 124

13 095 200

14,3%

Source : commission des lois du Sénat à partir des chiffres clés annuels du ministère de la justice.

Ainsi, les deux baisses les plus importantes concernent les tribunaux de police (- 38,6 %) et les décisions rendues par les juges et tribunaux pour enfants (- 33 %), alors que, par ailleurs, le nombre de décisions rendues par les cours d'assises et les tribunaux correctionnels augmente respectivement de 4,4 % et 6,0 %. L'application d'amendes forfaitaires majorées a également augmenté de plus de 14,3 % sur la période étudiée. Pour autant, votre mission constate que les juridictions pénales restent particulièrement engorgées, comme le montrent les statistiques relatives aux délais de traitement.

2. Des délais de traitement en constante augmentation au détriment de l'accès au juge

En matière civile, les statistiques publiées par le ministère sur moyenne et longue périodes concernant les délais de jugement ne permettent pas de connaître, sur la période antérieure à 2012, la durée moyenne de traitement du contentieux de droit commun. En effet, les chiffres présentés incluent toutes les affaires, dont les procédures courtes, comme le montre le tableau présenté ci-après, ce qui conduit à minorer le délai moyen de traitement.

Délai moyen de traitement des procédures civiles
(en nombre de mois et procédures courtes incluses)

2007

2010

2012

2015

Évolution
2007-2015

Toutes affaires

Référés

Toutes affaires

Référés

Toutes affaires

Référés

Toutes affaires

Référés

Toutes affaires

Référés

Cours d'appel

13,3

nc

11,2

1,6

11,8

1,6

12,2

2,2

- 8,27 %

nc

Tribunaux de grande instance

6,9

1,9

7,1

1,9

7,1

2

7

2,1

1,45 %

10,5 %

Tribunaux d'instance 31 ( * )

4,9

3,2

5,3

3,4

5

3,4

4,8

3,8

- 2,04 %

18,8 %

Conseils de prud'hommes

10,2

1,6

11,1

2

13,3

1,9

14

2

37,25 %

25,0 %

Tribunaux de commerce

5,5

1,5

5,3

1,5

5,4

1,8

5,3

1,9

- 3,64 %

26,7 %

Source : commission des lois du Sénat à partir des chiffres clés annuels du ministère de la justice.

Les évolutions mesurées grâce à ces chiffres ne semblent donc pas pertinentes à votre mission pour apprécier la réalité du délai moyen de traitement. Néanmoins, votre mission déduit de la progression du nombre d'affaires devant les juridictions civiles, corrélée à la hausse du stock d'affaires année après année devant ces juridictions , telles qu'elles ont déjà été évoquées, que les délais de jugement doivent augmenter sur la période 2007-2015 , et ce malgré la hausse du nombre de décisions rendues chaque année.

Cette analyse semble confirmée par les seules données disponibles hors procédures courtes, qui montrent, sur les quatre dernières années connues, une augmentation des délais de traitement.

Délai moyen de traitement des procédures civiles
(en nombre de mois et hors procédures courtes) 32 ( * )

2012

2013

2014

2015

Évolution 2012-2015

Cours d'appel

12,6

12,6

12,9

13,3

5,6%

Tribunaux de grande instance

10,5

10,5

10,7

10,8

2,9%

Tribunaux d'instance

6,6

6,4

5,8

5,9

-10,6%

Conseils de prud'hommes

13,1

13,7

15,7

16,6

26,7%

Tribunaux de commerce

8,1

8,8

8,5

8,4

3,7%

Source : commission des lois à partir des projets annuels de performances
de la mission « Justice » des années 2015 et 2017.

Ainsi, comme le montre tableau ci-dessus, en 2015, le justiciable doit ainsi patienter presque onze mois avant de voir son affaire jugée devant le tribunal de grande instance, six mois devant les tribunaux d'instance, et presqu'une année et demie devant les conseils de prud'hommes.

Ces délais sont des moyennes, et nombreuses sont les juridictions à les dépasser : à titre d'exemple, en 2015, presque 37 % des cours d'appel étaient dans ce cas, tout comme 27 % des tribunaux de grande instance et 15 % des tribunaux d'instance. Le principal problème est donc de parvenir à faire face au flux croissant des affaires nouvelles dans des délais raisonnables.

En matière pénale, sur la période 2007-2015, les délais de traitement des affaires sont également conséquents et en hausse , les procédures criminelles soumises aux cours d'assises ayant le délai d'achèvement le plus long. Plus de quarante mois sont nécessaires en moyenne en 2015 en première instance 33 ( * ) , soit plus de trois ans, délai en augmentation de près de 17 % sur la période considérée, auxquels il faut ajouter, le cas échéant, une moyenne de presque deux ans de procédure d'appel, en augmentation également de près de 18 %.

Délai moyen de traitement des procédures pénales 34 ( * )
(en nombre de mois)

2007

2010

2012

2015

Évolution
2007-2015

1 ère instance

Appel

1 ère instance

Appel

1 ère instance

Appel

1 ère instance

Appel

1 ère instance

Appel

Crimes

34,6

18,4

34,5

17,6

36,1

18,4

40,6

21,8

17%

18%

Délits

11,3

14,8

11,6

16,2

11,6

15,6

11,7

15,1

4%

2%

Contraventions de 5 e classe

10,5

13,4

10,2

13,2

10,2

12,8

11,5

11,3

10%

-16%

Source : commission des lois à partir des chiffres clés annuels du ministère de la justice.

Les délais sont plus courts - un an en moyenne en 2015 - devant le tribunal correctionnel, mais néanmoins eux aussi en augmentation : + 4 % en première instance. Le délai de traitement des contraventions de cinquième classe est également en hausse (+ 10% en première instance). Meilleures, les statistiques en appel sont à nuancer selon votre mission, puisque les modalités de calcul ont été modifiées pour l'année 2015.

Une telle augmentation des délais de traitement des affaires civiles et pénales - délais déjà excessifs au regard du principe du droit à un procès dans un délai raisonnable -, davantage que le nombre d'affaires lui-même, témoigne de façon indéniable du grave engorgement des juridictions .


* 28 Le périmètre statistique des juridictions civiles et commerciales correspond à celui établi par le ministère de la justice dans son document de référence « Les chiffres-clés de la Justice », publié annuellement. Il comprend les décisions rendues en matière civile de la Cour de cassation, des cours d'appel, des tribunaux de grande instance, des tribunaux d'instance, dont la juridiction de proximité, du juge des enfants en matière d'assistance éducative, des tribunaux d'instance, des conseils de prud'hommes, des juridictions commerciales et des tribunaux des affaires de sécurité sociale.

* 29 Votre mission n'a pas connaissance de l'évolution du stock des juridictions commerciales.

* 30 Hors amendes forfaitaires majorées.

* 31 L'activité des juridictions de proximité est comprise dans le périmètre des tribunaux d'instance. Sont en revanche exclus les contentieux suivants : ordonnance sur requête, procédure d'injonction de payer, saisie sur rémunérations, contentieux électoral, tutelle sur mineurs ouverte de plein droit et départition prud'homale.

* 32 Les données hors procédures courtes, à savoir hors référés et hors procédures d'urgence, ne sont disponibles que depuis le projet annuel de performances (PAP) « Justice » 2015. Les données des années 2014 et 2015 sont issues du projet annuel de performances pour 2017 et celles de 2012 et 2013 du projet annuel de performances pour 2015.

* 33 Ce délai ne comprend que la durée comprise entre le début de l'instruction et la date de la décision en première instance.

* 34 En première instance, pour les délits, délai entre l'infraction et la condamnation ; pour les crimes, le délai comprend la durée de l'instruction et le délai d'audiencement. En appel, il s'agit du délai entre la première décision et l'appel. Le ministère indique par ailleurs que la méthode de calcul a été modifiée pour l'appel des délits et des contraventions de cinquième classe, sans préciser selon quelles modalités.

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